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KainArgent
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Chapitre 4

22h plus tard.

Je crois que c’est la première fois que je ressens un tel vide dans la pièce. Un silence presque physique, comme un poids qui s’est abattu sur nous dès que Mia a claqué la porte hier soir. Et depuis… plus rien. Elle nous évite. Elle s’est enfermée dans son dortoir et ne parle plus à personne. Pas un mot, pas un regard. Même Silver, sa colocataire, n’a pas réussi à franchir le seuil.

Silver est d’ailleurs là, assise sur mon lit, les bras croisés et les lèvres pincées dans une moue agacée. Je sens son exaspération rayonner jusqu’à moi. Elle n’a rien dit, mais son silence est aussi accusateur qu’un discours. Je lui jette un regard à la dérobée, puis un autre à Lia, un peu plus appuyé. Elle comprend le message. Elle soupire — un soupir lourd, usé — puis se lève pour aller s’asseoir à côté de Silver et tenter de désamorcer la tension.

Je n’écoute pas vraiment leur échange. Je suis ailleurs. Je repense encore à la scène d’hier, aux mots échappés trop vite, à notre inquiétude maladroite, à ce fichu besoin de vouloir la protéger sans jamais vraiment lui demander ce qu’elle ressentait, elle. Et surtout, à ce nom. Ce type. Celui qui fait planer une ombre sur tout depuis qu’elle l’a évoqué. Ce gars qu’on connaît à peine, mais dont on a entendu suffisamment de choses pour que ça nous retourne l’estomac.

Il bosse pour une organisation criminelle. Pas une de celles dont on parle dans les journaux, pas une mafia codifiée avec ses costumes noirs et ses pactes de sang — non, un réseau souterrain, sans nom, sans visage. Juste une rumeur constante, menaçante. Il aurait des morts sur la conscience. Il serait impliqué dans des opérations de représailles, des exécutions ciblées, des disparitions non élucidées. On dit qu’il n’est pas un simple pion. Qu’il agit de son propre chef. Qu’il a construit sa réputation dans la violence organisée comme d’autres construisent une carrière, méthodiquement, sans failles. Et Mia… elle dit qu’elle le comprend. Qu’il est plus que ça.

Je me lève sans un mot. L’idée d’attendre encore une heure de plus à tourner autour de notre culpabilité me donne la nausée.

Devant sa porte, je m’arrête. Comme je m’y attendais, elle est toujours verrouillée. Je lève le poing et frappe deux fois.

— Mia ?

Ma voix est douce, mais elle tremble. Je n’aime pas supplier, mais pour elle, je le ferai. Encore et encore.

Pas de réponse.

Je tente de nouveau.

— Écoute… on est désolées, d’accord ? On ne voulait pas te blesser. On s’y est probablement mal prises. Non, pas probablement – c’est sûr –. Mais c’est venu d’un bon endroit.

Toujours aucun son de l’autre côté.

Je pose ma paume à plat contre la porte. Le contact est froid.

— Allez, Mia… Je frappe à nouveau, un peu plus fort cette fois, le cœur cognant dans ma poitrine. Tu nous manques. Ce n’est pas pareil sans toi ici. L’ambiance est morne, Silver est sur le point d’exploser, Lia fait semblant que tout va bien mais elle dort à peine. Et moi, je me sens vide. Alors je t’en prie… sors.

Je retiens mon souffle. J’écoute. J’espère.

Rien.

Puis, un bruit feutré. Des pas. Le léger crissement du plancher. Mon cœur s’emballe.

La voix de Mia s’élève, étouffée par la porte, mais distincte, méfiante, presque douloureuse :

— Tu promets de ne plus jamais critiquer mes sentiments ? De ne plus insinuer que je fais une erreur ou que mes émotions sont moins valables que les vôtres ?

Je ferme les yeux un instant. Je pèse chaque mot.

— Je te le promets. On ne t’imposera plus notre façon d’aimer, ni nos peurs. On ne validera peut-être pas tout, Mia, mais… ce n’est pas notre rôle. C’est ta vie. Ton choix. Et ton cœur.

Un court silence. Puis le loquet tourne.

Un nouveau silence s’installe. Il dure quelques secondes, longues comme des minutes. Puis la poignée tourne lentement, avec cette hésitation presque douloureuse qui me serre la poitrine. La porte s’ouvre. Mia est là, les bras croisés sur son sweat trop grand, les yeux un peu brillants, mais son visage est calme. Défensif, oui – mais pas fermé –.

Je fais un pas en avant, le cœur battant un peu trop fort.

— Tu nous as manqué… je murmure, la voix plus fragile que je ne voudrais l’admettre. J’accompagne mes mots d’un petit sourire désolé, une moue mi-pitoyable, mi-sincère.

— Vous aussi, souffle-t-elle, un sourire timide aux lèvres.

Ses épaules se relâchent à peine. C’est subtil, mais je le remarque. Une tension qui se dissipe. Pas entièrement, mais assez pour que je me sente capable de respirer à nouveau.

Silver, qui n’a rien manqué de la scène depuis l’autre bout de la pièce, bondit aussitôt du lit. Elle traverse la chambre à grandes enjambées et se jette littéralement dans le dortoir de Mia.

— ¡Por fin, coño! s’exclame-t-elle en espagnol, avant de marmonner toute une série de jurons incompréhensibles.

Je souris malgré moi. Silver est imprévisible, parfois bruyante, toujours intense. Elle n’est pas vraiment dans notre trio – elle traîne avec d’autres groupes, vit sa vie avec une distance presque élégante par rapport à nos drames constants – mais là, je vois bien qu’elle s’inquiétait. Vraiment.

Mia finit par se tourner vers nous, un peu gauche, un peu gênée.

— Je suis désolée pour ce que j’ai dit tout à l’heure… dit-elle, sa voix sincère, presque enfantine dans sa vulnérabilité. Je ne pensais pas… enfin, je ne voulais pas que ça sorte comme ça.

Lia s’avance et lui adresse un sourire doux, apaisant, presque maternel.

— Ce n’est pas grave, Mia. On était toutes à cran. On a dérapé, c’est derrière nous maintenant.

Je m’avance aussi un peu plus lentement. Je ne veux pas l’écraser sous une vague de gentillesse forcée. Mais je tiens à dire ce que j’ai à dire.

— Ce n’est pas rien, Mia. Ce qu’on a dit, ce que tu as dit. On ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. Je pense juste… qu’on ne devrait pas utiliser nos secrets les unes contre les autres. Pas comme ça. Pas comme des armes.

Elle baisse les yeux, hoche la tête lentement.

— Tu as raison. C’était bas. J’ai paniqué, j’ai voulu frapper là où ça faisait mal. Je suis désolée.

Elle lève à nouveau les yeux vers nous. Il y a une sincérité presque désarmante dans son regard. Un mélange de force et de peur. Comme si elle savait qu’elle aimait quelqu’un de dangereux, mais qu’elle avait décidé d’ouvrir les bras quand même.

Je la comprends un peu plus à cet instant. Juste un peu.

— Alors ? Soirée ce soir ? propose Lia, l’enthousiasme soudain dans sa voix, comme un projecteur braqué sur une scène fragile. Elle joint ses mains comme pour conjurer la tension, et je lève immédiatement les yeux au ciel.

Je prie mentalement pour que Mia refuse. Je me dis qu’après une journée pareille, elle n’aura sûrement pas l’énergie. Mais elle me prend de court.

— Allons-y, dit-elle simplement, et un petit sourire s’invite au coin de sa bouche. Pas un sourire naïf. Un sourire décidé. Presque... inquiet. Mais décidé.

Je soupire en exagérant, comme pour alléger l’atmosphère.

— Oh non, pitié… on va encore finir à danser sur une table pendant que tu cries sur des gens qui ne t’ont rien fait…

Mais Lia n’a aucune intention de me laisser décliner. Elle attrape ma main sans attendre, un éclat joueur dans les yeux.

— Pas de retour en arrière, murmure-t-elle.

Et elle m’entraîne hors de la pièce.

En chemin, je jette un dernier regard à Mia. Elle ferme doucement la porte de son dortoir, puis nous suit. Silencieuse, mais présente. Et dans ses yeux, juste un instant, je crois voir une ombre. Pas de celles qui font peur. De celles qui disent : je ne vous ai pas tout dit. Et je ne sais pas si je le ferai un jour.

Mais ce soir, on danse.

Et demain… on verra.

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