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Mynorca
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Prologue - Le cœur en miettes

Ubi amor, ibi dolor.

°•.ʚ♡ɞ •°

𝟙 𝟡 𝟛 𝟙

Deux voix masculines venaient de troubler la douce quiétude d’Augustin.

Installé au bord de la petite rivière située au sud de son village, il avait passé l’après-midi les pieds dans l’eau, son gros ouvrage de médecine sur les genoux, accompagnant d’une oreille distraite les bavardages de Gisèle, sa petite sœur.

Perchée sur un rocher surplombant l’onde, c’était elle qui avait réagi la première en entendant les voix, accourant pieds nus vers les deux jeunes hommes en uniforme militaire qui venaient d’apparaître dans la clairière.

— Gus ! C’est François ! Elle hurla pour couvrir le sifflement du vent, ses boucles rousses ébouriffées par sa folle course.

Marquant sa page avec soin, Augustin releva les yeux vers les nouveaux arrivants, interrompant sa lecture pour laisser un sourire naître sur ses lèvres.

François, son grand frère. Et Nicolas, son compère de toujours.

D’un pas vif, il rejoignit le petit groupe, ses grands yeux bleus s’écarquillant d’émerveillement face à la fière allure qu’avaient les deux jeunes hommes. Bien droits dans leurs uniformes bleu horizon, le col haut de leurs vestes faisait ressortir leurs mâchoires carrées, de même que leur jolie casquette ronde qui soulignait leur regard durcis par le service militaire.

François, son aîné, était parti pour l'armée deux années auparavant, flanqué comme toujours de Nicolas. La famille avait reçu des courriers, bien sûr, ainsi qu’une belle photo du régiment, désormais épinglée sur le manteau de la cheminée. Mais rien ne valait la fin de la conscription et le retour des hommes au village.

—  Salut Souriceau. Fit Nicolas à Augustin, ébouriffant ses cheveux blonds dans sa grande main, le regard joueur.

Nicolas avait toujours eu de jolis yeux émeraude, si brillants que l’on pensait toujours qu’il n’était pas sérieux ; même les deux années passées à l’armée n’avaient pas réussi à épaissir suffisamment ses traits pour lui donner cet air sage qu’avait déjà Augustin à vingt-trois ans.

— ‘Lut. Répondit ce dernier, portant son regard clair à la bouteille de vin rouge que Nicolas portait sous l’épaule, dénotant avec son allure militaire.

— On voulait fêter ça avant de devoir rendre des comptes aux parents. S’expliqua le jeune conscrit en s’installant au bord de la rivière, non loin du lieu où Gisèle et Augustin avaient passé l’après-midi.

A ses côtés, François retira sa casquette, libérant une couronne de boucles rousses presque identiques à celles de sa petite sœur qui se mit à rire en époussetant sa veste encore un peu poussiéreuse du voyage.

— C’est bon de revenir ici, il fit d’une voix basse, tirant une baguette de son sac.

Nicolas acquiesça avec un sourire, jetant un regard en biais à Augustin qui s’était installé à ses côtés : 

— Les ronflements du dortoir ne vont pas me manquer, tu peux en être sûr. Mais avec les exercices au fusil, la prochaine saison de chasse sera un régal !

Disant cela, il débouchonna sa bouteille, s'enfilant une rasade de vin avant de grimacer :

— Ahhh... acide, comme j’aime !

Puis il la tendit à Augustin qui but à son tour, son visage se fendant du même rictus : 

— Je confirme. Il murmura de sa voix douce et calme, presque silencieuse à côté du ton tonitruant de celle de ses aînés.

Car si François et Nicolas incarnaient à la perfection le portrait de deux jeunes paysans savoyards, Augustin, lui, était tout leur contraire. Calme et réservé, même dans les occasions où l’explosion des sentiments était de mise, il était toujours discret, ombre dans leur petit village. À la moindre occasion, il disparaissait dans ses livres, aidant aux champs uniquement lorsque cela était nécessaire.

À neuf ans, il avait déjà dévoré la maigre bibliothèque de l'aumônerie, se démarquant à l’école par ses talents en mathématiques. Excellent élève, il décrochait quelques années plus tard une bourse nationale lui permettant de pousser les études jusqu’au baccalauréat - obtenu avec mention, cela allait de soi. S’en était suivi sa préparation au Certificat de Sciences Médicales, couronnée par un succès tel qu’il avait pu débloquer une nouvelle bourse pour poursuivre sa formation en externat.

Alors oui, plongé dans le monde des livres et de la médecine, Augustin était plutôt du genre silencieux.

— Et toi alors, fit Nicolas en lui donnant une tape sur l’épaule. Lyon, c’est comment ? La vie de médecin ?

— Je ne suis pas encore médecin. Protesta timidement Augustin, jouant avec l’herbe du bout des doigts.

Ah oui. Ajoutons qu’il était toujours plus silencieux que d'habitude lorsqu'il s’agissait de Nicolas.

Cet homme qui lui faisait perdre tous ses moyens.

Il s’en rappelait comme hier, du moment où son regard avait changé sur le meilleur ami de son frère. Il lui avait suffit d’une chute le long des coteaux, d’une cheville cassée, puis d’un sauvetage en règle. Le portant sur son dos, Nicolas avait parcouru une vingtaine de kilomètres pour le ramener au vieux médecin du village, lui remontant le moral par des rires, des chants et des plaisanteries.

Il n’avait pas fallu bien plus pour le taciturne Augustin. Dans l’ombre de son grand frère, délaissé par ses parents qui s’émerveillaient des exploits de sa petite sœur, le simple intérêt de ce jeune homme à peine plus âgé avait suffi à faire chavirer son cœur.

Depuis, il était toujours bien silencieux à ses côtés. Peut-être attendait-il un signe...un sourire...un regard... ?

— Combien de temps avant que tu sois docteur ? Demanda François, mettant fin au silence qui s’était installé.

— Cinq ans. Je vais faire un stage à l’hôpital à la rentrée. J’ai été admis dans le service qui s'occupe de soigner nos vétérans.

— Félicitations. Répondit le grand roux, l’air franchement impressionné par les capacités de son petit frère.

— Et tu fais la fête au moins ? Tu profites de la ville ? Baîlla Nicolas en s’étalant sur l’herbe, troquant sa casquette pour la couronne de pâquerettes que lui avait confectionnée Gisèle, peu intéressée par la conversation.

— Je-

— On dit qu’il y a des soirées tous les soirs dans les cabarets de la presqu’île. Le coupa le jeune militaire en lui envoyant le bouchon de la bouteille, taquin. Me dis pas que tu préfères rester enfermé dans tes bouquins ?!

Augustin sentit le rouge lui monter aux joues. Expliquer qu’il passait ses nuits à explorer la manière dont l’anatomie de son colocataire s’emboitait avec la sienne n’était pas de bon ton ; aussi, il préféra se taire, provoquant un bruyant soupir chez Nicolas.

— Les jeunes... À ta place je passerai mes nuits à fumer avec une jolie donzelle au bout de la bit-

— Nicolas ! Le coupa François en lui donnant une petite tape sur le genou. Nous avons une dame avec nous.

Gisèle - qui en était à sa troisième couronne de fleurs, cette fois destinée à Augustin - haussa les épaules, laissant échapper un petit rire cristallin, ses beaux yeux bleus pétillants de malice : 

— Je crois que plutôt que vous n'êtes pas prêts à entendre les discussions que tiennent les dames lorsque vous partez pour la chasse.

Se redressant sur un coude, Nicolas leva un sourcil : 

— Je me passerai de vos bavassages autour de vos chiffons et de vos marmots. La chasse me va très bien.

Si Gisèle fut vexée, elle ne le montra pas, se contentant de lever les yeux au ciel. Tout comme Augustin, malgré ses manières un peu rustres, elle possédait une délicatesse tout à elle, une forme de diplomatie innée qui faisait qu’elle ne tenait pas rigueur de la misogynie de ses compères masculins, dégustant sa vengeance généralement quelques jours plus tard, cachant lézards, serpents et autres vers-de-terre dans leurs placards.

A seize ans, elle était bien plus indépendante que toutes les jeunes filles de son âge, montant à cheval et conduisant parfois le tracteur de leur père. Malheureusement, les stéréotypes avaient la vie dure, comme le démontrait le comportement assez exécrable de Nicolas à son égard.

La discussion reprit, plus légère, cette fois animée par François qui, tout aussi diplomate que ses cadets, avait le chic pour ne blesser personne.

Virent les récits de leurs aventures à l'armée, Nicolas et son don naturel pour raconter les histoires entrant en scène, mimant à grands gestes leurs actions sous le regard amusé d’Augustin qui déglutit quand le jeune militaire retira sa veste pour ne garder que son marcel blanc. Légèrement échancré, le vêtement ne cachait rien de sa musculature guerrière et des poils bruns qui fleurissaient là, sur les pectoraux saillants...

— Hé Souriceau ? Tu m’écoutes ?

Sursautant, Augustin s’arracha à sa contemplation pour porter son regard sur le visage rond de Nicolas, s’arrêtant sur la fine moustache qu’il avait faite pousser durant son service.

— J’étais ailleurs. Il avoua.

Le crépuscule avait teinté le ciel de rose, donnant à la rivière dans laquelle jouaient Gisèle et François des reflets dorés. Encore quelques minutes et l’obscurité tomberait, les engloutissant dans son étreinte.

— Me fais pas ce regard coupable. Murmura Nicolas, la voix presque couverte par le clapotis de l’eau.

Les joues roses, Augustin releva la tête, croisant le regard pétillant de son vis-à-vis qui le dévisageait, tentant sans doute de savoir ce qui le taraudait. Du bout des doigts, le militaire attrapa l’une de ses mèches blondes comme les blés, jouant avec.

— Je crois que je ne te comprendrais jamais. Il lâcha finalement. Tu as toujours été tellement... étrange.

Impulsion irrésistible, sans nul doute tenté par le diable, Augustin but ses paroles, les prenant pour le signe qu’il attendait depuis toutes ces années, signe qu’il était temps de vivre cet instant qu’il avait rêvé mille fois.

Prenant appui sur l’herbe, il se pencha en avant, les lèvres frémissantes d’anticipation, déposant un léger baiser sur celles de Nicolas, sentant le chatouillis de sa moustache effleurer sa peau.

Mais à peine leur baiser venait-il de naître qu’une main violente le repoussa en arrière, manquant de lui faire perdre l’équilibre. Sourcils froncés, les yeux écarquillés par la surprise et la colère, Nicolas cracha au sol, s’essuyant la bouche du revers de la main.

— Qu’est-ce que tu fais ?! Il tonna, crachant encore et encore.

Mêlant confusion et irritation, sa voix était plus terrible encore que son geste.

— J-Je suis désolé... Murmura Augustin, le regard affolé par sa propre témérité. Je ne voulais pas...

Nicolas le fixait avec une intensité froide, le genre de regard qui donnait envie de disparaître sous terre. Il n'y avait plus aucune joie dans ses yeux. La tendresse amusée qu’il possédait lorsqu’il s’adressait à lui avait disparu sans laisser la moindre trace, ses traits durcis par l’armée creusés par la lumière du crépuscule.

Le visage pâle, Augustin se redressa, sentant ses lèvres s’assécher alors que résonnaient derrière lui les rires de Gisèle et François, contraste total avec le désespoir qui venait de l’assaillir. Tremblant, il serra les poings, muselant au plus profond de lui le sanglot qui menaçait d’éclater alors que ses jambes se mettaient en mouvement, course effrénée dans la forêt qui bordait la douce rivière.

Il courut encore et encore, laissant les branches écorcher son joli visage, trébuchant plusieurs fois sur des racines qui couvrirent son corps d’hématomes. Mais le souffle court, les cheveux ébouriffés, il ne s’arrêta pas, ses jambes fatiguées ne faiblissant qu’après une énième chute qui le fit atterrir face contre terre, le visage dans la boue, les yeux emplis de larmes.

Nicolas...

Nicolas l’avait rejeté.

Il avait tant rêvé de leurs retrouvailles, du moment où lui serait enfin un homme, prêt à lui raconter ses aventures à la capitale, à lui dire que les gens comme eux existaient, qu’il en avait rencontré plein.

Qu’il y avait de folles soirées où ils se réunissaient tous, parlant de leurs droits, faisant la fête aussi, tant et tellement que tous les visages se superposaient, le souvenir des festivités ne restant que sous la forme de douces caresses...

Mais Nicolas l’avait rejeté.

Alors, tandis que la Lune montait doucement dans le ciel, caressant la surface de la rivière qu’il avait quittée, Augustin resta là, perdu à la lisière de la forêt, maculé de boue et une main sur la poitrine, tentant de ressentir quelque chose, si ça n'était son cœur en miettes.


Et nous voici partis pour la re-publication d’une vieille histoire de mon cru - et pas de mon cul attention ( ͡° ͜ʖ ͡°). Une romance historique que je vous mettrais sous la dent tous les mercredi à partir de maintenant.

Alors bien sûr, j’en profite pour faire un énorme TW sur tout ce qui est homophobie, thématique de guerre etc… ça va pas être la joie et le bonheur à chaque chapitre, j’essaie de prévenir (。•́︿•̀。) Mais ce sont des thèmes importants, pas répéter les erreurs du passé toussa *tousse très fort*

J’espère tout de même que ce prologue vous aura plu 🤍 Nous suivrons donc les aventures de notre petit Augustin dans les prochaines pages… les deux chapitres suivants sont normalement eux aussi en ligne 🤍

A bientôt !

~ Myno

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