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Mynorca
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4. Amertume

Hei mihi! Quod nullis amor est medicabilis herbis

°•.ʚ♡ɞ •°

Lorsqu’Augustin gagna enfin le corps de ferme appartenant à son grand frère, une température étouffante régnait dans les petites rues du village savoyard. Un soleil de plomb s’était levé dans le ciel qui avait abandonné sa teinte grise menaçante pour un bleu vif, s’abattant comme une masse sur quiconque avait l’idée saugrenue de quitter l’abri frais des vieilles pierres - et le jeune religieux était de ces fous-là.

Car il était en retard.

Très en retard.

Avec la sensation étrange qu’il était en train de fusionner avec ses longs vêtements noirs, il poussa le petit portail du bout de sa canne, essayant de l’autre main de dégager a minima son cou de sa chemise à col romain qui lui donnait l’impression d’étouffer. Sous le feu du soleil d’été, sa peau pâle piquetée de tâches de rousseur s’était enflammée, quasiment rouge par endroits.

Alertée par le grincement du portail, une silhouette féminine émergea de la bicoque au toit rouge, très élégante dans sa robe de coton fleurie, un grand chapeau de paille sur la tête.

Jeanne, la femme de François et la mère des trois derniers rejetons Blanchard.

— Père Augustin ! Elle souffla, la voix teintée de soulagement. J’ai cru que...

Un bambin dans les bras, un autre accroché à sa jupe - le troisième grattait la terre plus loin - son visage de jeune maman était creusé par de larges cernes qui n’avaient que peu à voir avec sa maternité. 

— Je suis désolé. Fit doucement Augustin, lui emboitant le pas alors qu’elle lui faisait signe de la suivre. La journée a été compliquée avec la fin de la saison des mariages. Et j’ai eu...

— ...une petite visite ce matin. Compléta Jeanne, berçant doucement la petite fille qu’elle portait contre elle. Ils n’ont pas eu le temps d’interroger François, c’est moi qui ai eu le droit aux courtoisies de Herr Karl.

— Mamannnn... couina une petite voix sous sa jupe, l’interrompant. J’ai pas doudouuuu...

D’une main - et avec beaucoup d’adresse, il fallait le reconnaître - Jeanne récupéra la peluche qui trônait sur la table du salon, la tendant à l’enfant accroché à ses jambes avec un petit sourire contrit pour son beau-frère.

— Je suis désolée, je suis un peu en retard sur mon programme, ils sont censés être à la sieste... Gisèle est passée, tu l’as loupée de peu, c’est elle qui m’a mis au courant pour tes visiteurs matinaux.

— Ne t’excuse pas, c’est normal de prendre du temps pour t’occuper des petits. Si tu as trop de travail, n’oublie pas que tu peu me les-

Jeanne eut un petit rire, un sourire illuminant ses grands yeux d’agathe.

—Tu es adorable Augustin, mais il sont un peu petits pour que je te les confie. Coraline fait encore ses dents, c’est une vraie petite terreur, tu ne survivras pas cinq minutes !

Bercée par la voix douce de sa mère, la petite Coraline semblait pourtant bien calme, son petit visage constellé de tâches de rousseurs fixé sur Augustin, avec l’air de se demander qui était cet homme trempé de sueur à l’accoutrement si étrange.

— Rafael est toujours à l’étable. On a essayé de le faire manger tout à l’heure, mais autant parler à un sourd. Soupira Jeanne, passant une main dans les petites boucles rousses de sa fille. Évacuer le... c-corps de Léon a été difficile, j’ai cru qu’il allait se lever pour nous frapper.

Augustin se mordit la lèvre, poussant un léger soupir. Un blessé qui refusait de prendre sa médication était toujours préoccupant, surtout après une opération d'ampleur, comme une amputation, au hasard.

— Je vais voir ce que je peux faire. Il murmura, se composant un visage apaisé pour ne pas angoisser davantage la jeune maman qui semblait déjà au bord de la crise de nerfs à l’idée même d’évoquer l’homme caché sous son toit. 

— Passons par le jardin, c’est plus prudent. Elle répondit un peu rapidement, raffermissant sa prise sur sa fille qui s’amusait avec les boutons de sa robe.

D’un geste un peu raide, elle lui fit signe de la suivre, le guidant vers le petit jardin fleuri qu’elle entretenait depuis sa première grossesse, cinq années auparavant. Slalomant entre les beaux plants de tomates gorgées de soleil et les gros hortensias faisant quasiment la taille de sa tête, elle indiqua à Augustin la porte arrière de l’étable : 

— Je te laisse. Elle soupira avec un tic nerveux. Je...

— Ne te fatigue pas. Répondit Augustin. Tu en fais déjà beaucoup avec les trois petits monstres. Va te reposer et buvez tous un grand verre d’eau, il fait bien trop chaud pour que tu restes dehors.

C’était avec sa voix prosaïque de médecin qui s’était exprimé, et Jeanne le remarqua avec un petit sourire : 

— C’est noté docteur Blanchard.

Puis, elle le salua d’un petit geste avant de retourner au frais dans le corps de ferme, ses trois enfants toujours agrippés au tissu fleuri de sa robe d’été.

Augustin laissa échapper un petit sourire à son tour, passant rapidement une main dans ses cheveux trempés de sueur avant de pousser la porte de l’étable, son regard s’habituant rapidement à la pénombre qui y régnait. Vidée de tous les moutons que François avait conduit en pâturage, la petite grange semblait bien silencieuse.

En quelques pas claudicants, il fut à la porte secrète cachée dans les poutres, hésitant un instant avant d’en activer le mécanisme.

Si le susnommé Rafael s’était énervé au point de vouloir frapper son grand frère - qui n’était pas un petit gabarit - il allait devoir marcher sur des oeufs pour ne pas risquer de repartir avec un oeil au beurre noir. Surtout que son handicap ne l’aiderait en rien à prendre la fuite...

Ces réflexions plus que joyeuses faites, il se décida enfin à pousser contre le battant de bois, révélant les contours obscurs de la cachette aménagée dans les poutres. Comme la veille, la pièce exiguë était éclairée par la flamme tremblante d’une lampe à huile, l’odeur des bêtes de l’étable se mêlant à celle du pétrole. Piégée dans sa petite prison de verre, la maigre source de lumière était en train de mourir, projetant des ombres diffuses sur l’homme qui occupait la pièce, seul dans l’obscurité étouffante.

A demi-assis, il était étendu sur la même couche que la veille, le regard perdu dans un abîme sombre que lui seul pouvait percevoir. Il n’avait été ni lavé de la boue qui maculait toujours ses jambes, si du sang qui avait giclé jusque sur son visage, faisant de sa tignasse brune une bouillie informe de croûtes et de mèches sales.

Pauvre homme Songea Augustin en s’avançant. Un religieux savait reconnaître le désespoir lorsqu’il sonnait à sa porte.

Il allait prendre la parole, prêt à se présenter, mais le blessé prit les devants, brisant le silence d’une voix légèrement éraillée par la douleur : 

— Vous êtes le médecin. Je... Je suppose que je vous dois la vie, Padre.

C’était une remarque laconique, froide malgré  la chaleur de son petit accent hispanique. Pris de court, Augustin ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois. Il ne se laissa cependant pas décontenancer plus longtemps. Mobilisant toute l’attitude que se devait d’avoir un chirurgien en visite, post-opératoire, il se lança : 

— C’est mon travail, ne me remerciez pas pour ça. Je suis venu voir comment vous vous portiez. 

Et d’un geste marquant l’habitude, il laissa tomber son petit cartable de cuir aux côtés de la couche de son patient, tirant vers lui le petit tabouret que Jeanne lui avait gentiment préparé. Professionnel, il sortit son stéthoscope et de quoi préparer un nouveau pansement, cherchant dans un premier temps à tâter le terrain - pour éviter un coup de poing, éventuellement.

¿Cómo me siento? Murmura Rafael en espagnol après un temps de réflexion.

Un petit sourire amer vint déformer son visage aux traits anguleux, brisure sur la face froide qu’il lui avait présentée jusqu’alors. Ne se démontant pas, Augustin hocha la tête, apposant la tête froide du stéthoscope contre son torse nu, à la recherche des battements de son cœur.

— Si je devais me plaindre de chaque douleur, Padre, vous devriez délaisser votre paroisse. Vibra la voix rauque de l’espagnol contre le pavillon de l’instrument, couvrant le tambour un peu rapide qui résonnait dans sa poitrine.

Arquant un sourcil blond, Augustin releva les yeux vers lui, interrompant son examen :

— Je sais que-

— Gardez votre pitié, Padre. Je mérite cet enfer après tout.

Et la voix de son patient était si amère que le jeune religieux eut l’impression de mordre dans un citron. Avec une petite grimace, il tenta de rassembler les maigres arguments qu’il avait préparés durant la journée : 

— Ce n’est pas de la pit-

— Un homme d’église tel que vous ne devrait pas perdre son temps avec moi. Ma place est en bas, sur les braises que Satan m’aura préparées.

A nouveau surpris, Augustin se mordit la lèvre ; okay, Rafael ne souhaitait visiblement pas être consolé. Rangeant son stéthoscope avec une petite moue contrite, il se lava rapidement les mains dans la bassine qu'on avait préparée à son intention.

Gardant pour lui le sentiment que l'humeur délétère de son patient faisait naître dans sa poitrine, il reprit après un petit silence :

— Vous avez besoin de soins. Si vous ne souhaitez pas être consolé, laissez moi au moins m'occuper de vos blessures.

— Faites ce que bon vous semblera Padre. Répondit Rafael, la voix lasse.

Et ses yeux bruns s'étaient à nouveau perdus dans le vague. Amorphe, il abandonna toute réaction, coquille vide qui ne tressaillit même pas en sentant un gant humide être porté contre son visage.

Avec un léger soupir, Augustin s’était attelé à le débarrasser du sang et de la crasse ; normalement, il aurait sans doute confié cette tâche à un infirmier, mais il n’en avait pas sous la main et une infection était la dernière chose qu’il souhaitait après cette opération réalisée dans des conditions si précaires.

A chaque passage du gant, il révélait un peu plus de la carnation caramel de son patient, qui exempte de toute saleté, prenait la douceur du velours. Propre, son visage perdait son air sévère pour laisser apparaître des traits masculins plutôt juvéniles, soulignés par de jolies boucles brunes.

Et Augustin ne sut trop pourquoi, son cœur eut pour idée de s'affoler.

Tenté par des pensées impies, son regard qui se devait d'être professionnel glissa le long de cette peau si veloutée, puis sur le tulle blanc qui courrait de l'épaule au torse de son patient. Taché de rouge là où son bras avait été sectionné, le tissu stérile ceignait ses pectoraux puissants, couverts d'une épaisse toison brune.

Merde Gus. Ça n'est ni le lieu, ni le moment...

La gorge sèche, le jeune religieux laissa toute déontologie médicale quitter son corps, se risquant à s'égarer le long de ses abdominaux parfaitement dessinés, le feu s’emparant de ses joues en remarquant le filet de poils denses qui disparaissait sous son pantalon de toile déchiré.

Non décidément, ce n'était ni le lieu ni le moment.

Mais cet homme avait un corps parfait. Le genre de corps qui aurait été capable de le hanter des nuits durant au temps où il rêvait encore.

En lui, le Augustin du passé venait de refaire surface.

Les joues roses, il se mordit la lèvre, échappant au regard de son patient pour plonger dans son cartable, marmonnant pour créer un semblant de diversion :

— I-Il faut que vous preniez votre médication. Une infection ne serait pas-

— Je n'aime pas me répéter, Padre. L'interrompit l’espagnol.Vous perdez votre temps.

— Je ne perds pas mon temps Rafael. Rétorqua Augustin sur le même ton - quoique la voix un peu tremblante. Chaque âme est placée sur cette Terre pour accomplir son destin. Vous avez le votre.

Il se raccrochait aux branches comme il le pouvait. Et bonne nouvelle, l'aigreur de l'espagnol avait eu pour effet de lui remettre les pieds sur terre.

Bon, ok, sa réponse avait été cliché. Mais c'était la seule phrase un tant soit peu sensée qu’il était parvenu à formuler sans bégayer.

— Vous avez un talent pour les mots, Padre.

Et le regard teinté d’ironie de Rafael plongea un instant dans les yeux clairs d’Augustin, avant qu'il n'ajoute, la voix basse :

— Mais je crois que malheureusement, je ne crois plus aux destinées.

— Dieu a un plan pour nous tous sur cette terre. Si vous êtes en vie, cela signifie que vous avez encore votre rôle à jouer.

En réponse à cette déclaration - assez médiocre pour un théologien, remarquons le - un rire bas secoua la poitrine de Rafael, hilarité silencieuse qui se mua rapidement en une vilaine grimace douloureuse : 

— Épargnez moi les sermons que vous réservez à vos paroissiens. Un rôle à jouer ? Je passe mon temps parmi les ombres, à trembler en attendant mon heure. J'ai fait l'erreur de tenter le bonheur, Padre, voyez comme cela m'a réussi.

Et d'un geste un peu brusque, il désigna la partie manquante de son bras, là, juste sous l'épaule.

Vibrant, le silence se fit un court instant alors qu’Augustin, la bouche sèche, tentait de trouver de nouveau arguments. Il baissa les yeux sur le sang qui maculait le bandage de tulle, laissant un mince filet de voix s’échapper de ses lèvres, tremblant : 

— P-Peut-être que pour l’instant, cela vous échappe, mais... Même dans nos moments d’obscurité, il faut prier pour que vienne la lumière.

Cette fois, il n’y eut pas de rire, pas même une exclamation ironique. Face à l'air apeuré qu’affichait le jeune religieux, Rafael sembla se radoucir :

— Je suis désolé. Il fit doucement. Ma colère parle pour moi, Padre. Vous ne faites que votre travail.

Alors qu'il prononçait ces mots, sa main encore valide tressaillit, comme s'il s'apprêtait à faire un geste. Il se ravisa pourtant, ajoutant de sa voix toujours éraillée par la douleur : 

— Merci d'avoir pris des risques pour soigner mon bras. Ou du moins de ce qu'il en reste, je-

— Prenez votre médication. Le coupa Augustin un peu abruptement. Je ne veux pas avoir à amputer plus haut si vous faites une gangrène.

Mieux valait recentrer la conversation sur quelque chose de rationnel. Il avait suffit de si peu pour que ses joues ne s'enflamment...

— ... Et ne touchez pas à vos sutures. Il continua tout en fermant son cartable. Une infection est la dernière chose que vous souhaiteriez. Vous avez besoin de quelque chose pour vous occuper ? Les journées vont être longues.

L'air un peu circonspect par le discours de son soignant si singulier - un prêtre parlant d'amputation avec l’assurance d'un chirurgien, ça ne courrait pas les rues - Rafael leva la tête vers lui, ses longues boucles tombant en arrière.

Hum. J'aurais aimé vous dire qu'un bon livre aurait fait l'affaire, mais je crains de ne pas avoir votre niveau d'éducation, Padre. Le souvenir de vos sermons me tiendra compagnie.

— Je-

— J'attendrais donc le prochain demain, c'est ça ?

Augustin eut un sourire crispé, quittant son tabouret avec un geste un peu précipité pour être totalement naturel.

— G-Gisèle me tiendra au courant de votre état de santé.

Rafael eut une moue étrange, une ombre passant sur son visage alors qu'Augustin tournait les talons, devancé par sa canne. 

Derrière lui, la voix de l'espagnol résonna une dernière fois avant qu'il ne quitte la pièce :

— Je vous attends demain, Padre.

— Oui. Flancha Augustin en guise de réponse.

Fragile, sa voix avait été si basse qu'il eût du mal à s'entendre, le maigre filet de sa voix noyé dans les battements affolés de son cœur.

Que lui arrivait-il ?


𝒪𝓊𝓁𝒶𝓁𝒶, ça a été difficile d’écrire ce chapitre ૮(˶╥︿╥)ა Décrire la douleur de Rafael sans en faire un personnage totalement antipathique a vraiment été compliqué, j’espère que cela vous a tout de même plu (et big up à Esmeraldaries qui m’a beaucoup aidé) !

Aussi, première description physique autre que dans le chaos de la nuit du chapitre deux, je vous avoue que je suis complètement amoureux de Rafael, j’ai trop hâte des prochains chapitres où nous allons le recroiser (๑>◡<๑). En attendant, petit portrait de Jeanne et de Coraline, j’espère qu’il vous plaît ! 

En attendant, on retrouvera notre pauvre petit Augustin bien torturé par toutes ses pensées dans le prochain chapitre avec un petit peu de 🌶️, il s’intitulera, “Désirs impurs” ԅ(≖‿≖ԅ)

Merci à tous 🤍

~ Myno

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