Astra
Après notre discussion au restaurant et cet accord passé, j’avais congédié mes gardes sous les conseils de Charlie. « ils arrivent trop l’attention » m’avait-elle expliqué, et en soit, elle n’avait pas tord. Deux gardes du corps en tenue militaires avec des armes de pointe ne dessinaient que deux grosses flèches clignotantes dans ma direction, enfin, dans notre direction désormais.
Après ça, j’étais montée sur sa moto, pas rassurée du tout. Je m’étais attendue à vivre un trajet horrible et mouvementé, mais au lieu de ça, il s’était trouvé plutôt calme. Elle n’avait pas accéléré plus que nécessaire, pas effectué de virages serrés ou toute autre chose dangereuses, jusqu’à son appartement dans une grande tour d’immeuble.
Sa sollicitude m’avait même surprise. Mais peut-être conduisait-elle simplement aussi bien dans la vie de tous les jours et pas seulement pour moi.
— Bienvenue chez moi, lança-t-elle. C’est loin de ton luxe, mais on craint rien dans ce genre de coin.
J’observai la pièce. Un studio, pas trop petit non plus avec le nécessaire pour vivre et même un pan de mur numérique pour la télévision, les mails, tout ce qui peut se lire sur un écran.
Du linge traînait a des endroits, comme des canettes ou des bouteilles d’alcool, mais rien de différent d’une personne vivant seule dans son propre appartement finalement. En haut comme en bas, c’était la même chose.
— Ça devrait aller. Toute façon ce n’est pas comme si j’allais vivre ici toute ma vie.
— Quel dommage, ricana-t-elle. Tu veux boire un truc ?
— De l’eau. Claire, me sentis-je obligée de préciser après la mauvaise blague du barman de la dernière fois.
Ce à quoi Charlie réagit en éclatant de rire.
— C’est une tradition chez nous. Quand quelqu’un de la haute s’aventure par ici, il est rarement bien accueillis. Je t’assure que Gus a été plutôt gentil au fond.
Je sentis un frisson en repensant à l’homme venu m’agresser après ma sortie du bar et me rendis compte qu’effectivement, cette blague avec l’eau moisie était gentillette.
Je m’installai sur son canapé en attendant.
— N’empêche que tu sais, y’a des fois où l’eau que tu as bue, c’était vraiment notre eau.
— Mais, comment ça se fait ?
— L’eau est polluée à beaucoup d’endroits, parfois c’est pire et quand les usines vont pas assez vite, on se retrouve avec ça quelque temps.
J’avais du mal à croire ce que j’entendais. Dans une société où la technologie était reine, ce genre de chose pouvait encore arriver ?
— Si tu te poses la question de pourquoi ou comment, rappelle-toi juste que c’est nous qui récupérons vos déchets. Ils disparaissent pas par magie.
— Je…je croyais qu’ils étaient envoyés dans les recycleurs ?
Elle me lança un regard méprisant.
— Et où crois-tu qu’ils soient ?
Je demeurai silencieuse. Mes croyances s’étaient toujours limitées à croire ce qu’on me racontait et imaginer le reste en fonction de ce que je pouvais voir. Je me rendais compte d’à quel point je ne connaissais rien à cette ville, ou même à ce monde. Je connaissais uniquement ce qui se trouvait au-dessus de l’iceberg, en partie.
— C’est normal de penser comme ça quand son pire problème au quotidien est de savoir comment s’habiller ou quand sortira le dernier modèle de voiture autonome sur le marché, soupira-t-elle.
Je ne savais pas si elle essayait de m’enfoncer ou si c’était sa façon de me remonter le moral. Après ça, elle me tendit un verre d’eau et m’invita à faire comme chez moi, ce que malgré tout je ne me permis pas.
La nuit tomba rapidement puisque la majorité de la journée s’était retrouvée mangée par nos interactions.
Une donnée importante me sauta aux yeux au moment le plus crucial.
— Tu n’as qu’un seul lit, ou est-ce que je vais dormir ? demandai-je
— Dessus, je prendrai le canapé. À moins que tu préfères dormir avec moi, ajouta-t-elle en esquissant un sourire sur le côté.
Je la fixai plusieurs secondes pour savoir si elle plaisantait ou si elle était complètement sérieuse. Lorsqu’elle éclata de rire, je compris qu’elle ne faisait que se moquer.
— Tu es vraiment naïve.
— C’est censé être un compliment ?
— Pas vraiment, mais c’est drôle. Aller va t’allonger, les prochains jours risquent d’être longs, tu devrais te reposer tant que tu le peux encore.
Si j’avais plus l’habitude de donner des ordres que d’en recevoir, tant que je me trouvais en ces lieux, je n’avais pas le choix que d’écouter.
Je me glissai dans ses draps desquelles se dégageait une douce odeur de lavande. Elle semblait bien plus naturelle que la senteur synthétique que l’on trouvait dans le commerce, je me demandais comment, mais ce serait une question pour un autre jour.
Les émotions d’aujourd’hui eurent raison de ma conscience bien plus rapidement que prévu, puisque Morphée me ravit à l’éveil en quelques minutes à peine.
***
Des cris me tirèrent de mes rêves. J’ouvris les yeux d’un coup en me redressant, et ma première pensée fut de me demander où je me trouvais. Plusieurs dizaines de secondes furent nécessaires pour recoller les pièces du puzzle de la veille et pour me rappeler que je ne me trouvais pas dans mon lit, mais dans celui de la mercenaire que j’avais engagée hier.
— Stop ! ça suffit !
Je me tournai vers l’origine de ce second cri, dormant sur son canapé à quelques mètres de moi. Elle semblait plongée dans un profond cauchemar. Pris d’une sorte d’instinct, je m’approchai et arrivée à sa hauteur, posai ma main sur son épaule en la secouant pour la réveiller.
Les instants suivants se passèrent si vite que j’eus du mal à comprendre ce qu’il m’arrivait. J’étais debout près d’elle et la seconde suivante, je me retrouvai plaquée, le dos contre le canapé, avec la mercenaire au-dessus de moi, une lame contre ma gorge.
Je n’osai même pas parler de peur que le moindre mouvement ne déclenche l’un des siens et ne me fasse perdre la vie. Mes muscles étaient tétanisés.
Elle ne mit pas bien longtemps à me reconnaître, mais les quelques secondes avant que ça n’arrive, je reconnus le froid glacial de la mort dans ses yeux. Si j’avais été une ennemie, elle m’aurait tranché la gorge sans la moindre hésitation et jeté mon corps dans la benne à ordure avant de nettoyer mon sang comme si de rien n’était.
Je n’aurais pas dû être surprise, après tout elle avait tué quelqu’un à quelques centimètres de mes yeux, mais là il s’agissait de ma propre vie. Finalement, elle avait raison, j’étais naïve.
Dès que le contact glacé de la lame quitta ma peau, je déglutis et recommençai à respirer. Charlie déposa le couteau sur sa table basse et se leva en passant une main dans ses cheveux.
— La prochaine fois, je ne sais pas si je pourrai m’arrêter à temps, lâcha-t-elle.
J’allais m’excuser, mais de quoi exactement ? D’avoir voulu rendre service ? Non, je n’avais aucune raison de le faire.
— Tu criais dans ton sommeil, déclarai-je.
Elle me tournait toujours le dos, mais j’aperçus ses épaules se tendre.
— Oublie ça. Retourne dormir, on a encore quelques heures devant nous.
Elle attrapa un pantalon cargo et enfila un débardeur.
— Et toi ?
Elle me lança un regard par-dessus son épaule. Les néons au-dessus de sa tête se reflétaient dans ses iris, les rendant presque mystiques. Leur intensité me déstabilisa. Il y avait tant à y lire, mais rien n’en avait le droit.
— Faire ce que je fais de mieux.
Sur ces mots, elle quitta son appartement, me laissant seule au milieu de mes questions.