Charlie
Dans les rues de Neo-city, il n’y avait jamais rien à faire dans mon métier. Chaque seconde, de nombreux crimes étaient commis sur les mêmes rues bétonnées que je foulais tous les jours. Des crimes punis par le sang, pas la loi.
Les fédéraux locaux étaient presque tous corrompus de toute façon. Ils fermaient les yeux sur la majorité des délits et des règlements de comptes, surtout dans les quartiers les plus dangereux.
Et comme tous les autres, je profitais de ce manque d’implication pour faire couler le sang. En pleine nuit comme en plein jour, je ne pouvais pas m’ennuyer. On avait toujours besoin de mes services.
Mon arme se trouvait à ma ceinture, bien au chaud dans son étui, car pour ce job je n’en avais pas besoin.
J’étais entré dans l’appartement même pas fermé à clef d’un connard ivre et l’avait battu à mort avant de le jeter dans le caniveau.
Tuer des gens n’était jamais appréciable, je n’avais rien d’une tueuse en série ni d’une psychopathe. J’exécutais juste des contrats qui me semblaient justes. Et en l’occurrence, lorsque cette mère était venue me trouver en me suppliant de les aider à fuir son mari qui abusait d’elle et les frappait, sa fille et elle, jamais je n’aurais pu refuser.
Elle m’avait proposé la totalité de ses économies en échange. Je n’en avais emporté qu’une pièce, pour le geste.
J’avais accepté ce job peu de temps avant de voir débarquer ma nouvelle cliente et avec la suite des évènements, je n’avais pas encore pu me charger de lui. Sa femme et sa fille restaient planquées dans une vieille chambre d’hôtel miteuse tenue secrète par Gus, je ne pouvais pas laisser trainer ça plus longtemps.
Alors ce réveil en plein milieu de la nuit à deux doigts de trancher la gorge de ma colocataire provisoire avait été le moment rêvé. Un besoin de me défouler, d’oublier les souvenirs que ce cauchemar avait ravivés.
Une fois le travail effectué, j’étais parti trouver le reste de cette famille pour les informer de sa mort. La mère m’avait remerciée en pleurant, et la fille m’avait enlacé les jambes de toutes ses forces en tremblant. Ce spectacle m’avait rappelé combien cette ville était pourrie, et surtout, pourquoi j’étais une mercenaire et pas une simple civile travaillant à l’usine ou pour l’une de ces grosses entreprises suceuses de frics. Pour sauver ces gens-là. Les libérer.
En rentrant à mon appartement quelques heures après l’avoir quitté, je me jetai sous la douche pour nettoyer la transpiration et le sang séché sur mon corps.
Une fois propre, sèche et de nouveau habillée, je me fis couler un café. En lançant un coup d’œil à mon lit, je remarquai qu’elle dormait toujours, ou en tout cas qu’elle essayait de me le faire croire. Mais sa respiration n’avait rien à voir avec celle d’une personne endormie.
— Je vais pas te tuer, pas besoin de faire semblant de pioncer.
Pas de réponse. Je soupirai en posant ma tasse et me rendit jusqu’à mon lit. Je retirai la couverture, au moment où son bras jaillit dans ma direction, arme au poing. Mais elle était bien trop lente, et hésitante pour me toucher.
J’attrapai son poignet avant qu’elle ne puisse m’atteindre et levai un sourcil.
— Tu es encore en colère pour ce matin ?
— Un peu.
Je tirai son poignet en avant jusqu’à ce que la pointe de mon couteau perce ma peau, juste assez pour laisser couler un peu de sang.
— Tu sais, manier une arme ne se fait pas à la légère, tu dois être prête à tuer.
Ses yeux s’aggrandirent et sa main se mit à trembler. Elle lâcha son arme qui s’écrasa au sol dans un bruit de métal affreux.
Elle n’avait rien d’une combattante, et encore moins d’une meurtrière, je l’avais sentie dès notre première rencontre. Il n’émanait d’elle aucun danger physique. Sa seule possibilité de me blesser serait via quelqu’un d’autre. Aussi je ne m’inquiétais pas vraiment de cette situation.
J’essayais le filet de sang à mon cou du revers de la main et retournai boire mon café comme si elle ne venait pas de me menacer. Avec ma propre arme.
Il lui fallut de longues minutes pour me rejoindre, ses yeux esquivant les miens.
Je déposai devant elle une tasse de café qu’elle s’empressa d’attraper en fuyant s’asseoir sur le canapé. Je trouvais sa réaction plutôt amusante.
En la détaillant, je me rendis compte qu’elle portait toujours ses vêtements bien trop voyants de la veille. J’imaginais sans mal qu’elle n’avait pas prévu de rester dans le coin.
— Va falloir que tu enlèves tes fringues.
Je l’entendis s’étouffer avec sa boisson.
— Quoi ? Pourquoi ? Parvint-elle à articuler malgré une voix encore enrouée.
— Il faut qu’on passe inaperçu. Prends une douche, je te prépare des vêtements dans la salle de bain le temps que tu finisses ton café.
Elle opina et alluma le mur digital sur la chaîne info. Je ne m’en servais moi-même jamais, je ne savais même pas à quoi me servait la majorité de mes chaines d’ailleurs, trop occupée à vivre dans le vrai monde plutôt qu’à scruter la dernière publicité de technologie de réalité virtuelle sur le marché.
Dans mon placard, je lui récupérai un pantalon large, un T-shirt et une veste en cuir, que je déposai sur le lavabo.
Le temps qu’elle se rafraîchisse, je vérifiai mes armes et mes munitions, chose très importante lorsque je partais en mission.
Ses pas dans mon dos me prévinrent qu’elle avait terminé. En me retournant, je restai quelques secondes bouche bée, les yeux rivés sur cette femme que je ne reconnaissais pas.
Ma tenue lui allait plutôt bien, mais ce qui me frappa c’était ses cheveux blonds autrefois en un chignon parfait et quelques petites tresses, désormais détachés, et tombant en cascade sur ses épaules. Le jour et la nuit.
— Quoi ? demanda-t-elle. Encore trop voyant ?
Je secouai la tête en reprenant mes esprits.
— C’est parfait. On te croirait presque venu d’ici.
Elle leva un sourcil.
— Et qu’est-ce qui me trahit ?
— Le balai coincé dans ton cul.
***
Dans l’ascenseur en verre, je peinais à rester en place, ma jambe tressautant sans arrêt. J’avais toujours détesté ces boîtes vitrées suspendues à des centaines de mètres du sol parfois.
Je n’aurais jamais pu vivre là-haut, ne serait-ce que parce que j’aurais dû me coltiner ces étroites horreurs tous les jours.
Nicky ne logeait jamais au même endroit. À vrai dire, elle était même officiellement sans domicile fixe. Son quotidien était pour le moins distrayant.
Lorsque la voix robotique, mais chaleureuse de la boîte de torture signala enfin notre arrivée, je me précipitai en dehors à la première seconde. Enfin, je pouvais souffler et reprendre mon souffle.
— Eh bien qui l’eu cru, l’une des mercenaires les plus redoutées mises en difficulté par un simple ascenseur.
— C’est un lieu maudit. Je ne comprends pas comment vous faites pour vous sentir à l’aise là-dedans.
Elle haussa les épaules.
— L’habitude, j’imagine. La première fois que je suis monté dans l’un d’eux, c’était le jour de ma naissance.
Une grimace de dégoût se dessina sur mes traits alors même que j’appuyais sur la sonnette de l’appartement.
Un instant suffit à ce que la porte ouvre sans même personne pour appuyer sur le moindre bouton.
J’entrai immédiatement suivi par ma cliente et rejoignis une jeune femme aux tresses attachées en arrière avec une paire de lunettes virtuelles sur la tête.
Elle les retira juste après et se tourna vers nous.
— Charlie ma chérie ! me salua-t-elle en m’enlaçant sans que je ne puisse refuser.
Elle était la seule autorisée au moindre contact physique avec moi, et ce depuis quelques années maintenant.
— Eh beh, vous vivez dans le luxe à ce que je vois, fit remarquer Astra en laissant son regard trainer aux alentours.
— Pendant quelques jours oui.
— Quelques jours ?
— Nicky est comme qui dirait une nomade des villes. Elle utilise les appartements vides le temps d’un voyage d’affaire ou de vacances pour y crécher un petit moment, expliquai-je.
— Donc tu es une squatteuse ? lança-t-elle de but en blanc.
Cette réponse provoqua un rire chez Nicky.
— Eh dis donc elle a du répondant pour une vampire.
— Une vampire ? s’interrogea-t-elle.
Il était vrai que malgré nos quelques discussions depuis notre rencontre, je n’avais jamais employé ce terme avec elle ni même essayé de l’employé. Ce qui me surprenait moi-même en y repensant.
— C’est comme ça qu’on appelle ceux de la haute ici, les vampires, les suceurs de frics qui nous pompent jusqu’au dernier NS même sur notre lit de mort.
Son expression changea, passant de l’incompréhension, à une pointe de colère et de frustration.
— On n’est pas tous comme ça.
— Vous avez pas besoin, votre simple existence dans ce système suffit, renchéris-je un peu moins gentiment.
Je sentais que si cette conversation continuait, elle allait très mal de finir. Mais je ne supportais pas son inconscience de notre monde.
Heureusement pour nous, Nicky coupa court à cette future dispute en nous remettant sur les rails.
— Bon, si tu m’expliquais pourquoi t’es là ? Non pas que j’aime pas te voir, mais tu me fais rarement des visites de courtoisie.
Je grimaçai.
— Comme ça, je passe un peu pour une mauvaise amie.
Elle haussa les épaules.
— Je sais que t’as de bonnes raisons t’en fait pas.
Et bien qu’elle ai tenté de me rassurer, je ne culpabilisais pas moins de passer peu de temps avec mes proches. Je passais ma vie dans mon job, mes jours comme mes nuits et le peu de temps libre que je m’autorisais, je restais au bar avec Gus. Et très rarement sobre. Je savais que me plonger à ce point dans le travail n’était qu’un moyen de ne pas penser, au fond.
Je me promis de remédier à ce trait de ma personnalité lorsque j’aurai terminé ce contrat.
— Astra ici présente m’a engagée pour retrouver quelqu’un, et t’es la meilleure fouineuse que je connaisse.
— Je prends ça comme un compliment, s’enjoua-t-elle. Donnez vos infos, je vais faire mon possible.
Je me tournai vers Astra qui jusqu’à présent restait en retrait, probablement mal à l’aise encore dans cet environnement qu’elle ne connaissait pas.
Elle reprit néanmoins confiance et s’avança, droite, la tête haute pour prendre part à la conversation. Je reconnaissais bien là une fille ayant vécu toute sa vie dans une société de paraître.
— Ray Wagner. Il a disparu il y a 9 jours maintenant alors qu’il travaillait pour TechCorp sous couverture pour le gouvernement.
Nicky leva un sourcil.
— Pas très confidentielles les infos s’il les divulgue à ses proches quand même, se moqua-t-elle.
— Il n’a rien dit à personne d’autre. J’ai toujours été la personne en qui il avait le plus confiance.
— Plus que sa propre famille ? m’étonnai-je.
— Oui, on peut dire ça, souffla-t-elle, une étincelle de douleur dans les yeux.
Il y avait quelque chose, je sentais qu’elle ne nous disait pas tout.
— Je vois. S’il a été découvert, il y a de grandes chances qu’il soit déjà mort, avoua Nicky.
Je vis la mâchoire d’Astra se serrer. Elle déglutit péniblement avant de répondre.
— Il a plus de valeur vivant que mort.
— Hum. Si c’est quelqu’un de si important, ça risque de compliquer les choses. Je m’en occupe, ou du moins je vais essayer.
Astra s’approcha pour lui prendre la main dans les siennes, les yeux brillants.
— C’est déjà beaucoup, merci.
Nicky me lança un regard que je ne connaissais que trop bien. Elle sentait quelque chose et était touchée par instinct, ce qui ne m’aidait pas du tout.
— On va y aller, j’attends ton appel Nicky. Mais prends pas de risque d’accord ?
— Tu me connais, s’amusa-t-elle.
— Ouais, justement.