Liam 

Ce matin, je suis réveillé par une chaleur étouffante qui m'écrase la poitrine. Je respire difficilement, comme à chaque fois que la canicule frappe le monde des humains.

J'ouvre les fenêtres, observant l'horizon. L'immensité du ciel m'appelle. Hélas, je ne peux pas déployer mes ailes comme je le faisais jadis. S'incarner sur Terre, c'est être dépourvu de ces ailes. Parfois j'aime cette vie humaine, mais des jours comme aujourd'hui, me sentir libre dans l'immensité du ciel me manque terriblement.

J'ai du mal à appréhender les émotions humaines qui me traversent. Au royaume céleste, nous n'avons pas ce genre de problème. Nous sommes d'humeur égale, rien ne nous touche réellement. Notre sensibilité n'est pas à fleur de peau comme ici.

Sans m'en rendre compte, des larmes coulent telle une rivière sur mes joues. Mon monde me manque terriblement.

Je m'éloigne de la fenêtre, me rendant dans la salle de bain pour me rafraîchir, replacer mes idées en équilibre avant d'affronter à nouveau l'école et bien entendu Elio.

Elio qui est loin de s'imaginer ce qui l'attend, tout comme moi. Je n'oublie pas le coup de son père pour déstabiliser ma relation avec son fils. C'est une déclaration de guerre, j'en ai conscience contrairement à son fils qui est encore naïf.

Egor, Egor, que prépares-tu ? L'arbre généalogique de la famille me rappelle que Léandro est son frère, celui-ci est un mage bon qui a perdu son ange à cause de la jalousie de son aîné. Liéra était un ange magnifique, une silhouette longiligne, féminine. Tous les hommes sur Terre la désiraient, bien entendu Egor également. Il était jaloux de son cadet et voulait lui voler son amour. Un amour pur et réciproque que très peu d'anges et d'humains vivent.

Egor a réussi l'impensable : se débarrasser de Liéra. Elle était une figure importante au sein de la communauté des anges. Ce fut un drame pour tous de la voir brûler sur un bûcher telle une vulgaire humaine. Personne n'a pu la sauver. Egor avait bien fait ses devoirs : il savait que lors du solstice d'été, la lune pleine allait briller d'un feu ardent et orangé, au moment où les étoiles s'étaient alignées, le pouvoir des anges était endormi. Il en a profité pour accomplir sa vengeance en détruisant l'âme ainsi que le cœur de son frère.

Egor est un ennemi céleste. Contrairement à lui, nous avançons avec nos codes et nos règles face à quelqu'un qui piétine tout. Nombreux sont les anges qui souhaitent le châtier.

Alors oui, j'ai de quoi me méfier. Je suis convaincu de la pureté de l'âme de son fils, mais jusqu'à quand restera-t-elle intacte ? Il voudra également le détruire pour éviter qu'un jour ce fils puisse le dépasser.

Egor veut dominer. Il recherche l'éternité depuis plusieurs années. Il a cru pouvoir boire le sang de Liéra, pensant que la pureté de l'ange lui octroierait l'éternité. Il fut furieux de découvrir qu'il avait été dupé, d'où sa vendetta contre notre espèce.

Je suis dans sa ligne de mire, c'est un fait. J'espère être suffisamment intelligent pour déjouer ses pièges, je ne minimise pas la sournoiserie de cet homme.

Je sors enfin de ma douche, une serviette autour de la taille. Je vais dans ma chambre lorsque l'on frappe à la porte.

Personne ne vient jamais ici ; j'habite dans un coin paumé où personne ne met jamais les pieds.

Avant d'ouvrir la porte, je sonde l'âme qui se trouve dehors. Surpris de me rendre compte qu'Elio a trouvé mon adresse. J'ouvre la porte sans me soucier de ma tenue.

Les yeux ébahis d'Elio se promènent sur ma peau avec lenteur. Je ne dis rien, le laissant à sa contemplation. J'ai rarement vu Elio perdre ses moyens, je m'en délecte.

— Les anges ont un corps parfait. Je comprends que tu apprécies de le détailler, mais j'aimerais savoir ce que tu fais chez moi.

Elio finit par planter son regard dans le mien, son désir pour moi étire mes lèvres dans un sourire en coin. Je suis heureux d'être le maître du jeu une fois de plus. Il rougit légèrement, je m'en délecte. Il a du mal à trouver ses mots, je jubile. Je lui tourne le dos pour enfiler rapidement des vêtements. Lorsqu'il me pose la question qui me saisit.

— Tes ailes, sont de quelles couleurs ?

Question dérangeante et indiscrète. Parler de ce que je ne porte plus m'arrache à chaque fois le cœur, et devoir parler de la couleur de mes ailes, c'est donner une information bien trop dangereuse, surtout face au fils d'Egor Eliss.

— Ça ne te regarde pas. Ma froideur le surprend, et tant mieux.

— C'est impoli de demander à un ange sa couleur. Tu devrais le savoir. Preuve que ton père n'a aucun respect pour notre race.

Je reprends la direction de ma chambre, retire ma serviette, enfile rapidement un jean sans mettre de caleçon.

— Intéressant !

La voix d'Elio dans mon dos me surprend.

— J'aime savoir que tu es nu sous ton jean.

— Mais bien entendu.

— Pourquoi est-ce malvenu de s'intéresser à la couleur des ailes d'un ange ?

Je souffle, exaspéré. J'aimerais lui donner la réponse, mais je m'y refuse. C'est à lui de comprendre que son père a manqué à sa tâche.

— Léandro, mon oncle, précise-t-il, m'a aidé pour que je récupère quelques ouvrages dans la bibliothèque que mon père m'interdit d'approcher. Je les ai copiés à l'identique. Seulement, des passages ont été effacés, avec des annotations bizarres qui ne me disent rien qui vaille. Il y a des symboles qui m'ont fait frémir, d'où ma présence ici. J'ai besoin que tu m'en dises davantage.

Lorsqu'Elio me tend le livre en question, des frissons de glace serpentent le long de ma colonne vertébrale. Mauvais signal : le mal est dans ce livre, plus précisément le diable.

Je m'éloigne immédiatement de cet artefact.

— Nous devons détruire l'original.

— Pourquoi ? me demande Elio.

— Ce livre... Je me tais sous le regard curieux d'Elio qui attend la suite de ce que j'ai à lui divulguer, sauf que j'hésite.

— Son original est imprégné d'un maléfice redoutable. Il a été imprégné par le sang d'un ange sacrifié.

Pas besoin de chercher bien loin l'identité de l'ange en question : Liéra.

— Ton père savait que Léandro allait te guider, alors il t'a amené à ce livre. Quoi qu'en pense ton oncle, ton père aura toujours une longueur d'avance.

— Mais de quoi parles-tu ?

— Ce n'est pas à moi de te raconter les secrets enfouis de ta famille. Ton oncle est sous la coupe de ton père, et par ce livre ton père prouve qu'il tient encore vos vies entre les mains.

Elio allait me contredire, mais il se tait.

— Pouvons-nous malgré tout étudier ce livre ? J'ai besoin d'en savoir plus sur nos liens.

— Tu devrais demander à ton oncle, il connaît les règles qui régissent nos mondes.

Je ne rate pas le visage contrarié d'Elio.

— Pourquoi toi, tu ne m'en dirais pas plus ? Je ne comprends pas.

— C'est la règle.

Le regard d'Elio se durcit, il est au bord de la crise de nerfs. Je le vois bien.

— Les règles ? Encore ces putains de règles ?

Elio ne s'encombre pas des règles, il n'a pas été élevé à les respecter. Moi oui, surtout depuis que j'ai eu un manquement et que ça a coûté la vie à l'ancêtre d'Elio. Par ma faute, cette famille a plongé dans le chaos et j'ai été châtié. Alors, pour les règles, je ne veux plus les contourner.

— Le monde de la magie est réglementé, ce n'est pas de ma faute.

J'essaie de me justifier, mais c'est vain.

— OK, merci quand même.

Sans me laisser le temps de réagir, il claque la porte de mon appartement. Il est parti. Je regarde cette porte pendant de longues minutes sans comprendre pourquoi.