Les heures ont défilé si lentement. J’ai bien cru que jamais le temps ne s’écoulerait ! Je regarde une dernière fois l’écran de mon téléphone pour être certain que je suis au bon endroit et je sors de la voiture de location. En fermant la portière, j’aperçois derrière le parking une aire de jeux. Une petite fille s’amuse sur le toboggan pendant que sa mère la surveille, non loin. Si l’enfant a levé la tête un instant dans ma direction, la génitrice m’ignore et ça me convient parfaitement. Je détourne l’œil pour me rendre vers le complexe sportif.
Il n’a rien à voir avec René-Bougnol. C’est juste une minuscule salle qui se dresse devant moi, bien loin des terrains que j’ai l’habitude de côtoyer. Je grimace en pensant que je suis tombé bien bas, chose entièrement vraie au vu de la situation actuelle.
Je pousse la porte d’entrée qui grince. Si je voulais faire une arrivée discrète, c’est mort. On a pu m’entendre à des kilomètres, je suis sûr. Elle se referme derrière moi alors qu’un couloir me fait face. Je reste planté au milieu du chemin. J’observe le mur gauche : de nombreuses photographies le décorent. Je devine avec aisance qu’il s’agit des différents titres remportés par le club. Non loin, quelques trophées reposent sagement sur des étagères en bois pour les accompagner. Une table attend patiemment d’être occupée avec deux chaises. Je suppose que les meubles servent pour encaisser la billetterie. Un moyen comme un autre après tout.
Je continue mon chemin sans trop savoir où me diriger. J’avance tout droit pendant que mon regard s’attarde sur la salle. À droite, je suis surpris d’y découvrir un petit terrain en annexe au principal. C’est rare d’en voir alors en imaginer un ici, c’est presque improbable. Et pourtant, je ne rêve pas, ils en ont bien un.
Je progresse un peu plus. Le terrain se dresse enfin devant moi. Assez simple à la manière de la billetterie. Les tribunes sont constituées de bancs qui se superposent en face du terrain. Le banc des remplaçants est en bois. Pas même une once de qualité. Je suis bien loin des sièges confortables de Montpellier. Un bien bas club, soupiré-je à demi-voix. Mieux vaut ne pas risquer qu’une personne l’entende par erreur. Au-dessus des cages, à gauche, le tableau affiche l’heure et sans doute le score lors des matchs. Vieux et dépassé, encore une fois. Il ne donne même pas le nom des équipes, juste « locaux » et « visiteurs » sont écrits pour départager. Quelques panneaux publicitaires liés certainement aux sponsors entourent le résultat et se poursuivent sur le mur où les bancs des remplaçants se trouvent. À l’opposé, l’autre but possède, quant à lui, un filet de protection. Une extension des gradins se situe derrière. Il doit servir pour empêcher les tirs ratés de s’échouer sur le visage d’un spectateur qui n’a rien demandé.
— Martin, c’est un plaisir de te rencontrer !
Surpris, je me retourne pour voir le nouvel arrivant. Un peu plus petit que moi, il porte un ensemble de sport basique noir à l’effigie du club. Sur son épaule repose un sac de ballons rempli et dans ses bras, des dizaines de feuilles sont prêtes à s’envoler à la moindre occasion. Un sourire chaleureux traverse son visage qui commence à être parsemé de rides. Ses cheveux bruns ont également décidé de le lâcher petit à petit, le laissant désormais presque chauve.
— Tu sais, j’ai beaucoup entendu parler de toi ?
Non, jure ? ai-je presque envie de lui répondre. Mais je me contente seulement de lever les yeux vers le plafond. Je m’attends à des remarques sur mon comportement, sur mon jeu, sur mon père, enfin, tout ce que les gens critiquent en général, mais rien ne vient. Ses yeux vert foncé pétillent juste en me voyant. J’ai presque l’impression qu’il m’imagine comme un sauveur, un être supérieur. C’est assez flatteur, au moins une personne qui me considère autrement qu’un gamin gâté.
— Sylvain Duarte, se présente-t-il sans se départir de sa gaieté.
Il s’excuse de ne pouvoir m’accueillir d’une poignée de main, ses dossiers ne l’aident pas. Honnêtement, je ne m’en formalise pas. Ce n’est qu’un léger détail. De toute façon, je suis ici uniquement pour jouer deux ou trois matchs et je rentre après.
Il m’invite à le suivre afin que nous puissions discuter plus confortablement dans son bureau. Il passe devant moi, me montrant le chemin à emprunter. Nous traçons entre le filet et les tribunes. J’aperçois la buvette à l’angle, non loin du terrain et juste à côté, une rangée de portes qui se succède, mais je ne m’en formalise pas. La voix de l’homme me sort rapidement de la contemplation. Avec quelques difficultés, il parvient à poser le sac à côté de la porte et à l’ouvrir sans perdre un document. Impressionnant.
Sylvain laisse retomber la paperasse sur son bureau déjà bien envahi avant de s’assoir. Je reste statique au milieu de la pièce sans trop savoir comment agir, les mains enfoncées dans les poches de mon survêtement. À ma droite se trouve une penderie. Un sac rempli de maillot l’empêche de se fermer correctement. Des paires de chaussettes trainent également non loin.
Il se racle la gorge pour attirer mon attention et d’un signe de la main, il me désigne la chaise. Quand il juge que je suis bien installé, il commence par des banalités. Pourquoi les personnes s’entêtent-elles à introduire le sujet à chaque fois ? Ne peuvent-ils pas directement passer aux choses sérieuses. Je m’en fiche un peu de savoir que ma présence risque d’apporter du peps à l’équipe, remotiver les jeunes ou ramener des fans qui viendraient me supporter. Je ne suis là pour aucune de ses raisons. Juste parce que j’y suis obligé, donc s’il pouvait aller à l’essentiel, je l’en remercierais. En plus, je compte rester ici au maximum deux semaines. Après ce sera l’annonce des sélections et il est hors de question que je ne sois pas en compagnie de ma famille et de Thibaut pour ce moment. Donc il n’est pas nécessaire de baser toute une drôle de stratégie dont je n’ai pas tout compris sur moi. L’homme devant moi est peut-être sympathique, mais il n’en reste pas moins naïf s’il pense que je poursuivrais l’aventure avec lui. À la moindre occasion, je rentre. Sauf que je ne peux pas me permettre de dire ça. Je ravale donc difficilement mes mots et j’essaye de me concentrer sur les siens.
— Je me doute que tu as déjà eu la discussion avec Henry, mais je te le redis au cas où, tu seras à la tête de l’équipe masculine des moins de quinze ans le temps de ton séjour ici.
Il continue de m’expliquer le déroulé, mais j’ai aussitôt décroché. Je ne comprends toujours pas l’intérêt de cette action. Et même, si je dois les entraîner, mais qu’il y a également un match en même temps, je fais comment ? Je ne vais tout de même pas favoriser des gosses !
— Normalement, il n’y aura pas de problème pour suivre leur match et jouer avec l’équipe séniore. Les dates ont été calées pour que ça n’empiète pas pour que nos différents joueurs puissent assister aux rencontres des jeunes. T’imagines pas quel casse-tête c’est !
Oh je n’en doute pas, mais ce n’est pas mon souci.
J’essaye de sourire de manière convaincante, pour montrer que je suis intéressé, mais je ne pense pas y être parvenu. Mais Sylvain ne s’en formalise pas. Il enchaîne avec de nouvelles informations que je suis incapable d’assimiler. Il va trop vite. J’écoute d’une oreille, mon regard s’attarde sur les cadres accrochés derrière le bureau. Ce sont toujours des représentations des handballeurs, certaines identiques à celles présentes dans l’entrée et d’autres encore plus vieilles. Je recherche Sylvain. Est-il seulement sur l’une d’elles ? Je pense. Il a l’allure d’un ancien joueur, sans doute un pivot. Je crois l’avoir trouvé. Je plisse les yeux pour mieux voir, ignorant totalement le fait qu’il puisse me reprendre. Si je ne suis pas trompée, il porte sur ses épaules une petite fille. Elle est toute mignonne avec le maillot jaune et rouge de Nousty qui est beaucoup trop grand pour elle. Sourire aux lèvres, elle doit être fière de la victoire de son père. Comme je l’étais du mien. Je crois même avoir une photo dans ce style. D’y songer mon cœur se serre. Non, ce n’est pas le moment de craquer, Martin. Je détourne mon regard pour m’attarder plus sur l’homme devant moi.
— Des questions ?
Il m’observe attentivement, attendant une réaction, mais je me contente de rester impassible. J’ai l’impression qu’il essaye de lire en moi, de connaitre les pensées qui m’ont assaillie juste avant. Que veut-il que je demande ? Je n’ai pas besoin d’informations en plus, je sais déjà le plus important. Et à moins qu’il soit complètement stupide, il doit se douter que je ne suis pas ici de bonne grâce. Mon unique but est de repartir le plus rapidement à Montpellier. Je reste muet. Je patiente juste malgré la tentation de quitter la pièce. Qu’est-ce qui me retient après tout ? Mais pour faire quoi ? Je ne vais pas rentrer à l’appartement sachant que je dois être présent pour les entraînements qui vont suivre. Alors quoi ? Je me tiens là, assis à le regarder s’occuper des documents ?
— Je ne vais pas te retenir plus longtemps. Les ballons sont à ta disposition, tu peux faire ce que tu veux en attendant que les jeunes arrivent.
C’est une bonne idée. C’est toujours mieux que d’être dans ce fauteuil.
— Ou alors tu peux me tenir compagnie aussi, rajoute-t-il avec un clin d’œil.
Beurk. Hors de question que je passe une seconde de plus dans le bureau, encore moins pour de la paperasse ennuyante. Sylvain laisse échapper un rire franc, mon dégoût doit facilement se lire sur mon visage et je ne compte pas le cacher. Je me contente de jouer, l’administratif n’est pas et ne sera jamais mon domaine. Je le laisse volontiers avec cette tâche.
Je quitte la pièce et récupère le sac qui n’attendait que moi devant la porte. Je le traine sur le sol avant de l’abandonner non loin de la table de marque. Je choisis un ballon. Il est si minuscule par rapport à ceux qu’on utilise en sénior. Je fais quelques rebonds avec un pour le tester et dès que j’en trouve un qui me semble parfait, je dribble tout en me dirigeant vers les cages. Un pied sur la ligne des sept mètres, je me prépare pour tirer un pénalty imaginaire face à un gardien invisible. Je ferme les yeux un instant pour me concentrer au maximum. Je n’accepterais pas un nouvel échec.
Je vide mon esprit. Je ne peux pas me permettre de laisse encore une fois la rage me submerger. Je me dois d’avoir la maîtrise de mes émotions et qu’elles n’empiètent pas sur mon jeu.
Les buts se dessinent face à moi. Le coup de sifflet imaginaire retentit. Je prends le temps de bien viser. Ne surtout pas me précipiter. Le bras gauche en position, je lance le ballon qui file directement en pleine lucarne droite sans difficulté. Je souffle de soulagement. Quand je veux, je peux. Je continue ainsi, réajustant au fur et à mesure mes tirs afin de les rendre les plus précis possibles.
Une bulle se forme ne laissant plus que le ballon et les cages autour de moi. Le temps d’un instant, tout s’évapore. Je redeviens le gamin qui s’occupait du mieux qu’il pouvait avant l’entraînement, en attendant mes coéquipiers. Je ne fais même pas attention à l’arrivée d’un des joueurs ni à Sylvain qui a rejoint le terrain. Ma concentration reste sur mes mouvements et mon envie de marquer.
— Je peux ?
La question du gosse me ramène à la réalité. Je me retourne vers lui. Son short rouge détonne avec son t-shirt blanc. Il m’observe, ses yeux marron n’attendent qu’une réaction de ma part. Il est grand, pas autant que moi, mais il a le temps encore pour arriver à ma hauteur. Les cheveux désordonnés, il ne me quitte pas du regard. J’ai l’impression qu’il me défie. Il me plait bien ce gamin.
— Nathan, je te présente Martin, votre nouvel entraîneur.
Sylvain s’est rapproché de nous, posant une main sur mon épaule fier de m’annoncer et de m’avoir dans le club. Ce n’est pas l’envie de me défaire qui me manque, mais je prends sur moi. Il faut que je sois sympa. Ne pas faire de bêtises, inclut bien me comporter, je suppose. Et je ne compte pas me pénaliser encore plus pour une chose aussi minime.
J’effectue une passe que le gosse réceptionne à une main et je m’installe dans les cages pour jauger un peu son niveau sur les tirs à sept mètres. C’est le jeu par excellence que je faisais avec Thibaut ou d’autres coéquipiers avant de débuter véritablement les entraînements, surtout lorsque nous arrivions en avance et que personne n’était pas là pour nous dire quoi faire.
Il se positionne à mon ancienne place. Il souffle sur une de ses mèches blondes qui tombent sur son visage et me fixe. J’avance d’un pas pour ne pas patienter sur la ligne et j’attends de voir ce qu’il compte me proposer. Gardien n’est pas mon poste, mais je ne vais pas le laisser marquer si facilement ! Je prends donc la place et tente de ne pas rester immobile pour mieux le déconcentrer.
Il arme son bras droit et je ne quitte pas le ballon des yeux. Il effectue une première feinte que j’anticipe sans effort. Dommage pour toi, petit, pensé-je. Une moue traverse son visage me faisant sourire. Tu n’imaginais pas m’avoir de cette manière, quand même ? Mais la lueur de détermination persiste dans son regard m’assurant qu’il n’a pas dit son dernier mot. Le bras toujours en l’air, il s’apprête à tirer. Je patiente un peu, le temps d’établir la trajectoire la plus plausible. Premier poteau en bas. J’en suis certain.
Mais au dernier moment, Nathan a changé de cible. Il m’a pris de court, réussissant à lancer le ballon sur le côté opposé avec tellement de facilité alors que j’étais persuadé de pouvoir l’intercepter. Je n’ai même pas eu l’occasion de modifier ma position que le ballon franchit la ligne.
— Beau but, concédé-je à contrecœur en lui passant le ballon.
Il sourit fièrement et bombe le torse, content d’avoir marqué. Je ne peux que le féliciter, il a bien joué. Un poil risqué, mais bien maîtrisé.
Il retente une seconde fois, mais je ne me ferai pas avoir. Une fois, mais pas deux. Il analyse les meilleures solutions qui s’offrent à lui alors que j’essaye d’être le plus imposant possible, prenant tout l’espace des cages. Il a décidé de sa cible : en bas à gauche, proche du poteau. Pas l’endroit le plus facile pour un gardien, il n’est vraiment pas bête. Je tends ma jambe gauche et je me baisse pour arriver à arrêter le ballon, mais il me manque quelques centimètres pour le stopper dans sa course. Il passe une seconde fois le filet. Mon portable a quitté ma poche dans la précipitation, mais je ne m’en formalise pas. Actuellement, tout ce que je désire c’est de bloquer un de ses tirs, même si ce n’est absolument pas mon poste.
— Jamais deux sans trois, tu le sais, non ? me nargue-t-il.
Je lui tire la langue en signe de réponse. Oui, c’est une réaction plus qu’enfantine et alors ? Il m’énerve avec son regard de défi qui ne quitte pas son visage. Je l’empêcherai de marquer une troisième fois, je me le promets. Me faire humilier par un gosse, et puis quoi encore ? Je décale mon téléphone, autant éviter qu’il prenne un coup et je me remets en place. Cette fois-ci, je m’éloigne plus de la ligne. Certes, je lui offre la possibilité de me lober, mais je l’anticiperais. Je suis plus grand que lui, ça ne passera pas s’il le tente. J’en suis certain.
Nathan réfléchit à la meilleure option, retardant son shoot. Que me réserve-t-il pour ce tir ? Il ne me quitte pas des yeux, un duel de regard a lieu. Je m’avance encore un peu plus. Il décide enfin de se préparer. Il a assez attendu. Il hésite un instant, jaugeant une dernière fois les possibilités, puis il se résout à tirer. Il n’est pas stupide, il a évincé l’idée du lob. Il lance le ballon pour aller en pleine lucarne gauche. Sans succès. J’ai tenu ma position, j’ai anticipé et j’ai bien gardé les buts fermés. Il n’a eu aucune chance cette fois-ci. Pas de pitié.
— Alors, tu disais ? le taquiné-je.
Il ne répond rien, il réceptionne seulement la passe que je lui fais. La porte s’ouvre au loin, il détourne son attention pour découvrir quelques-uns de ses coéquipiers comme si je n’existais plus. Il les rejoint rapidement pour discuter et se vanter de ses buts.
— Tu t’en sors bien pour un début, me complimente Sylvain alors que je le retrouve au niveau de la touche.
Je hausse les épaules. Forcément, effectuer des tirs avec un gamin, je peux gérer. Ce n’est pas si compliqué. Même à Montpellier, je le fais de temps en temps. Par contre, entraîner une douzaine de gosses, ce n’est certainement pas la même affaire.
Je me laisse retomber sur le banc. Qu’est-ce que je fous là, sérieusement ?
Cette question tourne en boucle. Je ne comprends pas pourquoi ce club en particulier. Me reléguer dans une équipe nationale autre que la réserve de Montpellier, j’ai du mal, mais d’accord. Mais il y en a plein aux alentours, sans que je sois obligé de me retrouver à plus de quatre cents kilomètres de chez moi, quand même ! Surtout si ce n’est que pour deux ou trois matchs, à quoi bon que je m’investisse autant pour si peu de temps ?
Je souffle alors qu’une autre personne se joint à nous. Il porte le même short rouge que Nathan et un vieux t-shirt noir troué sur le côté.
— Martin, je te présente un de tes futurs coéquipiers, Baptiste. Il s’occupe des moins de treize ans.
Il me souhaite la bienvenue avant de discuter avec Sylvain, certainement à propos de son groupe. Je lève les yeux vers le tableau d’affichage, c’est pratiquement l’heure de l’entraînement. Baptiste nous quitte, rejoignant ses joueurs qui partent vers le terrain annexe.
— C’est plus simple pour organiser tous les entraînements, m’explique Sylvain.
Je veux bien le croire. De ce que j’ai compris, c’est un club mixte, soit deux fois plus d’équipes. Un vrai casse-tête pour caser tous les créneaux.
Le dirigeant siffle annonçant le début de l’entraînement. Le groupe se rassemble autour de nous. Certains joueurs me regardent avec interrogations, se demandant ce que je fais ici et qui je suis, tandis que d’autres me reconnaissent et ne souhaitent que venir discuter. Des chuchotements s’élèvent, personne n’écoute. Je les comprends, à leur place je serais dans le même état d’esprit. C’est toujours incroyable de rencontrer un handballeur professionnel, aujourd’hui, je ne réalise pas tout le temps la chance que j’ai d’évoluer au côté des grandes stars de ce sport. L’extase passée, Sylvain les rappelle à l’ordre.
— Martin sera votre nouvel entraîneur. Il vient en renfort pour nous aider et pour vous faire progresser. Exceptionnellement, c’est moi qui prends les exercices en main ce soir, car il n’a pas encore l’habitude, mais après je compte sur vous pour bien l’écouter. Vous êtes prêts ?
Avec enthousiasme, les joueurs débutent leur échauffement. De nouveau assis sur le banc, je les observe, les étudiants dans la réalisation des activités. Mes coudes sur les genoux, ma tête s’appuie sur mes mains. Une heure trente, que ça va être long ! Et ce n’est que mon premier jour, dans quel état serais-je la semaine prochaine ?
Un nouveau jeune débarque en courant dans la salle. Il dépose précipitamment son sac, balance la bouteille à mes pieds, salue d’un geste rapide Sylvain et s’intègre à un groupe.
— Avec les cours et les transports, certains peuvent arriver en retard, m’explique l’homme tout en surveillant du coin de l’œil les joueurs.
J’acquiesce sans grand intérêt. Même sans précision, je m’en serais douté.
Au final, rien de très exceptionnel quand je regarde l’entraînement : des allers-retours en variant les courses pour réveiller les muscles, des mini-jeux pour anticiper au mieux la suite, échauffement des gardiens et pour finir des mises en situation et expérimentation des tactiques pour bien préparer le match du lendemain. Je scrute attentivement Sylvain, sa posture, ses réactions. Je note tout mentalement pour avoir quelques astuces, bien que j’irais en redemander à Thibaut plus tard. Ils méritent quand même d’obtenir de bons conseils, ils n’ont pas à pâtir de mon comportement.
Les enfants courent dans tous les sens. Le bruit des chaussures résonne sur le parquet brisant le calme de leur concentration. Une opposition a lieu devant moi. Nathan réceptionne parfaitement le ballon en course. Il évite le défenseur et se retrouve seul, au six mètres, face au gardien. Il saute, patiente et observe bien les mouvements de son adversaire avant de tirer en pleine lucarne droite sans que le goal ne puisse faire quoi que ce soit.
Il se replace derrière la file, laissant le prochain joueur montrer son talent. Il lance un regard dans ma direction, attendant de voir ma réaction. Certes, il a bien pris l’intervalle, son tir était correct. Mais rien de très extraordinaire. Son camarade en défense s’est contenté du minimum, ne s’approchant pas trop de Nathan. En match, la situation aurait certainement été très différente. Possible, mais plus rare, même à leur niveau.
— Tu veux arbitrer ? Dix minutes de jeu tout terrain pour mettre à exécution l’entraînement.
J’observe les jeunes se désaltérer et j’accepte. Ça ne me fera pas de mal et au moins je pourrai me dégourdir les jambes. Je récupère le sifflet qu’il me tend et je me positionne sur le terrain, les laissant encore un peu de temps avant d’attaquer la mini rencontre.
Je m’étire et je donne le coup d’envoi. Je surveille le moindre de leurs mouvements, et même si je ne cours pas, suivant chaque action parfaitement, je me surprends à m’investir autant pour une simple opposition qui est juste là pour clôturer un entraînement.
Un regard vers Sylvain me fait comprendre qu’il va être l’heure de mettre fin au match. Le dernier ballon est en possession de l’équipe sans chasuble. Il traverse tous les postes, d’une aile à l’autre. Les joueurs tentent à percer la défense, mais aucune ouverture ne se dessine. Le pivot en plein cœur des adversaires se décale. L’ailier droit entre à son tour au milieu, désordonnant les handballeurs. Un des arrière en profite pour lui faire la passe. Bonne réception, il se tourne pour faire face au gardien et vise. Le ballon termine sa course dans les filets. Malheureusement, le tireur a un pied en zone, le but ne sera pas comptabilisé dans le score fictif.
Je siffle la fin de la confrontation. Sylvain les rappelle, leur donne des consignes avant de les laisser partir. Ils rangent le matériel sur le côté, prennent leur gourde et vont dans les tribunes récupérer le reste de leurs affaires. L’autre groupe a également terminé, j’entends les plus jeunes crier, encore plein d’énergie.
Baptiste rejoint les gradins où la majorité de mes futurs coéquipiers se préparent, discutant dans la bonne humeur. Je les envie. Je pourrais être actuellement avec Thibaut, faisant la même chose. Et pourtant, je me retrouve ici, à sociabiliser avec de nouvelles personnes que je ne reverrai plus.
Je respire un coup. Tout se passera bien. Baptiste est sympa, pourquoi les autres ne le seraient-ils pas ? En plus, ils devraient être honorés que j’évolue dans leur club, non ? Alors pourquoi je commence à flipper ? Je ne me soucie pas de leur opinion. Je suis uniquement là pour jouer et entraîner. Me faire des copains n’est pas dans mon objectif. J’ai déjà Thibaut et mes autres camarades, c’est bien suffisant.
Je dois me ressaisir, ne pas faiblir à la moindre nouveauté. J’essaye de faire le tri dans mon esprit, d’incarner le rôle du gentil gars pour ne pas faire mauvaise impression dès la première rencontre. Mais j’ai la sensation que ça sonne faux. Que personne ne me prendra au sérieux, mis à part peut-être Sylvain, qui croit trop en moi et mes capacités d’ailleurs !
Rassemblés au milieu du terrain, je suis au centre du cercle au côté du dirigeant et entraîneur. Tous les regards sont braqués sur moi. Je me gratte la nuque et détourne le mien, gêné de cette situation. Certes, j’ai confiance en moi et mes aptitudes. Certes, je captive l’attention lorsque je joue. Mais c’est surtout en pleine action. Là, c’est une sensation différente que je suis incapable d’identifier et où je ne peux mettre des mots dessus.
— Bien les gars, commence Sylvain en tapant des mains pour que tous l’écoutent. Martin nous vient en renfort pour quelques matchs, comme je vous l’avais déjà dit il y a quelques semaines.
Je n’arrive toujours pas à accepter que cette décision ait été prise en amont sans mon accord. À croire que même si je m’étais bien comporté, on m’aurait expédié à Nousty. Peut-être que les critiques ont raison, je ne mérite pas d’évoluer pour Montpellier, mais pourquoi m’avoir concédé tant d’importance si c’est pour m’utiliser de cette manière ?
— J’espère que vous lui ferrez un bel accueil, termine l’entraîneur.
Silence dans le complexe. Une sorte de tension s’est installée. Certains me dévisagent, pas prêts à me léguer leur place, et je les comprends, je n’aimerais pas si j’étais dans la position inverse. D’autres ne laissent transparaître aucune émotion, comme si ça leur était égal que je sois avec eux. D’autres encore sont un peu trop joyeux de pouvoir jouer à mes côtés. Et moi, au centre, je prends sur moi pour me montrer agréable sans rechigner, acceptant de faire partie de ce club, alors que je n’en pense pas moins.
— Jouer avec lui ? Il n’a rien à faire ici ! Il va juste nous apporter des emmerdes, regarde son dernier match, même son équipe ne veut plus de lui ! Alors pourquoi doit-on l’accueillir alors qu’il ne fait aucun effort et joue seulement à cause de son père, crache froidement un des joueurs brisant le calme qui régnait.
— T’es qui pour me juger ? riposté-je.
Je serre les poings pour m’empêcher dans un excès de lui en coller une, bien que ce soit assez tentant.
— Je suis assez Montpellier pour voir que tu n’as pas ta place, même ici, tu ne jouerais pas, continue-t-il. Tu te prends pour qui à prendre la place d’un autre joueur qui donne tout ici alors que toi, t’en as rien à foutre ?
Le coup est parti tout seul. Je n’ai pas pu me retenir. Il n’a aucune putain d’idée de mes sacrifices. Je n’ai pas demandé à venir à Nousty. Je n’ai pas décidé de m’imposer dans l’équipe. Le sportif est prêt à riposter malgré sa joue gauche rougie par mon poing, mais un handballeur s’interpose, réclamant la paix. Je me contente de lancer un regard noir en sa direction. Il n’en a pas terminé, ses yeux assombris me font bien comprendre qu’il n’en restera pas là. Qu’il vienne, je ne me laisserai pas faire. Et même si Henry me reprochera d’agir sur l’émotion, je continuerais d’assener des coups à cet idiot qui me provoque.
— Élie, Martin, stop. Vous êtes coéquipiers, pas des ennemis à abattre, nous réprimande Sylvain d’une voix forte.
Le dénommé Élie retourne son attention vers l’entraîneur, la tête haute malgré tout, à croire qu’il était en droit de me parler ainsi. Il montre bien qu’il n’est pas prêt pour s’excuser. Tant mieux, moi non plus.
— Sérieusement, il va nous apporter que des problèmes, rajoute-t-il en me toisant. Il s’est battu après un énième échec au but, et encore là, il a prouvé qu’il ne pouvait pas se contenir. Il n’est pas fiable pour le club !
Ai-je vraiment l’air d’une source à ennui ? Bon, je peux lui accorder ce point. Mais est-ce une raison pour se comporter ainsi en face de moi ? Non. Oui, je dois travailler mes émotions, je le conçois, mais ne vient pas me provoquer gratuitement.
Il y avait mieux comme première rencontre avec sa nouvelle équipe. Au moins, les gosses étaient heureux, eux. Baptiste m’envoie un regard compatissant, mais c’est bien un des rares. Les autres ne doivent pas en penser moins qu’Élie bien que personne n’aurait osé s’imposer de cette manière.
Il en rajoute une couche, mais je me suis déjà éloigné d’eux. Leur entraînement va débuter et si Sylvain m’invite à les observer du banc de touche, je refuse et m’installe dans les tribunes. Comme si j’allais rester proche d’Élie alors que mon poing me démange, je ne suis pas fou à ce point !
Je regarde de temps en temps mon portable, mais sinon, j’analyse leur jeu. Ils ne sont pas mauvais. Mais ils ne sont pas exceptionnels non plus. Rien ne les démarque individuellement. Rien ne les démarque collectivement. C’est une bonne équipe, sans plus. Je ne serais pas surpris de savoir qu’ils figurent dans le milieu du tableau au classement. Ils maîtrisent les bases, mais ne poussent pas au maximum leur potentiel. C’est frustrant à regarder. J’ai presque l’impression de revoir le groupe des moins de quinze sauf qu’il s’agit ici des séniors. Si encore ils évoluaient en départementale voire régionale, pourquoi pas, mais ils jouent quand même en nationale une, le dernier rempart avant de frôler les parquets professionnels ! Je m’attendais à une meilleure performance de leur part !
La fin de l’entraînement a sonné. La majorité m’ignore. Grand bien leur fasse ! Je ne vais pas m’en formaliser si je ne me fais pas d’amis. Je patiente un peu avant de rentrer, même si l’envie de rejoindre l’appartement ne me déplait pas forcément. Je suis tenté de descendre sur le terrain et prendre un ballon pour me vider l’esprit. Qu’est-ce qui m’en empêche après tout ?
— Dure journée, non ? m’interrompt Sylvain.
— Mouai, j’ai connu mieux, mais je connaitrais pire aussi.
Il ne reste que nous dans la salle, les autres joueurs sont déjà partis.
— Désolé, pour avant, finis-je par dire ne supportant pas le silence.
Je ne sais même pas pourquoi je m’excuse. Je ne suis pas en tort. Je n’ai fait que me défendre, mais je me sens obligé de lui demander pardon. En plus du club à gérer, il n’a pas à nous reprendre comme des enfants.
— N’écoute pas Élie, il teste souvent les nouveaux pour voir leur limite. Mais il est un excellent joueur.
Je rigole jaune. Quelle belle idée de provoquer les joueurs ! Bon ou pas, ce n’est pas une raison pour agir ainsi. Mais je ne dis rien, à quoi bon de toute manière ?
— Demain, tu ferras tes premiers pas en tant qu’entraîneur avec les jeunes.
Il m’explique les derniers détails tout en fermant le gymnase derrière lui.
— On jouera après, tu pourras rester et venir sur le banc avec l’équipe si tu veux.
Excellent, de quoi bien réjouir Élie pour mieux me chercher ! Après, nous jouons dans la même équipe, donc que vais-je risquer si je m’en prends à un coéquipier ? C’est une merveilleuse question, ça, une qui ne demande qu’à être étudiée.
— Bonne soirée !
Il retourne à sa voiture pendant que je vais vers la mienne. Mon ventre gargouille et je me hais de ne pas avoir pris le temps d’avoir acheté ne serait-ce qu’un paquet de chips et ce n’est pas comme si je trouverais encore un magasin ouvert à presque vingt-deux heures !
Je souffle désespéré, mon ventre crie famine pour me rappeler que je ne dois pas le négliger. Si j’envoie un message en disant que j’ai oublié de faire les courses à Thibaut, est-ce qu’il se moquera de moi ? C’est certain. Mais ça ne l’étonnera même pas. Il sait que je ne suis pas le meilleur pour me gérer, pas pour rien que je n’ai jamais quitté ma mère et mes grands-parents.
Je présume que je vais me contenter d’un fast-food sur le chemin, même si je ne suis pas particulièrement fan, je ne me vois pas rester sans rien avaler.
Mon portable vibre.
Comment s’est passée cette première rencontre ?
C’était incroyable, l’équipe est stupéfiante et on s’entend tous très bien après un entraînement. Trop exagéré et de toute manière, Sylvain a déjà du avertir Henry sur les évènements. J’ignore le message. Je n’ai pas besoin de remontrance. Je préfère rester dans la solitude plutôt que de devoir reparler de mon comportement pour la énième fois.
Je tape rapidement un SMS à Thibaut avant de démarrer le véhicule et de lancer le GPS pour trouver un fast-food.
Help me !!! ☹ ☹ ☹