Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
LeScribeObscur
Share the book

Chapitre 1 : Les Hérauts de la Fin

Mercredi 12 février 2025.

Au sud du Sahara algérien, là où les satellites ne captaient que des mirages, Khalarie, cité des sorciers oubliés, pansait ses blessures. Dix années d’affrontements avaient rongé jusqu’à son âme.

Entre une boutique de sortilèges et l’antre d’un oracle, un cabaret délabré résistait encore : la Lice des Djinns. À l’intérieur, les instruments grinçaient sous les torches. Au fond, un bar crasseux servait un breuvage trouble. Même le désespoir hésitait à s’y attarder. Enlil Darck, premier des trois Princes de la Magie, griffonnait fiévreusement des indications sur un parchemin saturé. Stature élancée, crinière d’ébène, costume rouge vif – Sa Majesté maugréa :

— Une arène mouvante. Du genre à rendre maboules les stratèges.

Le stylo-plume crissa : Océanie. Fragmentée. Décors multiples. Nexus égaré.

Flottant en position du lotus, Kieran, athlétique, arborait un survêtement aux couleurs de l’Olympique de Marseille. Second de la fratrie, il faisait osciller un pendule au-dessus d’un grimoire. À chaque rotation, de fines fluctuations s’y formaient, sans briser son sceau. Contemplant son benjamin, il prit son masque de miskine et tenta sa chance :

— Hey, Warren, essaye ? Avec ton talent pour désosser les sorts, ça marcherait ici…

L’interpellé grogna :

— J’ai mes propres emmerdes !

Sapé tel un bourgeois érudit, Warren insufflait un flux de chakra verdoyant dans un iPad à l’agonie. Depuis des années, il tentait de fusionner sorcellerie et technologie. L’artefact surchauffa, vibra… puis s’effondra en un petit tas de poussière.

— Putain ! Merde !

Exaspéré, il frappa la table. La vaisselle éclata avec fracas. Kieran, moqueur, enchaîna :

— Y a des trucs que même la magie ne peut pas encaisser, t’sais.

Rageur, le génie le toisa :

— T’es tellement accro à tes trésors antiques que t’oublies l’essentiel. C’est pas avec trois vieilleries qu’on va rebâtir Khalarie.

Adorant le provoquer, son cadet enchaîna :

— T’as vraiment envie de rester là ? Le monde change. On doit partir, recommencer ailleurs. L’Amazonie bouillonne de possibilités.

Sentant venir l’éternel conflit, Enlil soupira, roula les épaules, puis proposa :

— Un verre ?

Toujours chiffonné, Warren acquiesça.

À leur approche, la foule se scinda. Aucun frôlement. Aucun heurt. Juste un chemin offert par instinct. Les nuques s’inclinèrent. Des chuchotements crépitaient, pareils à des étincelles :

— Regarde-moi ces bombes… Des dieux version sorciers, gloussa une fille. Moi, Warren… qu’il me jette un sort, je succombe direct.

À côté d’elle, un vieux ronchon, perturbé par tant de légèreté, s’agrippa à son narguilé :

— Des dieux… pauvres fous, surtout. Des gosses capricieux avec des jouets bien trop grands pour eux. J’avais prévenu, moi ! Mais qui écoute un tricentenaire ? Jamais, jamais ces deux maudites lignées n’auraient dû se mêler… et aujourd’hui, on va tous en payer le prix. Continuez donc à bâfrer vos illusions, tas d’imbéciles…

Habitué aux fadaises de Rassoudine, Kieran éclata de rire :

— T’as de la chance qu’on ait plus de cachots !

Il veilla à ne pas s’accouder au comptoir et commanda :

— Trois Whisky-Magus, s’il te plaît ! Mandragore, bien frappée ! Et avec un soupçon d’insolence, comme d’habitude.

Le tavernier opina. Enlil ne regardait personne, mais son septième sens l’orienta vers la scène :

— Elle arrive.

Leurs narines frémirent sous la fragrance d’Alien, si envoûtante qu’elle distordit brièvement la réalité.

— Oh bordel… personne n’a laissé son canal psychique ouvert ?! grommela Kieran.

— On va prendre cher, les gars, ajouta Warren.

Le vortex d’or prit forme : TAC, TAC, TAC. Elle surgit, chevelure tressée, combinaison moulante, talons cognant d’une démarche féline. Kelly Darck, Reine de la Magie provoqua une bouffée d’admiration. Elle n’adressa aucun mot à la foule. Elle n’observait que ses fils :

— Dix minutes. Dix interminables minutes que votre père et moi essayons de vous joindre. Mais bien sûr, vous êtes bien trop occupés pour daigner répondre…

— Désolé, Maman, dit Warren.

Pas d’éclat. Pas de colère. Juste une tension féroce, tapie sous la peau. Puis, faisant fi de tout protocole, elle les étreignit – inspira profondément. Une odeur de cuivre se dégageait d’elle : sang, maléfices, fatigue poussée à l’extrême. Cela trahissait son recours à l’Obscur. Un silence. Aucun mot. Juste leurs cœurs, lourds, battant à l’unisson. Quelque chose d’irréversible venait de passer dans cette étreinte. Pourtant, après un effort presque douloureux, elle se détacha, et rendossa son masque de noblesse. La dernière fois qu’ils l’avaient vue ainsi, c’était pendant la guerre. Quand les fronts s’effondraient. Quand l’avenir de Khalarie pendait à un sortilège. Et alors, ils comprirent : l’heure était grave.

— Allez, bougez-vous.

Kieran l’observa traverser son vortex. Enlil replaça la mèche l’aveuglant. Warren réajusta sa veste. Heurtés par sa détresse, ils l’imitèrent. À peine deux secondes s’écoulèrent. De l’autre côté… un lac violine s’étirait entre des cyprès noueux et une moquette de fleurs bleues, constellée de clochettes frémissantes.

— Bienvenue au centre de l’Univers. Plus exactement : au cœur du Jardin fantasmagorique du Palais Palladium, annonça Kelly.

— Mais… comment tu connais un lieu pareil ? C’est une légende ! s’émerveilla Warren.

Malgré l’urgence, elle prit le temps d’abreuver sa curiosité – mieux valait cela que de l’entendre ressasser ses questions jusqu’à lui vriller le crâne :

— Quelques années avant son enlèvement… ma sœur l’a découvert. Et juste avant d’être exécutée, elle m’a envoyé sa localisation. Un ultime message. Télépathique.

Sur les berges, aux côtés de leur père, se dressaient des silhouettes drapées de capes tissées, visages effacés sous des voiles translucides. Elles échangeaient à voix basse. De là où se tenait le trio, on humait une peur contenue par la vaillance. Surpris, Enlil se gratta la barbe :

— Chefs de clan. Garde royale. Tous les maîtres de la haute Sorcellerie que compte Khalarie. Qu’est-ce qui se passe ?

Dès lors, leur mère s’élança dans la direction opposée. Derrière elle, le froissement discret de sa Trinité suivit sans qu’elle ait besoin de se retourner. Alors, elle déclara :

— À l’heure où je vous parle, la Pyramide d’onyx est en train de se fissurer.

Jamais Enlil n’aurait cru qu’un jour, on puisse lui couper la chique. Il accéléra le pas pour la rattraper :

— Elle… tu viens vraiment de dire ça ?

Warren tendit brusquement le bras, saisit le poignet de Kieran avec une force inattendue. Son souffle se bloqua, et il balbutia :

— Quoi ?

Il avait compris, mais il lui fallait prononcer l’énormité, pour briser le tabou :

— Le Néant… la Mortifère Créature… elle va se libérer.

Kieran, se dégageant de l’étreinte de son benjamin, tenta d’agripper sa mère. Elle se déroba et poursuivit la traversée, alors qu’il marmonnait :

— Qu’est-ce qu’on fout encore là ? Si l’un de nos ancêtres a réussi à le cloîtrer… alors pourquoi pas nous ?

Kelly eut un éclat de fierté. Son fils s’embrasait, portait des idéaux, même avec maladresse. Et cela la touchait. Cette ardeur, elle le savait, pouvait être un danger. L’impulsivité de Kieran, sa propension à foncer sans réfléchir, risquait de tous les précipiter dans l’abîme. Elle inspira :

— J’ai tout entrepris… même l’Obscur, ainsi que les flammes noires. Rien. Le sceau confinant se délite. Sa prison se fracture. C’est trop tard.

Enlil rétorqua :

— Pourquoi tu m’as pas laissé faire ? Mon âme est déjà fourvoyée. C’était inutile de souiller la tienne. Les Ténèbres… elles m’obéissent par nature.

— Ça n’aurait rien changé. Et j’ai besoin que vous disposiez de toute votre puissance pour ce qui va suivre.

Kieran déglutit, secoué par la déclaration. Fin tacticien, l’aîné saisit :

— T’as un plan !

Kelly se tourna lentement vers eux.

— Il reste une issue. Une seule.

Enlil fronça les sourcils :

— Ne me dis pas que tu envisages…

— Ce que tu penses. Oui.

Warren blêmit :

— Le temps ?!

Elle ne répondit pas. Le silence fit office d’aveu.

— Mais… nos lois ! protesta-t-il.

— Tout cela ne compte plus si la fin approche.

Après une brève réflexion, Enlil souleva un point :

— Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?! Tu le savais, non ? Que ça allait péter ! Alors pourquoi avoir laissé Néant se libérer ?!

Kelly ne répondit pas immédiatement. Une ombre de culpabilité glissa sur ses traits. Quand enfin elle parla, ce fut d’une voix sourde, presque douloureuse :

— L’Arche Temporelle ne s’active qu’à une seule condition : la libération de Néant.

Kieran eut un hoquet de surprise.

— Quoi ? Tu veux dire… c’est prévu comme ça ?

Elle hocha la tête, lentement.

— Ce verrou précède nos lignées. Nos guerres. Nos rois. C’est une magie primaire. Inscrite dans les fondations mêmes du Palais Palladium.

Ils s’arrêtèrent devant une porte rouge. Sa surface était gravée d’un arbre de vie. Kieran l’effleura. Enlil scrutait les nervures à la recherche d’un indice, d’un piège, d’un oubli. La poignée vibra… puis s’immobilisa. Warren échangea un regard avec ses frères. Aucun doute : une menace les attendait derrière. Le battant se déploya... Allongée sur une méridienne aux coussins fanés : une vieille. On aurait dit une statue rongée par les âges. Sa robe noire flétrie, sa lenteur calculée, la rigidité courbant son dos – tout frôlait la caricature de la décrépitude. Il émanait pourtant d’elle une densité dérangeante, étrangère à son apparente fragilité. Sous cette façade de carne, une faille. Un artifice mal masqué. Ses cheveux, relevés en un chignon hérissé d’éclats métalliques, trahissaient une stratège. Tout cela… avait quelque chose d’étudié. Trop parfait dans sa ruine. Kelly fit un pas de côté :

— Voici celle dont même les Anciens évitaient le nom.

Sur la méridienne, la vieille releva à peine la tête.

— Zargua El Gamma.

Un frisson traversa la pièce. Kelly ajouta, presque à voix basse :

— Régente de la Création. Elle va nous aider.

Une secousse. Légère. Sourde. Puis une deuxième. Une troisième. Les colonnes vibrèrent. Kelly blêmit.

— Vous avez trop traîné, lâcha la Régente. Il est libre.

Elle ne portait ni panique ni résignation. La femme leva le menton. Un battement de cil.

— Il est temps, dit Kelly.

Enlil, méfiant, demanda :

— De quoi ?

Sa mère insista :

— Faites-moi confiance. Laissez-vous faire, c’est crucial.

Zargua s’approcha. Une odeur de formol et de cendre froide flottait dans son sillage :

— Ooooh, prêtez donc vos petites caboches, mes mignons… J’vais y glisser c’qu’il faut, juste là. Et quand le moment viendra… BAM ! Ça refera surface, vous verrez, d’un coup sec. Héhéhé…

Kieran, intrigué, tapota l’épaule de sa mère :

— Pourquoi tant de secrets ? Ce cirque tordu… il cache quoi, au juste ??

Kelly serra les dents :

— On n’a pas le temps pour les explications. Zargua, procède !

La vieille arqua les bras. Ni cri ni incantation. Ses pupilles roulèrent. Trois vrilles étincelantes jaillirent de ses phalanges maigrelettes. Elle traçait des spirales nerveuses, une grammaire occulte, étrangère aux savoirs de l’Académie. Ce n’était pas un simple sort, mais un serment, ou peut-être une bénédiction. Les vrilles épaissirent. Quand elles percutèrent les fronts, une décharge magnétique fit vaciller. Enlil chercha un appui là où il n’y avait rien. Des réminiscences se téléversaient par paquets. Warren vit défiler sous ses paupières closes une interface mentale, comme si un programme s’infiltrait dans ses synapses. Kieran effleura son front pour s’assurer qu’il existait encore et demanda :

— Quand est-ce que… quand est-ce que ce sera le moment ?

Zargua rida davantage son faciès de harpie :

— Tu verras bien morveux !

« Bizarre… Son pouvoir… Il me paraît familier… »

Cependant, la Régente, capta la pensée de Warren, et écarta toutes tentative d’approfondissement :

— Kelly, mène-les à l’Arche temporelle. Il me reste… des lignes à tordre, des seuils à brouiller. Je vous retrouverai… « si tout ne se passe pas comme prévu. »

Un plissement fugitif. À peine visible, sauf pour Enlil, qui capta quelque chose d’un peu trop satisfait pour être sincère. Et, quand elle se détourna, il crut entendre – sans en être sûr :

— Peut-être que, cette fois, ce sera la bonne !

Kelly s’imposa :

— On doit rejoindre votre père.

À cet instant, un message télépathique de Darrius claqua :

« Ses abominations attaquent. »

Kelly pivota, blême :

— Merde… Il avance plus vite que prévu.

Des volutes jaillirent de ses doigts, formant une Nuée d’Or, dense, palpitante, presque vivante. Elle hésita. Juste une seconde, observa ses fils comme si c’était la dernière fois. Puis elle souffla. Des filaments s’enroulèrent sous leur peau, les dissolvant en particules. Ni douleur ni plaisir, juste une rupture pure, hors du temps. Ils disparurent. Pendant ce temps, artisan du mal, Néant s’étendait…

Là où ses tentacules passaient, les mondes s’effondraient. Continents rayés, océans vidés, cités balayées. Pulsars éteints. Étoiles dissoutes. Les nébuleuses effacées – souvenirs mal fixés sur une toile cosmique. Néant. Une entité sans chair, sans contour stable – forme vaporeuse, diffuse, comparable à de l’encre suspendue. Aucun visage ; pourtant, on devinait une force d’analyse, une présence froide qui absorbait. Derrière, s’étendait la vague d’ébéne. Mur en mutation continue. Ligne d’effacement. Front d’extinction avançant avec frénésie. Rien n’existait plus là-bas. Aucune nuance, aucune structure, aucun vestige stellaire. Tout s’effaçait sans bruit. Mécanique inexorable.

Et plus loin, ultime bastion dressé dans le chaos : le Palais Palladium. Tours fracturées. Coupoles éclatées. Dorures effritées. Vitraux dispersés. Brumes grises aspirées vers les hauteurs par une expiration titanesque.

Responsable de ce carnage, ses Gogs – créatures disloquées, difformes – propageaient sa volonté. Chairs suppliciées, bouches béantes, crocs d’abolition. Ils fondaient sur le Palais avec une fureur grotesque, incontrôlable. Depuis sa frontière délimitant espoir et détresse Néant observait. Il laissait faire. Absorbait l’échec ambiant. Dans sa logique tordue, cela relevait du passe-temps. L’issue ne souffrait aucun doute. Il guettait l’instant précis pour faire tomber le rideau et anéantir ce domaine et ces etres contre nature fruit de la perversion imaginatif du Fondateur, son supposé geniteur, car sans mémoire, comment savoir ?

Comment this paragraph

Comment

No comment yet