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Hanae_Ecriture
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Chapitre 1 - L'équipe

Nous étions quatre à franchir ce seuil, quatre âmes ballotées par un tourbillon d’inconnu, suspendues à cette frontière ténue entre le tangible et l’indicible. Chacun portait en silence ses failles, ses blessures bien dissimulées, ses peurs serrées au creux du ventre. Mais au milieu de ce tumulte intérieur, une même pulsion nous avait guidés ici : une curiosité vorace, presque malsaine, qui dévorait toute prudence.

 

Moi, ex-journaliste avec un esprit forgé dans l’acier du scepticisme, j’étais venue armée de doutes et de logique. Pourtant, face à l’invisible qui s’insinuait dans chaque recoin de ce manoir, mon assurance flanchait. J’avais quitté le confort glacé des rédactions pour plonger dans ce monde instable, sans garde-fous. Une vérité m’attendait, j’en étais convaincue – pas celle qu’on imprime à l’encre noire, mais celle qui se glisse dans les interstices du réel, fuyante et troublante. Chaque pas que je faisais me tirait un peu plus loin du rivage du rationnel, m’entraînait vers une angoisse sourde, primitive, tapie juste derrière mes pensées.

 

Mark, notre chef, avançait tel un soldat en croisade. Sa détermination brûlait comme une fièvre. Il s’accrochait à la mission comme à un dogme. Chaque anomalie, chaque courant d’air trop froid, chaque grincement suspect n’était pour lui qu’un obstacle à franchir, une énigme à résoudre. Il en faisait presque une guerre personnelle, comme si convaincre les autres d’y croire suffisait à vaincre ses propres démons. Mais ses silences, eux, en disaient long : il doutait aussi. Peut-être plus que nous tous.

 

Sarah, la technicienne, se réfugiait derrière ses moniteurs, ses graphiques, ses données précises. Dans le vacarme irrationnel de la maison, elle s’efforçait d’imposer un langage concret, chiffré. Son calme méthodique avait quelque chose d’apaisant, comme un fil tendu au-dessus du vide. Pourtant, ses gestes trahissaient parfois une nervosité qu’elle ne contrôlait pas. Elle voulait croire que tout avait une explication. Mais les chiffres, eux aussi, commençaient à se dérober.

 

Et puis il y avait Lucas. Le médium. Toujours en retrait, le regard fixé sur des choses que nous ne voyions pas. Son silence glaçait l’atmosphère plus sûrement que la brume qui s’insinuait sous les portes. Il ne cherchait pas à convaincre. Il voyait. Il ressentait. Il traversait le monde comme un funambule entre les vivants et les morts. Et nous, malgré nous, on le suivait. Fascinés. Terrifiés.

 

Dans ce vieux manoir rongé par le temps et les secrets, nos différences s’entrechoquaient, alimentant une tension nerveuse qui montant comme un orage silencieux. L’endroit respirait l’étrangeté. Chaque fissure dans les murs, chaque souffle d’air tiède, chaque porte entrouverte nourrissait l’impression que quelque chose nous observait, attendait notre chute.

 

— Alors c’est clair, dit Mark en croisant les bras, le regard dur. On ne part pas d’ici sans réponses. Pas celles qu’on invente pour se rassurer. Les vraies.

 

Je le fixai. Sa mâchoire était crispée, les traits tirés, comme s’il menait un combat qu’aucun de nous ne comprenait vraiment. Ses yeux, eux, racontaient l’histoire d’un homme au bord de la rupture, prêt à basculer. Une fatigue ancienne coulait dans chacun de ses gestes. Ce n’était pas le corps qui peinait : c’était l’âme. Et je sentais cette détresse vibrer en moi, comme un écho douloureux.

 

— J’ai vu des choses, dis-je. Et je n’arrive pas à les expliquer. Ce silence, ces voix étouffées… Ce n’est pas juste une coïncidence.

— Tu doutes encore ? Ricana Lucas sans même me regarder. Tu as besoin de plus pour lâcher ton armure ?

— Je ne suis pas là pour croire. Je suis là pour chercher. Et s’il faut démonter chaque soi-disant vérité pour trouver la bonne, je le ferai.

 

Sarah leva les yeux de son écran.

 

— Les données parlent, lâcha-t-elle d’un ton sec. C’est de l’énergie. Pas des esprits. Pas des contes.

— Alors explique-moi pourquoi ton matos s’éteint dès qu’on entre dans l’air ouest ? Répondis-je, le ton un peu plus haut. Pourquoi ces pics d’ondes, ces pertes soudaines ? Tu crois que c’est le Wi-Fi qui fait des siennes ?

— Interférences. Vieilles structures. Champs électromagnétiques naturels. Rien d’ésotérique, juste de la physique.

 

Mark leva une main, tranchant nos échanges.

 

— Ce manoir n’est pas juste une ruine poussiéreuse. C’est une mémoire vivante. Il y a eu des cris. Des disparus. Des témoins. On n’est pas là pour jouer les sceptiques ou les croyants. On est là parce que ce lieu ne nous a pas laissés le choix.

 

Un silence lourd tomba sur nous. L’air devint plus épais. J’avais la gorge sèche, les poumons trop pleins d’un air moisi qui collait à la peau. Le manoir n’était pas simplement un décor. Il nous avalait lentement. Il s’insinuait en nous, goutte après goutte, comme un poison silencieux. Chaque planche grinçait comme si elle gémissait. Chaque couloir exhalait une odeur de cendre et d’oubli. J’avais l’impression d’être prise au piège, pas par des murs, mais pas une conscience. Quelque chose ici nous voulait. Et plus je restais, plus j’en oubliais pourquoi j’étais venue.

 

L’enquête avait commencé. Mais ce n’était pas nous qui en tenions les rênes. C’était lui. Le manoir. Et il attendait.

 

— Tu crois qu’on va sortir vivants ? Murmurai-je, à moitié pour moi, à moitié pour eux.

 

Lucas releva lentement la tête. Son sourire habituel s’était effacé, balayé par quelque chose de plus grave, de plus profond.

 

— Ce n’est pas une question de vie ou de mort. C’est une question de ce qu’on est prêts à perdre.

 

Un silence pesant nous enveloppa aussitôt, comme un linceul trop serré. Aucun de nous ne réagit. Les mots, suspendus dans l’air, résonnaient en boucle dans nos esprits. Il n’y avait plus de place pour l’humour ou la légèreté. Nous n’étions plus des curieux en quête de sensations. Nous étions des proies, des funambules titubant sur un fil invisible au-dessus d’un gouffre sans fond.

 

La tension s’insinuait partout. Dans les gestes brusques de Sarah qui tapotait nerveusement sur ses instruments. Dans la mâchoire crispée de Mark. Dans le regard fuyant de Lucas. Et en moi, dans ce poids qui se logeait dans ma poitrine, lourd et brûlant, comme si quelque chose, ou quelqu’un, m’observait depuis les ténèbres, attendant le bon moment pour frapper.

 

Chaque mission nous liait un peu plus. Pas dans une belle fraternité, mais dans une espèce de pacte muet, construit sur la peur, la douleur, la survie. Cette proximité avait ses limites. Elle tissait des liens, oui, mais elle creusait aussi des failles. Des silences épais, des regards évités, des mots retenus par crainte d’ouvrir une brèche.

 

— On avance ensemble, annonça Mark. Personne ne lâche l’autre. C’est la seule règle.

 

Il n’avait pas crié. Il n’avait pas levé la voix. Mais sa phrase claqua dans l’air, plus tranchante qu’un coup de tonnerre.

 

Je hochai la tête, lentement, presque mécaniquement. C’était notre seul repère dans cette folie rampante. Ce groupe disparate, cette équipe bricolée de bric et de broc, c’était tout ce qu’il me restait. Je lisais dans les traits fatigués de mes compagnons le reflet de mes propres démons. Chacun portait un fardeau. Chacun avait une douleur qu’il tentait d’oublier dans cette chasse au mystère. Mais ici, dans ce manoir où les murs respiraient, où le sol geignait sous nos pas, aucune fuite n’était possible.

 

Le froid s’infiltrait sous ma peau. Pas un froid normal, pas celui d’un lieu mal isolé. Non. C’était plus ancien, plus profond. Un froid vivant, animé, qui traquait nos souffles, qui s’immisçait dans chaque battement de cœur. Je sentais une présence, non pas au loin, mais tout près. À portée de main. Tapie dans l’obscurité, elle attendait. Elle testait nos failles. Et je savais au plus profond de moi qu’un seul faux pas suffirait.

 

Ce n’était plus une question de preuves. Ce n’était plus une enquête. C’était une lutte. Un jeu malsain où la maison dictait les règles. Et si on voulait survivre, il faudrait accepter de perdre bien plus que notre certitude. Il faudrait affronter l’invisible… et ce qu’il réveillait en nous.

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