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Lauracledenuit
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1. Derrière les projecteurs

La musique débutait par du piano, puis les violons le rejoignaient dans une mélodie rapide et saccadée. Il n'existait plus que lui, sous les projecteurs. Ses sauts étaient légers, les souffles du public suspendus au moindre de ses mouvements, et les pensées sordides qui le hantaient s'envolaient à chaque entre-chat. Alexandre avait la danse dans la peau. Il vivait pour elle, et elle vivait en lui.

    D'un côté à l'autre de la scène, l'on suivait ses mouvements. Des tourbillons se dessinaient dans l'air quand il tournoyait et y restaient, presque palpables, alors que déjà le soliste passait à autre chose, là-bas, au bout des planches de l'opéra.

    Tout ne lui sembla durer qu'une poignée de minutes, peut-être même de secondes. Le temps d'une seule mesure. Ses muscles endoloris, la séance d'étirements obligatoires ensuite, et la sueur collée à sa peau brillante lui prouvaient le contraire, pourtant.

    Les acclamations résonnaient encore dans la salle quand il quitta les planches, et continueraient longtemps à perdurer dans son esprit. Même au fond de son lit, les applaudissements constituaient la meilleure des berceuses. Souvent, ils tenaient jusqu'au lendemain, l'engourdissant d'une célébrité enivrante.

    La gloire et le succès étaient des délices dont il ne savait plus se priver.

    De retour dans son appartement parisien, Alexandre s'essuya les cheveux après une bonne douche. La seconde de la soirée. S'il en prenait bien une à sa sortie de scène, il ne se sentait réellement propre que s'il était chez lui. Dans sa bulle.

    Cette dernière éclatait facilement, surtout ces derniers mois. Ce soir là, il lui avait suffit d'un regard sur la porte de la chambre de sa mère qu'il avait oublié de fermer en partant. Voir l'enveloppe charnelle recroquevillée sous les draps, à peine perceptible tant elle était flétrie et réduite à l'os, lui retournait l'estomac. Il n'y avait plus dans ses tympans d'échos de joies et de célébrité. N'y résonnait qu'un silence douloureux, qui s'appesantissait à chaque jour, et qui finirait par prendre toute la place quand elle ne serait plus là.

    Sans qu'il n'y songea consciemment, il se dirigea vers son ordinateur portable et l'ouvrit. Tous ses amis étaient loin, maintenant qu'il était monté à la capitale pour s'épanouir professionnellement. A force de ne se voir, au mieux, que quelques fois dans l'année, Alexandre n'arrivait plus à se confier comme avant alors qu'au fond de lui, il en ressentait un immense besoin. Quelque chose se fêlait chaque fois qu'il le conservait trop longtemps et un jour le vase dans lequel il entassait sa peine ne serait plus assez solide pour tenir face aux fissures qui se dessinaient sur ses parois. Il finirait noyé, il le savait.

    Les doigts du danseur tapèrent rapidement un message, une demande à l'aide silencieuse et à peine dissimulée, qu'il effaça avant que son index suspendu au-dessus de la touche entrée ne scelle son intimité avec la thanatopractrice qui s'occupait des funérailles anticipées de sa mère.

    Il ne demanda que l'avancée des devis pour les fleuristes. Il se devait de rester à sa place. Elle faisait déjà beaucoup pour lui. Pour eux.

    Son regard se perdit sur le vieux vase de tulipes séchées qui trônait sur le guéridon de l'entrée. La moindre fleur ici lui donnait envie de vomir. Il les imaginait toutes danser au gré du vent sur une tombe, d'ici quelques semaines. Mais c'était là, s'en occuper, l'un des dernier plaisir de Viviane. Il ne lui retirerait rien de cela. La mort lui enlèverait tout bien assez tôt. La maladie avait déjà rongé la plupart de ses libertés, à commencer par celle de marcher.

    Ses songes furent interrompus par l'alerte d'une réponse. Alexandre jeta un oeil en bas de son écran. 02h32.

    Souvent, il se demandait ce qu'elle pouvait encore faire debout, et si cette jeune employée des pompes funèbres n'avait pas mieux à faire que de lui répondre. Chaque nouveau message à des heures incongrues avait tendance à lui prouver que non. Dans d'autres circonstances, il aurait trouvé cela au mieux triste, au pire pathétique. Sa vie était trop remplie pour qu'il ne s'en accorde le temps, lui.

    Mais désormais il en était presqu'aussi reconnaissant que si l'Opéra de Sydney l'appelait pour s'y produire.

    Cette soupape, où se plaindre et s'épancher sur un deuil qui n'avait pas encore eu le loisir de commencer, était salvatrice. Appliquée, sérieuse et serviable, Charlotte était avant tout faite pour ça : l'écouter, le guider et le conseiller. En journée, tout du moins. De temps en temps, sur les heures de rendez-vous. Mais par sa disponibilité, elle avait fini par entrer dans son intimité avec la maladie et l'ombre de la grande faucheuse. Pire : elle était entrer dans sa tête, là où les aveux de ses faiblesses se faisaient légion.

    Si le fardeau sur ses épaules ne s'envolait pas, au moins la culpabilité ne venait plus se poser dessus comme un oiseau de mauvais augure. Il osait s'exprimer, souvent à demi-mot car il ignorait comment l'on s'ouvrait aux autres, et c'était là une belle victoire.

    Charlotte lui indiquait simplement en trois lignes que les devis des fleuristes n'étaient pas encore tous arrivés.

    S'ils n'étaient pas encore prêts, alors Viviane ne partirait pas. Alexandre se raccrochait à cette idée futile. Il faisait reposer entre les mains de la thanatopractrice des responsabilités idiotes, mais il s'en persuadait : le jour où elle lui annoncerait que tout est en place, alors plus rien ne retiendrait sa mère dans ce bas-monde.

    Alexandre s'affala un peu plus dans le fauteuil. A ce geste il se rendit compte d'à quel point il était encore tendu malgré la vingtaine de minutes qu'il venait de passer sous une eau plus chaude qu'il ne l'aurait fallu.

    Le brun hésitait. Il avait envie de parler, encore et encore, et de faire exister l'étau qui enserrait son coeur en dehors de sa cage thoracique. De montrer au monde qu'il n'avait plus mal en faisant des pointes, mais que ces dernières tabassaient son être à chaque seconde qui le rapprochait d'un deuil trop lourd à porter.

Pompes funèbres à Alexandre Guerrin (2h32) : 
Comment vous sentez-vous, ce soir ? 

    Un sourire fendit le visage d'Alexandre. Sans joie, mais avec un soulagement indescriptible. Ses yeux se fermaient de fatigue, mais une lumière dans la nuit venait de s'allumer. Il ne comptait pas la lâcher, et profitait de chaque instant de cette correspondance précieuse.

    Charlotte pouvait le comprendre, car elle voyait des gens endeuillés tous les jours. Et seulement pour cela...

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