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KiriaParker
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Chapter 5 - Axelle

Je fulmine en le regardant s’éloigner. Comment ose-t-il prétendre que ce n’est qu’un simple bouquin ? Et ne parlons pas de son rictus idiot qui respirait l’arrogance à plein nez quand je me suis approchée de lui ! Qu’a-t-il cru ? Que je me jetterais dans ses bras justes pour son beau sourire et lui demander un autographe ? Non, mais je rêve ! Je ne vais pas tomber sous le charme d’un assassin quand même !

Il n’a même pas sourcillé en me donnant l’argent et s’est empressé de partir loin de moi. Il n’a pas dû apprécier les nombreuses critiques que je lui ai lancées. Tant pis. C’est le coupable parfait pour passer mes nerfs en cette journée maudite. Mais il n’a pas réagi, prenant la fuite comme un lâche surpris en flagrant délit. Il m’a laissée seule devant des arrivants qui me jettent des regards furtifs.

Tout le monde doit croire que je suis folle. Je leur accorde ce point. Mais qu’il se mette à ma place ! On m’a larguée, il n’y a pas longtemps. Je rentre chez moi, revoir ma famille — qui à l’exception de ma mère n’a jamais demandé de mes nouvelles —. Et mon train a été supprimé. Il ne manque plus que le covoiturage que je m’apprête à faire abrite un tueur et j’aurais eu la totale ! Bon, peut-être que j’en fais trop. Ou pas. Néanmoins, cette journée n’en reste pas moins pourrie et elle n’est même pas terminée !

Les véhicules défilent devant moi. Certaines s’arrêtent pour déposer les voyageurs, d’autres pour les attendre. Je les observe attentivement à la recherche de mon carrosse qui me ramènera à Pau. Mais jamais il n’arrive. Et si personne ne venait ? Non, il n’en est pas question. Je dois cesser de résonner uniquement par le négatif, Sofia m’a bien fait comprendre qu’il est nécessaire de positiver. Un concept qui me faciliterait le quotidien, selon elle. Je ne vois pas trop en quoi, mais admettons.

Quelques gouttes commencent à tomber. De quoi encore plus égayer ma journée ! Et on ose me demander de voir la vie en rose ? J’ai presque envie d’envoyer un message à Sofia pour lui dire que ses conseils ne fonctionnent pas. Tout n’est que noir aujourd’hui. Mais je me ravise en apercevant l’annonce qui m’intéresse. Sauvé, mon chauffeur m’attend.

Je vérifie autour de moi si je n’oublie rien, ce serait bien bête, et je pars à la recherche de la fameuse voiture. Je prie encore une fois pour ne pas avoir affaire à un psychopathe. Je tente de ne pas perdre l’équilibre avec les cailloux qui se dressent sur mon passage, maladroite comme je suis. À quoi ressemblerais-je si je tombais devant des inconnus ?

Un sourire illumine le visage de ma sauveuse. Au moins un peu de gaité dans ce monde plein de noirceur ! Elle réajuste sa chevelure rousse attachée en un chignon et fait des signes dans ma direction. Elle n’a rien d’un tueur. Je peux souffler un bon coup. Enfin du positif ! Sofia avait raison.

Attends, pourquoi il est là, lui ?

L’abruti de tout à l’heure est également présent. C’est une blague, n’est-ce pas ? J’espère qu’on va me dire qu’ils se connaissent et qu’il va partir. Je ne compte pas rester enfermée dans une voiture deux heures avec cette horrible personne qui n’a aucune compassion pour les livres. Je suis certaine que si quelqu’un nous surveillait du haut de son palais dans les nuages, il rigolerait bien de ma situation alors que je ne souhaite plus qu’une chose : m’enterrer six pieds sous terre.

Je crois qu’il m’a également reconnu, car je le vois lever les yeux au ciel après avoir suivi du regard la rousse. Il détourne bien vite son attention vers son téléphone. Son sourire a laissé place à de l’agacement. Dis-le si je te gêne, je peste dans ma tête.

— Marion, se présente-t-elle respirant la joie de vivre.

— Axelle, réponds-je à mon tour.

J’ignore le garçon juste à côté qui n’a pas pris la parole. Je me focalise sur Marion qui est plus enthousiaste que nous de ce trajet.

— Prêts à embarquer ?

Elle nous observe tour à tour, si j’essaye de discuter avec entrain, le deuxième passager n’émet aucun son. Il a fait un effort, il a quitté des yeux son écran. Un miracle. Il se contente d’un hochement de tête. La conductrice rejoint sa place devant le volant après m’avoir laissé un accès à son coffre pour y déposer mes affaires.

Sauf que j’ai oublié une chose essentielle.

Jusqu’à présent, je me trouvais sur le trottoir.

Et maintenant, je suis le cul par terre.

Je gonfle les joues tel un enfant vexé, à croire que cela changera. Je dois être rouge de honte. Je prie intérieurement pour que personne ne m’ait vu. J’en profite aussi pour maudire ce trottoir et agrandir la belle liste des moments tragiques.

Bon, je l’ai peut-être mérité pour avoir continué d’insulter gratuitement monsieur l’assassin. Si je m’excuse de m’être emportée, on arrêtera de me pourrir la vie ?

— On tient pas sur ses jambes ? se moque-t-il.

— Gngngn.

C’est totalement puéril et j’assume. Au moins, j’ai pu le faire rire. Avec sa capuche qui cache une partie de son visage, on dirait qu’il s’apprête à commettre un délit. Il reste muet, observant les alentours. Il cherche nos moindres failles pour mieux nous attaquer, Marion et moi.

Bon, je vais trop loin. Il faut vraiment que j’arrête de regarder les émissions de crimes. Il est certes un tueur, mais de livre. Enfin, je crois.

— Tu comptes épouser le sol ou c’est comment ?

Et tu veux te manger un poing dans ta gueule ? Peut-être pas très réaliste de ma part. Je doute de faire le poids face à lui. Plus grand, plus musclé, je suis un minuscule insecte à côté de lui. Même la main qu’il me tend pour me venir en aide est gigantesque par rapport à la mienne. Je l’ignore et me relève toute seule. Je n’ai pas besoin de son soutien, je ne suis plus une gamine !

Je range mes valises assez difficilement. Le coffre est déjà bien rempli avec les autres sacs. Je m’amuse à tout réagencer comme si je jouais au Tetris. Je me félicite et me retourne pour rejoindre ma place.

— Elle te plaît la vue ?

Il passe une main dans sa nuque et détourne le regard gêné d’avoir été pris sur le fait en train de fixer mon derrière. Sans rien ajouter de plus, il s’assoit sur le siège à l’avant pendant que je m’installe à l’arrière.

Nous venons officiellement d’embarquer pour un périple qui s’annonce riche en ambiance ! Lui qui est obnubilé par son téléphone, à croire que c’est une star, moi qui observe le paysage — pas si extraordinaire, juste des bâtiments à perte de vue — et entre nous, Marion qui se concentre pour rejoindre le péage.

— Alors, qu’est-ce qui vous amène à Pau ?

La conductrice brise le silence maintenant qu’elle est bien lancée sur l’autoroute.

— Je viens pour un stage, expliqué-je.

— Un stage de quoi ? me questionne-t-elle curieuse.

— De kiné.

Je ne m’attarde pas plus dans les justifications. Je vois à son coup d’œil dans ma direction qu’elle voudrait que je développe, mais je n’éprouve pas le besoin de m’étaler. Et je lui remercie de ne pas insister en me demandant des détails.

— Kiné, c’est pas pour ceux qui ont raté le concours de médecine, ça ? se moque le jeune homme.

Il rigole j’espère ? Il est qui pour juger ? Personne. Si des étudiants le choisissent par dépit, ils sont en droit. Mais il ne faut pas oublier que d’autres, et j’en fais partie, désirent exercer ce métier en première option. Déjà que la Première Année Commune aux Études de Santé (PACES) est un véritable calvaire, d’où des personnes qui ne l’ont pas expérimentée se permettent de critiquer alors qu’ils ne seraient pas capables de suivre ne serait-ce qu’un semestre ? Et pour avoir vécu toute une année, je ne conseille pas. C’est juste horrible et éprouvant. Plus rien n’existe pendant un an. Mon ordinateur est devenu mon meilleur ami. Les schémas et les formules, mes pires ennemis. Et des mois de révisions qui n’ont servi à rien pour me retrouver tétanisée devant ma copie aux côtés de six cents autres étudiants. Sans compter que le confinement n’a pas été un allié dans cette période. Un échec cuisant après avoir eu tout juste mon bac scientifique qui n’a pas privé ma tante de me rabaisser une nouvelle fois. J’ai bien hâte de lui prouver que malgré ces critiques incessantes, je pourrais bientôt lui montrer mon diplôme avec mention. Et je pourrais ainsi la faire taire, elle et l’idiot devant moi.

— Et toi, Martin ? ajoute Marion avant que je ne réplique.

— Pour jouer au hand.

Et il ose cracher sur les kinés ? Le culot en personne ! C’est un sportif, il devrait savoir que notre profession est essentielle pour lui et pourtant, il se permet de nous juger autant. Il fait tout pour que je l’insulte, ce n’est pas possible autrement. Je me mords la langue pour éviter une réflexion. Marion ne mérite pas d’être au centre des joutes alors qu’elle a la gentillesse de nous ramener à bon port.

Le silence emplit de nouveau l’habitacle. Martin ne détaille pas davantage ses raisons et Marion n’insiste pas, respectant son choix.

Si le handballeur se contente d’intervenir de temps en temps, il reste principalement concentré sur son portable. La discussion tourne donc autour de nous deux. Le temps s’est même écoulé rapidement sans que je pense une seule seconde aux cinq semaines qui m’attendent.

Je détourne mon attention lorsque mon téléphone vibre. Je pensais recevoir un message de Sofia qui n’a pas eu de mes nouvelles depuis la remarque de Martin. Je crois qu’elle s’inquiète de ce que j’ai pu faire du corps. Mais, il s’agit de mon père.

Papi t’attend à la gare, j’ai une réunion avec le hand.

Rentre bien.

Je soupire. Pourquoi au fond de moi, ne suis-je pas plus surprise que cela ? Pourquoi ai-je eu un peu d’espoir que pour une fois je passerai avant ce sport ? Peut-être parce qu’il ne m’avait pas vu depuis trois ans. Mais apparemment, niveau effort, il pourra revenir. Je conserve cette éternelle seconde place après un fichu sport de ballon. Bizarrement, la bonne humeur que Marion a su m’insuffler s’est envolée.

Je garde un semblant de sourire sur mon visage, même si à l’intérieur, mon cœur éclate en mille morceaux. Je laisser mon regard se perdre sur l’autoroute sans que je ne puisse me reconcentrer sur les paroles de la conductrice.

« Se préparer à être déçu est le meilleur moyen d’éviter toute déception. » J’aurais peut-être dû écouter les mots de MJ dans Spider-Man No Way Home. En suivant son précieux conseil, je me formaliserais moins de l’attitude distante de mon père.

J’observe de nouveau l’écran où le message est toujours visible. Je tape rapidement une réponse que je supprime aussitôt. Que pourrais-je bien envoyer de toute manière ? Merci de passer du temps avec ton unique fille ? Peut-être un peu trop direct. Et je ne suis pas certaine de vouloir me prendre la tête sur ce sujet alors que je ne suis pas encore entièrement arrivée à destination. Je n’ai pas la force pour ça. Je n’ai plus la motivation de rivaliser avec sa grande passion. Peut-être que petite, je trouvais le courage de me battre, mais aujourd’hui, j’ai accepté ma défaite. Jamais je ne gagnerais, à quoi bon persister ? Manger, dormir, respirer, vivre au rythme du hand, ce n’est tout bonnement pas pour moi. Pas faute d’essayer d’entrer dans ce monde, mais en vain. C’est l’équivalent de l’Enfer, sauf que je reste persuadée que le lieu serait plus agréable si j’y allais.

Marion poursuit sa discussion, seule. Elle ne se soucie pas de notre mutisme, elle se contente de garder son entrain. Je crois qu’elle tente de nous faire penser à autre chose. Si ça a bien fonctionné pour moi, Martin est concentré sur son écran, sa tête posée sur la vitre. Je me demande ce qui a pu se passer pour qu’il soit dans cet état. A-t-il aussi une relation quasi inexistante avec son père ? Je ne lui souhaite pas. Personne ne mérite d’être ignoré, même pas un assassin de livre.

Mon attention se focalise de nouveau sur la route. J’ai laissé mon père sans réponse. Il ne regardera pas son téléphone s’il est en réunion. Il ne la verrait qu’une fois rentré et que je serais déjà à la maison. Nous arrivons bientôt à destination. Je reconnais sans effort le Zénith, pour les concerts et les spectacles et le Palais des Sports, l’antre du Basket et plus exceptionnellement celui du Hand. Pourquoi tout revient forcément à ce sport ? Même Martin y joue et est ici pour cette raison ! À croire qu’il me hantera où que j’aille. Il m’a même suivi jusqu’à Barcelone, bien que j’aie réussi à le fuir. J’ai imaginé une seconde que l’homme devant moi évolue pour l’équipe de mon père, mais ce serait quand même improbable. Ou alors, avoir une véritable poisse. Quoique, vu cette journée, je ne compte plus trop me prononcer maintenant. De toute manière, à moins qu’on m’y traine, je ne risque pas d’assister au moindre match, donc notre route ne se croisera plus.

— Et voilà, bien arrivée à destination ! se félicite Marion.

La Gare de Pau se dresse devant moi. Elle est en rénovation, en plein changement pour m’accueillir. L’entrée principale est banalisée, ne laissant qu’un petit passage sur le côté pour les voyageurs. La conductrice se gare dans le parking désormais bien réduit avec les travaux. Une chance qu’elle ait trouvé une place vu le monde qui attend.

Dehors, je m’étire bien et bâille. Après cette longue journée, il n’y a rien de mieux ! Sauf peut-être mon confortable lit, entourée de mes chats.

— On garde contact ? nous propose Marion. On pourra venir encourager Martin et discuter ?

Si je ne vois pas d’inconvénient à la première partie, la seconde ne m’attire pas spécialement. Je veux bien passer une après-midi, une soirée avec elle, et pourquoi pas Martin, mais devant un match ? Je grimace pas convaincue. Mais je lui promets de réfléchir à la suggestion et si un moment de répit s’offre à moi, c’est avec plaisir de faire une sortie ensemble.

— Et toi Martin ?

Aucune réaction. Aucun regard dans notre direction. Il reste juste à l’écart, sa capuche sur la tête et son sac sur l’épaule.

— Merci, mais ça ira. Je compte pas rester moisir ici très longtemps.

Paye ta gentillesse ! Il pourrait être plus agréable envers Marion qui nous a ramenés jusqu’ici alors que rien ne l’y obligeait ! Et puis « moisir », ce n’est pas un peu violent comme terme ? D’accord, Pau n’est pas la plus belle ville, surtout depuis que j’ai vécu à Barcelone, mais quand même ! J’ai bien envie de lui poser des questions, mais la probabilité qu’il m’ignore semble très élevée au vu de son comportement.

Je regarde l’heure sur mon portable. Mon grand-père doit déjà être arrivé. Je décide de ne pas le faire attendre plus longtemps. Je salue une dernière fois Marion et je pars à la recherche de mon nouveau chauffeur. Pour le retrouver plus facilement, je pourrais l’appeler. Mais répondrait-il ? Certes, il détient un téléphone, mais les chances qu’il décroche restent bien minces. Je mettrais moins de temps en passant au peigne fin chaque voiture pour trouver la bonne.

Sans difficulté, pas trop loin du chemin qui mène à la gare, je reconnais celle de ma grand-mère. Elle doit donc faire partie du voyage. Je suis heureuse de pouvoir les voir. Je les adore et ils m’ont manqué. Mais faire les derniers kilomètres en leur compagnie s’annonce sportif. Je me prépare déjà mentalement pour les prochaines questions.

Je m’approche du véhicule. Mon grand-père est sorti, il observe les alentours à ma recherche. Il scrute le moindre touriste et je ne serais même pas étonnée s’il décidait d’aller en aborder un ou deux pour simplement bavarder. Après tout, il n’hésite pas à discuter avec des inconnus en plein repas dans un restaurant donc plus rien ne me surprend de sa part. Il détourne enfin son regard pour me découvrir. Un sourire étire son visage ridé et je peux déceler les dents manquantes. Je peux mettre ma main à couper que ma grand-mère a dû lui faire remarquer qu’il avait oublié son dentier non sans lui prendre la tête. Moi, je m’en fiche, tant qu’il se porte bien, c’est le principal.

Ma grand-mère ouvre la portière après un signe de son mari. La joie se peint sur sa figure et je ne peux m’empêcher de rire en la revoyant. Elle n’a pas changé. Même pour trajet aussi simple que sa maison à la gare où elle ne sort pas de la voiture, elle se sent obligée de se maquiller et de porter une parure de bijoux pour apparaître irréprochable. Je comprends dans un sens, j’aime bien aussi me faire une petite beauté, mais pas quand il s’agit d’un aller-retour ou d’aller acheter le pain. C’est peut-être un peu exagéré dans ces situations.

Oui, mais tu ne sais jamais sur qui tu vas tomber, me répétait-elle en boucle lorsque je me moquais d’elle plus jeune. Comme si je trouverais le prince charmant au bout de la rue ou dans les transports !

Je remarque que ses cheveux ne sont plus blonds. Elle a enfin arrêté les diverses colorations pour laisser place au gris naturel. Et ça lui va beaucoup mieux que ces fausses couleurs !

Je m’approche pour une accolade qu’elle ne refuse pas. Elle ne se prive pas pour m’embrasser et si je me regarde dans un miroir, je suis certaine que je pourrais découvrir sur mes joues les traces de son rouge à lèvres. Bien que je ne sois pas friande de cette attention, je la laisse faire exceptionnellement. Trois ans, c’est long. D’autant plus que je suis son unique petite-fille et qu’elle n’a jamais souhaitait me voir partir, surtout aussi loin.

— Que tu m’as manquée, ma chérie ! s’exclame-t-elle en me détaillant. T’es sûre de ne pas vouloir passer une nuit à la maison ? Tu sais, ça ne nous dérange vraiment pas ! Les portes seront toujours ouvertes pour toi !

Je le sais. Le meilleur endroit quand je ne désirais pas rester seule chez moi. Une simple demande à mes parents et j’y étais. Même à l’improviste, ils m’ont toujours accueillie sans jamais poser de question. Leur maison était mon refuge, mon jardin secret que je chérissais plus que tout. C’est certainement la chose qui m’a le plus manqué après mon départ pour l’Espagne. Je n’avais plus d’endroit où me sentir bien quand rien n’allait. Mais malgré mon envie, je décline l’offre. Je ne veux pas les déranger plus qu’il ne le faut, d’autant plus qu’ils sont déjà venus me chercher alors qu’ils n’avaient pas à le faire.

Mes valises en place, nous pouvons démarrer et mettre le cap vers Bordes. J’échange des banalités, j’explique ma vie dans la capitale catalane, à quel point je suis heureuse là-bas. Je sais que mes grands-parents me soutiennent et que mon bonheur l’emporte plus, mais je sais aussi qu’ils n’ont pas entièrement digéré cette décision. Ils ne peuvent pas. Pour eux, je reste la petite fille toute timide qui se contentait d’observer et d’analyser le monde en silence. Alors que je plaque tout, c’est inimaginable. Mais ils ont accepté, ils n’ont pas creusé le sujet. Ils savent que si je souhaite en parler, il ne faut pas me forcer et pour ça je les remercie intérieurement.

— Et alors, Pablo, tu nous le présentes quand ? finit par demander ma grand-mère.

Et voilà la question que je redoutais. Au moins, ce n’est pas « et les amours, c’est pour quand ? » ou d’autre variante que je haïssais au lycée et que je hais encore aujourd’hui. Pourquoi une telle obsession sur l’amour ?

Je suis trop moi.

Est-ce une raison pour rompre ? Et concrètement, ça signifie quoi ? Oui, je ne suis pas un top model comme on peut voir à la télévision, mais quand même. Je m’assume, je suis bien dans mon corps, n’est-ce pas le plus important ? C’est ce que je me suis toujours efforcée de croire. Je tiens à mes valeurs, je ne changerais pas pour un mec. Peut-être est-ce que c’est le sous-entendu de Pablo ? Remettre tout en question, je refuse. Je compte bien rester comme je suis. Je veux bien faire des concessions et lever du pied sur mes révisions pour passer plus de temps avec lui, mais sortir chaque week-end en boîte de nuit collée à des gens qui suent toute la soirée, ce n’est pas pour moi. Faire plus de sport pour rentrer dans un idéal standard que je n’attendrais pas, n’est pas non plus dans ma liste. Être moins introvertie, exprimer plus mes sentiments, c’est compliqué. Effectivement, je suis trop moi. Et je m’aime comme ça. Tant pis s’il n’a pas réussi à m’accepter tel que je suis. Il ne me méritait certainement pas.

— On est plus ensemble, réponds-je finalement.

Je ne me vois pas détailler les raisons. Je ne serais pas surprise qu’elle me dise qu’il n’a pas tort et que je devrais sortir plus souvent. Sauf que ça ne m’a jamais intéressé.

— C’est quand même bien dommage. Je pensais que j’allais enfin pouvoir rencontrer mes arrière-petits-enfants avant qu’il ne soit trop tard, renchérit ma grand-mère.

Je soupire bruyamment. Et voilà la réflexion que je déteste encore plus. Je refuse de m’aventurer sur ce sujet, car je connais très bien son opinion et nous ne serons jamais en accord. Pour elle, la réussite dans une vie est de donner naissance. Je grimace de dégoût. Je n’ai rien contre cette optique, mais bordel, je n’ai que vingt-et-un ans. Mes études ne sont pas terminées, pourquoi vouloir que je grandisse trop vite et désirer autant une descendance ?

Pour ne pas changer les habitudes, je me renferme dans une bulle de mutisme lorsqu’une discussion me déplaît et que je n’ose pas exprimer mon ressenti. Par peur. Peur d’aller trop loin dans les propos que je pense. Peur de perdre le contrôle. Mais surtout peur de décevoir.

J’ai toujours eu l’impression d’être un petit oiseau enfermé qui n’attendait que la liberté ici. Barcelone m’a permis de prendre mon envol. Alors pourquoi avec cette première journée en France, j’ai l’impression de revenir trois ans en arrière, comme si mon voyage ne m’avait pas changé ?

Résumé de ce retour : pire scénario possible.

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