Liam
Je nargue Elio Eliss, l'héritier de la lignée des sorciers royaux, avec son amulette. Je dois l'avouer, il a bien joué son coup pour me démasquer.
J'ai l'air léger en le provoquant, mais je n'en mène pas large. Je savais que ce moment allait arriver, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi tôt.
Ma naïveté, encore et toujours. Le conseil des anges m'avait prévenu d'être sur mes gardes. Ils avaient raison, j'avais tort. Une petite cloche résonne dans ma tête ; c'est l'appel angélique qui m'annonce que je dois être bien plus prudent à partir de maintenant.
Ma mission peut paraître simple : je me dois d'épauler ce jeune sorcier et lui offrir l'intégralité de ses pouvoirs lors de sa dix-huitième année, pour le préparer à son avenir et à son devoir. Cependant, nous devons ensemble dépasser une épreuve importante qui scellera le lien entre nous.
Si nous réussissons, alors nous serons unis et mon sorcier sera un guide royal puissant. Le roi œuvrera alors pour ses sujets dans une lignée divine, guidée par les anges. Si nous ratons cette épreuve, alors nous serons séparés ; le sorcier deviendra fourbe, vacillant vers ses ombres, et son énergie pourrait faire basculer la famille royale vers les démons, ce qui serait catastrophique pour le peuple.
J'ai envie de réussir cette épreuve, j'y croyais tellement fort que j'ai baissé ma garde. Je ne m'attendais pas à ce coup bas.
Un ange se dévoile naturellement à son sorcier uniquement le jour de ses dix-huit ans. Il est interdit de se servir d'objets magiques pour libérer son lien avant cette date.
En récupérant l'amulette d'Elio, j'ai identifié l'auteur de ce charme maléfique. J'aurais dû le prévoir.
Egor Eliss, le père d'Elio, est un mage malsain qui n'a pas hésité à troquer son ange gardien pour laisser les démons le conseiller.
Cet homme est maléfique, nous, les anges, en avons conscience. Elio est aussi naïf que moi s'il pense que son père lui veut du bien.
Il ne doit pas connaître l'histoire de son père. À cause de lui, un ange est prisonnier des enfers, subissant les pires supplices. Tous mes congénères pensent que je subirai le même sort que lui. Je ne le souhaite pas. Je crois en Elio ; il a toujours été bon. Même s'il aime utiliser sa magie à tout va, ce n'est jamais méchant. Son père, au même âge, avait déjà jeté des sorts maléfiques pour anéantir ses camarades ; deux d'entre eux ont terminé en hôpital psychiatrique. Cet homme est cruel et démoniaque.
Le souverain actuel est habité par des voix qui le guident vers les enfers. Le peuple en subit les conséquences : pauvreté, famine pour certaines personnes. Une guerre imminente est même sur le point d'éclater.
Elio peut faire la différence. Je suis là pour le guider.
— Monsieur Eliss, merci de vous intéresser au cours plutôt que de regarder vos camarades de classe.
Un sourire en coin étire mes lèvres. Ça fait des années que je suis le centre d'attention d'Elio, et ça me plaît.
Aujourd'hui, il doit se questionner et s'en vouloir en même temps, comprenant pourquoi il n'a jamais réussi à me soumettre à sa magie. Tout était là, sous son nez, et il est passé à côté. Il doit s'en vouloir. Moi, j'en jubile de satisfaction.
Le cours se déroule sans plus d'encombres. Je n'écoute que d'une oreille. Il faut dire que je n'ai pas besoin de me concentrer pour les cours. Ma condition d'ange fait que je sais déjà tout. Mon esprit reste focalisé sur Elio ; je peux ressentir son émoi et ses doutes. Il ne m'est pas possible de lire dans ses pensées, vu que je n'ai pas mes ailes pour cette mission.
Sur Terre, les anges se doivent de se fondre dans la masse. Nos ailes restent repliées et invisibles pour éviter d'attirer l'attention des humains.
Rares sont ceux de mon espèce qui errent sur Terre. Pourtant, nous venons régulièrement rendre visite aux humains qui ne nous voient qu'à travers des rêves, l'imagination ou quelques visions impromptues.
Si l'humanité découvrait notre présence, elle serait amenée à vouloir manipuler nos pouvoirs, ce que nous refusons. D'où notre extrême vigilance et nos règles. Seule une âme magique peut nous démasquer.
Je suis donc sur Terre incognito, avec le visage d'un jeune homme de dix-sept ans et non d'un ange de 221 ans, ce qui est très jeune pour les miens.
La fin des cours résonne au son de la sonnerie. C'est le moment de regrouper nos affaires et de nous rendre dans la cour de récréation. Je m'attends à une confrontation avec Elio.
C'est sans surprise que je le vois déserter rapidement la classe. Je prends mon temps comme toujours. Nul besoin de changer mes habitudes pour lui.
Elydja, un jeune homme adorable, s'approche de moi à pas feutrés comme toujours. Il est d'une telle timidité qu'il est souvent le centre des moqueries de nos camarades. Pour l'aider, j'ai pris plusieurs fois sa défense, je continue à le protéger. Ce jeune homme a une destinée incroyable. Il n'en est pas encore conscient, mais il fera de très grandes choses pour l'humanité. Hélas, je suis dans l'incapacité d'en dévoiler davantage, même à vous chers lecteurs.
Nous descendons en silence les escaliers. J'attends avec patience qu'Elydja se confie à moi.
— Je change d'établissement scolaire. Dès demain, je ne serai plus là. Elydja regarde autour de nous, vérifiant que personne ne nous écoute.
— Nous avons eu l'autorisation de changer de royaume.
Elydja mérite de quitter ce lieu pour rejoindre son avenir, celui qui l'attend à bras ouverts. Je me retiens de lui montrer que je connais ce qui l'attend. Je feins la surprise.
— Incroyable. Ton père doit être un homme de premier ordre.
Seuls certains membres de l'élite ont le droit de changer de royaume. Il faut les accords des rois de chaque royaume pour que ça puisse se mettre en place.
Elydja, gêné, me confirme l'influence de son père. Je l'encourage par quelques paroles bienveillantes.
— Tu vas pouvoir repartir de zéro et ne plus vivre dans la peur.
Des larmes ruissellent sur les joues du jeune homme. Il ose l'impensable : poser sa main sur mon épaule, s'avancer et me déposer un baiser sur ma joue. Étonné par son geste, je ne réagis pas. Elydja rougit en baissant les yeux. Il murmure un « Merci pour tout ».
Je suis touché par ce gamin qui se bat face aux harcèlements qu'il subissait quotidiennement. C'est un soulagement de savoir que là où il va, il sera accueilli différemment.
— Tu n'as pas à me remercier.
Il se triture les doigts. Il lève subitement la tête, attiré par quelque chose derrière moi. Il se recule, l'air fermé.
— Je dois y aller. Je te dois tant. Je ne sais comment te remercier.
— Tu ne me dois rien. Vis ta vie pleinement et tu me rendras justice.
— D'accord, dit-il. En continuant à s'éloigner, fixant un point derrière moi une fois de plus. Pas besoin de demander qui se trouve dans mon dos, je ne le sais que trop bien : Elio.
Elydja prend ses jambes à son cou et quitte les lieux à mon grand regret. Demain, je ne le reverrai plus.
Je me tourne vers Elio.
— Que puis-je pour toi ?
Un sourire malsain s'affiche sur son visage, si adorable d'ordinaire.
— Tu t'occupes des brebis égarées.
Son ton n'est pas amical. Il me ferait lever les yeux au ciel si j'étais humain. Sauf que je reste de glace.
— Effectivement. Ça pose un problème ?
Elio se renfrogne.
— Je pensais que j'étais ta seule brebis.
— Tu n'es pas une brebis, mais un sorcier, ce qui n'a rien à voir. Tu le sais aussi bien que moi. Je te le demande à nouveau : que veux-tu ?
— Parlons. Son ton est glacial.
— Je t'écoute. Je reste neutre dans ma position.
— Je peux t'invoquer pour ce que je veux ?
Cette question me surprend. Je lève un sourcil.
— Ôte-moi d'un doute. Tu connais ce qui relie un ange et un sorcier ainsi que nos règles ?
La surprise affichée sur le visage d'Elio m'indique qu'Egor n'a rien transmis à son fils.
— Quelles règles ?
— La première règle.
Je sors son amulette pour lui montrer.
— Ne jamais agiter d'objet magique pour révéler son ange avant ses dix-huit ans.
Elio écarquille les yeux, il tente de se reprendre, mais je l'ai vu.
— Même si c'est un cas de vie ou de mort ?
Je fronce les sourcils.
— Oui. Les règles sont les règles, Elio. Elles ont été mises en place pour une raison précise. Mais je vois que ton père en a décidé autrement. Cette fois-ci, tu as eu de la chance, Elio. L'amulette a été manipulée par ton père et non par toi. Tu évites le châtiment.
— Quel châtiment ? demande-t-il, mécontent.
— Laisse tomber. Tu comprendras bientôt. En attendant, je t'invite à réclamer le livre qui aurait dû t'être transmis à l'âge de huit ans, pour t'enseigner les liens et les règles des sorciers envers les anges et réciproquement. Tu y trouveras toutes les réponses à tes questions. Je ne peux t'en dire plus. Ce n'est pas mon rôle.
La colère anima les yeux d'Elio ; ses jolis yeux noisettes laissèrent place à des billes noires prêtes à défier le monde entier.