Chapitre 5
John
♥
Le fait que cet homme me fixe me perturbe énormément. Je n'ai pas l'habitude surtout qu'il porte un sourire étrange, comme s'il tentait de me faire du gringue. Lorsque je pose enfin le verre et que je m'approche de lui, je n'ai même pas le temps de parler. À moitié couché sur le comptoir, son sourire accroché au visage, je comprends qu'il tente vraiment de me séduire.
“Salut mon mignon, on s'connaît ?
— Vas-t'faire enculer,” maugréé-je.
“Seulement si tu m’regardes…”
Un frisson me parcourt alors que je grimace. Pour qui est-ce qu’il se prend pour faire ça ? En public qui plus est. Je suis obligé de le rembarrer mais il a l’air de prendre ça à la légère. Je sens qu’il va me fatiguer. Il ne manquerait plus que ce soit un client régulier et je pourrais dire adieu à ma tranquillité.
“Qu’est-ce que vous voulez boire ?”
En le coupant ainsi, j’espère qu’il va reprendre un peu de son sérieux et arrêter ses conneries. Je n’ai pas que ça à foutre.
“Ce que tu as de mieux. Je ne veux pas de la piquette.” Bougonne-t-il alors que je me tourne déjà pour attraper un verre. L’espoir le fait vivre parce que, niveau alcool, la contrebande est loin de faire le meilleur. C’est plutôt le contraire. Il n’y a rien de bon. Seule la présence d’alcool dans ces boissons rend la chose buvable mais là encore, ce n’est qu’un euphémisme.
Je lui sers son verre avant de retourner à mes tâches, servant les clients qui viennent en redemander. Ils ne se font pas prier, loin de là. La seule règle c’est que chaque verre doit être payé avant d’être servi, ce qui évite les problèmes par la suite, surtout lorsqu’on connaît le véritable patron de ces bars. Il ne faudrait vraiment pas le mettre en colère avec des ardoises à rallonges. Il en est hors de question.
“Pas d’argent, pas d’alcool.
— Nan mais, allez ! Juste pour cette fois. Je paie dès que j’aurais récupéré mon argent.
— Pas d’argent, pas d’alcool.” Je répète au client qui tente de défaire le système mis en place. Il a l’air complètement désespéré. Il ne fait que regarder en direction de la table de poker où un groupe malfamé le regarde avec un sourire carnassier. Il va avoir de gros problème, ça c'est sûr. Je sens qu’il est là pour ramener à boire à toute la petite table et il est hors de question que je le laisse avoir une dette. Il est désespéré, je le lis dans ses gestes hâtifs et ses yeux hagards. Il va faire une connerie, c’est certain.
Tout en restant attentif, je me méfie de ce qu’il va faire. Je laisse ma main glisser sous le comptoir jusqu’à ce que mes doigts sentent le froid d’un canon. Je le vois plonger sa main à l’intérieur de la veste de son costume pendant que ma prise se fait plus forte sur la poignée que je viens juste d’attraper. Je reste attentif, j’ignore ce qu’il pourrait sortir.
Lorsqu’il sort un couteau, j’attends encore un peu. Il n’est pas si prévoyant que ça finalement. Je ris jaune, le provoquant d’avantage.
“Qu’est-ce que tu vas faire avec ce cure-dent ?”
Il n’est pas mauvais, sa panique prévaut sur une potentielle vraie menace. C’est une autre menace qui est plus grave pour lui cependant car je vois derrière les regards mécontents des malfrats de la table. Dans la panique, il fera n’importe quoi. Même s’il n’est pas capable de tuer, il pourrait se retrouver dangereux pour quelqu’un et ça tombe mal. Ça tombe même très mal puisqu’un certain blondinet se fait remarquer par une exclamation qui n’avait pas lieu d’être. L’homme le remarque, bien évidemment et il l’attrape d’un seul coup, le menaçant et m’obligeant à sortir le colt.
“Sers-moi ce que je t’ai demandé, sinon je repeins ton bar avec son sang.”
Dans sa voix transparaît la panique, il n’est pas sûr de ce qu’il fait. Il improvise pour tenter d’obtenir ce que je ne vais pas lui donner. Le visage amusé du blond est le plus déstabilisant de la scène. Il n’a pas peur alors que pourtant, avec son air innocent et juvénile, on aurait pu croire qu’il se serait fait dessus.
“Nan ? Franchement ?” commence-t-il, “T’es pas sérieux là !”
Il émet un rire qui déstabilise son agresseur. Il veut crever, ce n’est pas possible.
♡♥♡
Je ne peux dire à quel point il a une bonne étoile lorsque je vois l’un des malfrats arriver et poser sa main sur l’épaule de l’agresseur du gamin. Il fait un bon en se tournant, tenant toujours sa victime.
“C’est la pouliche de Francesco, lâche-le si tu veux rester en vie.
— Qui tu traites de “pouliche” comme ça ?” s’indigne cet idiot téméraire.
Les malfrats ignorent ce qu’il dit, sage décision. S’il appartient à Francesco, il ne vaut mieux pas s’attaquer à lui. Se mettre à dos la Mano Rosso seraient du suicide. Seule l’Organisation pourrait le faire. D’ailleurs, n’est-ce pas lui qui a volé une des cargaisons d’Umberto ? Je crains que oui.
Le blondinet est lâché et lisse la veste de son costume. Il se retourne vers les deux hommes avant de se moquer d’eux ouvertement. Il n’a pas froid aux yeux.
“Je suis plus homme que tu ne le seras jamais, bébé.”
Il sourit. J’ignore comment il fait pour sourire à ce moment-là alors que les deux jubilent de ne pas pouvoir le toucher. Je sens qu’ils vont préparer une vengeance pour cet arrogant qui se voit pousser des ailes parce qu’il a la protection d’un des plus dangereux proxénètes de la ville. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
“Ecoute bien baltringue, fais gaffe à ton cul.
— Ouh ! Ah ! J’ai peur.”
Il continue alors que le groupe de joueur s’en va. Je ne sais vraiment pas ce qu’il lui passe par la tête mais il veut clairement crever. Il n’y a pas d’autres raisons.
“Tu n’aurais pas dû te moquer d’eux ainsi. Ils vont vraiment te le faire regretter.” Fais-je en rangeant le colt sous le comptoir, ravi de ne pas l’avoir utilisé. Le sang est une horreur à nettoyer et je n’ai aucune envie de le faire. Les autres clients sont déjà retournés à leur verre d’alcool et la musique a repris. Je n’avais même pas remarqué qu’ils avaient tous arrêtés ce qu’ils faisaient pour regarder la scène.
“Tu t’inquiètes pour moi, chaton ?
— Tu joues avec le feu. Que tu sois sous la protection de la Main Rouge ou non, ils te le feront regretter.
— Ce ne serait pas les premiers à essayer.”
Étrangement, le fait qu’il prenne ça à la légère m’énerve. Il ne se rend pas compte du bourbier dans lequel il vient de se mettre. Alors que j’allais répliquer, Charlotte arrive dans le bar et s’approche de nous. L’air stressée et inquiète, elle prévient d’un coup de téléphone qu’elle vient juste de recevoir. C’est ainsi que j'apprends le nom de cet imprudent.
“Anthony, Francesco vient de téléphoner, il voudrait que tu le rejoignes d’urgence.”