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KiriaParker
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Chapitre 16 - Axelle

— Au fait, demain, t’es dispo ? m’a demandé Julien en rangeant le matériel.

— Heu, oui, pourquoi ? ai-je répondu suspicieuse.

— Pour m’assister en tant que kiné sportif. J’ai cru comprendre que cette spécialisation t’intéressait, alors pourquoi ne pas venir avec moi ?

J’ai bien été naïve. Si la proposition est plus qu’alléchante, le match que je vais observer ne m’attire guère. Nousty. Pourquoi tous les astres ont-ils décidé de mener mon chemin vers cette fichue équipe ? Sérieusement !

J’aurais très bien pu décliner. C’est en dehors de mes horaires. Pourtant, si j’adore exercer en cabinet, il est vrai que j’ai souhaité travailler dans une structure sportive, bien que ce soit rare de voir des femmes dans ce domaine, alors refuser cette offre était presque impossible. Il a juste fallu que parmi tous les professionnels, je tombe sur celui qui gère une équipe de hand, et pas n’importe laquelle, qui plus est !

J’imagine déjà Léane se foutre de ma gueule et me dire : « regardes, tout t’amène à passer du temps avec Martin ». Tu parles ! Elle s’invente trop de scénarios. Elle m’a même proposé de faire un double rendez-vous avec elle et Arthur ! Comme si avoir discuté une dizaine de minutes de Barcelone suffisait à faire de nous un couple…

Assise en tailleur sur mon lit, face à ma fenêtre, j’observe les montagnes qui s’élèvent tout en réfléchissant à la soirée qui m’attend. J’essaye d’anticiper les événements, les réactions des joueurs, de mon père. Je me ronge les ongles. Et s’ils ne m’acceptent pas ? Ce ne serait pas étonnant. Si je n’ai aucun doute pour Arthur, qu’en penseront les autres ? Quel accueil me réservera Elie ? Pourquoi me soucié-je seulement de son avis ? Il ne me tolérera pas, c’est indéniable. Je n’aurai qu’à me poster loin de lui et prier pour qu’il m’ignore, trop concentré sur la rencontre.

Je veux prouver à Martin que les kinés ne sont pas que des ratés, comme il l’a sous-entendu. Je veux prouver à mon père que je suis capable de gérer une équipe sportive comme lui.

Et même si je suis prête à assumer ce rôle, je ne peux m’empêcher d’avoir la boule au ventre, car je ne maîtrise rien. Julien ne m’aurait pas proposé si je n’étais pas à la hauteur, pourtant, je doute.

— Axelle, on part ! me crie mon père.

Je bougonne, mais j’acquiesce. Je vais avoir un peu de temps devant moi pour me préparer à cette quête. Et une fois accomplie, je passerai un nouveau niveau qui me rapprochera un peu plus de mon but.

J’aurais très bien pu y aller par mes propres moyens, mais je ne pouvais pas attendre des heures, seules, me tourmentant pour savoir si je serais de taille ou non. La meilleure solution qui s’offrait à moi était de partir avec mon père. Léane a de quoi faire avec ses études, je ne me voyais pas la déranger alors qu’elle prépare un oral important dans la semaine.

Le temps n’est pas au rendez-vous. Le ciel s’assombrit petit à petit. Le soleil disparaît pour laisser place aux nuages. Même l’astre a décidé que cette journée n’était pas faite pour pointer le bout de son nez, donc comment peut-elle bien se dérouler ?

La pluie tombe et brise le silence qui emplit l’habitacle. Mon père se concentre sur le trajet, ou sur le match, ou sur je ne sais quoi en rapport avec le hand. Hier soir, après l’entraînement, il est rentré nerveux et de ce que j’ai compris, Martin n’y serait pas pour rien. De quoi me stresser encore plus si des tensions surviennent entre les joueurs !

Ma tête tombe sur la vitre et je me perds à travers la route qui défile. Je tente de vider mon esprit, de ne penser à rien d’autre. Ce ne sont que des patients que je devrais gérer, rien d’exceptionnel. Sauf que ce sera en plein match et sous la supervision de mon père.

— Je te laisse, j’ai des appels à passer, mais si t’as besoin n’hésite pas à voir avec Samuel, me dit mon père.

Je n’ai pas la possibilité d’ajouter quelque chose en plus qu’il rejoint déjà la salle d’une démarche pressée. Je reste statique et je l’observe s’engouffrer dans l’antre tant redouté. Merci, les gouttes ne tombent plus !

J’hésite dans mes pas. Ne pourrais-je pas faire machine arrière ?

Non, Axelle. Tu dois vaincre cette épreuve pour en ressortir plus forte !

Est-ce que j’ai trop lu de romans d’heroic fantasy ? Assurément.

Est-ce que je suis comme l’élu de ces histoires ? Absolument pas.

Mais je ne reculerai pas.

Pas même face à une équipe de géant qui me domptera d’un simple geste.

Je m’imposerai.

Ou pas.

Je me décide enfin à rentrer dans le complexe.

OK. Je respire un bon coup. Tout ira pour le mieux.

Cette fois-ci je ne me formalise pas de l’entrée, je file directement dans les tribunes me poser. Armée de mes écouteurs, je m’installe à l’écart des parents venus encourager leurs enfants. Mon portable dans une main, je clique sur le dossier que Julien m’a envoyé un peu plus tôt dans la matinée concernant les joueurs. J’ai toutes les caractéristiques analysées qui me permettent de m’organiser pour la soirée.

— Sérieusement ? Mais vous pouvez pas faire attention ! On ne fait jamais de passe à un coéquipier qui regarde ailleurs !

Même avec ma musique, j’entends les commentaires désagréables d’un des entraîneurs. Il n’y va pas en douceur avec les pauvres jeunes qui n’ont rien demandé. Je relève la tête, quittant les notes, pour mieux observer le terrain. Je sens quelques parents se crisper non loin. C’est normal, personne ne devrait parler de cette manière. Surtout qu’ils ont quoi, treize, quatorze ans ? Ils sont là pour s’amuser, pas pour mettre leur vie en jeu !

Nousty est mené au score et si les sportifs se démènent au maximum, je perçois les gestes agacés du coach. Coach qui n’est autre que Martin. Exaspéré, saoulé, je ne sais pas vraiment ce qu’il ressent actuellement. Ce dont je suis certaine c’est qu’il n’éprouve aucune envie d’être ici. Pour notre petite discussion la semaine dernière, il semblait bien se plaire avec l’équipe des jeunes, alors comment peut-il se mettre autant en colère aujourd’hui ?

Je ne me concentre plus sur les notes de mon téléphone, mais sur le match. Même si je ne comprends pas toutes les actions, les jaunes et rouges paraissent bien joués, certes il y a des erreurs, sauf que rien ne justifie une telle pression !

L’arbitre siffle la fin de la partie qui se solde sur une défaite. Si le résultat doit faire mal, je suppose que les réactions excessives de Martin blessent encore plus. La mâchoire crispée, il serre la main du coach adverse, plus par automatisme. Il ne regarde même pas le terrain, ni son équipe, ni rien. Comme s’il souhaitait juste mettre le plus de distance possible.

Sans plus attendre, il s’éloigne. Je peux presque percevoir de la fumée s’échapper tellement la colère transpire chez lui. Il prend la direction de la sortie et je ne peux m’empêcher de le suivre. De lui poser la question au risque de me faire incendier. Mais j’ai besoin de découvrir pourquoi il brasse le chaud et le froid.

— Qu’est-ce tu veux ?

Sympa l’accueil ! Je désire juste être gentille et il m’agresse si rapidement alors que je n’ai même pas dit un seul mot encore !

— Je souhaitais savoir si tu allais bien.

— Ça te regarde pas, réplique-t-il irrité.

— Pas besoin de me parler ainsi ! Pareil pour les jeunes, ils n’ont rien demandé !

— Parce que j’ai demandé à venir ici, moi ? Pourquoi n’aurais-je pas le droit de donner mon avis, pour une fois dans ma vie ?!

— Si t’étais moins borné, peut-être qu’on t’accorderait plus de mérite.

— C’est toi qui dis ça ?

Essaye de sympathiser avec Martin, vous vous entendrez bien. Bien sûr, Léane, tes conseils sont toujours incroyables ! Je souffle. Je n’ai pas besoin qu’on me prenne la tête alors que je n’ai rien demandé. Il me toise, ses yeux marron pourraient presque m’enflammer. Je m’efforce d’être la plus sérieuse possible, mais comment puis-je l’être quand la personne en face de moi fait deux têtes de plus que moi ? Quelques spectateurs nous observent, curieux de découvrir la suite des évènements. À croire que nous sommes une animation entre deux matchs !

— C’est plus simple de fuir que d’assumer, apparemment…, crache-t-il alors que je tournais les talons pour retourner à la salle.

— Assumer quoi ? Je ne gueule pas contre des gamins pour aucune raison !

— Tu peux pas comprendre, t’en as rien à foutre du hand !

— Mais c’est pas pour autant que je ne peux pas avoir de l’empathie, mais je ne crois pas que tu connaisses.

Dire que je me suis dit qu’il pouvait être sympa, qu’il fallait juste un peu discuter. Raté. Il reste insupportable. Je ne prends pas la peine de m’attarder plus longtemps à ses côtés. Je me souciais de lui, et voilà comment je suis accueillie ! Il peut dire ce qu’il veut, que je suis lâche de partir, je m’en fiche. Je ne mérite pas ses crises.

Mon père arrive à notre hauteur, le regard plissé, les lèvres retroussées. Ses sourcils froncés n’augurent rien de bon pour le jeune handballeur qui ne s’en préoccupe pas. Il laisse aussi échapper un sifflement, comme agacé par les prochaines minutes qui vont suivre.

— Martin, tu peux pas te comporter ainsi, débute mon père en gardant un ton calme pour ne pas envenimer la situation.

— Alors quoi ? Je suis également viré ? Viré de mon club, viré de l’équipe de France et même viré de ce club ?

— T’es le bienvenu dans nos rangs. Tu ne peux juste pas t’énerver suite à une décision qui te contrarie.

Martin balaie les arguments d’un geste de la main, comme s’il n’était pas concerné. Bonjour la remise en question ! Tu m’étonnes que son club l’ait envoyé ici, s’il est ainsi en permanence, je me demande bien comment on peut le supporter !

— Va te préparer avec les autres, lui ordonne mon père.

Il abdique, tête baissée, mais je me doute qu’il n’en pense pas moins. Il se retient juste alors qu’il n’aurait pas hésité si c’était moi. Quoique, j’aurais peut-être agi de la même manière. Je me serais énervée sur Martin, mais je serais restée silencieuse sous les paroles de mon père.

— Eh, Martin, l’interpelle mon père avant qu’il ne rentre.

Il s’arrête non loin de moi pour écouter son entraîneur. Que peut-il bien vouloir ajouter de plus alors qu’il vient de congédier le joueur.

— Au lieu d’être seul à te morfondre, tu peux passer la journée avec nous. Ça te changera les idées ainsi.

J’écarquille les yeux, n’y croyant pas. Il lui propose de venir, alors que nous sommes invités par ma chère cousine pour un repas ? Je ris jaune. Je refuse d’imaginer ce scénario. J’ai passé des week-ends entiers, isolée, ne me sentant pas à ma place, il ne m’a jamais suggéré des activités pour que j’aille mieux. Et là, juste parce que c’est un handballeur professionnel et qu’ils partagent donc la même passion, il ose lui conseiller une sortie !

— Pourquoi ? murmuré-je tout bas plus pour moi-même, une boule dans la gorge se forme alors que je ravale mes larmes.

Je ne sais pas pourquoi je pose cette question. Comme si j’obtiendrais ne serait-ce qu’une réponse. Mon père ne le prononcera pas à voix haute, mais il n’en pense pas moins : il est mieux que toi, je veux qu’il se sente bien, qu’il fasse partie de la famille. C’est sûr.

Martin ne dit pas un mot. Il reste stoïque. Aucune émotion ne traverse son visage, il ignore juste la proposition et s’en va vers l’entrée de la salle.

— Est-ce que t’as pu observer les informations que Julien t’a transmises ? m’interroge mon père, un peu inquiet, en se grattant la nuque.

— Oui. Faut ménager Lucas, son poignet est encore fragile d’après les notes.

— J’attendrais de voir ce qu’en pense Julien, quand il arrivera.

Évidemment ! Il ne peut pas seulement se contenter de mes paroles. Ne suis-je pas assez légitime ? Certes, je n’ai pas validé mon diplôme, mais j’ai tout de même passé déjà trois ans à analyser et apprendre le métier. Et j’ai pu mettre en pratique ces deux semaines avec les félicitations de Julien, donc pourquoi ?

— À quoi bon me poser la question alors ? répliqué-je sèchement, vexée de son manque de confiance en mes qualités.

Il m’observe surpris sans savoir quoi me répondre. Je me décide à rejoindre le complexe à mon tour. Je traverse la salle à la recherche des toilettes. Plus personne n’est sur le terrain. Je suis étonnée qu’il n’y ait pas de match entre celui des jeunes et celui de mon père.

Sur mon chemin, je croise les adolescents autour de la collation. Des visages tristes les entourent. Ça me fait mal au cœur de les voir ainsi, alors qu’ils n’ont pas mérité les remontrances aussi sévères de Martin. Ils ne sont pas comme lui, ils ne sont pas conditionnés pour devenir des professionnels. Il aurait dû le prendre en compte.

— Eh, commencé-je d’une douce voix. Ne faites pas cette tête, même si vous avez perdu, vous vous êtes bien battus ! Et puis vous aurez votre revanche au match retour !

Bon, j’avoue, je ne suis peut-être pas la meilleure pour les motiver, surtout que je n’y connais rien, donc c’est un peu compliqué de tirer le positif de leur rencontre.

— On est si nul à ce point pour que Martin ne vienne même pas nous voir ? me demande un des joueurs avant de croquer dans son sandwich.

— Vous n’êtes pas nul, il y a juste des jours avec et d’autres sans. Martin est juste un idiot qui a eu quelques problèmes ces derniers jours…

Pourquoi je chercher à justifier ses paroles maintenant ? Comme s’il en méritait ! C’est plutôt son équipe qui devrait en avoir vu la manière dont il l’a traitée.

— Même si ça n’excuse en rien son comportement, rajouté-je. Je reste persuadée qu’il tient à vous et qu’il veut juste le meilleur.

— Ouai bah on dirait surtout qu’il est obligé de nous entraîner, bougonne un autre.

Dans un sens, c’est le cas. Il n’est pas ici par plaisir, il me l’a bien fait comprendre quelques minutes avant.

— Puis, pas besoin de nous dévaloriser, continue-t-il.

— Je suis certaine que ça ira mieux d’ici votre prochain entraînement, ne baissez pas les bras !

Je me sens impuissante face à leur mine déconfite. Ils ne semblent pas croire mes paroles. Même moi, je trouve que mes mots sonnaient faux, tu m’étonnes qu’ils n’y croient pas.

Je soupire et les laisse seuls. Je ne peux rien faire de plus pour essayer de le remotiver. J’espère juste que tout se passera bien par la suite pour eux parce qu’ils me font vraiment de la peine.

J’observe l’heure. Encore une fois. Même pas dix minutes se sont écoulées. Il me reste encore une heure avant que Julien n’arrive et le match ne débute que quarante-cinq minutes plus tard. De quoi bien m’ennuyer en attendant. Je ne sais pas quoi faire. Errer dans le complexe ? Bof, j’ai vite fait le tour. Engager une conversation ? Oui, mais avec qui ? Pas mon père qui est en pleine échange avec Samuel. Il semble d’ailleurs assez contrarié et ne cesse d’agiter ses mains dans tous les sens. Arthur ou Estéban ? Ils doivent tous deux se préparer pour le match. Je me contente donc de la solitude pour faire passer le temps.

Je vois certains jeunes quitter la salle accompagnés de leurs parents, dont quelques-uns énervés contre Martin, tandis que les autres s’installent dans les tribunes prêts à soutenir malgré tout l’équipe de mon père.

Je me décide à retourner à la place que j’avais à mon arrivée. Un peu de musique me permettra de m’évader et de vider mon esprit. Je reste dans mon coin, jouant à des jeux sur mon portable pour m’occuper. Je relève la tête observant du mouvement. Les sportifs rentrent tour à tour sur le terrain pour se préparer avant la rencontre. Entre eux, ils se font des passes pour patienter avant de débuter leur échauffement. Une personne se tient à l’écart : sans surprise, Martin. Il se contente de jouer avec un des ballons, ignorant Arthur qui tente de discuter avec lui ou Elie qui doit s’amuser à lui prendre la tête. Une ambiance qui promet s’ils agissent ainsi pendant le match ! Mon père n’est pas en vue, et je ne peux m’empêcher de me demander si quelque chose ne va pas avec l’équipe. Ou avec le comportement de Martin, ce qui ne me surprendrait pas. Curieuse, j’ai un peu cherché sur lui afin de savoir comment il s’était retrouvé ici : après une énième altercation suite à une remarque sur son père, son club a décidé de le suspendre. Le voilà ainsi en soutien à Nousty, sans qu’il n’ait pu dire un mot. Dans un sens, je comprends sa frustration. Mais ne peut-il pas y voir une opportunité pour se racheter et montrer qu’il a grandi au lieu de répondre constamment aux provocations ? Surtout que connaissant Elie, ce n’est pas la meilleure des idées. Loin de là, même.

Mon attention se reporte sur mon portable quand mon père rejoint ses joueurs pour les dernières instructions. L’autre équipe prend également place sur la seconde moitié.

Tu vas tout déchirer, Axou !

Je souris au message que Léane vient de m’envoyer. Elle s’excuse encore de ne pas être présente, mais je ne peux pas lui en vouloir. Les études en priorité ! Je lui réponds un cœur avant de poser mon téléphone sur ma jambe. Je commence à analyser les handballeurs du haut de mon perchoir pour déterminer à l’avance le moindre souci, mais pas facile quand je ne suis pas proche d’eux.

— Pas trop stressée ?

Julien me sort de ma contemplation, me faisant peur par la même occasion. Il m’observe, rigolant face à ma réaction, peut-être un peu excessive. Il faut dire que j’étais à deux doigts de hurler, aussi !

Je prends deux secondes pour lui répondre. Mon père ne me fait pas confiance, mais sinon, ça va, tranquille. Je vais juste bosser au milieu de joueurs qui vont juger mes moindres faits et gestes, tout se passera pour le mieux, n’est-ce pas ? Donc, je ne vois absolument pas où je pourrais stresser. Mais vraiment pas.

Je m’arme de mon plus beau sourire et j’ignore mes doutes qui commencent à m’assaillir de toute part. Se laisser submerger est la meilleure façon de couler et ce n’est pas mon intention. Pas aujourd’hui du moins. Je veux montrer que je peux être assez grande. Que je peux gérer par moi-même. Qu’importe ce que pense mon père sur mes aptitudes, je sais ce dont je suis capable.

— C’est parti alors !

Le kiné m’ouvre la voie pour que je le suive au bord du terrain à la rencontre de mes potentiels patients. J’avance sous le regard curieux des joueurs. Je garde la tête baissée, ne sachant pas comment me comporter. Je joue également avec mes bagues comme j’en ai l’habitude lorsque le stress s’empare de moi.

Julien discute avec mon père et moi, je reste plantée sur la touche. Immobile, je sens que les garçons se posent des milliers de questions quant à ma présence, sauf Arthur. Martin et Elie ont sans doute connaissance des raisons, mais je n’arrive pas à cerner ce qu’ils en pensent. Des murmures se font percevoir, mais trop discrets pour que je parvienne à ne serait-ce que comprendre un mot. Et si mes doutes étaient fondés ? Et s’ils ne m’acceptent pas ?

La voix de mon père me ramène à la réalité lorsqu’il rassemble son équipe autour de nous. Si j’ai arrêté de jouer avec mes bagues, c’est pour mieux jouer avec mes cheveux. Je me dis qu’en les mettant devant moi, ils pourront me protéger de ces géants. Même si j’ai conscience que cela ne changera rien. Je reste à leur merci.

— Axelle vient observer Julien pour quelques matchs, donc j’espère que vous lui ferez un bon accueil.

Techniquement, je ne suis pas là pour observer, mais pour exercer. Certes, toujours sous la supervision de Julien, mais il me laissera agir si je juge que la situation le nécessite.

— Comme si on avait besoin d’une autre personne pistonnée, souffle Elie.

Cette phrase pique. Je n’ai rien demandé et en même temps, comment je pourrais la nier ? Je sais pertinemment que si j’ai été acceptée c’était en partie grâce à ma mère, mais de là à le dire de but en blanc de cette manière, ce n’était pas vraiment essentiel.

— Si Axelle est là aujourd’hui, c’est pour ses qualités et son investissement. Si tu avais pu être à sa place, Elie, tu en aurais aussi profité.

— Sauf qu’elle n’est même pas diplômée, qui me dit qu’elle ne dira pas n’importe quoi ?

Elie lève les yeux au ciel sans rien rajouter de plus, mais il n’en pense pas à moins. Son regard s’attarde sur moi et je ne peux m’empêcher de déglutir. J’y perçois une telle haine que j’hésite encore plus sur ma présence ici. Je savais que la tension était déjà au rendez-vous, mais je ne songeais pas intensifier la situation plus qu’elle ne l’est.

— Pourquoi on ne lui laisserait pas sa chance ? suggère Arthur. Si Julien lui a proposé de venir, c’est pas pour rien, non ?

Je le remercie avec un demi-sourire. Léane a bien de la chance de l’avoir, il est adorable. Les autres, par contre, ne prennent pas la parole. Ils restent silencieux. Est-ce une surprise ? Non. Estéban est l’unique joueur à rejoindre l’avis de mon ancien camarade de lycée. Même si je suis touchée par son soutien, personne ne le suivrait. Même s’il s’est un peu plus intégré dans l’équipe, il n’en est pas moins à l’écart.

Si je compte travailler dans un centre sportif, je m’attends à recevoir ce genre de critique. À croire que les hommes seraient plus aptes que nous, les femmes, pour devenir kinés dans le monde du sport ! C’est totalement faux, sauf qu’il faut se faire une place. Mais j’avoue que j’avais bon espoir, qu’ici, à Nousty, au moins, le problème ne surviendrait pas. J’avais oublié la présence de Elie.

Les handballeurs retournent terminer leur échauffement pendant que je me laisse retomber sur le banc. Le silence de mon père me touche également. Je reste persuadée qu’il n’en pense pas moins et qu’il n’a pas forcément le choix, il est juste obligé d’écouter Julien.

Les coudes sur mes genoux, ma tête repose sur mes mains alors que j’observe devant moi, sans vraiment y accorder un intérêt. Julien porte une main sur mon épaule pour me rassurer.

— Ne t’en fais pas, je suis convaincu que tu arriveras à te faire ta place parmi eux.

J’acquiesce d’un signe de tête. Si je parle, ma voix se brisera et je ne souhaite pas qu’il le sache, même s’il s’en doute très certainement.

— Crois juste en tes capacités et tes analyses, le reste importe peu. Et s’ils ne sont pas contents, ce sera pareil, d’accord ?

Je laisse échapper un petit oui sans quitter le terrain des yeux.

— Concernant Lucas, t’en penses quoi ?

Je cherche le joueur en question, me remémorant la photo que j’ai pu voir dans les notes, pour mieux observer ses réactions sur le jeu. Je le trouve à l’aile. Sur le côté, il patiente pendant qu’un de ses coéquipiers réalise un tir. Il sautille pour rester en mouvement et fait tourner son poignet blessé. C’est désormais son heure de gloire. Lucas s’élance sur une passe d’Elie. Arthur se positionne en tant que défenseur, lui fermant l’angle. Il prend appui sur sa cheville et avec une bonne réception, il tire. Une légère grimace se forme sur son visage, mais elle disparaît aussi rapidement. Le gardien lui bloque le premier poteau. Il tente de diriger le ballon au poteau opposé, en vain. L’ailier se tient le poignet bien que ce ne soit que l’espace d’une seconde.

— Son poignet est encore fragile, la réception et son tir qu’il vient de faire le prouvent. La douleur pourrait s’aggraver et l’écarter encore des terrains alors qu’il vient de retrouver l’équipe, il n’y a pas longtemps. Après, il peut avoir du temps de jeu, il faut juste bien le surveiller afin qu’une blessure n’intervienne pas et ne pas hésiter à le remplacer au moindre signe de faiblesse, commenté-je.

— Même s’il insiste en disant que ce n’est rien ?

— Surtout s’il s’entête à poursuivre.

Julien ne me contredit pas. Il n’ajoute pas grand-chose non plus. Il se contente de jeter un coup d’œil sur le terrain en direction du joueur sans dire un mot.

— Et comment lui annoncerais-tu ?

Je réfléchis. C’est une bonne question. Lui conseiller de faire attention, de ne pas trop forcer, c’est une première option, mais appliquera-t-il les recommandations ? Sans doute que non. Y aller le plus directement possible est une seconde solution : sans détour, cash, on lui dit qu’il ne peut pas jouer au risque d’aggraver la blessure. Après, écoutera-t-il ? Absolument pas. Je comprends sa frustration, mais il faut qu’il admette que cette décision est pour son propre bien et pas pour l’embêter.

— Lucas, appelle le kiné. Viens, il faut qu’on discute.

Pitié, que ce ne soit pas moi qui parle. Rien que de m’imaginer lui dire, j’ai la bouche pâteuse. D’autant plus que le regard d’Elie qui surveille en ma direction, prêt à attaquer, n’arrange en rien la situation. C’est le moment parfait pour devenir un petit insecte pour se faufiler et partir loin.

Le concerné s’approche sans m’adresser un regard, concentré sur mon maitre de stage. Bonne ambiance ! Julien m’invite à prendre la parole pour lui expliquer le contexte. Je me racle la gorge à la recherche des bons mots afin d’être la plus convaincante possible.

— Je sais que tu viens de reprendre le hand, après une blessure et que tu as très envie de jouer, mais il faut que tu fasses attention. Ton poignet souffre encore et ne s’est pas entièrement remis.

— Qu’est-ce que t’en sais ? râle-t-il sur la défensive.

— Je. Heu. Le. La grimace, même passagère, faite, prouve qu’il n’est pas encore totalement guéri.

— Et donc ? Je me contente d’attendre encore sur le banc alors que je pourrais très bien être sur le terrain ?

— Oui. Non. Tu peux évidemment jouer, mais le problème c’est qu’il ne faut pas que tu forces…

Il est agacé. Qui ne le serait pas quand il apprend qu’au final, il ne pourra pas reprendre sa passion ?

— Pourquoi l’empêcher de jouer s’il est en pleine forme ? s’incruste Elie.

Je mords ma joue intérieure pour ne pas le maudire devant tout le complexe, mais s’il pouvait se mêler de ses affaires, j’avoue que le monde irait certainement mieux. Le reste de l’équipe s’est rassemblé autour de nous pour boire avant de rejoindre les vestiaires, écouter les dernières directives de mon père en discussion avec Julien. Seule au milieu de douze géants prêts à m’attaquer dès que je vais ouvrir la bouche, quel tableau appétissant !

— Peut-être pour éviter qu’il loupe encore des matchs ?

— Le docteur lui avait dit trois semaines, ça fait quatre. Il est assez reposé, non, madame la spécialiste ? me toise-t-il.

— Il peut jouer, c’est bon, pas la peine de se prendre la tête, soupire Martin. T’es même pas joueuse, tu peux pas comprendre.

Touchée. Coulée. J’abandonne le navire. À quoi bon persister lorsque personne ne m’écoute et qu’il est l’heure de sonner une mutinerie ? Lucas veut jouer ? Grand bien lui fasse ! Elie et Martin ont décidé de se liguer tous les deux contre moi ? Qu’ils aillent se faire foutre. Je jette l’ancre ! Je ne suis pas venue ici pour qu’on me prenne pour une incompétente, sinon je serai allée voir ma tante qui ne manquera certainement pas de me le rappeler demain.

— De toute manière, c’est pas moi la coach, donc fait comme il te semble et tant pis si tu devras être sur le côté pendant un mois voire plus par la suite, capitulé-je.

Je ne devrais pas agir ainsi. Je devrais insister auprès de Lucas pour qu’il se repose, mais autant qu’il apprenne de lui-même, bien que je ne lui souhaite pas de nouvelles blessures. Je ne suis pas de taille pour rivaliser avec sa volonté ni celle de ses coéquipiers. Qu’il fasse ce qu’il veut, j’ai donné mon avis, maintenant démerde-toi.

Julien reprend sa place à mes côtés pendant que les jaunes et rouges partent voir mon père.

— Alors ? me questionne-t-il conscient des événements.

— Il compte n’en faire qu’à sa tête. Elie et Martin ne sont pas d’une grande aide pour lui expliquer les problèmes qu’il encourt, soupiré-je déçue de ne pas avoir réussi à le convaincre.

— Ne te laisse pas abattre, tu t’y feras à force de persévérer. Et puis, il faut bien les apprivoiser avant qu’il ne t’écoute, mais après, tu verras qu’ils prendront en compte tes conseils.

— Mais, et s’il se blesse ? Ce sera de ma faute ! Je n’ai pas pu lui faire comprendre tous les risques auxquels il s’expose…

— Tu es au courant. Je le suis aussi et ton père a conscience des dangers. Au moindre problème qui survient, il sera aussitôt remplacé et quoiqu’il arrive, il ne jouera pas la totalité du match. Il est beaucoup trop fragile. Il le sait, il n’assume pas. Il a peur d’être un fardeau s’il reste sur la touche.

— Mais il le sera encore plus en jouant !

— Tu sais, parfois vaut mieux que la personne s’en rende compte seule.

Sans doute. Mais est-ce une raison pour mettre son corps en danger ? Non.

Les paroles de Martin me reviennent. Je ne peux pas comprendre, je ne joue pas. D’où se permet-il de juger ? J’ai fait du sport plus jeune, je sais totalement ce que Lucas peut ressentir. Certes, je n’étais qu’au collège, je ne jouais pas à un niveau élevé, mais c’était la même situation. Sauf que j’ai continué les entraînements de volley jusqu’à ce que mon genou refuse d’aller plus loin. Résultat : je dois encore faire attention aujourd’hui. Pas facile quand on est maladroite et que l’on peut rater une marche à n’importe quel moment. J’ai décidé de poursuivre mes études en tant que kiné et me spécialiser dans le sport pour éviter d’autres désillusions pour les enfants comme j’étais et les soutenir dans cette épreuve. Alors, non, je ne vais pas me laisser abattre par des idiots !

Les deux équipes entrent sur le terrain, prêtes pour le début de la rencontre. Martin, Elie, Arthur, Estéban et Lucas sont alignés parés à défendre sur les adversaires lorsque l’arbitre sifflera le coup d’envoi.

Assise à l’écart, j’ai remonté ma jambe droite sur la gauche et je prends appui dessus pour mieux observer les enchaînements. Le jeu déroule si rapidement que je n’ai pas le temps de voir le ballon. Il passe si aisément d’un côté à l’autre faisant grimper la chaleur de quelques degrés. Une tension s’est installée, mais pas entre Nousty et les visiteurs. Plus entre Elie et Martin, ce qui n’augure rien de bon pour la suite.

Si le jeu ne m’intéresse pas forcément, j’observe cependant le mouvement de chaque joueur à la recherche de la moindre faille qu’ils pourraient présenter. Je m’arrête principalement sur Lucas. En défense, devant moi, il a le visage qui ne laisse passer aucune émotion. Il est juste concentré, prêt à intervenir pour arrêter la course de son adversaire. Un 1 contre 1 se dispute devant moi qui laisse sur la touche le joueur jaune et rouge. Le handballeur au maillot bleu et blanc vient de feinter le blessé, le prenant de court sur place.

— Fais chier, hurle-t-il de rage.

Le jeu reprend avec Elie qui gère d’une main de fer son attaque. Je ne peux pas lui enlever ça, c’est un bon leader. Mais putain qu’il n’en reste pas moins insupportable !

— N’y va pas seul ! Joue avec tes coéquipiers !

Je tourne la tête vers mon père, non loin de la table de marque. Les temps morts en main, il ne cesse de faire des gestes dont je ne comprends pas la signification et hurlant sur Martin pour qu’il arrête d’être perso et d’inclure un peu plus les autres. Peine perdue, il est beaucoup trop têtu et sur les nerfs pour l’écouter.

But de Martin.

Même s’il vient de marquer, mon père n’en pense pas moins et ne tolérera pas longtemps son attitude. Tu m’étonnes que son ancien club ne veuille plus de lui, s’il se comporte ainsi, il devrait arrêter d’espérer une carrière pro.

Nousty se replace en défense. Je garde un œil sur Lucas et son positionnement. Rien de suspect n’est en vue, mais je préfère être certaine.

— J’ai rien fait ! s’exclame Martin.

Mais la décision de l’arbitre est sans appel : une exclusion temporaire. Je ne sais pas ce qu’il a fait, j’étais trop concentrée sur le blessé, mais j’ai entendu le joueur tomber. Et ce n’était pas joyeux à entendre. Heureusement, il n’a rien, mais Martin ne l’a pas raté en le poussant violemment.

Il finit par accepter la sanction et rejoint le banc pour une durée de deux minutes. Je lui tends une bouteille d’eau lorsqu’il passe devant moi pour se poser à l’écart. Sans me remercier, il la prend et ne se prive pas de la finir. J’hésite à lui parler, mais je me ravise, il ne mérite pas mon attention. De toute manière, si c’est pour me faire une fois de plus crier dessus, je passe mon tour. Qu’il se calme seul dans son coin !

Le jeu est désormais un peu déséquilibré avec un sportif en moins de notre côté, mais la défense tient bien. Le gardien parvient même à arrêter le tir de l’ailier gauche permettant une contre-attaque.

But de Lucas.

Mon père préfère cependant effectuer un changement pour qu’il repose un peu, surtout qu’il ne cesse de secouer son poignet comme si cela remplacerait la douleur. Il court depuis une dizaine de minutes, il est temps qu’il souffle. Il tape dans les mains de ses coéquipiers, récupère une gourde pour se désaltérer et se pose pour encourager les joueurs sur le terrain.

Je veux lui demander comment il va, mais j’hésite. Je n’ai pas envie de recevoir des reproches non fondés parce que monsieur a décidé qu’il était apte à jouer. Ce n’est pas non plus le moment pour créer un esclandre. Martin suffit déjà.

Le match se poursuit jusqu’à la mi-temps sans nouvel accrochage. Le score est en faveur des jaunes et rouges, même si les adversaires ne sont pas si loin derrière. Un faux pas de Nousty et il pourront repasser devant.

Chaque joueur retourne dans les vestiaires pour écouter les conseils, mais je ne sais pas si je dois me joindre à eux. Si cela ne tenait qu’à moi, je resterais sur le banc. Je me lève sans pour autant quitter la touche. J’avance un pied et recule sans trop savoir ce qui est le mieux.

— Tu surveilles Lucas et tu peux lui recommander des exercices pour son poignet, me suggère Julien.

— Et s’il ne m’écoute pas ?

— Pas de panique, tu respires et tu lui expliques les risques qu’il encourt et s’il ne veut rien entendre, il ne rentrera pas pour le reste du match.

Je bougonne dans ma tête : plus facile à dire qu’à faire. Si le joueur le désire, il peut aisément me briser. Mais j’acquiesce. C’est mon futur métier et il sera loin d’être le dernier réticent, autant commencer par lui !

— Tu sais, c’est pour ton bien que je te conseille de faire attention. Je sais que c’est dur d’être sur le côté pendant que ses coéquipiers se défoncent pour apporter la victoire, mais ne crois-tu pas qu’il vaut mieux privilégier ton corps ? Personne ne t’en voudra si tu ne te sens pas encore prêt à revenir, par contre si tu reprends le jeu alors que ton poignet est encore fragile, tu risques de ne plus pouvoir participer aux rencontres après. Est-ce vraiment ce que tu souhaites ?

Lucas m’observe, gardant le silence. Il joue avec un des ballons qui restaient à côté du banc.

— Je veux jouer, c’est tout, prononce-t-il enfin.

— Au point d’aggraver ton poignet ?

Il détourne son regard sans trop savoir quoi me répondre.

— Tu veux que je fasse quoi d’autre ?

— T’entraîner et renforcer ton poignet en te faisant des passes rapides sur le mur par exemple. Tu vises un même point et tu fais travail le poignet blessé avant de te relancer dans le grand bain. Parce que tu peux essayer de cacher la douleur, elle se lit sur ton visage. Sur ton but, t’as grimacé en réceptionnant la passe et même si t’as marqué, ce n’est pas le tir que tu voulais faire de base, sauf que tu n’avais pas d’autres choix.

Je récupère le ballon qu’il avait laissé tomber et le prends pour lui montrer l’exercice. Même si par réflexe je le réalise en faisant des passes de volley, il comprend l’idée et se décide enfin à travailler correctement son poignet.

Et une bataille gagnée ! pensé-je, fière de l’avoir convaincue.

Le jeu reprend d’ici quelques minutes, tous les handballeurs reviennent sur le terrain et changent de côté pour la seconde période.

— Alors ? m’interroge Julien qui se replace à côté de moi.

— Il a écouté et a travaillé son poignet avec des passes sur le mur, il pourra peut-être jouer un peu, mais si on peut le conserver ce week-end, c’est pas plus mal.

— Tu vois, tu te débrouilles très bien seule ! m’encourage-t-il.

Un sourire se dessine sur mon visage, heureuse de recevoir les compliments de Julien. Lucas est resté sur le côté, mais semble avoir accepté ce choix, ce qui me rassure. Avec un peu de chance, il aura l’opportunité de revenir quelques minutes, mais il est prêt à mieux s’entraîner pour reposer son poignet.

Mon regard se perd parmi les joueurs. Estéban est en possession du ballon, il tente de dépasser son adversaire, mais c’est un peu risqué. Pour assurer le but, il préfère redonner à Arthur et le ballon refait un tour de l’attaque. Martin fronce ses sourcils à chaque action, il meurt d’envie de prendre la passe et de tirer vers les cages, qu’importe le résultat. Qu’il marque ou non, l’importe peu on dirait. Il cherche plus à prouver qu’il est un joueur de haut niveau et que ce n’est pas une petite équipe en nationale qui l’arrêtera. Pourtant, en agissant ainsi, il s’enfonce encore plus, creusant un peu plus un fossé entre son rêve et la réalité.

Sans surprise, Martin s’élance, mais ne parvient pas à offrir un nouveau but à Nousty. Le ballon heurte la barre transversale dans un bruit sourd qui résonne dans tout le complexe. Mon père se tient la tête et s’arracherait les cheveux s’il le pouvait.

15-16.

L’équipe adverse prend l’avantage pour la première fois du match, en partie à cause de Martin qui ne cesse d’insister malgré son manque d’efficacité.

Je me redresse et ne quitte pas des yeux le terrain. Je me surprends à me prendre au jeu si aisément alors qu’encore hier, cette idée me répugnait. Ou alors, est-ce peut-être de vivre l’expérience aussi proche qui m’intéresse ? Je ne sais pas, mais je ne peux m’empêcher de suivre toutes les actions au point d’espérer une victoire des jaunes et rouges.

15-18.

Les visiteurs creusent encore un peu plus le gouffre à quinze minutes de la fin. Si la tension était déjà présente, elle monte encore plus maintenant. Martin et Elie se font face et même si je ne comprends pas ce qu’ils peuvent se dire, je suis certaine que ce ne sont pas des mots doux.

— Pourquoi il ne fait pas sortir Martin ? murmuré-je à Julien.

On ne va pas se mentir, ce n’est pas son jour. Il rate pratiquement toutes les actions et je comprends la réaction d’Elie, même si je ne cautionnais certainement pas les paroles qu’il a dû lui glisser. Alors, pourquoi s’entêter à le laisser sur le terrain ? D’autres joueurs peuvent le remplacer, voire renverser le score actuel.

— Honnêtement, j’en sais trop rien. Il pense peut-être que Martin prendra conscience de ses erreurs ? Je ne pourrais pas te dire, mais j’avoue ne pas comprendre la décision de le laisser au vu de sa prestation…

Martin, prendre conscience de ses erreurs ? J’y crois moyen. Il trouvera très certainement un autre fautif que lui-même. Mais qu’il continue ainsi, ce n’est pas mon souci.

Il perd encore une fois la balle qui finit au fond des filets sous les protestations des supporters qui ne comprennent pas ses décisions.

16-19.

Heureusement, Arthur réussit à créer un décalage et permet à Estéban de marquer, même si l’écart reste encore de trois buts. Les jaunes et rouges reviennent en défense, bien motivés à revenir à deux petites longueurs à dix minutes de la fin.

Elie se positionne sur la passe, obligeant le joueur adverse à envoyer le ballon de l’autre côté. Malheureusement pour lui, Martin se trouve sur la trajectoire et l’intercepte. Il s’élance tout seul en contre-attaque. Il accélère sa course. Un boulevard s’ouvre devant lui pour lui permettre de marquer si un des joueurs ne s’était pas interposé. Obligé de changer sa course, le professionnel ne se laisse pas impressionner. Le public applaudit son décalage alors que je me ronge les ongles, espérant que ce que je pense ne soit pas réel. Seul, Martin peut désormais tirer à sa convenance. Il s’élance, forçant sur sa cheville pour lui donner de l’élan. Je me mords la langue anticipant déjà la suite des événements sans pouvoir ne rien faire.

17-19.

Sauf que le numéro dix-huit retombera sur la mauvaise cheville, déjà enflée entre le changement de direction trop brusque et l’appui du saut. Par terre, il tente de se relever, mais c’est peine perdue. La douleur est trop vive pour qu’il puisse bouger. L’arbitre arrête le jeu pour que nous l’examinions.

— Je peux jouer, c’est rien, minimise-t-il en nous écartant de son chemin.

— Vu le temps qu’il reste, vaut mieux que tu patientes sur le banc, prononce Julien malgré les protestations du sportif.

Un duel de regards s’est lancé entre les deux. Martin ne compte pas l’écouter, il lui fait bien comprendre sans détourner son attention du kiné.

— Tu crois vraiment rester sur le terrain alors que tu ne peux même pas bouger ta cheville ? T’es sûr d’être un professionnel pour agir de manière aussi irréfléchie ?

Il ne répond pas, même si ce n’est pas l’envie qui lui manque. Il abdique et soutenu par Arthur et Julien, il rejoint les remplaçants sous les applaudissements des spectateurs. Le match peut reprendre pour les dernières minutes.

Je m’approche de Martin, ignorant ce qu’il se déroule sur le terrain. Nousty peut bien être en possession du ballon ou bien défendre, je n’y porte aucun intérêt.

— Tu peux me passer la trousse médicale, s’il te plait ? me demande Julien, déjà en train d’observer le patient.

J’acquiesce et lui tends. Des ciseaux, une bombe de froid, un rouleau de strap, une couverture de survie sont quelques objets que l’on retrouve à l’intérieur.

Martin ferme les yeux et se mord la lèvre pour s’empêcher d’insulter le monde. Il laisse retomber sa tête en avant. Ses cheveux bruns recouvrent désormais son visage, cachant quelques larmes de frustrations.

— Tu sais, c’est pas grand-chose, tu vas vite pouvoir retourner sur les terrains, commente Julien après une analyse de la cheville.

— Alors pourquoi je ne peux pas y retourner maintenant ? souffle le blessé.

— Parce qu’il faut te reposer un peu et ne pas forcer sur ta cheville pendant quelques jours.

— Génial !

— Martin, c’est pour ton bien. Si tu ne fais pas une pause, ta cheville ne tiendra pas et tu pourras dire adieu à ta carrière.

— Comme si elle n’était déjà pas fichue !

La faute à qui aussi ? pensé-je.

— J’t’ai pas demandé ton avis !

Oups, j’ai peut-être pensé un peu trop fort. Mais je ne m’excuserai pas. Son comportement d’enfant égoïste qui fait des crises dès que ça ne va pas en son sens, ça n’attire pas les gros clubs. Il se tire une balle dans le pied tout seul en agissant ainsi.

— Passe lundi au cabinet, on fera un bilan. Interdiction de faire des efforts demain, tu restes au repos et tu ne bouges pas, lui explique Julien, nous empêchant de commencer une joute verbale.

Je trépigne déjà d’impatience de le revoir dans deux jours ! Lui aussi d’ailleurs, car il râle de nouveau, prétextant que ce n’était rien, qu’il n’avait pas besoin de ce rendez-vous.

— Ce n’est pas négociable, Martin. Montpellier ne te reprendra pas dans cet état, donc tu vas devoir nous écouter avec Axelle pour mieux récupérer et retourner en forme au MHB.

— Ouai, ouai, bougonne-t-il.

Toujours aussi enthousiaste à ce que je vois ! Le regard sévère de Julien me fait refermer aussitôt la bouche, ne laissant pas le loisir à mes pensées de s’exprimer librement.

L’arbitre siffle la fin de la rencontre. 23-23. Les jaunes et rouges ont réussi à revenir au score, sauvé par une parade dans les derniers instants par leur gardien. Ce n’est pas le résultat qu’ils espéraient. Une victoire aurait été plus bénéfique, mais ils s’en contenteront. Tous saluent le public venu les soutenir, à l’exception de Martin qui reste immobile sur le banc.

— Martin, tu viens ? l’interroge mon père.

Par automatisme, il se lève. Le regard dans le vide, il avance, soutenu par Arthur qui est resté pour l’aider afin qu’il ne force pas trop sur la cheville.

Il ne reste plus que moi sur le terrain mitigé quant à cette première expérience.

D’un côté, vivre le match au bord du terrain, c’est quand même incroyable.

De l’autre, se faire juger parce que je ne suis pas diplômée, je trouve ça moyen.

Mais je retiendrais le positif, j’ai quand même réussi à venir en aide à Lucas. Chose qui n’était pas gagnée au début ! Et pour ça, je peux être fière de moi !

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