Elio

Je ne supporte pas d'être pris au dépourvu, et là, je me suis pris une claque. La confrontation avec Liam n'a pas été ce que j'escomptais. Je pensais naïvement que je maîtrisais le jeu, mais il n'en était rien.

Sur le chemin du retour vers la maison, les mots de Liam résonnent encore en moi. « Tu ne connais pas les règles ? » Quelles règles ? Vu l'expression de son visage, il était surpris et à la fois en colère. Il ne peut pas comprendre la situation dans laquelle nous sommes.

Comme si c'était si simple de respecter les règles alors que ma sœur se meurt petit à petit. Je dois réagir rapidement. Il était hors de question que j'expose cette problématique à cet ange de malheur. Mon père a eu raison de ne pas me transmettre ces règles. S'il ne l'a pas fait, c'est qu'il avait une bonne raison. Je lui fais confiance.

Non loin de la maison, je traîne un peu des pieds en ralentissant mon rythme, profitant du calme, de la fraîcheur.

— Salut Elio, comment s'est passée ta journée ? me surprend Léandro.

— Alors, l'amulette a-t-elle fonctionné ?

Me questionne-t-il à nouveau avec une certaine impatience.

Je déglutis légèrement, mal à l'aise.

— Comment se fait-il que je n'étais pas au courant de certaines règles ?

Mon oncle expira fortement, comme si le poids du monde se déchargeait d'un seul coup.

— Donc tu as rencontré ton ange !

Ce n'est pas une question, mais bel et bien une affirmation.

— Ton père ne te dit pas tout, Elio. Tu vas devoir être très prudent et réfléchir avant d'agir.

— Comment ça ? lui demandé-je.

L'agitation de Léandro le fait détourner le regard de moi. Il réfléchit aux mots qu'il va prononcer.

— Ton père... À certaines idées qui, comment t'expliquer... Ton père, malgré qu'il soit l'héritier, ne suit pas les règles qu'on nous impose. Il pourrait t'attirer des soucis.

Je fronce les sourcils, mécontent par les aveux de mon oncle. J'ai du mal à encaisser ce que j'entends. Je ne veux pas croire que mon père me mettrait dans une position délicate juste pour le plaisir.

— Papa fait ce qu'il peut pour sauver Elia.

Léandro grimace à mes mots, mais ne dit pas un mot. Je sens bien qu'il se retient.

Le silence s'impose entre nous, pesant, malaisant. Je décide de continuer mon chemin. Léandro m'accompagne, son agitation est palpable.

— Écoute Elio. J'aimerais que tu m'écoutes. Fais attention à toi, s'il te plaît. Je sais que tu souhaites sauver ta sœur avant toute autre chose, mais ne fonce pas tête baissée. Le chemin que te fait prendre ton père n'est pas forcément celui qu'il te faut. Je te demande de réfléchir et surtout de trouver ce fameux livre dont je t'ai parlé. Tu auras certaines réponses à tes questions si tu ne me crois pas. Je ne souhaite pas t'influencer, juste te demander de réfléchir avant d'agir.

J'ai envie de répliquer, mais je n'en fais rien. J'ai bien perçu l'inquiétude dans la voix de mon oncle, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Cet homme est toujours sûr de lui, et là, il prend des gants. Son comportement est aux antipodes de ce que je connais de lui. Je décide donc de garder à l'esprit son avertissement.

Il va falloir que j'explore la bibliothèque de mon père. Objectif de la soirée, c'est acté.

Nous regagnons la maison en silence, dans une ambiance légère. Mon père m'attend sur le pas de la porte, son regard fixé sur son frère est assassin. Je ne réagis pas, j'observe attentivement son attitude. Il me détaille, cherchant une faille dans mon comportement, mais je ne lui montre rien.

— Alors ? me demande-t-il.

Lui aussi est pressé de savoir si j'ai découvert l'ange. J'hésite à lui raconter la vérité, mais me ravise. Mon père connaît la puissance de ses sorts, il sait que la magie a fonctionné.

— J'ai découvert qui il était.

Un immense sourire sans joie s'affiche sur les lèvres de mon père.

— Parfait ! Charme-le. Nos anges sont toujours sensibles à notre aura et leur dévotion envers nous leur fait perdre la raison. Rends-le fou et manipule-le. Ensuite, détruis son cœur. Il pleurera enfin. Elia sera saine et sauve.

— Oui, j'avais déjà compris lorsque tu me l'as expliqué la première fois.

Mon oncle ne dit pas un mot. Nous restons, l'un comme l'autre, impassibles.

— Tu voulais me rencontrer ? demanda mon père à son frère pour détourner son envie de me hurler dessus. Je vois bien sa mâchoire serrée. Il n'a pas l'habitude de m'entendre le défier de la sorte.

— Bien entendu. Pourquoi serais-je ici sinon ?

Mon père le foudroie du regard, mais Léandro ne se laisse pas intimider.

— Je ne sais pas, répond mon père en esquissant un sourire en coin.

— J'ai ce que tu m'as demandé, tranche Léandro froidement.

Mon père écarquille les yeux de surprise. Il ne s'attendait pas à cette réponse. Il a dû être pris à son propre jeu.

— OK. Entre. Quant à toi, Elio, tu as du travail devant toi. Je veux que tu t'entraînes à lancer des sorts, ça te sera utile très prochainement pour manipuler ton ange.

Une question me traverse l'esprit, mais je me retiens, juste à temps. Je regarde tour à tour mon père et mon oncle, me demandant où se trouvent leur ange respectif.

— Allons dans mon bureau, propose mon père à Léandro.

— Je préférerais que nous soyons dans un espace magique où personne n'est susceptible de nous entendre.

Le ton catégorique fait grimacer mon père qui n'aime pas que quiconque lui impose quoi que ce soit.

Après réflexion, qui durera à peine deux secondes, il cède.

— Tu as raison. Allons-y.

Il existe un chalet au milieu de la forêt qui appartient à la famille depuis la nuit des temps. C'est dans ce lieu que les réunions secrètes ainsi que les actes magiques les plus importants ont lieu.

Avant de partir, mon oncle se retourne, me faisant un clin d'œil. Il s'est arrangé pour que j'aie la voie libre pour fouiller la bibliothèque de mon père. Il en profite pour glisser discrètement dans ma main, un petit objet, c'est une minuscule sphère au touché. Je comprends immédiatement que c'est un artefact pour m'aider à déjouer la barrière de protection qu'a installé mon père autour de cette bibliothèque.

Je fais semblant de me diriger vers ma chambre. Je vérifie que mon père et mon oncle soient loin de la maison pour redescendre et pénétrer dans le bureau de mon père.

Il me faudra deux heures pour trouver deux livres importants : le livre sacré ainsi que le livre des anges et des sorciers. Par un tour de magie bien rodé, je duplique les deux livres à l'identique. L'opération prend quinze minutes. Au moment où les doubles sont enfin dans ma main, j'entends la voiture de mon père se garer devant la maison. Je referme rapidement le bureau. Je nettoie mon passage par une formule magique de mon cru : « Tu oublieras mon passage, tu nettoieras les traces que je n'ai pu effacer, tu seras vierge de mon passage. En un claquement de doigt, tout de moi disparaîtra en ce lieu. »

Je monte à toute vitesse dans ma chambre où je m'enferme pour planquer les deux livres répliqués. Je calme mon rythme cardiaque comme je le peux.

La porte d'entrée se ferme, faisant vibrer la maison. Mon père est de mauvaise humeur. Je n'ai pas intérêt à le provoquer ce soir.

— Elio ! hurle-t-il.

Le cœur battant à tout rompre, je descends à toute vitesse, espérant que mon père n'ait pas remarqué mon passage dans son bureau.

— Tu aurais pu préparer le repas au moins.

J'ai quelques secondes d'incompréhension.

— Désolé. Je m'entraînais comme tu me l'as demandé.

— Effectivement, mais tu aurais pu penser au repas.

— Oui. Désolé.

Je pensais que ma mère rentrait ce soir, mais ça n'est pas encore le cas. Elle doit encore être au chevet de ma sœur qui s'est réfugiée chez les anciens, nos grands-parents maternels, pour tenter de bloquer l'évolution de sa maladie. Ma grand-mère étant une guérisseuse, elle fait ce qu'elle peut pour stabiliser ma jumelle, me laissant plus de temps pour agir.