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KiriaParker
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Chapitre 27 - Martin

Je lance un coup d’œil à mon téléphone. Aucune nouvelle d’Axelle depuis hier. J’ai essayé de la joindre, de lui parler, mais c’était comme si je n’existais plus. Et ça fait mal. Je savais que les conseils de Thibaut seraient idiots. Jamais il aurait pu y avoir un nous, alors comment ai-je pu espérer après ces derniers jours incroyables passés avec elle ?

Pendant le trajet, j’ai ouvert le roman. J’ai voulu l’avancer, sauf que mes yeux parcouraient les pages sans comprendre le sens des mots. Mon esprit était ailleurs. Les paroles d’Axelle résonnent encore en moi. Elles ont tourné en boucle toute cette nuit au point de m’empêcher de dormir correctement. Et si elle avait raison ? Et si je ne comptais pas autant que je le pensais ?

Je retourne à Montpellier, la ville qui m’a vue grandir. Je vais retrouver ma famille. Je vais rejouer avec mes coéquipiers. Que rêver de mieux ? Pourtant, la culpabilité me ronge. J’ai ce sentiment d’abandonner le club dans une impasse. Le regard déçu d’Axelle me hante. Elle a conscience de l’importance du match, mais elle est écœurée des événements. Comment pourrais-je lui en vouloir ?

Le voyage qui avait duré une éternité à l’aller s’est écoulé si vite aujourd’hui. J’ai à peine eu le temps de clignet des yeux que la gare de Montpellier me faisait déjà face. Loin des problèmes, tout s’est déroulé normalement. Pas de retard. Pas de train supprimé. Pas d’accident de livre. Rien. À croire que le destin a décidé de me sourire pour ce retour que j’ai tant anticipé.

— Bah alors, tu devrais te voir, tu tires une de ses têtes d’enterrement ! se moque Thibaut.

Mon meilleur ami m’attend devant la gare, sur l’un des bancs. Malgré sa taquinerie, je ne ressens rien. Je ne réponds pas. Même son accolade, je reste détaché.

— Triste d’avoir perdu l’amour de ta vie ?

Il continue. Il essaye de m’arracher une réaction ; un sourire, un soupir. Qu’importe tant que je sors de mon état passif. Pourtant, toutes ses tentatives sont vouées à l’échec. Je n’ai pas envie de parler, juste de rentrer, de me poser. Je n’ai même pas la force de mener une discussion avec Henry. Je redoute ces paroles ; qu’ils m’affirment les propos de Axelle. Je refuse cette perspective. N’être qu’un vulgaire pion ? C’est hors de question. Je ne veux pas de ce rôle. Je veux que l’on me considère comme un sportif professionnel, pas comme une personne maniable pour des raisons économiques qui me dépassent.

— Tu crois qu’Henry m’aurait envoyé en prêt qu’importe mon comportement ? finis-je par demander, brisant le silence dans la voiture.

— Comment ça ? Qu’est-ce que tu veux dire par-là ?

— D’après Axelle, mon petit passage à Nousty était plus un accord avec Henry pour apporter plus d’argent plus que pour me faire réfléchir à mes actes.

Thibaut ne quitte pas les yeux de la route, mais sa main qui resserre sa prise sur le volant me prouve qu’il songe à mes paroles. Il essaye d’assembler les éléments avec les détails que je lui donne. Pour lui, comme pour moi, Henry nous a offert cette chance. Il nous a porté jusqu’à l’équipe première quand peu de personnes ne compteraient sur des jeunes. Cette perspective apparaît invraisemblable.

— C’est une possibilité, mais j’ai du mal à y croire. Pourquoi avoir tant misé sur toi pour au final te sortir pour une raison si futile ? Ce n’est pas comme s’il avait un lien proche avec Nousty. Connaître le dirigeant n’est pas suffisant pour subvenir à leur finance, surtout de cette manière. C’est juste une coïncidence. Ton prêt a certainement dû être préparé en amont, mais pour te faire réfléchir. Ça a fonctionné, non, d’ailleurs ?

Je me tais, sans rien ajouter de plus. Thibaut ne m’aide pas. Il embrouille encore plus mes pensées. Tout se mélange. Mon esprit surchauffe. Ma tête se repose contre la fenêtre. Mes yeux se ferment pour en apprécier la fraîcheur.

— On a eu l’entraînement juste avant ton arrivée, donc t’es libre jusqu’à demain matin, commente le conducteur. Mais tu préfères rentrer directement chez toi ou que je te laisse au gymnase pour discuter avec Henry ?

— Maison, je verrais demain pour en apprendre plus.

Il acquiesce et suit le chemin entre la circulation de la ville. Le temps détonne de Pau. Le ciel gris et la pluie ont laissé place au soleil qui illumine la journée. Tout pour m’offrir un retour magnifique, pourtant mon cœur reste fade. Les couleurs ne veulent pas s’ajouter dans ce retour.

— T’inquiète pas, tout ira bien. T’es de retour, tu vas pouvoir montrer un nouveau visage, qu’est-ce qui peut être pire ?

— Apprendre que je ne compte pas plus que ça pour celui que je considère comme un père ?

— Arrête d’être pessimiste, c’est juste un quiproquo.

J’acquiesce sans grande conviction. Je préfère me préparer au pire, au moins, je ne pourrais pas être encore plus déçu. Enfin, je crois. Sinon, je n’ai pas de chance. Je ne vois pas d’autres solutions dans le cas contraire.

— Repose-toi bien, et te tracasse pas trop. On a besoin de toi au top pour dimanche.

Je récupère mes affaires. D’un geste de la main, je le salue avant de rejoindre l’immeuble. Mécaniquement, j’effectue les gestes comme si je n’étais jamais parti un mois. La porte s’ouvre. Je me dirige vers l’ascenseur. Il n’est pas question de monter les étages à pieds avec un sac. Mon doigt appuie sur le numéro quatre. Le lieu est calme. Je suis loin de la cohue qui arrivera un peu plus tard avec les sorties de cours et de travail. Je profite de ce silence agréable. Depuis ce matin, les bruits se mélangeaient sans jamais s’arrêter. Malgré la musique dans mes écouteurs, je percevais tout ce qui m’entourait. Rien pour arranger la migraine qui s’est pointée lors de mon trajet de Toulouse à Montpellier.

Je frappe à la porte. Avec un peu de chance, l’un de mes grands-parents n’est pas de sortie. Je n’ai pas envie de me retrouver seul. Pas maintenant.

J’inspire. J’expire. Je joue avec mes mains dans l’attente d’une réponse possible, d’un moindre mouvement. Tout espoir me quitte. Un sentiment de déception me gagne. Si j’ai conscience que ma mère aurait du mal à changer ses horaires, je pensais avoir de la compagnie. J’aurais très bien pu rester avec Thibaut. Sauf que j’ai besoin de voir ma famille. Du réconfort qu’elle peut m’apporter, que ce soit les petits plats de ma grand-mère qui sont de loin les meilleurs que j’ai mangés, les paroles de ma mère qui m’aide à réfléchir, ou les commentaires de mon grand-père qui remettent tout en cause.

Je m’apprête à faire demi-tour, rejoindre l’appartement que je partage avec ma mère, acceptant la solitude comme unique compagnie quand la porte s’ouvre. La silhouette de ma grand-mère s’en détache. Vêtue de son éternel tablier, aujourd’hui bleu, elle m’accueille, prête à me recevoir dans ses bras. Son sourire illumine son visage.

— Mon grand garçon ! s’exclame-t-elle alors que je m’abaisse pour être à sa hauteur. Mais ! Tu n’as rien mangé depuis ton départ ? C’est inadmissible ! Heureusement que je suis là, j’ai préparé des pancakes pour le goûter, t’arrives pile à l’heure !

Elle me tire les joues comme lorsque j’étais enfant. Je me laisse faire. J’apprécie de la revoir. Je lui dois beaucoup. Quand ma mère travaillait, c’est elle qui m’a élevé dès que nous sommes venus à Montpellier. Mes grands-parents ont quitté leur maison à Aix-en-Provence pour se rapprocher de nous, jusqu’à investir dans un appartement du même immeuble. C’était plus facile pour me garder sans faire des distances et au moindre problème, ils restaient à disposition. J’avais seulement quelques pas à effectuer pour passer de l’un à l’autre. C’est pour cette raison que je me suis dirigé chez eux, plus que dans celui de ma mère. Elle a sans doute des horaires horribles à la caisse, alors autant que je profite un peu de mes grands-parents, et me faire chouchouter pour oublier ces dernières vingt-quatre heures.

— Alors, c’était comment Pau ?

Mon grand-père, allongé sur le canapé, télévision allumée, lunette sur le nez et journal en main, n’a pas changé d’habitude. Toujours ainsi, le portable non loin même s’il ne sait pas s’en servir. On n’est pas à l’abri d’un appel important, prétexte-t-il. Sauf que pour que la raison soit acceptable, il faudrait qu’il sache décrocher le moment venu. Il me pose cette question après les retrouvailles.

— En tout cas, il n’a pas assez mangé ! Regarde-le, il a la peau sur les os ! souffle ma grand-mère en apportant la nourriture sur la table basse. À croire qu’il ne se faisait pas de repas là-bas !

Ce qui n’est pas entièrement faux. J’ai fait cuire des pâtes, mais je n’ai jamais été vraiment plus loin que les bases. Sinon, de temps en temps, j’ai mangé dans des restaurations rapides avec Arthur. Pas le top en tant que sportif professionnel, mais la motivation n’était pas là pour m’investir dans de délicieux repas. Et je dois avouer que je ne pensais pas rester plus longtemps que deux semaines au début, donc je ne me voyais pas m’engager dans des préparations gastronomiques.

— Ils ont raison de te faire revenir pour affronter Paris, les résultats sont moyens actuellement. Je sais pas comment ils ont fait pour se maintenir dans le top, commente mon grand-père.

— Parce que je ne suis pas si indispensable ?

La réponse ne plait pas, pourtant c’est la vérité. Je ne le suis pas. Personne ne l’est. On est tous remplaçables. La moindre erreur, la moindre blessure, la moindre sortie et nous n’existons plus. Ou, un simple accord entre deux clubs et on devient un pauvre pion.

— Vous savez à quelle heure finit maman ? questionné-je pour détourner le sujet.

— Elle a demandé à terminer tôt pour profiter de ton retour, m’apprend ma grand-mère. Elle ne devrait pas tarder d’ailleurs.

Un soulagement s’échappe de moi, heureux de savoir qu’elle sera là. Pour autant, la culpabilité ne part pas. Elle a dû échanger ses horaires pour pouvoir passer la soirée avec moi. Ou mon retour était déjà prévu en amont comme mon départ ? Henry a-t-il pu tout anticiper aussi minutieusement ? Le doute persiste. Je ne peux pas croire que tout était préparé, c’est beaucoup trop gros, mais en même temps, Axelle a raison : comment le train et l’appartement ont été réservés à la dernière seconde ? C’est impossible.

— Est-ce qu’elle en a marre de moi ? articulé-je en hésitant.

— Mon chou, pourquoi penses-tu ça ?

— Parce que je fais n’importe quoi ? Qu’à cause de moi elle a dû arrêter les études pour m’élever ? Que je ne suis qu’un cas désespéré ? Que rien ne va chez moi ?

— Ne dis pas de bêtises ! Elle t’aime plus que tout. Crois-tu vraiment qu’elle aurait fait ses sacrifices ?! rouspète mon grand-père. Elle est fière de toi, comme nous. Nous serons toujours là derrière toi, quoi que tu fasses. Même à l’autre bout, nous te soutiendrons. Et ta mère la première. Tu es important. Oui, t’es un gamin stupide qui veut prouver des choses à un père incapable d’assumer ses problèmes, mais t’es une personne en or. Tu te donnes à fond, alors ne doute pas de notre amour. Encore moins le sien !

Les larmes me montent aux yeux. Je me sens minable d’avoir pensé une seconde qu’ils m’en voulaient. Il est vrai que j’ai toujours cherché cette validation du côté de mon père, sans jamais me soucier du reste, alors que j’avais une famille, présente pour moi. Ils m’ont toujours tout donné pour que je suive ses traces malgré les réticences de ma grand-mère. Elle craignait que je disparaisse des radars, que je quitte tout du jour au lendemain. Sauf que je ne suis pas lui. J’assume mes erreurs, mes écarts. Je ne fuirais pas. J’ai accepté de partir à Nousty, avec difficulté, mais je l’ai fait. J’ai suivi les recommandations. Pourquoi ? Pour que je ne sois finalement qu’un vulgaire pion ? Alors je partirais oui, mais je n’abandonnerais pas. Je porterais le maillot tricolore et mon nom sera parmi les joueurs de légendes.

— C’est pas le moment de pleurer, attends d’être champion du monde pour ça ! s’exclame mon grand-père.

J’attrape un des pancakes. Je profite seulement de leur présence agréable qui me réchauffe le cœur. J’ai l’impression d’être encore plus perdu qu’à l’ordinaire. Dire que le voyage à Nousty ne m’a pas été bénéfique, ce serait mentir, pourtant, je ne peux que me demander si l’aventure à Montpellier vaut le coup d’être poursuivie si finalement je ne compte pas assez aux yeux de l’équipe.

— Je crois que c’est pour toi, m’annonce ma grand-mère quand quelqu’un frappe à la porte.

Ma mère. Une pointe d’appréhension me submerge. Et si le même scénario s’offrait à moi ? Et si au lieu de la voir, je découvre un des voisins qui auraient besoin d’aide ? Non. Ça ne peut pas arriver, pas une deuxième fois quand même.

Mes mains tremblent en déverrouillant la serrure. Je ne devrais pas avoir peur. Pourtant, je redoute son regard. Je ne peux m’empêcher de l’imaginer déçue. On a beau m’affirmer qu’elle est fière de moi, j’ai du mal à l’accepter. Je conserve cette sensation de lui avoir fait perdre des moments avec mon impulsivité lors des matchs.

La porte s’ouvre lentement. Trop. Comme si le temps se suspendait. De l’autre côté se tient ma mère, le visage éclairé d’un sourire chaleureux. Ses yeux brillent d’une douceur familière, malgré quelques cernes, et son expression est empreinte d’une tendresse inconditionnelle. Je suis soulagé de la voir derrière l’embrasure.

— J’espère que t’as passé un bon retour, me murmure-t-elle.

— C’est, c’est compliqué, avoué-je avec difficulté.

Elle incline la tête, mais n’insiste pas plus. Je me confierais lorsque je me sentirais prêt. Je préfère profiter pour l’instant d’être avec la famille réunie et en discuter avec elle plus tard. Comme ma grand-mère, elle m’accueille dans ses bras et je redeviens un enfant.

Je me demande pourquoi je mérite autant leur attention quand je leur causais régulièrement des problèmes avec mon comportement. Et pourtant, jamais ils ne m’ont abandonné. Ils sont restés avec moi, m’aidant et m’apportant même leur soutien de loin.

— Et alors, tu nous as pas ramené une fille ? interroge ma grand-mère une fois qu’on est tous installés dans le salon.

Je crache dans mon verre d’eau sous la surprise. Elle attend avec impatience le jour où je lui présenterai quelqu’un. Juste pour être certaine que je ne serais pas seul. Surtout si je change de club.

Mon esprit divague vers Axelle. Je ne peux m’empêcher de me demander comment se déroulerait la rencontre. Incroyablement bien. Je n’en doute pas. Elle serait chouchoutée par ma mère et ma grand-mère. Elle échangerait sur les études avec mon grand-père et certainement sur Barcelone. Elle trouverait sa place sans jugement. Elle s’y plairait.

— J’espère au moins que vous vous êtes protégés ! comment mon grand-père. T’es encore trop jeune pour élever un gosse, c’est limite si tu sais te gérer tout seul.

C’est bien la dernière chose que je voulais entendre. Mes joues rougissent de gêne. J’aimerais bien me transformer en petite souris et m’échapper loin de cette discussion. Ma mère rigole tout en gardant un œil sur moi. Elle sait très bien que quelque chose s’est passé. Je peux lire sans difficulté dans son regard ces mots silencieux : « quelle bêtise t’as encore faite ? ». Sauf que je n’ai rien fait !

Mon portable vibre. Parfait pour détourner mon attention de la discussion et avoir une excuse pour ne pas y répondre. L’espoir de recevoir un message d’Axelle s’empare de moi et je me presse d’ouvrir le message. Pourtant, l’écran m’annonce une notification que je ne pensais jamais recevoir. Je me fige devant l’expéditeur. C’est bien la dernière personne dont j’attendais des nouvelles. Je plisse les yeux pour être certains des mots que je lis. Je n’en reviens pas. Je ne peux pas y croire. Je serre les poings. Je ravale ma salive, peu certain de ce que je viens de voir.

— Tu savais qu’il était à Montpellier ?

La surprise passée, je ne peux m’empêcher d’interroger ma mère. A-t-elle été mise au courant ? Pourquoi serait-il ici ? Est-ce un simple hasard ? Ou est-ce une caméra cachée ?

— Qui ? répond ma mère perdue par mon ton vide d’émotion.

— Papa.

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