Pour Holi, le bonheur pouvait se résumer à un trait sur une feuille de papier. Ainsi, en cet après-midi ensoleillé du cinquième jour de Soyan, elle était comblée.
Assise au milieu du Jardin des Lilas, elle noircissait les pages de son carnet depuis des heures, complètement détachée du temps. Elle avait oublié toutes ses obligations, toute l’étiquette et toute l’élégance qui incombait à sa position. Elle ne l’avait pas encore réalisé, mais le crayon de charbon qu’elle utilisait avait tâché le bout de ses doigts et le tissu jaune de sa robe. Le bord de sa paume était devenu noirâtre et le soleil avait donné un aspect rouge à son visage qu’elle ne regretterait que le soir venu lorsque sa peau chaufferait. Mais les beaux jours étaient enfin arrivés et elle ne comptait pas passer une journée de plus cloîtrée dans le palais.
Elle avait échappé à sa gouvernante des heures plus tôt et celle-ci ne risquait pas de venir la chercher dans ce Jardin abandonné de tous. Depuis des années, le Jardin des Lilas, situé derrière le palais entre les cuisines et les quartiers des soldats avait été délaissé par la cour, qui préférait le Grand Jardin, avec ses allées bien définies et ses fontaines en marbre.
Le Grand Jardin était parfait. Holi préférait le chaos.
Elle aimait que l’herbe soit haute et rarement coupée, que les fleurs aient repris leurs droits, que les branches de l’arbre ne forment par un rond parfait. C’était les défauts de cet endroit, qui en faisaient le meilleur et son préféré. La vie et la mort s’y succédaient à tour de rôle, libres de droits, sans les artifices des Hommes.
Et c’était principalement pour ça qu’elle s’y réfugiait. Ici, elle était à l’abri des hommes comme ses frères et son père, qui voulaient contrôler sa vie, et des femmes comme ses sœurs et sa gouvernante, qui lui disaient à longueur de journée que son comportement n’était pas propice à celui d’une princesse.
Une légère brise vint soulever sa chevelure blonde et plusieurs mèches lui tombèrent devant les yeux. Agacée, elle souffla dessus pour les écarter, sans succès. Elle lâcha alors son crayon, s’essuya les doigts sur sa robe déjà sale et les repoussa derrière ses oreilles.
Un cri d’horreur la fit soudain sursauter et elle se retourna vivement vers l’origine du bruit.
— Votre Altesse ! Regardez l’état dans lequel vous êtes ! Vous devez rentrer immédiatement et vous laver avant que quelqu’un ne vous aperçoive ! s’exclama le garçon avec une voix suraiguë.
Holi gloussa en voyant l’expression de son ami. Les yeux écarquillés, la bouche entre-ouverte et les sourcils haussés, Emrah imitait à la perfection la gouvernante de la princesse.
— Ce n’est pas sérieux du tout. Vous faites honte à la monarchie en vous comportant de cette manière, continua-t-il.
— Arrête et vient t’asseoir, rigola Holi en tapotant la place à côté d’elle.
Il se mit à rire avec elle et s’installa sur sa droite.
— Je viens de livrer son vin à ton frère, donc j’ai à peu près vingt minutes devant moi, l’informa-t-il.
Holi le toisa avec tristesse. Emrah n’avait pas la même position qu’elle au palais. C’était un domestique, ce qui n’était qu’un joli mot utilisé pour cacher la vérité, qu’il avait été arraché à sa famille à un très jeune âge pour travailler en tant qu’esclave de la monarchie ascyanne. Et il était affecté au service du pire de ses membres, le frère aîné d’Holi et héritier de la couronne, Adrais Dirrion.
Emrah était l’un des nombreux enfants qui avaient été donné en tribut à la fin de la guerre opposant l’Ascya à Saf Taesi. « Une façon d’apaiser le conflit », disait son père les rares fois où le sujet avait été abordé. Holi ne voyait pas en quoi retirer leurs enfants à des mères et à des pères pouvait apaiser quoi que ce soit.
— Qu’est-ce que tu dessines ? lui demanda-t-il en se penchant par-dessus son épaule.
Elle inclina son carnet vers lui et observa ses lèvres s’étendre en un sourire.
— Il va falloir que tu changes de registre à un moment, non ? Tu dessines beaucoup de fleurs.
— Il n’y a que des fleurs ici. J’ai besoin d’un modèle.
— C’est un grand palais, observa Emrah.
— Qui est rempli de choses futiles et de personnes médiocres. Aucun endroit intéressant ne m’est accessible, grommela-t-elle.
Emrah poussa un soupir.
— Tu ne vas pas essayer de me convaincre d’aller en ville, encore une fois ? Tu sais à quel point c’est dangereux.
— Je sais que tu pourrais te faire exécuter si on te surprenait dehors, donc non, je ne vais pas réessayer, répondit-elle.
Malgré cela, elle en avait envie. Terriblement envie. Voyant clair dans son jeu, Emrah lui donna un petit coup d’épaule.
— Tu pourrais aussi me dessiner ? Ou peut-être suis-je trop médiocre à tes yeux ?
Holi esquissa un sourire.
— Si tu veux un portrait disgracieux, je suis la bonne personne pour ce travail !
Il roula des yeux, puis se mit à fixer les tâches sur la robe de son amie.
— Tu vas avoir des ennuis, conclut-il.
Elle haussa les épaules.
— Jamais rien de très grave.
— Zand !
Emrah poussa un soupir et se leva.
— Le devoir m’appelle. Essaie de te débarbouiller avant que quelqu’un d’important ne te tombe dessus.
— J’ai l’impression d’entendre Liasa, maugréa-t-elle en songeant à sa grande sœur.
Le Safian lui sourit, puis repartit en direction du palais. Une fois seule, Holi poussa un soupir et referma son carnet. Elle passa sa main entre les herbes hautes, puis la posa sur la terre sèche. Une petite fleur était en train de mourir juste là. Les pétales tombants, elle semblait crier j’ai soif à Holi.
Après avoir jeté un regard autour d’elle pour s’assurer qu’elle était seule, Holi se concentra. Elle visualisa de l’eau, translucide, fraîche et propre. Quand elle rouvrit les yeux, de l’eau glissait entre ses doigts enfoncés dans la terre pour rejoindre la fleur.
Au bout de quelques secondes, elle frotta sa main sur sa robe pour l’essuyer, se leva et quitta le Jardin des Lilas.
— Holiena !
Holi jeta un coup d’œil vers la porte de la bibliothèque, sentant une bouffée d’angoisse monter dans sa poitrine, comme chaque fois qu’elle entendait la voix de son frère. Rapidement, elle ferma son livre et le posa sur la table, puis elle bondit sur ses pieds, lissant rapidement sa robe. Elle se tourna vers la porte et croisa ses mains dans son dos, un instant avant qu’Adrais fasse irruption dans la pièce.
Les quatre années qui la séparaient de son aîné avaient toujours été un fossé infranchissable entre eux, tout comme leurs personnalités drastiquement opposées. Adrais était un tyran, qui avait toujours adoré martyriser ses trois petites sœurs. Il sautait sur chaque occasion de les humilier et de leur rappeler leur place, c’est-à-dire à ses pieds. Chaque jour, Holi craignait le jour où il deviendrait Roi.
La mine contrariée, il s’approcha d’elle à grand pas. Il détailla le livre qu’elle avait posé avec réprobation puis darda un regard noir sur elle.
— C’est à ça que tu passes tes journées ?
Il saisit l’ouvrage et l’ouvrit, faisant défiler les pages avec dédain.
— Je ne comprends même pas que tu ais eu le droit d’apprendre à lire, maugréa-t-il.
Holi baissa la tête et ne répondit pas. Elle avait reçu trop de coups de sa part parce qu’elle avait tenté de se défendre. Elle ne gaspillait plus sa salive à le faire maintenant.
Adrais lâcha le livre sur la table et se tourna vers sa sœur.
— Pourquoi est-ce que tu n’es pas encore prête ?
Elle osa lui jeter un coup d’œil en biais, mais le regretta immédiatement. La colère qui s’affichait sur le visage de son frère scella ses lèvres, alors qu’il attendait clairement une réponse.
— Je n’aime pas me répéter.
— J-je… commença-t-elle.
— Holiena ! s’exclama la voix mélodieuse de sa sœur Liasa.
Elle releva la tête vers la porte de la bibliothèque et se sentit revivre en l’apercevant. Avec sa longue chevelure blonde, ses yeux verts et sa peau laiteuse, Liasa incarnait la perfection attendue par leurs parents. Tout en elle respirait la royauté. Et contrairement à Holi, Adrais la respectait maintenant suffisamment pour ne pas lui chercher des noises à longueur de journée.
— Je suis navrée, mon frère, nous devions commencer il y a des heures mais sa robe nécessitait des retouches, expliqua Liasa en faisant une petite révérence à un mètre d’eux.
Adrais les regarda à tour de rôle.
— La réception commence dans une heure, rends-la présentable, ordonna-t-il avant de quitter la pièce.
Une heure ?
Holi sentit une vague de panique l’envahir, qui n’avait pour une fois rien à voir avec son frère. Plongée dans sa lecture, elle n’avait pas vu l’heure passer et elle était maintenant très en retard. Lorsque Adrais eut disparu, Liasa poussa un soupir et fusilla sa sœur du regard.
— Nil et moi t’avons cherchée partout, Holi ! On est même allées dans cet horrible jardin et j’ai abîmé mon jupon.
— Je suis désolée, murmura-t-elle penaude.
L’aînée secoua la tête et passa son bras sous celui de sa sœur pour l’entraîner vers la sortie.
— Nilora est partie se préparer. Elle devrait avoir terminé et pouvoir nous aider.
Bras dessus, bras dessous, elles se dirigèrent vers les appartements qu’elles occupaient avec leur sœur, situés à l’opposé de ceux de leurs deux frères, mais joints à ceux de leur mère. Lorsqu’elles entrèrent dans leur salon, elles furent accueillies par la gouvernante d’Holi, qui faisait des allers-retours dans la pièce les mains sur les hanches.
— Dieux, enfin ! s’exclama-t-elle. Vous l’avez retrouvée !
Elle offrit un sourire reconnaissant à Liasa, puis fusilla du regard la plus jeune.
— Je peux savoir ce qui vous a pris ?!
Holi grimaça. Elle n’avait aucune envie de se faire crier dessus, par alors qu’elle sentait les minutes défiler.
— Tout va bien, Nona, intervint Liasa. Pourriez-vous préparer nos robes pendant qu’elle se débarbouille ?
Calmée par le ton de la princesse, la gouvernante hocha la tête et s’inclina. Avec un sourire, Liasa entraîna sa cadette dans la pièce suivante, qui n’était autre que sa chambre. La salle était immense, deux fois plus grande que celle qu’occupait Holi de l’autre côté du salon. Un grand lit à baldaquin se trouvait au fond à droite et sur la gauche, face à la fenêtre qui était voilée de rideaux, un podium avec des miroirs. Une coiffeuse était posée contre le mur, devant laquelle leur sœur Nilora terminait de se faire pomponner.
Elle les remarqua dans le miroir et poussa un soupir de soulagement.
— Le bain est dans ma chambre, Holi. Dépêche-toi, dit-elle.
La princesse ne se fit pas prier. En dix minutes, elle était propre et de retour dans la chambre de Liasa, où celle-ci avait déjà enfilé sa robe et prit la place de Nilora. D’un geste, la cadette lui demanda de monter sur le podium. Ne voulant pas énerver plus que nécessaire ses sœurs, Holi obtempéra.
Elle ne prononça pas un mot alors que Nona et Nilora l’aidaient à ficeler les couches de tissus sur son corps. Au bout de quelques minutes, elle se retrouva affublée d’une somptueuse robe en tulle vert pastel, recouverte de petits motifs brillants.
Sa sœur arrangea ses cheveux d’une façon simple, en attachant les mèches du devant derrière sa tête grâce à une pince dorée, puis lui mis un collier en or autour du cou. Elle fit un pas en arrière, l’inspecta de la tête aux pieds, puis approuva d’un sourire.
— Tu es magnifique, Holiena, s’exclama Nilora avec un sourire radieux.
La jeune femme se posta devant le miroir et la remercia pour son aide. En quarante-cinq minutes, ses sœurs étaient parvenues à la rendre rayonnante. Elle avait tout l’allure d’une princesse, ce qui lui serait utile pour éviter la colère de ses frères ou de son père.
Les trois sœurs quittèrent la sécurité de leurs appartements pour rejoindre la salle de bal, qui se trouvait à l’autre bout du palais. Face aux portes, Alondra Dirrion, les attendait, le dos droit comme un piquet et les traits tirés par la tension. Leur mère détestait les bals, et tous les évènements qui l’obligeaient à se tenir à moins de trente mètres de son mari.
— Vous êtes en retard, déclara-t-elle en les voyant arriver.
— On a dix minutes d’avance, la corrigea Nilora.
— Les filles d’un roi doivent toujours se présenter aux évènements mondains avec une demi-heure d’avance.
— Holiena était encore plongée dans ses livres, mère, expliqua Nilora pour se défendre.
— Pardonnez-moi, mère, j’ai perdu la notion du temps, s’excusa Holi en s’inclinant.
Alondra posa son index sous le menton de sa fille, lui intimant de se redresser.
— Garde la tête haute, Holiena. Ou les vautours de cette cour se donneront à cœur joie de dévorer chaque soupçon de faiblesse qu’ils apercevront chez toi.
La princesse hocha la tête, son angoisse lui donnant l’envie de se faire engloutir par le sol de marbre du couloir et de disparaître à tout jamais.
— Allons-y, ordonna la reine.
Liasa se plaça à la gauche de leur mère et accepta son bras, tandis que Nilora et Holiena marchaient derrière elles.
— Sa Majesté la Reine Alondra Dirrion, et Ses Altesses les princesses Liasa, Nilora et Holiena Dirrion ! annonça le crieur.
Malgré leur avance, la salle de bal était déjà remplie de ducs, seigneurs et comtes, venant des quatre coins de l’Ascya. Elle les connaissait tous, même si elle n’avait jamais parlé à la majorité d’entre eux. Le roi attendait de ses filles une éducation parfaite, il était donc inconcevable qu’elle ne sache pas à qui elles s’adressaient.
Holi se força à afficher un sourire radieux. Ce soir, elle devait être l’image que le royaume avait d’elle : une jeune fille parfaite, aux manières parfaites, aux traits parfaits… Pas celle qui se cachait dans les jardins pour dessiner, était la meilleure amie d’un domestique Safian et cachait un lourd secret. Elle devait être tout sauf elle-même.
Elles traversèrent la salle en souriant pour répondre aux révérences qui accompagnaient leur avancée. Elles s’arrêtèrent devant le Roi, Ivinn Dirrion, qui les regarda d’un œil attentif depuis son trône d’or. Cette attention n’avait rien de bienveillante. Il analysait le moindre de leurs faits et gestes pour s’assurer de leur perfection. La moindre vague leur vaudrait une punition, qui pour Holi consistait souvent à une interdiction de quitter sa chambre pendant des semaines.
Une fois devant le souverain, elles s’inclinèrent respectueusement. Leur mère fut la première à se redresser. Elle prit ensuite place sur le second trône, d’un or étincelant, décoré de fleurs métalliques peintes. Il était magnifique mais moins imposant que celui du roi. Il était fait pour rappeler la position de la Reine : sous le joug de son mari, pour toujours servante du Roi, dont le pouvoir n’était qu’éphémère.
Holi et ses sœurs se postèrent à la gauche de leur mère, Liasa se plaçant directement à côté d’elle, puis Nilora et enfin Holiena, la plus jeune. Leurs frères étaient installés de la même manière à droite de leur père, Adrais, l’aîné venant en premier, puis Aroll, qui ne partageait avec sa jumelle Nilora, que la couleur vert émeraude de leurs iris.
La famille royale étant maintenant au complet, la noblesse ascyanne se précipita à la rencontre du Roi, dont ils cherchaient constamment les faveurs.
Le premier à se présenter fut le Comte de Loarn, un vieil homme forcé de marcher avec une canne, à la chevelure aussi blanche que les neiges recouvrant les forêts du Nord, et le regard vide.
— Votre Majesté, je suis…
Holi ne prit pas la peine d’écouter ses paroles. Elle détestait ces galas. Elle détestait rester immobile et silencieuse durant des heures. Et elle détestait encore plus entendre tous ces gens complimenter un père qu’elle haïssait.
Elle parcourut la salle du regard, espérant apercevoir Emrah. Ils ne pourraient se parler, mais un coup d’œil de sa part lui permettrait peut-être de trouver la force de supporter cette soirée. Cependant son ami ne se trouvait nulle part. Il n’avait pas dû être affecté au service du gala.
— Holiena, redresse-toi, pesta Liasa.
La benjamine de la famille sursauta et obéit à sa sœur, relevant son menton et tendant sa colonne vertébrale jusqu’à ce que la position lui semble inhumaine.
— Pardon, murmura-t-elle si bas que seule Nilora avait dû l’entendre.
— N’oublie pas où nous sommes. J’aimerais également rêvasser, mais nous n’en avons pas le loisir. Reste concentrée, répondit celle-ci.
Holi acquiesça, alors qu’un autre homme se présentait devant son père. Il était jeune, à peine plus âgé que la princesse. Son teint froid indiquait qu’il venait du Nord, tout comme ses vêtements austères. Les Ascyans du Sud baignaient dans l’influence de la cour, qui privilégiait la couleur et l’extravagance à la simplicité. Mais dans le Nord, là où les hivers pouvaient s’avouer mortels, les gens, nobles ou non, favorisaient le confort à l’apparence.
Il avait des cheveux bruns en bataille, et des yeux d’un gris si clair qu’ils pourraient presque disparaître dans le blanc de ses yeux. Ses lèvres parfaitement dessinées s’étiraient en un sourire respectueux, assez étiré pour montrer sa joie d’être ici, mais sans devenir exagéré. Tout, de sa démarche à sa posture, semblait mesuré.
Non, pas mesuré, songea Holi. Calculé.
— Votre Majesté, c’est un honneur pour moi d’avoir été invité dans notre merveilleuse capitale, et d’avoir la chance de pouvoir vous saluer, dit-il en s’inclinant. Je suis le Duc de Torvee, Derren Rane.
— Sire Rane, je suis ravi de vous compter parmi nous ce soir ! s’exclama le Roi d’un ton excessivement jovial qui surprit ses filles et sa femme.
La Reine fronça les sourcils et son regard passa de son mari au Duc. Holi continuait d’étudier l’étranger, sentant son malaise grandir. Quelque chose la dérangeait chez lui. Il avait tout du parfait gentleman, que ce soit dans son attitude ou sa façon de parler. Mais sous tout cela, la princesse entrevoyait une froideur qui lui glaça le sang.
— Holiena, approche, ordonna soudain son père.
La jeune fille écarquilla les yeux. En vingt années de vie, Holi était persuadée de pouvoir compter sur les doigts de ses deux mains le nombre de fois où son père avait prononcé son prénom devant elle. Elle était la dernière enfant, trop loin du trône pour être importante, et une fille par-dessus tout. Elle n’avait aucune utilité aux yeux du Roi.
Se remettant rapidement de sa surprise, Holi descendit de l’estrade et vint se placer devant son père, évitant le regard du Duc qui se trouvait sur sa gauche. Elle releva timidement les yeux, d’abord vers sa mère qui avait toujours les sourcils froncés et semblait inquiète, puis vers son père dont le visage semblait moins fermé que d’habitude.
— Toute ta vie je me suis demandé ce que j’allais pouvoir faire de toi, commença le Roi.
Holi se ratatina, trouvant soudain un grand intérêt à la contemplation du marbre habillant le sol de la salle de bal.
— Tes sœurs sont assez belles et bien éduquées pour que je puisse en tirer une fortune et de bonnes alliances. Mais toi… Ça a toujours été une énigme.
— Ivinn, commença Alondra d’un ton réprobateur.
— Rassure-toi, Holiena, j’ai trouvé quelqu’un qui accepte de me débarrasser du problème que tu représentais.
L’horreur remplaçant sa honte d’être affichée de la sorte devant tout ce monde, Holi redressa la tête vers son père. Cependant, il ne la regardait pas, il souriait plutôt au Duc Rane.
— Tu vas devenir la nouvelle Duchesse de Torvee !