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4 - Chapitre 3 - 24 heures
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Chapitre 1- 72 heures

-Vous allez vivre les pires 72 heures de votre vie. On estime que 20 % d'entre vous abandonneront au cours des prochaines 24 heures, et 30 % dans les 48 heures qui suivront, nous annonce Anthony, le chef de service.

Il est l'un des meilleurs chirurgiens en traumatologie de toute l'Europe. J'ai choisi cet hôpital pour mes études grâce à lui. Je voulais que ce soit lui qui m'enseigne la traumatologie. Son visage est marqué par la fatigue, et les bips incessants de chaque machine résonnent autour de nous comme un minuteur prêt à exploser au moindre faux pas.

Anthony n'est pas quelqu'un d'impressionnant par son physique. Il est grand, c'est indéniable, avec une musculature naturelle qui laisse penser qu'il arrive à trouver le temps de faire du sport en dehors du travail. Ses cheveux clairsemés, mélange de blond et de roux, ainsi que sa barbe non entretenue, lui donnent un certain charisme. Des rides commencent à apparaître au coin de ses yeux et de ses lèvres fines. Sa blouse bleu foncé rappelle l'importance qu'il a dans cet hôpital : notre supérieur, mais aussi le chirurgien le plus demandé du pays.

Je suis fascinée par sa polyvalence. Malgré son emploi du temps surchargé, il trouve le temps de former des jeunes médecins avides de connaître ne serait-ce qu'un tiers de son talent.

-Dormez, mangez et allez aux toilettes dès que vous le pouvez. 50 % d'entre vous ne seront plus là dans 48 heures. Alors évitez les copinages.

L'une des premières règles qu'on nous apprend au début de l'internat, c'est celle-ci : pas de copinages. La raison est simple : chaque jour, au moins un interne abandonne ses études de médecine. C'est un fait qui ne m'impressionne pas. Quand je regarde les élèves autour de moi, je peux déjà deviner qui partira.

Certains tremblent déjà, à deux doigts de vomir de stress. Mais méfiez-vous aussi de ceux qui ont l'air trop sûrs d'eux : ce sont les plus dangereux, les premiers à être virés pour faute grave. Ici, ce n'est pas acceptable : nous avons des vies entre les mains. En prendre conscience est la première étape.

-La traumatologie n'est pas faite pour les personnes saines d'esprit. Vous verrez des horreurs qui vous feront perdre le sommeil.

Mais quand votre vie a toujours été pleine d'horreurs, la traumatologie devient une évidence. La vue du sang, des organes étalés, des blessures béantes... tout cela ne me fait pas peur. Je fais partie de ceux qui sont capables de manger leur meilleur repas devant une opération captivante. On m'a souvent regardée comme une folle, sans cœur, sans âme. Pourtant, je suis sortie major de ma promotion.

Car c'est ainsi que j'ai appris : la chirurgie doit être une passion dévorante si vous voulez exceller. Mais je ne veux pas juste être douée. Je veux être la meilleure. Que mon nom soit cité pour ses prouesses.

-Oui, mademoiselle ? demande Anthony, alors qu'une fille lève la main.

-Je peux partir ? lui demande la jeune blonde, tremblante comme une feuille.

-Au revoir, mademoiselle, lui répond-il. Voilà l'exemple type. Tous ceux qui ne se sentent pas capables d'être ici doivent partir maintenant. Je n'ai pas de temps à perdre à former des internes qui ne sont pas capables de regarder la mort en face.

La mort, je l'avais déjà vue. Elle m'avait élevée, elle m'avait pris ma raison d'être, emportant avec elle ma joie, mon innocence et tout ce que je possédais. La mort est une libération que certains ne méritent pas, une échappatoire trop facile pour les monstres qui peuplent cette planète.

J'ai toujours été intéressée par la médecine. J'ai appris par cœur des tonnes de pratiques rares. Mon livre de chevet a toujours été un manuel de chirurgie. Et cet homme, aujourd'hui mon mentor, a vu des cas extrêmement rares.

Pour moi, le plus impressionnant reste le syndrome de la fracture de l'échelle en cascade : un cas mortellement rare où les fractures sont si nombreuses et graves que chaque respiration tue le patient à petit feu. Mais Anthony a réussi à sauver un patient dans ce cas. C'est, selon moi, sa plus belle réussite. Il sait réagir vite et avec précision.

-Vous partez aussi, jeune fille ? me dit-il, alors que je lève la main.

-Elle s'est trompée, la pédiatrie, c'est au deuxième étage, rigole un jeune homme.

Pas besoin qu'il me dise son nom : il ressemble comme deux gouttes d'eau à son père, le plus grand chirurgien plastique du pays, le docteur Beaumont.

Il prend un air supérieur, probablement parce que tout le monde connaît son père. Mais à voir la prestance qu'il cherche à se donner, il n'a même pas un quart de son talent. Le fils de l'ombre. Deux jeunes hommes à ses côtés rient avec lui. Je préfère ignorer leurs allusions misogynes, j'en ai l'habitude. Une femme qui se spécialise en traumatologie, c'est rare. Pour preuve, nous sommes seulement cinq sur un groupe de vingt, et l'une d'entre elles est déjà partie.

-Vos gueules, leur dit Anthony sans aucun tact.

Les sourcils froncés, il laisse clairement voir qu'il déteste ce genre de comportement enfantin. Il ne lui fera pas de cadeau, bien qu'il connaisse sûrement son père et son prestige. Les chirurgiens en traumatologie ont une réputation bien forgée : ce ne sont pas des tendres. Ils voient plus d'horreurs que tous les autres, beaucoup partent soigner les blessés de guerre ou travailler dans des zones à haut risque. La rumeur dit qu'il faut manquer d'une case pour faire carrière dans ce domaine.

Avec tous les coups que j'ai pris, j'ai probablement perdu plus d'une case.

Son visage s'adoucit devant moi et il me fait signe de parler.

-J'ai une question.

-On vous écoute.

-Vous avez dit qu'on verrait des horreurs qui nous feraient perdre le sommeil. Qu'est-ce qui vous a fait perdre le vôtre ?

Ma voix est pleine d'intérêt, mon regard désireux d'apprendre.

-Certains pensent que c'est de voir des hommes ou des femmes empalés, ou avec des membres coupés. Mais ne vous méprenez pas, c'est la partie la plus intéressante. Ce qui vous fera perdre le sommeil, c'est la tristesse et la violence des réactions des proches des victimes d'accidents sordides.

Je bois ses paroles. Il a plus de savoir que quiconque. Je suis captivée. Son timbre de voix est clair, il ne tremble pas, et son assurance me fascine. Je suis encore plus motivée à l'idée de ne pas dormir pendant 72 heures. C'est la vie que j'ai choisie de mener : le sommeil n'est pas primordial quand des vies sont en jeu. Je donnerai corps et âme pour pratiquer ce métier qui me passionne et me rend vivante.

-Bien, si personne d'autre ne veut quitter le navire, suivez-moi.

Il fait demi-tour, scrutant sa montre rapidement. Son vibreur est accroché à la poche de sa blouse, à côté d'un stylo et d'une broche où est suspendue une alliance. Il est la preuve vivante que vie de famille et traumatologie peuvent coexister. Je me demande bien qui peut être sa femme. Elle doit forcément être du métier aussi.

Tout le groupe le suit d'un pas rapide et décidé. Certains traînent légèrement et semblent perdre leur motivation, ainsi que la raison pour laquelle ils sont ici. Je les entends murmurer :

- Il est malade, ce type.

- Il veut nous faire abandonner, c'est sûr.

- S'il croit qu'il va me faire peur...

J'aperçois les urgences derrière deux grandes portes ornées de hublots semblables à ceux des avions. Il nous fait entrer dans une petite pièce juste avant. Plusieurs tables sont installées avec des kits de suture et des peaux synthétiques. Il va nous tester sur l'un des domaines que je maîtrise le mieux. Un sourire empli de fierté étire mes lèvres.

- Avant de vous répartir, j'ai besoin de savoir ce que vous valez.

Il nous demande de prendre place devant une table. Un kit de suture classique. Ce ne sont pas mes outils préférés, mais je les ai tellement utilisés que je n'ai pas une once de peur. Sa demande est simple : réaliser une suture classique, comme on le ferait tous les jours aux urgences. Pas de temps imparti, mais nous savons qu'il faut être rapide et précis.

Je sors chaque instrument dont je dispose avec une précision millimétrée. Je suis l'une des seules à disposer mes outils avant de commencer. Tout le monde est trop pressé de terminer le plus vite possible. Ils oublient une chose essentielle : des outils bien rangés au début, c'est un gain de temps ensuite. J'enfile des gants et dépose la fausse peau devant moi.

Je passe le fil de nylon dans l'aiguille de suture. Avec une précision fine et délicate, je fais mes trois points comme Anthony nous l'a demandé, puis je coupe le fil avec mon ciseau Mayo.

Je fais partie des premiers à terminer. Ceux qui se moquaient de moi quand je rangeais mes outils ont maintenant des gouttes de sueur qui perlent sur leur front. Le fils prodige termine quelques minutes après moi, avec un sourire niais et beaucoup trop fier. Quand je vois ses points, je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. S'il avait fait ça sur un humain, la cicatrice aurait été abominable. Pour un fils de chirurgien plastique, c'est honteux.

Quand tout le monde a terminé, Anthony fait le tour de chaque table, prenant le temps d'analyser les moindres détails de nos sutures. Je le vois se crisper devant celles de Beaumont. Puis il s'arrête à ma table. Ses yeux s'agrandissent, mais son visage reste impassible. Je ne sais pas si c'est bon signe, mais l'autre abruti semble le remarquer.

- Allez, retourne faire joujou avec les bébés au deuxième étage, dit Beaumont en explosant de rire et en tapant sur la table.

Je sursaute lorsque notre superviseur frappe violemment sur la table. Ses yeux sont remplis de rage. Il semble à bout de patience face à ses remarques.

- Ferme-la, Beaumont ! hurle-t-il, tandis que ce dernier se recroqueville sur sa chaise. Quand tu auras une once de son talent, tu pourras lui adresser la parole.

Il attrape la fausse peau et la lève devant tout le monde. Un sourire froid se dessine sur son visage, alors que les joues du jeune homme deviennent cramoisies de honte ou de peur. Ses mains tremblent.

- J'aurais honte à ta place. Tes sutures sont dégueulasses, dit-il en jetant la peau sur ses genoux tremblants.

Il me lance un clin d'œil de félicitations et dispatche les élèves à différents endroits de l'hôpital. Un sourire vengeur étire mes lèvres lorsqu'il envoie Beaumont changer les pansements des post-opératoires.

Il m'assigne aux urgences. Je priais intérieurement pour avoir cette occasion. Ça va être les meilleures 72 heures de ma vie. Avant que je sorte, il m'interpelle.

- Où as-tu appris à réaliser cette technique ? Et aussi rapidement ? renchérit-il en me scrutant du regard.

- J'ai beaucoup étudié, dis-je en triturant mes doigts.

Il hoche la tête. Je récupère mon bipeur et rejoins rapidement les urgences.

La salle était très grande. Des lits étaient disposés de chaque côté de la pièce, et certains patients attendaient leur soin. Des infirmières réalisaient des pansements, tandis que d'autres faisaient signer des formulaires. Pour l'instant, la salle était relativement calme : pas de cris, pas de pleurs, juste des petites blessures.

- Quand vous avez un cas grave, vous me bipez. Si je ne suis pas là dans la minute qui suit, vous bipez quelqu'un d'autre, dit Anthony, me faisant sursauter en apparaissant juste derrière moi.

- Et si personne ne répond ? demande une petite blonde au fond de la pièce.

- Alors, vous faites tout votre possible pour maintenir le patient en vie et vous continuez de me biper.

Tout le groupe hoche la tête. Je sens le sang pulser dans mes veines, l'adrénaline émaner de mon corps, ne demandant qu'à être exploitée.

- Une dernière chose : ne négligez jamais l'aide des infirmières.

Une petite rousse, le visage fermé, s'avance vers nous avec une pile de dossiers à la main qu'elle distribue à chacun d'entre nous. Les infirmières ont tendance à mépriser les chirurgiens, et je comprends pourquoi : beaucoup d'entre eux sont imbuvables avec elles. Mais Anthony semble avoir beaucoup de respect pour elles, et c'est une qualité que j'apprécie et partage.

- Madame Marin, 54 ans, brûlure à l'avant-bras, me dit-elle en me montrant le lit sur lequel est installée une femme.

Je la remercie chaleureusement, arrachant un sourire sincère à son visage, et récupère le dossier. Je prends le temps de lire les informations essentielles : je veux éviter toute erreur due à la précipitation. C'est ma première patiente, et je veux faire les choses bien. Chacun mérite le meilleur des traitements, mais surtout toute la sympathie nécessaire.

- Bonjour, Madame Marin, je suis le docteur Vernier. Je vais m'occuper de vous, dis-je avec gentillesse.

J'enfile une paire de gants bleus, puis prépare des compresses stériles, du désinfectant et une crème réparatrice pour les brûlures légères. La procédure est simple, mais il faut savoir que c'est souvent sur les cas les plus simples que les médecins commettent des erreurs, trop attirés par des cas plus complexes. Je reste dans l'optique qu'il n'existe pas de cas inintéressant. On peut apprendre de tout le monde, tout le temps. Chaque parcelle de ce métier me rend euphorique, même une petite brûlure comme celle de Madame Marin.

Je commence à imbiber un coton de désinfectant avant de lui dire :

- Attention, ça va piquer un peu. Comment vous êtes-vous brûlée ? Ma voix se veut bienveillante, et je grimace légèrement pour elle en tapotant le coton sur sa peau rougie.

- Oh, eh bien, je préparais des cookies quand la plaque m'a glissé des mains... Elle m'a brûlée, dit-elle en esquissant un sourire, comme si elle se moquait d'elle-même.

- Je vois, lui dis-je en appliquant une couche épaisse de crème. Il faudra changer votre pansement tous les jours et rajouter de la crème.

Je lui applique un pansement légèrement démesuré par rapport à sa blessure, mais je veux éviter que la crème ne dégouline. J'effleure sa peau pour éviter de lui faire mal et hoche la tête une fois terminé.

- Merci, docteur, me dit-elle en me serrant la main.

Je l'accompagne jusqu'au guichet de sortie, puis explique à l'infirmière mes instructions. Madame Marin me remercie une dernière fois, me souhaite une bonne journée et passe les portes battantes. Un courant d'air frais s'insère sous ma blouse, et un rayon de soleil traverse furtivement la pièce.

En attendant mon prochain patient, je remplis le dossier de Madame Marin, ajoutant chaque geste effectué et chaque prescription donnée. Je le dépose avec les autres avant de me diriger vers la machine à café. Mais je suis interpellée par les cris d'un patient derrière un rideau.

- Mais bon sang ! Mon bras va finir par ressembler à une passoire ! Arrêtez !

J'entreouvre le rideau bleu décoloré et vois un jeune interne, les cheveux en désordre, tentant désespérément de faire une prise de sang.

- Tu veux de l'aide ? lui demandai-je avec bienveillance.

- Je ne vois pas ses veines, me répond-il, agacé.

- Bonjour, Monsieur, je suis le docteur Vernier. Je vais m'occuper de cette prise de sang.

Il me remercie du regard pendant que je m'approche du lit. Le bras du patient est meurtri par les aiguilles. Des bleus commencent déjà à apparaître, et une multitude de petits points rouges me tire une grimace de désapprobation.

Je consulte son dossier : aucune allergie ni antécédent médical. Cet homme est en pleine santé, mais il a simplement des veines difficiles d'accès.

Je sors la barre chocolatée que je garde dans ma poche et lui tends. Il sourit avant de la dévorer à une vitesse qui me fait rire.

Dans un premier temps, je remarque que l'accoudoir est un peu trop haut. Alors, je déplace le bras du patient pour le poser sur le lit, attrape une bouillotte que j'active et la pose sur la pliure de son coude. J'attends quelques minutes en discutant de tout et de rien avec le patient, qui retrouve des couleurs et son joli sourire. Je prends une aiguille plus fine et, lorsque je lève la compresse, je peux apercevoir beaucoup plus nettement ses veines.

- Je n'ai rien senti, merci, mademoiselle.

Au même moment, Anthony pousse le rideau avec rage. Le jeune homme que je suis venue aider est rouge de honte. Ses mains tremblent ; il ne sait plus où se mettre, paralysé par la peur. Quand Anthony est en colère, son aura est beaucoup plus impressionnante. La foudre ne va pas tarder à frapper, et je ne pensais pas que c'était possible d'être autant en colère.

- C'est quoi le souci ici ? Qui m'a bipé ? Sa voix grave alterne entre le jeune homme et moi.

- Je... c'est moi... je n'arrive pas à faire la prise de sang... et je ne pensais pas qu'elle allait y arriver. Sa voix tremble ; j'ai l'impression qu'il est à deux doigts du malaise.

À mon tour, je sens la colère s'emparer de moi. Je commence à en avoir assez de leurs remarques machistes incessantes, et j'en ai ras le bol que ça vienne des personnes les plus incompétentes. Il regarde Anthony avec un air supérieur, comme si je n'étais qu'une idiote qui ne sait rien faire.

- Vous commencez sérieusement à me les briser avec vos remarques misogynes ! Je le fusille du regard, le soutenant avec une noirceur et une rage prêtes à exploser. Il détourne les yeux, préférant fixer le sol.

J'applique le pansement du patient avec le plus de délicatesse possible. Celui-ci pose une main sur mon avant-bras, un regard à la fois désolé et admiratif.

- Je vous souhaite une excellente journée, monsieur. Je lui adresse un large sourire sincère, que je perds immédiatement quand je lui tourne le dos pour me diriger vers la machine à café.

Je suis suivie de près par mon superviseur, qui empoigne avec force le poignet du jeune interne, forcé de courir pour suivre le rythme de ses pas. Je récupère le café brûlant. Tous les deux face à moi, je les dévisage avec mépris.

- Déjà toi, dit-il en pointant l'interne du doigt. Tu dégages. C'est la base, la prise de sang, mais avant, apprends.

Il tourne ensuite la tête vers moi, avec une lueur de fierté dans ses prunelles chocolat. Il lâche le bras du jeune pour croiser les siens sur son torse, adoptant une posture qui dégage toute son assurance.

- Explique-lui comment un bon chirurgien fait des prises de sang, me demande-t-il avec un clin d'œil à peine visible.

- Le bras était au-dessus du cœur, donc je l'ai baissé, une bouillotte pour faire ressortir les veines et j'ai utilisé une aiguille papillon.

- Pourquoi ? me demande Anthony avec enthousiasme.

- Les aiguilles papillon sont plus fines, donc plus adaptées pour les patients aux veines compliquées.

J'avale une gorgée de café en dévisageant le jeune homme, qui ne sait plus où se mettre.

- Félicitations, mademoiselle, me dit-il avant de se tourner vers l'interne. J'espère que tu auras appris quelque chose. Maintenant, dégage dans un autre service.

Quand tous les deux disparaissent de mon champ de vision, je saute sur un brancard vide. Ma tasse de café me réchauffe les mains, et je visualise différentes procédures qui pourraient m'être utiles. Me posant des questions et me répondant à moi-même, comme je le faisais pour tous mes examens, je finis cul sec mon café et le jette dans la poubelle en visant juste.

Mes paupières se ferment, non pas pour faire une sieste, mais pour mieux visualiser. Mes mains bougent, mimant une suture invisible inspirée de mon idole en chirurgie, une femme fantastique qui a créé une technique que je pourrais reproduire les yeux fermés.

Une technique qui m'a valu des félicitations et beaucoup d'admiration. Mais ce n'est pas principalement pour cette raison que je l'ai apprise. Malheureusement, la vraie raison est plus sombre, moins glorieuse. Il faut apprendre à tirer le positif de chaque situation. Je suis donc la reine des sutures invisibles.

« BIP »

Mon bipeur se met à sonner. Sans même que mon cerveau ne réfléchisse une seconde, mes jambes sont déjà en action. J'arrive aux urgences en deux enjambées, pas essoufflée le moins du monde. J'ai l'habitude d'aller courir. C'est certainement l'un des sports les plus utiles pour un chirurgien : nous sommes toujours en train de courir à droite à gauche.

- Dylan Garnier, 8 ans, se plaint d'une douleur à la cheville après son match de foot, m'annonce la jeune rousse, qui me regarde avec un sourire, connaissant ma gentillesse envers les infirmières.

C'est bien connu, les spécialistes de la traumatologie ne sont pas doués avec les enfants, et je ne déroge pas à cette règle universelle. Néanmoins, je donne mon maximum, comme toujours. Heureusement, Dylan est un garçon adorable. J'ai rapidement détecté une petite entorse, rien de bien méchant. Ses parents, comme tous les autres, étaient d'abord affolés, mais ils ont rapidement retrouvé leur sourire quand je leur ai expliqué le cas de leur enfant. Il sera guéri en moins de deux semaines, et c'est tout ce qui compte.

Dix minutes plus tard, il était frais comme un gardon et est reparti au bras de ses parents, qui le couvraient de bisous, le faisant rougir plus que de raison.

Le reste de la journée s'est déroulé dans les mêmes circonstances. Chacun de mes patients repart avec le sourire. Aucun cas grave, mais je ne me suis pas ennuyée pour autant, plus motivée que jamais à m'imposer dans ce monde où les requins n'hésitent pas à mordre pour gravir les échelons. Malheureusement pour eux, ma détermination est sans faille, et rien ne m'empêchera de m'élever au rang de meilleure chirurgienne en traumatologie de tout le pays.

À quoi bon rêver simplement ? Je vise l'excellence, parce qu'il n'y a que ça qui m'importe. C'est un métier noble, et beaucoup de gens portent des préjugés  avec raison. J'ai l'arrogance, l'assurance et le mépris d'un chirurgien, et ça ne me dérange pas. Je ne suis pas méchante ni mesquine, mais on bosse tellement dur, tellement d'heures pour sauver des vies. Il faut être passionné pour arriver au bout de ses 72 heures, et je transpire la passion.

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