Nous sommes le 7 août. J'ai un nœud qui s'est noué dans mon ventre. Ma vision est embrouillée. Des gouttes menacent de couler sur le long de mes pommettes. L'unique truc dont j'ai envie, c'est de me réfugier dans ma demeure pour m'enrouler en position fœtale dans mes couvertures et évacuer toutes ces larmes de mon corps. Je comprends que mes parents, ainsi que mon frère puissent oublier le jour de mon anniversaire. Ils ne m'ont en aucun cas porté dans leurs cœurs. Cependant, le fait que mes amis l'oublient, je le conçois beaucoup moins. Particulièrement, en ce qui concerne ma copine.
— Hey, bonne fête ! déclare Jimmy en me cédant des tasses fumantes.
Les commissures de mes lèvres s'étirent pour former un faible rictus. Je lui ai parlé de ma naissance, une seule fois, lors d'une discussion en rapport avec l'astrologie. C'est déprimant de penser qu'un gars que je connais à peine se soucie plus de moi que mes proches.
— Merci !
Je les empoigne et vais les porter à un couple.
— Voici vos cafés ! Je vous emmène l'addition.
— Vous n'avez pas la soustraction, plutôt ?
— Belle tentative, monsieur. Néanmoins, vous allez payer comme tout le monde, rétorqué-je en lui donnant une petite tape sur l'épaule.
Lorsque je termine de m'occuper de ces individus, je retourne dans la cuisine.
— Pis, ça fait quoi d'avoir dix-neuf ans ?
— Franchement, ça ne change pas grand-chose.
Je n'ai jamais compris pourquoi on fêtait les anniversaires. Les gens disent qu'on honore notre arrivée sur Terre, mais quand on y réfléchit, on réalise qu'on célèbre en fait l'approche de notre mort. Peut-être que la vie est juste une phase et c'est lorsqu'on quitte ce monde que les événements débutent vraiment ?
Il me tend des plats. Je me dirige vers une table. Les personnes contemplent leur nourriture avec gourmandise.
— J'ai un blanc de mémoire. Qui a commandé le poke bowl ?
— C'est moi ! dit un homme aux cheveux grisonnants.
— Et le fish and chips ?
— Moi, affirme un garçon qui semble avoir mon âge.
Je dépose les autres repas.
— Bon appétit !
— Merci, vous aussi ! répond un adolescent.
Je le dévisage, amusée par son propos. Après quelques secondes, il se rend compte de sa bêtise. Sa face vire au rouge. Il bredouille des excuses. Les membres de sa famille se mettent à le charrier.
Je retrouve mon collègue. Il me sert une assiette. Elle glisse de mes mains. Je grimace en voyant la bouffe parmi les éclats de vitre sur le plancher.
— Je suis désolée de vous donner du travail supplémentaire, surtout que vous êtes dans le jus présentement.
— Ne t'en fais pas, des erreurs, ça arrive à n'importe qui, objecte Flavie.
Ses paroles ne réussissent pas à m'apaiser. J'ai le sentiment d'être un fardeau. Mon moral se porterait mieux si je parviendrais à faire les affaires correctement. Mon quart de travail se poursuit avec la boule dans l'estomac qui a pris de l'ampleur. Je m'avance vers une personne à la crinière blonde. Je passe à côté d'elle. Je remarque avec étonnement que c'est Julyanne.
— Qu'est-ce que tu fais ici ! m'exclamé-je.
— Surprise ! Vas te changer, nous allons voir la gang.
Mes réflexions négatives deviennent confuses. J'apprécie me sentir importante et qu'on m'accorde de l'attention, mais j'ai également de la misère à concevoir qu'il y a des gens qui pensent à moi. Je n'apprécie pas qu'on essaie de me déchiffrer, qu'on puisse avoir une opinion à mon sujet. Cependant, je crois que si j'étais obligée de choisir entre être perçue ou être invisible, je sélectionnerais la première option.
— Attends une minute, j'arrive !
Je vais donner la facture à ma dernière cliente. Nous allons ensuite dans le local réservé aux employés. J'observe un instant Julyanne.
— Tu te maquilles moins fréquemment que moi et tes maquillages sont toujours plus beaux que les miens. Ce n'est pas juste, grommelé-je en pointant du menton ses traits d'eyeliner parfaits.
— Je peux faire ton maquillage, si tu veux.
— J'aimerais trop !
Je prends mes objets dans mon casier et on s'enferme dans la salle de bains. Je lui tends ma sacoche avant de m'asseoir sur le siège de la toilette. Elle fouille à l'intérieur pour attraper mon crayon.
La blonde rompt la distance qui nous sépare. Tout en faisant ma ligne, elle se mord la lèvre inférieure. Une ribambelle de papillons s'envolent dans mon ventre. J'ai envie de l'embrasser.
— Je sais que je suis irrésistible, mais je souhaite que tu arrêtes de te tortiller. Je ne veux pas rater ton maquillage.
Mon organe rate un battement. Je restreins mes mouvements. Quand elle termine, je me lève et jette un œil au miroir. Je souris, satisfaite du résultat.
— C'est aujourd'hui que nous allons annoncer au groupe pour nous deux ?
Elle cesse de bouger pendant une fraction de seconde. Sa mâchoire s'ouvre pour se refermer aussitôt.
— Bryan est amoureux de moi. Je voudrais dénicher un moment pour lui en parler en privé avant de le dire aux autres, confesse-t-elle en regardant ses pieds.
Je suis déçue. Néanmoins, je respecte sa décision. Je me dévêtis pour enfiler une tenue décontractée puis nous sortons. Nous tombons nez à nez avec Jimmy. Je suppose que c'est maintenant sa pause.
— C'est qui ? demande-t-il.
— C'est ma copine.
— Tu as bon goût.
— Oui, mais tu n'as aucune chance, elle m'appartient.
— En effet, tu n'as aucune chance, réplique-t-elle en enlaçant ses doigts dans les miens.
Un frisson agréable parcourt ma colonne vertébrale.
— Vous êtes drôles, constate-t-il, avec un rictus. J'imagine que tu t'en vas fêter ?
— Exactement !
— Amuse-toi bien !
— Merci, bon courage pour la suite de ton chiffre !
Installés autour de la table, nous venons de déguster un bon repas. Mes iris balayent la pièce et s'arrêtent sur chaque visage. Je suis heureuse d'être avec eux. Je ne pouvais pas espérer mieux comme soir d'anniversaire. Je croyais réellement que j'allais terminer ma journée devant une série accompagnée d'une boîte de petits gâteaux.
Mes compères échangent des banalités. Je cesse de les écouter lorsque j'ai l'impression qu'on m'observe. Je constate qu'il s'agit de Julyanne. Ses yeux sont rivés sur ma poitrine. Je souris malicieusement avant de détacher un bouton de ma chemise. Ses prunelles s'assombrissent. J'en déboutonne un deuxième. Elle se lèche les lèvres. Je me penche légèrement afin d'optimiser sa vue. La blonde s'éloigne de la bande. Je vais la rejoindre.
Dans le couloir, j'inspecte le moindre recoin. Cependant, je ne la trouve pas. Je me fais plaquer dos au mur. Je lâche un gémissement de stupéfaction. Mon cœur s'affole.
— C'était tellement évident que tu allais me suivre.
— En même temps, c'est impossible de te résister.
Nos langues entament une danse endiablée. Une chaleur se répand dans mes reins. Elle abandonne ma bouche pour parsemer mon cou de baisers. Elle mordille ensuite mon lobe d'oreille. Son parfum à la vanille chatouille mes narines. Elle saisit mon poignet et nous allons dans la salle de bains. L'interrupteur est fermé. C'est la lumière du corridor qui nous permet de voir.
Je m'assois sur le comptoir. Nos lèvres se touchent encore. Elle commence à caresser ma cuisse. Ma peau frisonne à son contact. Sa paume se faufile en dessous de ma jupe et vient à l'occasion frôler mon entre-jambe.
— J'ai envie de toi.
— Tu dis que j'ai beaucoup d'appétit, mais tu n'es pas mieux.
— Chut ! s'écrit-elle en posant son index sur ma bouche.
Je suce son doigt. Elle en rajoute un. Sa respiration est saccadée. Elle les enlève. On s'embrasse de nouveau. L'endroit devient clair.
— Je le savais ! clame Megan dans l'encadrement de la porte.
Je me détache d'elle. Je sens mes joues chauffer.
— Comment ça, tu le savais ? questionné-je.
— Tu adressais à peine la parole à Julyanne et désormais tu traînes avec elle. Par contre, je vous avoue que c'est surtout votre regard qui m'a éveillé des soupçons. Des amies, ça ne se scrutent pas de cette façon.
— Tu crois que les autres l'ont deviné également ? interroge la blonde.
— Je ne pense pas. Ils ne sont pas aussi observateurs que Megan. La preuve est qu'Adam ne s'est jamais aperçu que tu as emprunté sa voiture quand nous étions au chalet.
— Tu as pris sa voiture ? Je n'ose pas imaginer ce qu'il aurait pu te faire s'il l'avait découvert ! s'écrit ma meilleure amie.
— J'ai essayé de la dissuader, mais elle ne voulait rien entendre. Julyanne a la tête dure.
— Tu n'es pas bien placée pour parler. Tu es parfois plus têtue que moi ! riposte-t-elle.
Je lui tire la langue.
Megan, à mon côté, nous revenons de chez les garçons. Ce n'est pas rare qu'elle m'assiste puisque nos maisons sont près. Les lampadaires illuminent notre chemin et la brise fait tressaillir les parties dénudées de mon corps. L'ambiance est calme. Il n'y a pas beaucoup de monde qui arpente les rues.
— Je n'arrive toujours pas à croire que tu m'as caché ça !
— Elle ne voulait pas que j'en parle.
— Ce n'est pas une raison. Je suis ta meilleure amie. Nous sommes censés tout se dire !
— Désolée.
— C'est pardonné. Vous êtes trop mignonnes ensemble.
— Je sais.
Je ne perçois pas de gêne en sa présence. Je n'ai pas besoin de jouer un rôle. Cela ne m'était en aucun cas arrivé auparavant. Pas même avec ma meilleure amie qui est très ouverte d'esprit et adorable. Contrairement aux autres, après avoir passé du temps avec elle, je ne suis pas épuisée. Je crois que c'était une évidence qu'on se mette en couple.
— C'est la première fois que je te vois ainsi. Tu as l'air si... rayonnante. Je suis contente pour toi.
— Merci, bafouillé-je.
Nous continuons notre marche dans le silence.
— Il y a un détail qui m'échappe. Il me semble que tu n'appréciais pas Julyanne ?
Megan m'avait donné rendez-vous dans un restaurant. Elle voulait que je fasse la connaissance de son groupe. Mon interaction avec la blonde avait été catastrophique. Non seulement, je n'aimais pas sa personnalité, mais je n'aimais pas également les trucs qu'elle me faisait ressentir. Je n'oublierai jamais les frissons qui s'étaient emparés de mon être lorsqu'elle m'avait fait la bise.
Je la trouvais prétentieuse avec ses histoires qui sont insensées. Je ne comprenais pas pourquoi les gens la dévoraient du regard. Ce qui m'enrageait davantage, c'est que malgré le fait que j'avais un comportement exécrable en sa compagnie, elle demeurait gentille. Quand ma meilleure amie m'avait demandé mon opinion sur la soirée, j'avais eu le réflexe de lui répondre que je détestais Julyanne.
— Oui, au moment de sa rencontre, mais j'ai appris à la connaître et j'ai compris que j'éprouvais de l'affection à son égard. Je ne voulais pas me l'avouer, alors j'ai continué à prétendre le contraire.
Elle me fait un rictus moqueur.
— Petite cachotière ! lance-t-elle en me frappant doucement avec son coude.