Lunathiel
— Qu’est-ce qui se passe ? m’enquis-je.
La cérémonie de la flamme devait avoir lieu. Nous devions nous présenter solennellement aux dragons cracheur de feu, mais la salle de cérémonie était gardé par les libérés. Madame Asméria avait un visage des plus graves et tous murmuraient entre eux en gardant close les grandes portes.Visiblement, je n’étais pas le seul à être perdu. Nous étions tous dans ce cas, à tel point que le fait que Sent Equin ne m’avait choisi semblait être tombé dans l’oubli, ou presque.
— Est-ce que tu as vu ?
Je me tournai vers Reïdja qui fit un signe de tête vers madame Asméria. Alors j’ancrai mon regard sur elle pour essayait de voir ce qu’il voyait et puis, je le vis. Perdu entre les pans de sa robe, il y avait du sang. Mon cœur manqua de lâcher. Du sang ? Si les portes étaient closes et que les libérés ne laissaient personne y entrer afin de réaliser la cérémonie, alors… Ce sang ne pouvait qu’appartenir aux dragons.
Le regard de madame Asméria tomba dans le mien et je pus décerner la terreur qui régnait dans ses traits. Il rabattit sa robe de telle façon à ce que le sang ne puisse plus être vu.
— Écoutez tous, débuta-t-elle, nous avons un empêchement de dernière minute. Je dois malheureusement, et avec le cœur lourd, repoussez votre ascension d’aujourd’hui.
— Qu’est-ce qui se passe ?! s’écria un des futurs libérés.
— Nous ne pouvons pas encore en parler. Rentrez chez vous et demandez à tout les libérés que vous trouverez de venir immédiatement.
Pour avoir étudié sous les ordres de madame Asméria, nous savions tous qu’ils ne servaient à rien d’insister ou d’aller contre ses ordres. Reïdja fut l’un des premiers à tourner les talons et je le suivis avec la même rapidité. Nous gagnâmes nos montures et partirent immédiatement aux trots. Si madame Asméria avait besoin de tous les libérés, alors cela devait être d’une grande importance et la première chose qui me venait en tête n’était guère encourageant.
— Et si l’Ordre a frappé ? demandai-je à Reïdja. Madame Asméria a besoin de tous ceux capable de se battre. Ça ne pouvait qu’être le sang de dragons sur elle.
— C’est ce à quoi je pensais. L’Ordre a été si calme durant tant de temps… « Le calme avant la tempête », comme dirait les anciens.
Certains cavaliers nous dépassèrent. Nous fîmes tous ce que madame Asméria nous avaient demandés. Dragsyl était une grande ville, mais tous les libérés étaient des émérites alors chaque visage était reconnaissable. Même Reïdja et moi nous mîmes à la tâche. Les dragons étaient des êtres sacrés, trop pour être touché et c’est ce qui rendait l’Ordre, vils partisans d’Arkya, aussi terrifiant et sans moral.
Après avoir sillonné la ville, nous nous retrouvâmes en son centre, moi, Reïdja et d’autres. Les discussions sur ce qui se passaient allaient bon train, mais mon attention fut inexplicablement attiré à côté de moi. Il y avait l’auberge de madame Eseul et un futur libéré l’avait visiblement prévenu de la gravité de la situation puisqu’elle sortit en trombe de son auberge, manquant de percuter une jeune gueuse et… Rob, mon doux et si magnifique Rob.
Je m’éloignai discrètement de la discussion de tous afin d’entendre la leur.
— Madame Eseul, quelque chose ne va pas ?
Oh, mon Rob était si gentil. Il était si différent des autres. Il se démarquait même ainsi, de dos. Une douce chaleur se mit à dévorer mon corps et je me redressai autant que possible, comme si cela pouvait calmer la tempête qui se levait dans mon corps à la simple vue de ce dos outrageusement large et puissant ; de ces bras épais ; de ces fesses rebondies. Oh, je n’avais jamais pensé ainsi. Il réveillait de nouvelle chose en moi, de belles et excitante nouvelles choses que j’avais hâte de découvrir avec un autre.
La coutume voulait que les nobles s’arrangeaient entre eux pour les mariages. J’avais déjà rencontré ma prétendante et ce, depuis mon plus jeune âge ! Elle faisait parti d’une famille aussi noble que les Prudenuit, une famille qui avait combattu de nombreuses fois avec les Veillune dans le passé. Pourtant, ça n’empêchait en rien que nombreux libérés entretenaient des relations intimes et profondes, sexuel, avec leur dragon. Personne n’en parlait vraiment de vive voix, mais ça n’était pas non plus caché.
C’était même courant que les sentiments envers son dragon était plus puissant que ceux envers notre véritable mari ou épouse. Thiel elle-même était d’accord avec cela puisqu’aucune géniture ne pouvait être engendré entre nos deux espèces. C’était pour cela que chaque dragon mâle choisissait un mâle humain à son tour. C’était la règle que Thiel nous avait imposé et à ce jour, personne ne l’avait brisé et ça ne risquait pas d’être moi qui le ferait puisque mon intérêt se portait sur ce magnifique spécimen.
— Rentrez chez vous les enfants. On ne va pas travailler aujourd’hui. Il y a eu un incident de la plus haute importance qui est arrivé à l’académie. Je dois m’y rendre ! se hâta madame Eseul.
Rob retint son bras dans un geste vif et son regard, que je pu décerner, n’était qu’inquiétude.
— C’est… et la cérémonie de la flamme ? Qu’est-il arrivé aux libérés ?!
Au par Thiel… Est-ce que… Est-ce qu’il s’inquiétait pour moi ? Je pensais qu’il serait resté aider son oncle aujourd’hui, mais le voir ici était une heureuse coïncidence. Alors, même si je n’étais pas là, il se souciait de moi ? J’étais si heureux de savoir cela. Même si je n’avais jamais douté de lui, aujourd’hui, juste ce moment me prouvait des milliards de choses. Rob était différent. Rob était tout simplement sincère et d’une pureté incroyable.
— Les libérés n’ont rien, tempéré la vieille femme, mais la cérémonie a été annulé. Il risque d’avoir plus de monde que prévu à la Redorance ce soir.
Rob poussa un profond soupire de soulagement. Il s’affaissa un peu et je portai une main à mon pauvre cœur qui se détraquait. Après avoir rassuré encore une fois mon beau dragon et la pouilleuse à ses côtés, madame Eseul s’en alla au pas de course. En reportant mon regard sur Rob, je distinguai avec un profond agacement que les mains sales de la fille s’accrochait à son bras. Misérable. Elle semblait éprouvé un tel désespoir, s’était ridicule.
— Est-ce que tu veux venir chez moi ce soir ? J’ai un peu peur de ce qui est entrain de se passer…
Et bien tu n’as cas trouver quelqu’un d’autre. Qu’avait-elle à s’accrocher au bras de mon dragon de cette façon ?!
— Ce soir… je ne pourrais pas. Je vois déjà quelqu’un et…
J’étais frustré qu’il ne me remarque que maintenant, mais il était mieux tard que jamais. Il s’interrompit dans sa phrase en me regardant et garda la bouche à demi ouverte. Je gloussai légèrement et je ne me serais pas arrêté, pas même une seconde si cette fille tout juste bon à curer les bottes ne m’avait pas regardé à son tour. Les rougeurs sur les joues de mon beau dragon était des plus satisfaisante, mais les siennes étaient d’un ridicule nauséeux.
J’accordai un regard noir espérant qu’elle comprenne ma mise en garde de se décoller de ce qui m’appartenait. Une chose m’importait sinon : Rob devait voir quelqu’un et j’osai sincèrement croire qu’il s’agissait de moi. Je me languis de danser avec lui à la Redorance ; de passer du bon temps à ses côtés ; de me faire courtiser par lui et juste lui. Je voulais l’exposer, nous exposer au yeux de tous, sans pour autant révéler son vrai visage.
Ah, j’étais si hâtif !
Malheureusement, je dû décrocher de ces deux là lorsque Reïdja m’appela. Nous dûmes quitter la ville pour nous rendre sur nos terres respectifs afin de prévenir nos familles si elles n’étaient pas encore au courant. Pour ma part, j’avais su sans même les voir que, bien sûr, les miens seraient au courant. Ça m’évitait ainsi de leur faire face. Nous n’avions pas reparlé depuis Sent Equin et je ne me sentais pas en mesure de parler à père ou de supporter les remontrances d’Erasse.
Alors, lorsque je fus à la maison, je ne pus qu’attendre patiemment que le soir arrive. J’avais la tête pleine de Rob, de sa douceur et de sa sincérité. Je ne rêvais que de le retrouver. Le soir venu, me préparer pour une réception de si grande envergure ne m’avait jamais autant plus.
Les mains appuyés contre le mur, ma préceptrice tirait allègrement les lacets de mon corset. J’avais eu le désir de m’habiller des mêmes couleurs que les vêtements que j’avais acheté à Rob, mais pour certaine raison, j’avais dû y renoncer. Déjà parce que la couleur n’était nullement avantageuse sur moi et contribué à la baisser de mon charme et la seconde, je ne voulais pas que les nobles présent ce soir sachent que je partageais déjà un lien intime avec mon bon dragon.
Cependant, je comptais bien marquer les esprits ce soir. Mon beau dragon serait vêtu d’or et de noir, du velours le plus riche du marché et j’avais assemblé un masque à cette image également. Moi, je serais vêtu d’argent et de blanc, de soie si fine et douce qu’elle valait bien la maison de certains nobles. Je n’étais pas une exception à la règle. Ce soir, je porterais aussi un masque, mais je savais pertinemment qu’on allait me reconnaître. La Redorance était l’une des seules « fêtes » où nous devions nous revêtir de masque car ainsi, ce n’était pas notre attraction qui parlerait la première.
— Serrez un peu plus, ordonnai-je. Ce soir, je veux être parfait.
— Après ce qu’il s’est passé à la cérémonie de la flamme, j’espère que vous trouverez un bon et fort dragon pour vous protéger jeune maître.
— Vous avez entendu des rumeurs ? m’enquis-je d’une voix étranglé lorsqu’elle serra davantage.
— Et bien, en allant faire quelques courses pour les repas, j’ai entendu certains parler. Vous savez, entre serviteurs de nobles, beaucoup de choses se disent et s’entendent. L’un d’eux m’a confié qu’il… qu’il y aurait eu un massacre. Les têtes de certains dragons auraient été retrouvés sur des pics et l’étendard des partisans d’Arkya était brandis.
Je croyais ses paroles. Certains serviteurs avaient la langue bien pendus et rares étaient ceux fidèles à la famille qu’ils servaient, mais je savais ma préceptrice sincère pour la simple et bonne raison qu’elle me considérait comme son enfant. Elle n’avait jamais fait de faux pas et je savais pouvoir la faire confiance. Elle m’était fidèle et n’aurait jamais fait quoi que ce soit qui puisse me porter préjudice. Alors, oui, même si elle venait d’une famille de paysan, je croyais en ses paroles.
— L’Ordre…, murmurai-je. Les libérés vont doubler la garde autour de Dragsyl. Avec toutes les entrées des voyageurs de toutes les villes pour la parade de Sent Equin et sa paire, certains ont dû passer outre les règles. L’Ordre est peut-être même encore dans nos rues.
— J’ai entendu dire que les libérés avaient prévu des contrôles d’identités dès demain, poursuivit-elle.
C’était une bonne solution. Ceux qui venaient du pays voisin seraient en danger car on soupçonnait celui-ci d’être le repère de l’Ordre.
Je me redressai finalement lorsqu’elle noua les lacets dans mon dos. Elle prit mes bijoux et vint orner mon corps de ceux-ci. Puis, elle me parfuma et me signala que le carrosse devait déjà m’attendre en bas. Moi, je m’inquiétais surtout pour Rob. Si les rumeurs venaient à se confirmer que l’Ordre avait tués des dragons, les libérés en viendraient à trouver des coupables innocents pour satisfaire et rassurer la population. C’était déjà arrivé lorsque j’étais bien plus jeune. On me l’avait raconté.
C’était après avoir découvert Egon, le fléau terrestre. La population avait demandé la condamnation de tous ceux qui étaient bâtis de façon plus robuste que les autres, mais qui ne s’était jamais manifestés comme dragon : les fermiers, les forgerons, les armuriers… tout ceux qui faisaient des travaux physique suffisamment difficile pour sculpter un corps fort et robuste. S’ils recommençaient… Je refusais que Rob soit mis en danger.
En descendant les marches pour me rendre au carrosse, je m’arrêtai devant un portrait de notre famille. Mère était assis sur un siège et me tenait dans ses bras ; père se tenait fièrement derrière, une main sur l’épaule de mon frère, Erasse. Ma préceptrice m’avait raconté que mère s’était battu à l’époque pour qu’une trêve soit fait avec l’Ordre, mais personne n’avait voulu entendre ses mots. Elle avait été une femme de paix, qui, de ce qu’on m’avait dit, n’avait jamais élevé la voix et montrer quelconque signe de violence.
Je l’avais à peine connu pour ma part. Elle avait disparu la nuit où Egon était apparu.
— Votre mère serait fière de vous.
Je me tournai vers ma préceptrice. Je comprenais son intention en me disant cela, mais…
— Vous ne pouvez pas être sûr et cela m’importe peu. Je ne serais de retour qu’à une heure tardive, certainement, alors tu pourras aller te coucher quand tu le souhaites. N’attends pas mon retour.
— Bien, jeune maître. Faites attention à vous. Si ce qu’on dit est vrai… les temps ne sont plus sûrs.
L’ombre d’Arkya planait depuis longtemps sur nos têtes, mais aujourd’hui plus que jamais, je la sentais pesante et prête à nous noyer. Qui pouvait survivre à l’attaque du blasphémateur qui avait, dans un temps passé, blessait notre reine draconique, Thiel ?