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Chapitre 26

L’ordinateur portable trône parfaitement au centre. Pas un stylo ne traîne hors de leur verre. Pas une feuille ne dépasse du tas, et une longue règle métallique s’étale de tout son long parallèlement au meuble. À la différence du bureau de Casey, dans lequel des photographies dévoilent des aspects intimes de sa vie personnelle, rien n’est divulgué dans celui de la Capitaine. Elle met un point d’honneur à ne pas mélanger vie privée et vie professionnelle, si bien qu’après son mariage, elle a gardé son nom de jeune fille et ne porte aucune alliance autour de son annulaire gauche, même si tout le monde connaît Richard Peterson, son mari, qui occupe un poste de conseiller municipal. Question de principe. Elle souhaite être reconnue en son nom, et non comme : la femme de.

Helen observe le jeune homme assis en face d’elle, dont le regard trahit à la fois une profonde amertume et une rage sourde. Ces yeux ont vu l’impensable, songe-t-elle, et ils l’ont enregistré dans leur ADN.

— Pourquoi n’êtes-vous pas venu vous confier à moi plus tôt ?

L’attention de Raphael dérive sur un tas de diplômes suspendus au-dessus d’un bahut en bois brut. Lui n’en a aucun.

— Peut-être qu’une partie de moi a encore du mal à réaliser que des gens comme vous me croient.

— Des gens comme nous ?

— Si… instruits. Votre boulot se base sur la rationalité et les faits concrets. Pas sur des suppositions et encore moins sur des visions.

— L’instruction d’une personne ne se base pas sur un bout de papier. Tenez, par exemple. J’ignore tout du monde de l’occulte, et Dieu sait que cela doit être aussi intéressant que complexe.

— Je n’y connais rien non plus. Ce que je suis, je ne l’ai pas choisi. J’ai même tenté par divers moyens de m’en débarrasser. Ce n’est pas un don, loin de là. Je vois ces gens mourir atrocement et je ne peux rien faire pour empêcher ces prédictions de se réaliser. Il m’arrive parfois de ne plus savoir différencier ces rêves de la réalité, ou de ne pas comprendre leur signification profonde. Je ne souhaiterais ça à personne, même pas à mon pire ennemi. Un jour, je finirai par perdre la raison. Si ce n’est pas déjà fait.

— Voyons, réagit Helen, à travers un sourire chaleureux. Ne dites pas ce genre de chose. Je suis sûre que vous vous débrouillez très bien. Venons-en à la raison de votre présence dans mon bureau. Vous êtes là pour Nikita Pavel.

— J’ai appris que vous étiez amis.

— C’est exact. Nous formions une petite bande avec les garçons et d’autres filles.

— Dont Margaret Taylor, précise Raphael.

Elle acquiesce.

— Elle s’appelait encore Campbell à cette époque.

— Vous êtes restées amies après l’incendie ?

La capitaine marque un temps. Puis ses fines lèvres s’étirent.

— Êtes-vous en train de m’interroger, monsieur Kelly, plaisante-t-elle, je ferais mieux d’appeler mon avocat si tel est le cas.

Le collaborateur s’enfonce dans son siège.

— Pardon. Je ne voulais pas me montrer invasif.

— Vous êtes venu pour ça. Pour répondre à votre question : nos chemins se sont séparés après ce drame. Nous nous saluons brièvement lorsque nous nous croisons, mais nos échanges s’arrêtent là.

— Pourquoi ? Un tel drame aurait dû vous rapprocher, non ?

— Je l’ignore. Si je ne me trompe pas, l’initiative venait surtout de Margaret. On venait de perdre de très bons amis et son petit copain était accusé du crime. Ma présence lui rappelait peut-être trop cette tragédie.

Elle se penche en avant, les mains jointes.

— Êtes-vous convaincu à cent pour cent que Nikita est mort ? Ne vous êtes-vous pas trompé ? Vous m’avez dit que, parfois, il vous arrivait de ne pas saisir le sens de vos rêves. Peut-être est-ce le cas ici.

— Un renard aux yeux jaunes, ça vous parle ?

La bouche d’Helen s’affaisse tandis qu’elle colle son échine contre le dossier de son siège.

— C’était la mascotte non officielle de l’équipe d’aviron, souffle-t-elle, Nikita en avait eu l’idée. Il était l’un de leurs meilleurs éléments, si n’est Le. Sa force et son talent pour rassembler les troupes avaient attiré bon nombre de recruteurs. Il aurait pu aller loin. Très loin. Il s’imaginait déjà participer aux Jeux Olympiques et remporter la médaille d’or. Il voyait les choses en grand et rêvait de quitter Bellwood.

— Vous avez cru à sa culpabilité ?

Elle hésite avant de répondre.

— Pas au début. Nous étions amis et tout le monde s’entendait à merveille. Je ne comprenais pas quel motif aurait pu le pousser à les tuer tous les trois. Puis Aaron Crawford a témoigné, mais il restait toujours cette zone d’ombre ; le mobile. Aujourd’hui encore, j’ignore ce qui a bien pu se passer. Du moins jusqu’à maintenant, ajoute-t-elle, en ancrant ses pupilles dans celles de son collaborateur. Puisque d’après vous, Nikita était innocent.

— Aaron protégerait quelqu’un ?

La capitaine paraît soudain ailleurs, puis elle se lève et sépare deux lames du store vénitien pour observer le parking où Mike Coffin discute avec Chloe Greene. Ce dernier agite les mains avec agacement, tandis que la jeune femme se tient en retrait, bras croisés sous sa poitrine.

— Pas forcément. Peut-être a-t-il vu Nikita ce soir-là, mais qu’avec la nuit, il a mal interprété les faits. Aaron est un esprit fragile. Si le capitaine Campbell lui a mis la pression à l’époque pour trouver le coupable, il se peut qu’il ait avoué ce qu’il voulait entendre. Vous avez parlé à Boris Pavel. Vous devez savoir que Duncan ne les portait pas dans son cœur.

— Il pense à un crime raciste.

Anderson rejette cette hypothèse d’un geste de la main.

— Sa rancune envers notre ville ne s’est jamais tassée, malgré les années. Il cherche un coupable à blâmer, autre que son frère. C’est compréhensible. Je ne minimise pas le mal que certaines familles ont pu infliger à ses parents et à lui. Toutes ces menaces n’avaient pas lieu d’être. Et croyez-moi, ils avaient de l’imagination à revendre. Un jour en rentrant du lycée, j’ai aperçu Andrey Pavel en train de récurer la devanture de leur vidéoclub. Le terme « ASSASSIN » avait été écrit en rouge vif. La rumeur disait qu’il s’agissait de sang de porc.

— C’était vrai ?

— Je l’ignore. C’étaient des ouï-dire, mais ça me paraissait gros. Je voulais interroger Margaret à ce sujet. Son père travaillait dans la police, je me suis dit que, peut-être, il connaissait le fin mot de cette histoire. Je n’ai pas eu le cran de venir lui poser toutes ces questions. Son petit ami s’était volatilisé et était accusé de meurtre de nos camarades. Ça aurait été malvenu de ma part. Mais avant ça, jamais les Pavel, ni les Novak n’avaient subi d’injures ou de menaces concernant leurs origines russes ou polonaise. Ces deux familles s’étaient très bien intégrées dans notre communauté. Alors, cette théorie sort un peu du chapeau.

— Qui aurait pu mettre le feu d’après vous ?

— Si j’avais une idée, vous pensez bien que j’en aurais fait part à la police en 81. Tout le groupe a été interrogé, moi y compris. Pour des raisons que j’ignore, les investigateurs se sont concentrés sur Aaron et la suite, vous la connaissez.

— De l’eau a coulé sous les ponts. Vous pourriez voir les choses différemment d’un point de vue adulte. Aaron par exemple, j’ai entendu dire que Nikita n’était pas toujours tendre avec lui.

— C’est vrai. Et il n’y avait pas que lui. Bien qu’il n’y ait jamais eu de violence, aujourd’hui ça pourrait s’apparenter à du harcèlement. J’ai souvent essayé de leur ouvrir les yeux sur la façon dont ils le traitaient, mais ils n’en faisaient qu’à leur tête.  C’était pour s’amuser. Mais Aaron était… Est toujours un enfant dans sa tête. Je ne l’imagine pas faire du mal à qui que ce soit.

Après le crime raciste, je décide d’aborder l’autre mobile.

— Avez-vous remarqué quoi que ce soit entre Jimmy et Anthony ? poursuit Raphael.

Elle pivote sur ses talons et s’appuie contre la vitre.

— Vous, vous avez parlé à Terry, je me trompe ? Il m’a rendu visite une paire de jours après l’incendie et m’a posé la même question. Je vais donc vous fournir la même réponse : non, je n’ai rien vu qui puisse témoigner d’une quelconque relation entre eux. Ils s’appréciaient comme pouvaient s’aimer de bons copains. De là à imaginer une romance. Je ne peux ni l’infirmer ni le confirmer. Peut-être se cachaient-ils. Les esprits n’étaient pas aussi ouverts qu’aujourd’hui. Ou bien, c’était simplement deux jeunes garçons avec une amitié fusionnelle.

— Pour Nikita, vous comptez faire quoi ?

— Je dois convaincre les plongeurs de la brigade fluviale de sonder une nouvelle fois le lac. Néanmoins, cela risque d’être compliqué.

— S’ils retrouvent le corps, que va-t-il se passer ?

— Je rouvrirai l’enquête. Officieusement, Nikita Pavel a été déclaré coupable. Officiellement, l’affaire n’a jamais été close.

Un silence.

— Par curiosité, vous n’avez rien concernant Adam Taylor ? interroge Helen.

Les cris de détresse de Margaret et le visage blafard de Rick lors de l’annonce du décès de leur fils hantent ses pensées. Elle aurait pu se débarrasser de cette tâche ingrate en envoyant un adjoint du shérif escorté de son lieutenant, mais elle a tenu à être présente pour son amie d’enfance. Harris l’a accompagné pour la forme, cependant, les mots fatidiques sont sortis de sa bouche, bouleversant à jamais la vie du couple.

— Rien de concret, répond Raphael.

— Comment vous l’expliquez ?

— Je ne sais pas… Peut-être qu’il n’y a plus rien à découvrir. Mis à part son meurtrier, bien sûr. Je veux dire… Même si je vis avec cette chose depuis plus de vingt, tout ça, c’est nouveau pour moi. Je ne me suis jamais autant impliqué dans ces visions. Je ne sais même pas si je vous suis autant utile que ça. Pour Hasna, par exemple… Je ne vous ai pas tellement aidé. Au final, vous l’avez retrouvée grâce aux battues, pas à mes visions. Et son meurtrier court toujours.

— Ne vous rabaissez pas. Sans vous, nous n’aurions pas eu connaissance de sa disparition.

— Un avis de recherche avait été lancé. Vous l’auriez découvert tôt ou tard, la contredit-il.

— Vous nous avez fait gagner du temps.

Raphael enfonce ses poings dans la poche ventrale de son pull. Helen désigne la porte.

— Vous vous faites votre place parmi nous, Raphael ? Vous permettez que je vous appelle Raphael ?

— Oui, je préfère.

— Comment se passe votre intégration ? Ça fait trois semaines que vous êtes parmis nous et nous n’avons pas eu beaucoup de moments pour discuter d’autre chose que de l’enquête tous les deux. Veuillez m’en excuser, nous avons été débordés ces derniers temps.

Raphael hausse les épaules.

— L’équipe est sympa.

— Vous avez l’air de bien vous entendre avec les Greene. J’ai constaté que vous veniez souvent avec eux le matin.

— Sam a proposé de me conduire les jours de neige ou de verglas.

— C’est gentil de sa part. Sam est un bon garçon. Et Harris ? Il n’est pas trop dur avec vous ? Il peut parfois se montrer rude, mais ne lui en tenez pas trop rigueur. Lui aussi revient de loin.

— C’est en rapport avec son ancien coéquipier ?

Helen fronce ses sourcils.

— Il vous en a parlé ?

— J’ai vu la photo sur son bureau. Et j’ai senti… un profond désespoir. Que lui est-il arrivé ?

— Ce n’est pas à moi de vous le dire. Et si je peux vous donner un conseiller, évitez d’aborder le sujet avec lui. C’est encore frais.

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