13 septembre 1943 – Paris occupé
Le jour tombait doucement sur Paris, la lumière des lampadaires commençait tout juste à jeter une lueur blafarde sur les rues pavées. La ville semblait presque paisible, si ce n’était les patrouilles schleues qui arpentaient les boulevards. Je n’avais qu’un sac à main, une robe sombre, et une mission simple en apparence : entrer dans le bâtiment administratif nazi pour récupérer des informations essentielles sur les unités protégeant Julius Ritter. Ce que je savais de cette tâche, c’est qu’un oubli, un geste maladroit ou un mot de travers ne me laisseraient aucune chance de sortie. Clément m’avait expliqué le plan avec une précision militaire.
— Les bureaux du service de logistique de la Wehrmacht se situent rue de Tilsitt. Un nid de paperasse. Ils possèdent des dossiers détaillés avec les plannings. Ces documents sont destinés aux gardes rapprochées, mais on va les leur emprunter.
Je l’avais regardé, incrédule.
— Tu veux que je marche dans un bâtiment rempli de Frisés en pleine nuit pour fouiller leurs archives ?
Clément avait souri.
— Non. Tu vas y entrer pendant la journée. En civil. Ils ne surveillent pas autant les secrétaires françaises qu’on pourrait le croire.
Je me souvenais de la désinvolture de ses paroles tandis que je remontais maintenant le col de mon manteau. Les bureaux de la Wehrmacht[1] trônaient dans un immeuble austère, sa façade barrée de drapeaux nazis rouge et noir. L’odeur du tabac et du papier moisi flottait dans l’air, mêlée au claquement sec des bottes sur le parquet. La lourde porte principale était flanquée de deux gardes armés, qui suffisaient à rappeler à quiconque qu’après le seuil, nous n’étions plus en France. Je me présentai à l’accueil avec un sourire nerveux, mais poli, tenant un dossier que j’avais préparé. À l’intérieur, des documents anodins, mais assez crédibles pour justifier ma présence. En complément, une camarade, Suzanne, m’avait inscrite au registre des intervenantes. La réceptionniste, une saloperie de collabo, me souriait avec un air détestable.
— Votre nom ? demanda-t-elle.
Je répondis sans hésiter, retenant mon souffle en prononçant mon faux nom.
— Suzanne Tellier. J’apporte un rapport du ministère des Travaux publics concernant des « dérangements » liés aux « rats ».
Elle haussa les sourcils, mais se contenta d’un signe de tête avant de m’indiquer un escalier sur la droite. Elle avait compris le code. Les rats, c’étaient nous, les résistants.
— Troisième étage. Bureau 305. Dépêchez-vous.
Je montai les marches, mes mains crispées sur mon dossier. À chaque niveau, je croisais des officiers en uniforme, des secrétaires transportant des piles de papier, et parfois même des soldats en discussion animée. Personne ne me prêta vraiment intérêt, mais je sentais le poids de chaque regard. Arrivée au troisième étage, je parcourus les couloirs en essayant de ne pas attirer l’attention. Je vis un groupe de SS se bourrer la gueule. Le bureau des archives était marqué d’une simple plaque métallique : « Logistique et Transports – Archives. »
J’observai autour de moi. Aucun garde. Ils ne prenaient même pas la peine de fermer, ces cons. Je reclaquai doucement la porte derrière moi et pénétrai dans la pièce à l’air chargé de l’odeur du papier vieilli et de tabac. Des étagères en acier bordaient les murs jaunis, remplies de classeurs et de dossiers. Je savais ce que je cherchais : les ordres de patrouille et de protection pour Julius Ritter. Ce type de document serait répertorié sous « Déplacements prioritaires » ou quelque chose de similaire. Je commençai à fouiller, mes doigts glissant sur les étiquettes en allemand. Chaque seconde semblait durer une éternité. Les bruits de pas dans le couloir me faisaient tressaillir, mais je continuai, méthodiquement.
Rien du tout. Je décidais de changer de bureau avant de trouver l’objet de ma quête. Celui du superviseur nazi. Vide, mais pour combien de temps ?
Je cherchai partout et enfin je tombai sur coffre-fort laissé ouvert. Parmi les documents, un dossier marqué « Ritter, Julius – Protocole de sécurité ». Je l’ouvris. À l’intérieur, des détails sur son itinéraire quotidien, les horaires des patrouilles, et même les noms des officiers responsables. Tout ce dont nous avions besoin pour finaliser notre plan. Je glissai les documents dans mon sac, refermai le classeur. Je perçus des bruits de pas et m’abaissai à quatre pattes.
J’entendis un homme derrière moi. Il me regardait, il jetait un coup d’œil malsain, je le sentais chercher un angle pour apercevoir le plus loin possible dans mon intimité. Je me levai promptement avec un visage confus. Il s’agissait sûrement du plus gros porc du lieu, le chef de tout ça.
— Je suis désolée, monsieur, j’ai fait tomber ma boucle d’oreille dans votre bureau.
Il me tournait autour en train d’observer sur son bureau, mais je n’avais laissé aucune trace.
— Qui êtes-vous ? me demanda-t-il sèchement.
— Suz… Suzanne Tellier, monsieur.
Il s’approcha de mon cou pour sentir mon odeur, parfumé pour l’occasion par de la rose.
— Hm… Très bien, Mme Tellier, je vois que vous n’avez pas d’alliance, j’aimerais vous revoir. Êtes-vous disponible prochainement ?
Je devais improviser, et vite.
— Je… je dois partir quelques jours, mais nous pouvons sûrement trouver un temps pour cela en octobre…
Il me prit une fesse à pleine main. Je restai tétanisée, avant qu’il me pousse gentiment vers la porte.
— Alors, faisons cela. Venez me revoir, ou je viendrai chez vous.
Alors que je descendais les escaliers, mon cœur s’emballa. J’étais folle de rage, je voulais lui rendre la monnaie de sa pièce. Il va payer, ce gros sac à merde !
Un groupe de soldats montait dans ma direction, riant bruyamment. L’un d’eux, un jeune officier blond, me jeta un regard curieux.
— Vous travaillez ici ? lança-t-il en allemand.
Je répondis avec un sourire crispé.
— Non, je viens de déposer un rapport au troisième étage. Je reviens du bureau du responsable.
Il sembla hésiter un instant, puis haussa les épaules avant de continuer son chemin. Je venais du bon endroit. Je me précipitai hors du bâtiment, respirant enfin à pleins poumons une fois dans la rue. Clément m’attendait dans un appartement miteux à quelques encablures de là. Je jetai le dossier sur la table, puis fondis en larmes, choquée et dévastée par la scène vécue.
— Tout est là, annoncé-je, ma voix tremblante.
— Tu as fait du bon travail, Madeleine. On a tout ce qu’il nous faut maintenant. Que s’est-il passé ?
Je lui racontai en détail ma très désagréable mésaventure.
[1] Armée de terre allemande.