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Chapitre 5

Après avoir interrogé Nora Fawcett — la gérante de l’épicerie — qui ne leur a rien appris de plus sur la disparue, le lieutenant Casey Harris accompagné de son adjoint, se rend au motel Beaver : seul lieu possible ayant pu héberger Hasna Malek durant son séjour à Bellwood. L’interrogatoire des parents Taylor leur a appris qu’elle ne louait pas de chambre chez eux. Harris imaginait alors mal cette femme se résoudre à passer des nuits glaciales dans sa voiture, surtout en compagnie d’un bébé âgé d’à peine quatre mois.

— Vous pensez quoi de cette histoire ? s’enquiert Casey une main sur le volant, l’autre maintenant une cigarette entre deux doigts.

— De cette femme et de son enfant ?

— Non. De ce type qui prétend avoir rêvé d’elle.

Un nuage de fumée glisse de ses lèvres, puis se faufile par-dessus la vitre entrouverte.

— Il vous a parlé des griffes, non ? On sait qu’il se trouvait en Alaska en octobre, alors si vous aviez pu avoir des doutes sur son implication dans ce crime, c’est matériellement impossible.

— Mouais. Il y a quelque chose de pas très net chez lui. Vous ne l'avez pas trouvé bizarre ? Nerveux ?

— Si, mais je veux dire… Il vient nous annoncer qu’une femme a été assassinée dans une sorte de rêve prémonitoire. Moi aussi, je serais nerveux à sa place. Vous auriez pas peur d’être pris pour un fou, vous ?

— Donc vous le croyez ? Hum… Je ne vous imaginais pas si ouvert dans ce trou.

— Disons que s’il n’avait pas sorti ce détail au sujet des griffes, j’aurais émis des réserves, envisage Sam Greene, mais là on doit se faire une raison.

— Ouais, je sais. C’est impossible. Pourtant il est au courant.

Casey Harris écrase le mégot dans un cendrier plein fixé au volet d'aération. Il a commencé à fumer un an plus tôt. Avant ça, il se souciait de sa santé ; séances de sport intensives, pas d'alcool ni de cigarette, menu équilibré. Il trouvait idiots tous ceux qui clopes au bec achetaient leur cancer. Puis toute cette merde s’est enchaînée et il se trouve désormais incapable de passer une journée sans sa dose de tabac quotidienne. Heureusement que sa femme n’est pas là pour lui faire les gros yeux.

Le froid ne met pas longtemps à les envelopper lorsqu’ils quittent leur véhicule, et c’est à la hâte que le duo pénètre dans la réception. Un fin voile gris virevolte depuis un cendrier posé sur le comptoir. D’un pas lourd, Harris se dirige droit sur le meuble derrière lequel un homme filiforme lit le journal local. Celui-ci lève les yeux et, se redressant, affiche un air étonné face à l’uniforme du jeune adjoint.

— Messieurs, que puis-je faire pour vous ? demande Oswald Beaver sans lâcher le lieutenant du regard.

— Vous avez un instant ? Nous avons quelques questions à vous poser au sujet d’une femme qui aurait pu séjourner dans votre motel, annonce Harris en invitant son adjoint à poursuivre.

Sam Greene extirpe une photographie de la disparue d’une pochette et la tend au vieil homme. Le gérant hisse ses lunettes sur son nez afin de mieux observer le cliché qu’il attrape du bout des doigts. En réponse à ce geste étrange, Sam se raidit. Ce qui n’échappe pas à l’œil aiguisé de son lieutenant.

— Vous la reconnaissez ? demande Greene, d’un ton sec.

— Sûr. Attendez…

Le soixantenaire feuillète son registre.

— La voilà. Lauretta Willis. Elle loge dans la 9.

Les deux flics se dévisagent. Le lieutenant se penche par-dessus le comptoir.

— Lauretta Willis, vous dites ?

— Oui, c’est ça. Regardez. Elle est arrivée le 23 novembre au soir. Elle avait un p’tit avec elle.

Il propose le livre à Casey. Celui-ci s’en empare et vérifie les pages récentes. Le Beaver accueille peu de visiteurs. Les touristes de passage préfèrent sans doute sortir le porte-monnaie pour dormir en ville, plutôt que de s’arrêter ici. S'il n’y avait pas ces voitures sur le parking, on pourrait croire le motel à l'abandon. Et la sensation empire une fois à l’intérieur. Harris en vient même à se demander comment cet établissement peut encore accueillir des clients.

N’y a-t-il pas des normes sanitaires dans ce genre d’endroit ?

En apparence, aucune Hasna Malek n’a séjourné ici. En apparence seulement. Le vieil homme l’a formellement reconnue et a même confirmé la présence du nourrisson.

— Vous avez vérifié ses papiers ? demande Harris en lui rendant son registre.

Sam Greene pouffe face à cette remarque.

— Ce n'est pas la politique habituelle de l'établissement, d'exiger une vérification des papiers. On en a pourtant déjà discuté, Oswald. Depuis l’affaire de la fugueuse, vous deviez vous en assurer à chaque fois.

Les deux hommes échangent un regard empli d’hostilité.

— Cette pauvre femme avait les bras chargés et son p’tit braillait, se justifie-t-il, je lui ai dit de signer et de s’installer… qu’on s’occuperait de la paperasse plus tard. Après voilà, elle ne me cause pas de problème. Elle paye au jour le jour, en espèce. Elle n’avait pas l’air d’une criminelle !

— Vous vous foutez de moi, s’emporte Sam, elle ou une autre, vous ne vérifiez jamais leurs identités ! Si je vais toquer à la porte de votre client, là, je suis prêt à parier que vous ne lui avez pas demandé à voir ses papiers lors de son inscription. Continuez comme ça et je vais vous le fermer, votre trou.

Harris s’interpose entre les deux hommes.

— Du calme, Greene, tempère-t-il, on n’est pas venus pour un contrôle sanitaire. Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois ?

— Hier après-midi. Elle a pris sa voiture et est partie en direction d’la ville. Elle faisait régulièrement un tour à l'épicerie. Elle revenait les bras chargés de nourriture et de couches pour bébé.

— Comment vous l’avez trouvée ? demande Greene.

— Bien, comme les autres jours. Pourquoi vous la recherchez ? Elle a fait quelque chose de mal ? Ne me dites pas qu’elle a kidnappé ce môme ?

— Non, répond Harris, au contraire, il se pourrait qu’elles soient en danger. Vous n’avez rien remarqué d’étrange ces derniers temps ? Un rôdeur ? Un comportement inhabituel ? Recevait-elle de la visite ? N’importe quoi, qui sort de l’ordinaire.

— Bah… Y a cet homme qui est passé plus tôt dans la matinée. Vous l’avez loupé de peu. Il voulait une chambre. Mais le plus bizarre, c'est qu’il a menti sur la raison de sa présence. C'est un gars de la ville, je l’ai déjà croisé au Daily Stop. Il a prétexté une fuite de toit, avant de changer de discours et de m’avouer qu’il cherchait la fille.

— Je présume que vous ne lui avez pas demandé son nom, devine Greene.

— Ben si, pour tout vous dire. C’est justement à ce moment-là qu’il a foutu le camp.

— Ce ne sera pas la peine, intervient Casey Harris, laissez-moi deviner. Brun, plutôt petit, mal rasé et le teint maladif.

Beaver approuve.

— Je vais lui faire la peau à ce petit con, maugrée le lieutenant, rien d’autre ?

— Non, elle ne recevait personne et je n’ai rien remarqué. Mais je ne suis pas non plus là, épier chacun des faits et gestes de mes clients. Tout ce que j’sais, c’est que cette petite n’avait pas l’air d’aimer sortir. Elle faisait ses courses et revenait se terrer dans sa chambre. Rien à voir avec les touristes que je reçois en général. Eux ils aiment vadrouiller dans les bois. Beaucoup de légendes y circulent. Ils vont tous voir l'arbre aux Indiens. Vous savez… là où on aurait découvert tous ces corps.

Casey hoche la tête. Il avait vaguement entendu parler de cette légende macabre, même si la véracité de cette histoire reste à démontrer pour certains. Il prend des notes sur son carnet, quand Oswald Beaver semble soudain plonger dans ses souvenirs les plus sombres. Il pousse un soupir, et ses yeux, autrefois vifs, s’obscurcissent.

— Beaucoup de malheurs ont eu lieu dans ces bois. Le mal y rôde.

— Pourquoi dites-vous ça ?

— Ben… Y a eu le fils Taylor, puis les incendies. Cette forêt est maudite. Moi, je n’aime pas m’y balader. Pas sans mon fusil.

— Des malheurs ont lieu tous les jours aux quatre coins du monde, commente Harris, vous souvenez-vous du modèle de véhicule que mademoiselle Malek conduisait ?

— Un GMC de couleur grise. Ne me demandez pas la plaque, ça je n’en sais fichtre rien.

— Bien, je crois que nous avons tout ce qu’il nous faut pour le moment. D’autres questions, Greene ?

— Aucune.

— Alors, nous allons passer à la chambre. Vous conservez des doubles, je présume ?

Oswald opine.

— Vous présumez bien.

Il sort un trousseau de la poche de son jeans couvert d'anciennes taches de peintures dont il se sert pour déverrouiller un tiroir de son bureau. Il fouine à l'intérieur et en tire une clé attachée à un cercle en bois gravé d’un numéro qu’il donne au lieutenant. Le duo d’enquêteurs s’apprête à sortir quand Beaver les stoppe.

 — Une dernière chose. Ce p’tit tout à l’heure, quand je lui ai demandé quelle chambre l’intéressait, il m’a répondu du tac au tac la 9. C’est peut-être un détail, mais sachant que la femme que vous recherchez y loge, je préférais vous le dire.

Harris hoche la tête avant de quitter la réception, talonné par Sam Greene.

— Qu’est-ce qui vous est arrivé tout à l’heure, demande le lieutenant en se frictionnant les mains.

— Quand ça ?

— Je vous ai trouvé bien dur avec ce type.

— C’est vous qui dites ça, réplique l’adjoint, vous n’avez pas beaucoup ménager notre témoin au poste.

— Moi, c'est moi. Vous c’est vous. En huit mois ici, je ne vous ai jamais vu vous adresser à un témoin de cette façon. Surtout que ce type m’a paru réglo. Il répondait à nos questions sans tourner autour du pot.

— Oswald est un emmerdeur qui n’en fait qu’à sa tête. Il ne respecte pas les consignes qu’on lui donne. Plusieurs fois, on lui a dit de remettre son dépotoir aux normes. Vu l’état du bâtiment, ce n’est toujours pas le cas.

Sam devance son supérieur. Son poing fait vibrer le 9 lorsqu'il cogne contre la porte.

— Hasna Malek, s’exclame-t-il, c’est la police.

Les deux flics tendent l’oreille. Pas de réponse. Aucun signe de vie. Le lieutenant frappe une seconde fois. Plus fort.

— Hasna Malek ? Police ! Nous allons entrer.

Comme ils s’y attendaient, la chambre est déserte. Le duo y pénètre avec minutie, prenant garde de ne pas contaminer cette possible scène de crime. Les rideaux tirés les empêchent de voir distinctement. Casey Harris actionne l’interrupteur et une ampoule pendue à des fils électriques illumine le plafond. Il grimace en découvrant l’insalubrité de la chambre.

— Je vous l’avais bien dit, lance l’adjoint Greene en s’avançant sur la moquette rapeuse.

Une valise, grande ouverte, posée sur un fauteuil en piteux état, dévoile son contenu. Quelques vêtements de femme y ont été jetés, mais aussi et surtout de nourrisson, des produits d’hygiène, des langes. L’unique table de la pièce a servi de garde-manger précaire : lait en poudre, biscuit, bouteilles d’eau minérale. Hasna Malek ne s’est visiblement pas remise en route. D’ailleurs, où se rendait-elle ?

Harris scanne la chambre, tentant de dénicher un indice sur sa destination. À première vue, rien ne peut les renseigner sur le sujet. Ce Raphael Kelly a sous-entendu que son mari la violentait. Fuyait-elle loin de lui ? Ils en auront bientôt le cœur net. Son équipe le contactera dans la journée pour le prévenir que la trace de sa femme et de sa fille a été plus ou moins retrouvée. 

Tandis que son supérieur étudie le contenu de la valise. Sam Greene s’occupe d’inspecter la salle de bain. Une poubelle débordante de couches dégage une odeur nauséabonde. Une serviette humide sèche contre la paroi de la douche. Une panoplie de maquillage est posée sur la vasque au côté d’un miroir à clapet orné d’un cerisier en fleurs, tandis qu’un biberon à l’envers recrache ses dernières gouttes dans le lavabo. Sam ne peut s’empêcher de secouer la tête face à l’état de cette chambre. Cet endroit n’a pas changé depuis la dernière fois qu’il a mis les pieds dans une de ces piaules. Oswald Beaver n’a effectué aucune rénovation, tant au niveau de la déco que pour l’isolation. La moisissure dévore les joints du carrelage. Le froid s’engouffre à l’intérieur et il peut suivre sans problème l’émission de radio qu’écoute son voisin. Cette pauvre femme devait être désespérée ou fauchée pour dormir dans ce taudis.

— Vous trouvez quelque chose d’intéressant, Greene ? s’exclame Harris.

— Malek s’était bien installée. Elle n’avait pas l’air d’être sur le point de partir.

Casey rejoint son adjoint.

— N’utilisez pas le passé. On ignore s’il lui est arrivé malheur.

— Pourtant selon Beaver, elle n’est pas rentrée depuis hier après-midi et Kelly a dit…

— Je me fiche de ce que Kelly a dit ou non. Ne vous mettez pas en tête que nous recherchons une morte. Gardez toutes les possibilités à l’esprit. Contactez la scientifique, qu’ils viennent faire des prélèvements. On embarque tout ça.

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