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Hanae_Ecriture
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Chapitre 2 - Le manoir

Le manoir Chantelombre se dressait, massif et immobile, au cœur d’une forêt dense où les arbres noueux se resserraient comme pour étouffer le ciel. Ses pierres, noircies par les siècles, suintaient un passé trop lourd pour être oublié. Chaque fissure dessinait une cicatrice, chaque touffe de mousse collée aux murs portait les échos d’une époque révolue, comme si le manoir lui-même soufflait encore les secrets qu’on avait voulu enterrer. Perdu loin de toute civilisation, rongé par l’oubli et les légendes, il se tenait là, silencieux et menaçant, comme s’il attendait quelque chose… ou quelqu’un.

 

À peine avions-nous franchi la porte que l’atmosphère se referma sur nous. L’air s’épaissit aussitôt, devenu presque liquide, comme si respirer signifiait avaler l’angoisse de ceux qui étaient venus avant nous. Mes poumons s’étranglaient à chaque inspiration. Une tension sourde s’infiltrait lentement, rongeant nos nerfs sans bruit. Sarah installait son matériel, les gestes nerveux, comme si l’urgence était dans l’air. Une fois les capteurs activés, les écrans se mirent à vibrer sans logique, parcourus de données erratiques. Les ondes se croisaient, se heurtaient, trahissant une présence impalpable qui jouait avec les lois du réel.

 

Et puis au-delà du tumulte technologique, vinrent les murmures.

 

Faibles. Distants. Mais assez clairs pour qu’on sache qu’ils n’étaient pas le fruit de notre imagination.

 

Des noms oubliés. Des mots brisés. Des phrases mortes nées d’un passé qui refusait de disparaître. Le manoir n’était pas un simple édifice : il respirait. D’une manière lente, sourde. Comme une bête qui sommeille sous la pierre.

 

— Vous entendez ça ? Lança Sarah en tendant son enregistreur vers les ténèbres.

— Oui… Murmurai-je, les yeux figés dans le vide, le cœur cognant contre mes côtes.

 

Un froid venu de nulle part rampa le long de ma colonne. Un frisson profond, viscéral, remonta jusqu’à ma nuque. Mon corps comprenait ce que mon esprit refusait d’admettre : on n’était pas seuls. Quelque chose nous frôlait, tapie dans les coins les plus sombres, et elle attendait qu’on baisse notre garde.

 

— Ce manoir, c’est un piège, glissa Lucas, sa voix à peine audible.

 

On avançait dans le couloir principal, à pas lents, chaque mètre gagné avec la peur nouée au ventre. L’air, immobile et glacé, collait à la peau. Les murs, autrefois riches de tentures et de dorures, n’étaient plus que l’ombre de leur splendeur passé. Les étoffes râpées s’effilochaient en lambeaux, comme des souvenirs en train de se décomposer. Le parquet, sous nos pas, grinçait comme un avertissement. Chaque craquement résonnait trop fort, troublant le silence en y glissant des soupirs invisibles.

 

Lucas s’arrêta net.

 

Son regard accrocha un tableau accroché dans l’ombre d’une alcôve. Le cadre pendait légèrement de travers, couvert d’une épaisse poussière. Il représentait un homme à l’allure droite, le regard dur et pénétrant. Il avait beau n’être qu’une image figée, j’avais l’impression qu’il nous observait vraiment. Ses yeux, noirs et perçants, brisaient la pénombre avec une intensité dérangeante. La toile déchirée laissait entrevoir une autre couche, comme un secret caché sous la peinture.

 

— Attendez… Murmura Lucas, fasciné. Je connais ce visage. C’est le patriarche des Chantelombre. C’est leur ancêtre.

 

Un courant d’air glacial traversa soudain la pièce. La lampe torche de Lucas vacilla. L’obscurité se fit plus dense, plus pesante.

 

— Tu crois qu’il nous regarde ? Demandai-je, la gorge nouée, sans quitter le tableau des yeux.

— Ce n’est pas qu’il regarde… c’est qu’il essaie de parler, répondit Lucas. On l’a réveillé.

 

À ce moment précis, le sol vibra sous mes pieds.

 

Un choc. Brutal. Sourd. Comme un coup porté à même les entrailles du manoir. Une porte claqua violemment derrière nous. Le bruit explosa dans le silence comme un cri.

 

Je sursautai. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Mon souffle se bloqua. L’écho résonna encore et encore, comme si les murs eux-mêmes répétaient cet avertissement. Mon corps se tendit d’un seul bloc, chaque muscle crispé, prêt à se battre ou à fuir. Le manoir testait. Et il venait de poser la première pièce.

 

— Génial, ironisa Mark. On est déjà enfermés. Ce n’est pas gagné.

 

Le rire de Sarah, bref et sec, coupa net la tension comme une lame froide.

 

— Ce n’est pas une blague. Cette maison a ses règles. Et ici, on ne contrôle rien.

 

Un silence épais s’installa. Pas un silence apaisant, non. Un de ceux qui s’étirent comme un fil tendu, prêt à céder. L’air autour de nous vibrait, saturé d’une attente sourde, comme si les murs retenaient leur souffle.

 

Puis dans un souffle, une silhouette traversa l’embrasure de la porte. Un mouvement furtif, trop rapide pour qu’on distingue quoi que ce soit, mais suffisamment réel pour glacer le sang. Nos lampes fusèrent dans cette direction. Rien. Juste le vide. Un vide glacial, oppressant. Pourtant, quelque chose était là. L’atmosphère s’électrisa, le sol, les murs, même nos propres corps frémissaient sous une pression invisible.

 

— Je ne sais pas vous, souffla Sarah, les yeux rivés dans l’obscurité. Mais j’ai la très nette impression qu’on a réveillé quelque chose… Et ce n’est pas content.

 

Je n’eux pas besoin de répondre. Tout en moi le hurlait. Ce manoir n’était pas juste une vieille bâtisse oubliée : il était vivant. Chaque recoin nous observait, chaque murmure retenait son souffle pour mieux nous surprendre. J’avais l’impression d’être enfermé dans une cage dont les barreaux se resserraient à chaque battement de cœur. Le froid mordait ma peau, mais ce n’était pas une simple baisse de température. C’était autre chose. Une peur ancienne, sourde, qui rampait sous la peau.

 

— Si on veut sortir d’ici avec des réponses, il va falloir jouer leur jeu, lança Mark en avançant d’un pas décidé. Pas question de se laisser dominer par des fantômes.

— Facile à dire… quand tu n’as pas la sensation qu’une main glacée te frôle la nuque, murmurai-je, le souffle court.

 

Lucas, lui, ne bougeait plus. Il fixait le portrait suspendu, comme s’il captait un message au-delà de notre compréhension. Il posa lentement sa main sur le cadre poussiéreux.

 

— Ils cherchent à parler… Ils veulent qu’on entende.

 

Un souffle s’éleva. D’abord vague, indistinct, puis plus net. Une voix voilée, brisée par le temps.

 

— L’aide… la vérité… oubliée…

 

Nos regards se croisèrent. Un silence chargé de questions s’installa. Un frisson d’angoisse glissa entre nous, comme si les mots avaient brisé un barrage invisible.

 

— On est entrés dans leur histoire, déclara Mark d’une voix grave. Et maintenant qu’on y est, on va jusqu’au bout. Peu importe ce qu’on découvrira… il n’y aura pas de retour possible.

 

Le temps s’étirait, figé dans une nuit sans fin. Les secondes tombaient une à une comme des gouttes d’eau dans un puits sans fond. Autour de nous, les fantômes de Chantelombre se faisaient plus présents. Pas des ombres lointaines ou des hallucinations passagères. Non. Ils étaient là. Avec nous. Le froid se faisait plus mordant. Chaque courant d’air devenait un soupir, chaque craquement de bois un avertissement.

 

Ils ne jouaient plus à cache-cache.

 

Ils nous traquaient.

 

Le manoir respirait avec eux, à leur rythme, comme un organisme ancien qui nous digérait lentement. Et nous, piégés dans ce piège de pierre et de secrets, n’avions plus qu’une seule option : avancer. Parce qu’ici, s’arrêter, c’était disparaître.

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