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KainArgent
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Chapitre 1

Millie

Silence, paix, intimité.

Ce sont les trois choses dont j’ai besoin pour respirer. Pas des envies passagères, mais des fondations. Elles ont toujours été là, ancrées en moi, bien avant que je comprenne pourquoi elles comptaient autant. Ce sont mes refuges. Mes repères. Les seules certitudes sur lesquelles je m’appuie quand tout vacille. Parmi mes amis – ou plutôt, les gens que je côtoie – je suis celle qu’on oublie souvent de nommer. Discrète. Calme. On me colle vite l’étiquette de la fille timide, simple, un peu effacée. Et je ne lutte pas contre ça. Je me tiens volontairement en retrait, comme si mon existence devait s’effacer pour mieux se protéger. Je n’ai jamais aimé attirer les regards. Mon style passe inaperçu, ma vie aussi, aux yeux de certains. On me dit parfois que je manque de relief, que je ne brillerai jamais. Mais ces mots glissent sur moi. Comme de l’eau sur une pierre. Peut-être qu’ils laissent une trace, un frisson, une larme parfois… mais jamais assez pour me briser.

Ils ne savent rien de ce qui se passe à l’intérieur. Rien de la tempête contenue derrière mes silences. Rien de cette force tranquille que je cultive à force de solitude choisie. Leur opinion ne m’atteint pas vraiment. Elle flotte autour de moi sans jamais pénétrer ce que je suis. Et ce que je suis, même moi, j’apprends encore à essayer  de comprendre.

Et puis l’université a commencé.
Et sans que je m’en rende compte, ça a tout changé.

Au début, je me disais que ce serait juste une étape. Un lieu comme un autre, avec des amphis, des visages inconnus, un peu plus de liberté, un peu plus de stress. Mais en vrai, c’est plus tordu que ça L’université , c’est pas juste un endroit où t’apprends des choses. C’est un endroit qui te transforme. Parfois pour de bon, parfois pas. Tout va vite ici. Trop vite. Les gens se croisent, s’accrochent, se lâchent. Ça rigole fort, ça sort tous les soirs, ça s’envoie des textos à deux heures du mat’ pour se dire t’es où ? Et si tu suis pas le rythme, t’as l’impression de passer à côté de quelque chose, même si tu sais pas trop quoi.

C’est étrange, parce que tout paraît normal : les soirées, l’alcool, les histoires qui commencent et s’éteignent en deux jours. Mais en grattant un peu, tu vois que beaucoup de gens sont perdus. Ils cherchent un truc à quoi se raccrocher. Être  aimé,  exister, et oublier ce qu’ils ressentent vraiment. Alors ils s’étourdissent. Moi y compris, parfois. Je pensais que je tiendrais la distance, que je resterais fidèle à qui je suis. Mais c’est compliqué. Parce que t’as envie de faire partie du mouvement, de pas être la seule à dire nonà rentrer tôt, à rester sobre. Et puis t’as peur, aussi. De devenir transparente. D’être oubliée. C’est pas que je suis contre les autres. C’est juste que je ne me reconnais pas dans cette espèce de frénésie. J’ai besoin de calme, de vérité. Mais ici, c’est pas ça qu’on te donne. Ici, on t’apprend à faire semblant. À sourire quand t’es pas bien. À dire que tout va quand rien ne va.

Et à force, je ne sais pas trop si je m’adapte ou si je me perds. 

Mais bon, faut voir le bon côté des choses.
L’université, ça m’a au moins permis de rencontrer mes premières vraies amies.
Les seules, en fait. Lia et Mia. Les jumelles. Inséparables. La première fois qu’on s’est croisées, j’étais un peu paumée. Je les confondais tout le temps, ce qui les faisait rire, mais moi j’étais mal à l’aise. J’avais l’impression de passer à côté de quelque chose d’évident, comme si je n’avais pas le mode d’emploi.

Elles, elles n’ont jamais eu de mal à s’adapter. Franchement, c’était presque fascinant à regarder. Dès le premier jour — on est arrivées en même temps — elles ont trouvé leur place, naturellement, comme si l’université les attendait. Elles parlaient à tout le monde, se fondant dans l’ambiance avec une fluidité que je ne comprenais pas. Moi, à côté, j’étais figée.

J’ai mis du temps à les approcher vraiment.
L’anxiété sociale, ça ne se voit pas toujours, mais ça complique tout. Chaque interaction devient un effort, une épreuve mentale que les autres n’imaginent même pas. J’avais l’impression de marcher sur des œufs en permanence. Elles, non. Elles naviguaient dans cet univers comme si elles avaient toujours su comment ça fonctionnait.

Et malgré tout, elles m’ont accueillie.
Sans m’interroger, sans me forcer. Juste… là. Avec cette présence douce, un peu brute aussi, qui m’a donné envie de rester. Un truc simple, presque instinctif. Parfois, je me demande encore pourquoi ça a marché entre nous. Comment on a pu se rapprocher aussi vite alors qu’elles incarnent tout ce que je ne suis pas. Elles attirent les regards. Elles savent parler fort, rire sans retenue, exister sans s’excuser. À côté d’elles, je me sens floue. Trop discrète. Pas assez jolie. Pas assez tout, en fait.

À mes yeux, elles sont presque irréelles. Deux déesses tombées sur terre, brillantes, sûres d’elles, indéchiffrables. Leur énergie déborde quand la mienne s’épuise à force de retenue. Là où elles s’imposent dans la lumière, je choisis toujours l’ombre. Et pourtant… ça tient. Je ne sais pas pourquoi, ni comment. Mais quelque chose nous relie. Un équilibre étrange, fragile, mais nécessaire. Comme si, malgré nos différences, on s’était reconnues quelque part.

On n’est que des étudiantes de première année.
Encore un peu paumées dans ce campus trop grand, où tout le monde a l’air de savoir ce qu’il fait. Mais quand je regarde Lia et Mia, j’ai l’impression qu’elles ont toujours appartenu à ce monde-là. Elles se déplacent comme si elles en connaissaient déjà tous les codes. Leur aisance me dépasse. Elles parlent facilement, rient fort, s’adaptent à tout. Moi, je reste souvent en retrait, plus à l’aise dans le silence que dans les conversations de groupe. On fonctionne à l’opposé. Et c’est justement ça qui me surprend. Parce que malgré tout, il y a quelque chose entre nous. Une forme d’équilibre. Comme si nos différences ne s'annulent pas, mais se complètent. Leur lumière ne m’écrase pas. Elle me réchauffe un peu. Et peut-être que, sans vraiment le dire, on se choisit chaque jour pour ça.

— Millie, tu m’écoutes au moins ?
La voix de Mia me ramène à la réalité.

— Hein ? Pardon.
Je relève la tête vers elle. Elle est juste là, penchée au-dessus de moi, une main posée sur la hanche. Son regard bleu me traverse, avec cette pointe d’agacement qu’elle n’essaie même pas de cacher.

Je mets quelques secondes à reconnecter. J’étais ailleurs. Ça m’arrive souvent quand je suis fatiguée, ou juste dépassée par le bruit autour. 

Lia et Mia sont d’une beauté qu’on remarque tout de suite. Presque irréelle. Lia, c’est la grâce froide : grande, fine, peau claire, cheveux blonds, yeux transparents. Elle a ce genre de présence qui rend les autres un peu flous autour. Mia, elle, a gardé les mêmes traits, mais elle s’est teint les cheveux en rouge — un rouge franc, assumé –, qui la rend tout de suite plus électrique. Elles se ressemblent presque trop. Il faut les observer longtemps pour capter les différences : la posture, les expressions, le rythme avec lequel elles parlent. Sans la couleur de cheveux, je me tromperais encore.

— Tu vois ? Je t’avais dit qu’elle n’écoutait pas, lâche Lia sans lever les yeux, concentrée sur ses ongles qu’elle lime avec une précision presque maniaque.

Je cligne des yeux, un peu paumée. La culpabilité me prend d’un coup. J’étais encore ailleurs, à moitié déconnectée de leur conversation. Ça m’arrive trop souvent.

— Désolée… Tu parlais de quoi déjà ?
Ma voix est hésitante. J’essaie de raccrocher les wagons, mais Mia me répond juste avec un soupir et un regard vers le plafond, comme si c’était une habitude.

Lia, elle, ne relève même pas. Toujours plongée dans son petit rituel. Elle a ce talent d’être physiquement présente, mais mentalement ailleurs.

— Je disais qu’il y a une fête demain soir. On devrait y aller toutes les trois, dit Mia, déjà emballée par l’idée. Elle passe la main dans ses cheveux rouges qui bougent comme dans une pub.

— Je pense pas pouvoir, les filles. J’ai des trucs à bosser.

Je le dis doucement, presque en m’excusant.

— On a tous des trucs à bosser, Millie. Mais toi, on dirait que t’es en prépa H24, répond Lia avec un petit sourire en coin.

Son ton est taquin, mais je sens bien le fond.

— Sérieusement, qui bosse autant à la fac ? enchaîne Mia, en haussant les sourcils.

Je les regarde. Elles ne sont pas méchantes, juste… dans un autre rythme que le mien. Et parfois, ça me met un peu à l’écart. Même si je sais qu’elles ne le font pas exprès.

— Moi, j’étudie comme ça, à la fac, dis-je en désignant vaguement les feuilles éparpillées devant moi. Mon ton sonne un peu plus sec que prévu. Défensive, forcément.

Mia soupire et lève les yeux au ciel. Un geste tellement habituel chez elle que je pourrais presque le chronométrer.

— Ça veut pas dire que t’as pas le droit de t’amuser un peu, Millie.

— On ira. Que tu le veuilles ou non, tranche-t-elle, avec ce ton qui ne laisse jamais vraiment place à la discussion. Tu bosses aujourd’hui, on bosse toutes aujourd’hui si tu veux. Mais demain soir, y’a une fête. Et ça, c’est non négociable.

Elle attrape son agenda et me le brandit comme une preuve irréfutable. La date est encerclée en rouge, entourée de petits cœurs. J’ai un micro soupir intérieur.

— Mia… Les soirées étudiantes, c’est pas non plus des rendez-vous officiels, glisse Lia sans lever les yeux de son magazine, un sourire en coin aux lèvres.

Je me retiens de répondre. Je sais que je suis en train de perdre ce débat. Et franchement, je n’ai pas l’énergie de les convaincre du contraire.

— C’est devenu une tradition, Lia. Ne casse pas l’ambiance avec tes remarques, rétorque Mia, moqueuse. De toute façon, l’objectif, c’est surtout de traîner notre chère Miss Pure et Innocente jusqu’à la piste de danse.

Je sens mes joues chauffer. Je déteste ce surnom.

— Ne m’appelle pas comme ça.

Ma voix est plus basse que je le voudrais, mais ferme. Pas assez pour la faire taire, juste assez pour qu’elle comprenne que ça me touche.

— Oui, ne l’appelle pas comme ça, ajoute Lia, sa voix toujours douce, mais avec cette pointe d’ironie dont elle ne se défait jamais.

— Sérieux ? Toi, t’as pas arrêté de la surnommer la Vierge Marie pendant tout le semestre, réplique Mia, visiblement à bout, bras croisés, tête secouée comme si elle ne comprenait plus le monde.

Lia lève les yeux au ciel et pousse un soupir dramatique.
— OK, bon… On va dire que j’ai grandi depuis.

Je roule un peu des yeux, mais je laisse passer. Je sais très bien que dans cinq minutes, elle me ressortira le même surnom. C’est un jeu entre elles deux. Elles aiment me taquiner sur ça, sur le fait que j’ai décidé d’attendre. Pas pour faire la morale à qui que ce soit, mais parce que… je ressens les choses autrement. Plus lentement. Plus profondément aussi, peut-être.

Alors je le répète, encore une fois, comme un mantra un peu fragile :

— J’ai juste envie d’attendre le bon moment. Et pour moi, ce moment, ce sera quand je me sentirai prête. Peut-être après le mariage, peut-être pas. J’en sais rien. Je veux juste que ce soit vrai.

Un silence suit, un peu théâtral. Puis elles poussent ce long gémissement en chœur, exagéré comme si je venais d’annoncer que je comptais vivre dans un monastère jusqu’à mes 80 ans.

— Arghhh, t’es désespérante, gémit Mia, en basculant la tête en arrière contre le dossier du canapé.

Je souris. Une partie de moi se sent encore un peu rougie, mais l’autre profite de la diversion. Alors je me redresse un peu, calée entre les coussins trop mous du canapé, et je lance d’un ton faussement concentré :

— Bon… Vous disiez qu’on devait étudier, non ?

Elles échangent un regard. Le genre de regard silencieux entre sœurs qui veut tout dire. Fatigue, résignation, affection. Puis, sans protester davantage, Lia s’affale à côté de moi.

— Très bien. Allons-y, soupire-t-elle.

Mia grogne, mais s’installe à son tour, en traînant les pieds comme si on allait la torturer.

Les manuels s’ouvrent, les stabilos claquent sur la table, les pages se tournent. Et doucement, presque sans qu’on s’en rende compte, l’agitation retombe. Le bruit de la ville s’efface derrière les vitres, et l’appartement se remplit d’un calme studieux.

Un calme que j’apprécie. Un calme dans lequel je me sens pour une fois, un peu à ma place.

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