Chapitre 6

Anthony

♡

C’est la panique. Fra qui appelle alors que je ne suis pas censé travailler cette nuit, ce n’est pas normal. Je fais comme si de rien n’était face à Charlotte et ce charmant barman mais je suis complètement paniqué. Terrifié même. Je la remercie avant de quitter les lieux sans un regard en arrière. Même s’il m’a appelé en urgence, je dois me changer avant de le rejoindre dans Greater Grand Crossing. Ce serait de la folie que j’y aille ainsi. Je le sais.

Dans ma chambre, parfaitement rangé et nettoyé par Lottie, je me dépêche de troquer mon costume pour une tenue bien différente. Adieu le beau costume chic, bonjour la petite tenue sexy de salope. 

Alors que je suis à moitié nu, j’entends toquer à ma porte.

“Encore…” Je murmure. Le temps presse pour que je rejoigne Fra. Je ne peux pas me permettre d’être en retard. C’est impossible. Mais derrière la porte, ce n’est pas n’importe qui.

“Comment va ma petite salope ?” s'exclame ma meilleure amie. Je suis vraiment heureux de la voir. Ça faisait un petit moment qu’elle n’était pas venue. Elle ne tarde pas à rentrer en me donnant une tape sur les fesses en passant.

“Pourquoi t’es à moitié à poil ? Tu vas quelque part ?

— Fra m’a appelé.

— Je t’attends ici.”

Je la remercie d’un signe de tête. Elle est bien la seule personne à qui je raconte tout. Elle est ma drogue à moi, m’aidant à me détendre et à penser à autre chose. Je peux me laisser aller avec elle sans avoir peur de rien.

 ♡♡♡

Enfin hors de l’hôtel, je me dépêche d’aller vers le bordel. J’ai déjà perdu du temps en devant me changer. Et pourtant, je sais que ça l’amuse de me mettre dans ce genre de situation. Je suis sûr que ça le fait bander ce connard psychopathe. En plus, j’ignore ce qu’il me veut mais je redoute ce que c’est. Il peut avoir inventé tout et n’importe quoi pour s’amuser. Sa meilleure victime étant moi-même, je ne pourrais pas m’en sortir. Ou du moins, pas indemne.

Lorsque j’arrive après avoir traversé les rues, sifflé et insulté, comme chaque soir où je sors, je ne vois personne. Les filles doivent déjà être occupées avec des clients, si bien qu’il n’y a personne pour les accueillir. J’espère que ce n’est pas pour ça que j’ai été appelé. J’ai toujours détesté les accueillir. Surtout qu’il y en a très peu pour accepter d’être accueilli par la salope que je suis.

Alors que j’allais commencer à monter les marches, j’entends la voix de Fra dans mon dos. Je me stoppe, le pied sur la première marche. J’inspire discrètement pour me donner contenance avant de me tourner, pensant ne voir que lui. Cependant, je me retrouve non seulement devant Fra mais aussi devant Dexter. Et là, je sais que je vais détester ce qu’il va se passer. Je vais même plus que détester. Je vais aborder ce futur proche.

“Anthony !” Il semble accueillant, c’est mauvais signe. “J’ai une excellente nouvelle pour toi.”

Le sourire de Dexter à côté de Francesco ne me dit vraiment rien qui vaille. Ce fana de télévision me terrifie avec son calme qui se change souvent en crise de colère. Je crois que la seule qui ne m’effraie pas du trio de la Main Rouge, c’est bien Harley. Elle se fiche de beaucoup de choses, préférant diffuser des informations croustillantes dans son journal et créer des tenues pour elle et ses compagnons. C’est d’ailleurs elle qui fait les tenues des employés de Fra, dont celle que je porte.

“Tu vas me rapporter un max de fric !”

Pardon ? Comment ça ? Je n’en ramène pas assez en vendant mon cul ? Bien évidemment que non. Ça aurait été beaucoup trop beau sinon. Ce proxénète de merde veut toujours plus d’argent. Il cherche continuellement le profit et si une de ses poules aux œufs d’or n’en ramène plus assez, alors elle disparaît. C’est ainsi. Et je n’ai aucune envie de disparaître.

“Tu vas passer à la télé.

— Pardon ?” Demandé-je interdit. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire par là. Comment veut-il que je passe à la télévision alors que je n’ai aucun talent pour devenir animateur comme Katie Coltrane ?

“Nous allons tourner des films érotiques et les diffuser dans la ville entière. Ça va ramener des auditeurs pour mon studio et des clients pour toi.” Intervient Dexter qui pose sa main sur mon épaule. “Tu commences ce soir.”

 ♡♡♡

Je commence ce soir. Ce n’est pas une demande. C’est un ordre. Et c’est ainsi que je me retrouve dans un bâtiment à Uptown, là où je dois rencontrer une cliente dans quelques heures à peine. Le studio de Dexter n’a rien d’agréable. C’est froid, impersonnel. Le lieu de tournage est presque pire. Il y a des caméras et des câbles de partout. C’est la première fois que je rentre dans ce genre de lieu depuis que la télévision est apparue. Ce n’est pas encore très présent et rares sont les personnes qui possèdent un téléviseur. C’est bien trop cher, aussi, la radio et les journaux sont les plus présents. C’est ce qui fait que Dexter recherche l'innovation, tentant de nouveaux formats et de nouveaux programmes régulièrement. Cette fois-ci, c’est au tour de l’un des plus grands péchés que les églises cherchent à dominer. Le sexe se retrouve sur le devant de la scène.

Le plateau de tournage n’a rien de charmant. Un décor vraiment affreux, très voir trop coloré pour que les images ressortent bien sur l’écran. Normal, elles ne passent pas à la caméra. Les images sont en noir et blanc et c’est peut-être la seule chose qui me rassure. Ou pas… Je ne vais plus être tranquille une seule seconde. Toutes les personnes ayant un téléviseur vont me reconnaître dans la rue. Pas que je le redoute, mais je sais à quel point la société hais les homosexuels. Aussi, même sous une pseudo protection, je vais être en danger de mort rien qu’en posant un pied dehors.

“Allez, mets-toi en place. On ne fait qu’un test aujourd’hui.”

Me mettre en place ? Voilà un terme bien gracieux pour dire que je dois me mettre à nu devant toutes ces personnes travaillant pour Dexter. Bien gracieux pour dire que je vais devoir me faire baiser ou baiser quelqu’un devant autant de public. Je ne l’ai jamais fait jusqu’à présent. Pourtant, je sais que je vais devoir passer outre la gêne pour assurer. Je ne peux pas lui donner une excuse pour faire usage de la violence.

Je vois une femme déposer un verre qui semble être du vin et un livre sur la table de chevet à côté du lit. J’ignore ce que c’est censé signifier mais ils sont là. Je regarde Fra, sans comprendre. Il me sourit alors qu’il s’assoie sur une chaise derrière les caméras.

“Ton travail, c’est de lire et boire ton verre tranquillement. Un homme qui jouera le rôle de ton amant entrera dans la chambre. Vous vous embrasserez et vous boirez un peu d’alcool. Une fois la bouteille finie, vous coucherez ensemble.” Il me scrute, attendant ma réponse que je lui offre par un hochement de tête affirmatif. “Maintenant, déshabille-toi !”

Son ordre, je le suis. Je me déshabille sous le regard lubrique de certains travailleurs. Ils n’attendent qu’une chose, la débauche et l’argent qui devrait découler de ce tournage. Même si je suis dos à eux, je ne peux rien faire pour qu’ils n’observent pas mon corps dont les marques de la nuit précédente sont encore visibles sur le bas de mon dos. J’entends même quelques rires. Ils les ont vu et ils aiment ça. Les gens sont tous les mêmes lorsque la dépravation et l’humiliation touche quelqu’un. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que j’en joue pour me faire paraître intouchable.

Harley arrive avec un peignoir rose avec de la fourrure au niveau du col et des manches. Un peignoir très féminin en soi. Lorsque je le porte, je dois certainement faire penser à une femme malgré mes cheveux court et non pas au jeune homme que je suis en réalité. Pourtant, malgré les apparences, c'est assez flagrant que je ne suis pas une femme. Bon… J’avoue aimer ce peignoir quand même.

Je me mets sur le lit et attrape le livre. Je me positionne dans le but que mes longues jambes soient bien visibles et qu'on voit ma poitrine légèrement découverte. Une fois en position, j'attends. J'attends le feu vert. Je ne sais pas comment se passe un tournage, je ne peux faire que des suppositions.