Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
theblackdawn
Share the book

3. Ryhen

Les yeux rivés sur son verre, Ryhen ruminait. Ce n’était pas inhabituel. Il affichait toujours cet air maussade et agacé. Rena lui disait souvent que si le mécontentement avait une personnification, ce serait lui. Lentement, il porta son verre à ses lèvres et but une gorgée d’helkite en essayant d’ignorer les bruits qui l’entouraient. 

Il se trouvait assis à une table du Cobalt, le meilleur bar des quartiers malfamés de Bryteros, où se retrouvait toute la plèbe. C’était un lieu neutre, qui n’appartenait à aucun gang. Ici, aucun conflit ne pouvait entrer. Si une bagarre éclatait, Jothan, le gérant, s’occupait de le faire sortir.

Une femme à la longue chevelure blonde lissée vint s’installer en face de lui. Ryhen la regarda remplir son verre avec le pichet qu’il avait payé, puis remonter sa jambe droite sur sa chaise pour appuyer son bras sur son genou.

—     Tu n’es pas censée prendre l’argent de tes employés aux dernières nouvelles, maugréa-t-il.

Luelle esquissa un sourire amusé et arqua un sourcil au-dessus de son regard émeraude.

—     Et toi tu n’es pas censé passer tes vendredis soir à bouder comme un enfant, mais plutôt à me rapporter de l’argent, répondit-elle.

—     Mais je travaille, dit-il en désignant son verre.

La cheffe des Crânes Noirs le regarda d’un air fatigué.

—     Tu es l’un de mes meilleurs voleurs, Ryhen. Mais ne fais pas l’erreur d’oublier qui je suis, seulement parce que je plaisante avec toi de temps en temps.

Le jeune homme roula des yeux et désigna le bar d’un signe de tête. Une femme y était assise. Elle était vêtue d’un manteau simple, mais en trop bon état. Elle se tenait trop droite et elle était trop en alerte. Ce n’était pas une femme du peuple.

—     Elle attend quelque chose, ou quelqu’un. Mais quand elle sortira, je la suivrai et je lui ferai les poches. Donc oui, je travaille. Cheffe, ajouta-t-il d’un ton sarcastique.

Luelle suivit son regard et plissa les yeux.

—     Tu devrais trouver une autre proie.

—     Pourquoi ? l’interrogea Ryhen avait agacement.

—     Son oreille.

Le voleur regarda l’oreille de la femme, et y aperçut un piercing. Une fine ligne d’or qui barrait son hélix. Les extrémités sortaient de chaque côté et formaient des pointes de flèches.

—     Merde, grommela-t-il.

—     Une Vellet, conclut Luelle. Et pas n’importe laquelle. Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à la générale Sanen.

—     Qu’est-ce qu’elle fait ici ?

—     Trouve-toi une autre proie, ordonna la blonde en se levant. Je ne voudrais pas salir mes vêtements en creusant ta tombe, Merkhor.

Mais alors qu’elle se dirigeait vers la sortie du bar, Ryhen vit la Vellet se lever et la suivre. Son regard déterminé ne laissait aucun doute. Elle en avait après la Crâne Noir.

Le voleur se leva et marcha calmement à leur suite. Lorsqu’il s’engagea dans la rue, le froid des soirs de Nivel lui donna la chair de poule et il releva le col de son manteau pour y enfouir son menton. Il suivit la Vellet à bonne distance tandis qu’elle accélérait pour talonner Luelle. Ryhen s’étonna que la criminelle ne l’ait pas encore remarquée, elle qui avait grandi dans la partie la plus dangereuse de Bryteros. Être sur ses gardes devrait être dans sa nature.

La Vellet disparut à l’angle d’une rue et le voleur accéléra de peur de perdre sa trace. Lorsqu’il tourna à son tour, il fut surpris de tomber dans une impasse et sourit lorsqu’il vit que Luelle avait désarmée la femme et l’avait plaquée contre le mur.

—     Les soldats ne sont vraiment pas doués pour la discrétion, déclara-t-elle en appuyant une lame sur la gorge de la Vellet.

—     Nous n’avons pas besoin d’être discrets, répliqua la femme.

—     Pourquoi est-ce que tu me suis ?

—     Je te le dirai quand tu auras enlevé ce couteau de ma gorge.

—     Et pourquoi je ferais ça, Zya ?

—     Parce que c’est moi, et que tu devrais savoir que je ne veux pas ta mort, grogna la Vellet.

Réalisant lentement qu’elles se connaissaient, Ryhen recula discrètement jusqu’à être caché par l’angle du bâtiment. Les deux femmes n’avaient pas remarqué sa présence, il put donc profiter de l’ombre pour écouter leur échange en toute impunité. Il entendit des bruits de pas et comprit que Luelle l’avait relâchée.

—     Qu’est-ce que tu veux ? cracha la blonde.

—     Parler.

—     Tu ne veux jamais faire que parler.

La colère qui perçait dans la voix de Luelle surpris le voleur, elle qui restait toujours calme et mesurée.

—     Et bien pour une fois, je ne suis pas venue me battre, répliqua la dénommée Zya avec frustration.

Pendant quelques secondes, le silence régna, puis elle poursuivit. 

—     J’ai besoin de ton aide… murmura-t-elle si bas que Ryhen faillit ne pas l’entendre.

À ces mots, Luelle éclata de rire.

—     Je ne plaisante pas, Lu. Le Roi m’a confié une mission, mais je…

—     Quoi ? La grande Zya Sanen n’est pas capable de la remplir sans l’aide d’une criminelle ?

—     En gros, lâcha la Vellet à contre-cœur.

—      En quoi puis-je t’aider ?

—     Je dois rejoindre l’Ascya.

Seul le vent lui répondit.

—     Tu es complètement folle, constata Luelle.

—     J’obéis aux ordres, répliqua Zya.

—     Exactement, complètement folle.

La Crâne Noir recula jusqu’à l’autre mur et s’y adossa.

—     Écoute… Je sais que ma famille t’a fait du tort. Et je sais que j’aurais dû te défendre au lieu de prendre leur parti. Mais c’est trop tard, et tout ce que je peux faire c’est te dire que je suis désolée et implorer ton aide, poursuivit la Vellet.

—     Oh ferme-la, maugréa la blonde.

Loin de se laisser décourager, la soldate se planta au milieu de la rue et reprit :

—     Je sais que l’Arkha ne s’arrêta par aux Askales. Je sais que la route traverse les montagnes pour rejoindre l’Ascya et je sais que seuls les voleurs savent s’y repérer.

—     Je ne t’aiderai pas.

Le ton catégorique de Luelle ne découragea pas la Vellet. 

—     Nous avons des espions en Ascya, jusque dans le palais. Et ce qu’ils nous rapportent est de plus en plus inquiétant. Le Roi a beau dénoncer la magie et traquer les mages, il plie les lois à sa volonté quand il s’agit de pouvoir. Un groupe s’élève dans son ombre pour le destituer, mais ses plans contre les Mages font froid dans le dos. Et s’ils réussissent, s’en sera fini de la liberté des Mages, même au Merhand.

Luelle ricana.

—     Parce que tu appelles ça de la liberté ? grogna-t-elle.

Zya ne répondit pas.

—     Même si toutes ces conneries sont vraies, je ne vois pas en quoi c’est mon problème.

—     Je te paierai.

Luelle sembla considérer l’offre, car elle ne la rejeta pas immédiatement.

—     Tu aurais dû commencer par ça, dit-elle finalement.

—     Toi et ta cupidité, grommela la Vellet.

—     Je suis une cheffe de gang, à quoi tu t’attendais ?

Zya garda le silence.  

—     Tu comptes rester caché longtemps, Merkhor ?

Ryhen sursauta et poussa un juron. Lentement, il sortit de sa cachette pour faire face à sa supérieure.

—     Je me suis toujours demandé comment tu pouvais être un aussi bon voleur avec cette lourde démarche de marin, fit la blonde.

—     Je suis plein de mystères, rétorqua-t-il.

—     Oh je n’en doute pas.

Elle ne semblait pas en colère, seulement lasse.

—     Tu veux te rendre en Ascya ? Il t’y conduira, personne ne connaît mieux ce passage que lui et il a vécu dans ce pays.

—     Je ne me rappelle pas avoir donné mon accord, grommela Ryhen.

—     Tu veux continuer à travailler pour moi ? Fais-le, ordonna Luelle.

Ryhen voulut émettre toutes les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas se rendre en Ascya. Pour commencer, les mauvais souvenirs liés à son départ. Puis, sa peur des ports ascyans, dans lesquels il pouvait à tous moments rencontrer la mort. Mais il ne pouvait se dévoiler ainsi à Luelle.

—     Je veux cinq milles strok et l’immunité pour les miens, déclara la blonde.

—     Tu plaisantes ? ricana la Vellet. Jamais nous ne t’accorderons l’immunité !

—     Alors dix milles strok. Pas une pièce de moins.

Zya la fusilla du regard, mais accepta.

—     Retournez au Cobalt, organisez-vous comme vous voulez.

Elle se mit en marche et s’arrêta à la hauteur de Ryhen pour lui murmurer à l’oreille.

—     Ne lui fais pas confiance, et viens me voir une fois les détails réglés.

—     Comment est-ce que tu la connais ? tenta le voleur.

—     Une autre vie, expliqua Luelle avant de quitter la ruelle.

Ryhen et Zya se fixèrent sans un mot pendant quelques secondes, puis le voleur fit volte-face et pris la direction du bar, certain qu’elle le suivrait.

Il se rassit à la même table et commanda un nouveau pichet d’un geste de la main vers Jothan. Lorsque la Vellet vint s’asseoir en face de lui, il la regarda à travers ses cils d’un air peu aimable.

—     Comment traverse-t-on les Askales ? demanda-t-elle.

—     Tu n’as pas encore besoin de le savoir, répliqua l’homme.

Cette réplique agaça la soldate, qui tapa du poing sur la table.

—     Je m’apprête à demander une fortune au Roi. Pour qu’il accepte, je dois avoir des garanties.

—     Et nous aussi. Si je te dis simplement comment t’y prendre, tu penseras que tu n’as plus besoin de nous.

Il s’adossa à son siège et détailla la femme d’un regard dédaigneux.

—     Comme si quelqu’un comme toi pouvait survivre une minute dans le Passage des voleurs.

—     C’est censé vouloir dire quoi ça ? s’énerva-t-elle.

—     Que tu empestes la bourgeoisie à des kilomètres.

La Vellet sembla vouloir contre-attaquer, mais elle ravala sa réplique et contracta sa mâchoire. Lorsqu’elle s’appuya contre le dossier de sa chaise, des mèches noires bouclées s’échappèrent de sous sa capuche. Ryhen remarqua alors que son manteau n’était pas la seule chose qui contrastait avec les autres habitués du Cobalt. Sa peau noire était trop lisse, trop parfaite. Ses cheveux trop propres, ses dents trop blanches. La carrure et la prestance de la jeune femme ne laissaient aucun doute sur sa fonction. Elle était sûrement très qualifiée dans son travail, mais elle n’avait jamais connu de réel combat. Elle ne connaissait pas le sang, la douleur, et la terreur qui accompagnait un combat dans lequel on jouait sa vie. Elle ne devait pas être beaucoup plus jeune que lui, mais le cocon dans lequel elle avait grandi lui donnait un air juvénile qui avait depuis longtemps déserté le voleur.

—     Quand veux-tu partir ? demanda-t-il.

—     Le plus tôt possible, répondit-elle.

—     Après-demain alors. À l’aube. Rejoins-moi derrière le clocher avec l’argent.

Il attendit qu’elle s’en aille et arqua un sourcil en voyant qu’elle ne bougeait pas.

—     J’aimerais bien pouvoir boire en paix si ça ne te dérange pas.

La Vellet poussa un soupir frustré et quitta le bar, non sans oublier de lui jeter un regard mauvais. Alors qu’elle disparaissait, un visage familier attira son regard à l’autre bout de la salle. Une jeune femme à la peau pâle le fixait les sourcils froncés. Ryhen se passa une main sur le visage en croisant son regard gris, rendu encore plus glacial par sa mauvaise humeur. Jothan vint lui amener le pichet d’helkite à ce moment-là et il vida la moitié de son verre d’une traite.

—     C’était qui elle ? grogna Rena en prenant la chaise qu’occupait Zya quelques minutes plus tôt.

—     Personne, répondit Ryhen.

Le regard de sa compagne se fit électrique. Lorsqu’elle se pencha vers lui, sa chevelure coupée au carrée retomba devant ses yeux. 

—     Mauvaise réponse, Ryhen.

—     Luelle m’a chargé d’un boulot pour cette fille c’est tout. C’est une Vellet, tu crois vraiment que je m’abaisserais à ça ?

Rena plissa les yeux, sans s’adoucir.

—     Tu as vraiment des problèmes avec la jalousie, t’es au courant ? grommela le voleur.

Il se décala d’une chaise pour se trouver à côté d’elle et tira sur la sienne pour qu’elle soit collée à lui. Puis, il se pencha à son oreille et murmura :

—     Qui pourrait attirer mon regard alors que j’ai trouvé la perfection ?

—     Tu n’es qu’un beau parleur, rétorqua la Merhandienne.

—     Un beau parleur complètement sous ton charme, alors ! déclara-t-il avec un grand sourire.

Elle le fusilla du regard, mais un léger sourire était venu étirer ses lèvres.

—     Peu importe quel est ce travail, je me joins à toi, dit-elle.

—     Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre, c’est Luelle.

—     Elle ne refusera pas, elle sait qu’il faut quelqu’un pour te surveiller.

Ryhen ne la contredit pas. Luelle ne faisait confiance qu’à deux personnes : son bras droit, Torin, et Rena, sa meilleure amie. Si la cheffe des Crânes Noirs ne lui avait pas encore refait le portrait, c’était uniquement grâce à l’amour que lui portait son amie.

Quelques heures plus tard, allongé dans son lit, Rena endormie contre lui, Ryhen songea à l’Ascya. Il pensa à son père, mort depuis longtemps. À tous ceux qu’il avait laissé derrière lui. Il savait qu’y retourner était du suicide. Les frontières le protégeaient. Mais une fois là-bas, son seul espoir était de se cacher et d’espérer que personne ne le reconnaisse. Car en Ascya, tout ce qui l’attendait était la mort.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet