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Chapitre 4 : L’Éveil de la régente.

À travers le brouillard des cocons fissurés, l’un d’eux frémit. Lentement, celui d’Enlil se redressa, pivota, puis sa clarté pâlie. Sa Majestée se tenait immobile, les paupières closes, auréolées de brume vacillante.

Quelque chose picota sous sa tempe. D’abord diffus, puis plus vif. Un nom surgit dans sa pensée, brutal : Kieran. Puis Warren. L’angoisse vrilla ses entrailles. Était-il seul ? Avait-il échoué ? Il voulut bouger, appeler – rien ne sortit.

Un sifflement aigu, oppressant résonna à ses oreilles. Mais avant qu’il n’ait le temps de paniquer, la coquille, dans une émanation cobalt, s’effaça. Désormais sur ses deux jambes, l’aîné balaya les alentours. Une buée opaque. Des formes troubles. Et là… des silhouettes. Deux. Vivantes.

Sa respiration se bloqua. Son cœur bondit brièvement avant qu’il ne ravale son soulagement. Puis une nouvelle pensée, plus inquiétante, s’imposa.

« Si Néant n’a pas franchi la faille. Mais alors, qui nous a sauvés ? »

Ajustant machinalement sa veste lie de vin, il réfléchit :

« Ce que j’ai vu avant de sombrer… ils n’ont pas besoin de savoir. Pas tant que je n’ai pas percé ce mystère. »

Ses doigts passèrent nerveusement dans ses longs cheveux noirs boucler, les ébouriffant. Remontant ses manches jusqu’aux coudes, il laissa apparaître ses avant-bras tatoués, qui s’embrasèrent. Dès lors, le brouillard se dissipa.

Son survêtement froissé, Kieran scrutait les ombres, en quête de danger. En pivotant, ses baskets crissèrent. Un bruit bref qui fit sursauter Warren. Ce dernier glissait sur le Karistal poli avec l’assurance d’un patineur. Le gilet émeraude tombant sur son jean brut lui prodiguait une allure désinvolte. Instinctivement, il ajusta le col de sa chemise, une habitude autant qu’un réflexe :

— Alors, on l’a fait, ou c’est juste le début d’un autre cauchemar ??

Enlil l’enlaça :

— Tout va bien ?

Souriant amèrement, il releva le menton :

— Iblissel ! Sauf peut-être mon égo !

— Plus jamais. Vous m’entendez ? Plus jamais ce genre de dinguerie !

Croisant les bras, le jeune homme éclata d’ironie :

— Promis. Mais, c’est pas comme si on avait eu le choix, hein ? Surtout avec Néant à nos trousses.

Demeuré en retrait, Kieran lâcha :

— Toujours aussi dramatique ! Où sont Maman et Papa ?

Enlil porta instinctivement la main à sa poche. Ses doigts se crispèrent autour de l’Urne abritant l’âme de sa mère, et un soupir lui échappa. Ils comprirent sans un mot. Son mutisme et l’absence de leurs parents disaient tout : ils étaient restés de l’autre côté.

— Tu crois qu’ils… ? tenta Warren.

Dissimulant avec peine la souffrance qui lui tordait les entrailles, l’aîné tourna les talons :

— On continue point. Leur survie dépend de nous, pas de ce qu’on ressasse.

Conscients qu’il avait raison, ses frères firent un effort pour réprimer leurs émotions. Dans ce moment délicat, Kieran, fidèle à sa nature, détourna l’attention avec une remarque empreinte d’une sincère perplexité :

— C’est bizarre… Sérieux, comment tient-on encore debout ? On devrait être complètement à plat, non ?

Warren, observant en détail les lieux, à mi-voix, avança :

— Franchement, j’aurais supposé que nos chakras aient pris le relai, mais ces cocons curatifs… ça n’a rien à voir avec nos essences respectives.

— C’est peut-être Zargua.

Maître dans l’art de voiler ses réflexions, Enlil adopta son masque pensif avant de, sur un ton faussement désinvolte, statuer :

— Inutile de chercher minuit à deux heures de mat, le Palais nous a juste embarqués dans sa remise en état.

Kieran esquissa un rictus :

— Génial ! Alors qu’il nous accueille avec un canapé, des kebabs et un verre de vodka.

Réchauffé par la remarque dont il comptait bien faire une réalité, Enlil pointa du doigt le couloir de sortie. Les semelles glissèrent sur les carreaux lustrés, un contraste frappant avec la texture rêche des tentures qu’ils frôlaient au passage. Une odeur dense s’accrochait, mélange de terre humide et de bois brûlé, suffocante, mais étrangement familière. Happé par une fresque mouvante, Kieran s’en approcha :

— C’est elle… Kishar.

Il fit signe à ses frères, qui, leurs pas claquant sèchement sur les dalles, accoururent. Face à l’œuvre, ils s’immobilisèrent, accablés par le rappel de la funeste prophétie : des voiles scintillants ondulaient autour de l’incarnation passée de Kelly. Aussi imposante et inaltérable, elle dominait le parvis d’Eridu. Cette cité mésopotamienne avait vu naître les premières traditions des sorciers. Warren, paralysé, sentit une angoisse qu’il pensait avoir surmontée :

« Donc quoi ? On est vraiment condamnés à se trahir et mourir de la main de notre mère… en simulacre de notre première vie ? »

Ils avaient choisi, dès qu’ils en saisirent l’ombre menaçante, de la briser par leurs actes. Représentées près de Kishar, ces trois silhouettes qu’ils furent se tenaient droites. L’un brandissait un fouet de flamme, l’autre un chakram glacé, tandis que le dernier faisait léviter trois shurikens crépitants de foudre. Les bras croisés, un tantinet provocateur, Kieran interpella le Palais :

— Alors, qu’est-ce ? Un rappel ou un avertissement ?

— Nous ne sommes pas eux !, s’énerva Enlil.

— Facile d’incarner les sages quand on est l’Héritier du Trône, hein ? lança Kieran, moqueur.

Enlil se mordit l’intérieur de la joue, retenant à grand-peine son amusement. Pourtant, fidèle à son rôle d’aîné, il redressa légèrement les épaules et adopta son ton le plus grave, juste pour le plaisir de s’imposer :

— Ce n’est pas un jeu. Pas cette fois. Et tu le sais aussi bien que moi. Concentre-toi !

Face à la pâleur du sermonné, Warren s’interposa avant que leur éternelle querelle ne dérape vers des sujets plus épineux :

— Vous pensez que Zargua se souviendra de nous, alors qu’on ne l’a pas encore rencontrée ?

Prenant soudain conscience de l’ampleur du paradoxe et des aspects incontrôlables de leur situation, l’Héritier se figea :

— Certains mystères nous échappent, et la Régente en fait partie.

— Justement, faisons gaffe. Toi, le pouvoir te monte à la tête. Warren, il fait trop confiance. Ça pourrait nous coûter cher. Zargua est une sournoise manipulatrice !

— Ta raison. Merci de rester vigilant. On compte sur toi pour nous éviter les ennuis.

Incapable de dire si la réplique était un reproche acerbe ou une vérité candide, Kieran ne contre-attaqua pas. Au bout de quelques mètres, la galerie s’ouvrit sur une salle circulaire où guinchaient les flambeaux enchantés. Warren observa la voûte scintillante. Des constellations y dansaient.

— Regardez… Celle-ci représente Ishtar. La première de notre lignée.

Se perdant dans les étoiles, Enlil se laissa aller à l’épanchement :

— J’aurais adoré apprendre d’une sorcière de sa trempe !

Kieran ricana :

— Pour que tu sois encore plus redoutable ou retors ? Non, merci.

Un portail se dressa devant eux, massif, orné d’une triskèle gravée dans un bois clair.

— À votre avis, y a quoi derrière ? s’extasia Warren.

— Une chambre, une douche, ou mieux : un bar galactique rempli de mignonnes extraterrestres, plaisanta Kieran.

Enlil remarqua un divan d’or et de nacre :

— Hé, venez voir ça !

Ses frères accoururent aussitôt. Dès qu’ils furent tous les trois postés devant la sphère, quelque chose changea.

Bam. Sans prévenir, un flot brûlant remonta le dos des Darck. Les souvenirs, implantés par la poussiéreuse Zargua. Ils ne surgirent pas – ils s’imposèrent. Et alors, comme promis par la vieille bique, ils surent :

— Nous devons la sortir de stase.

— Tes sûrs de toi, insista Kieran.

 Tu veux faire quoi d’autre, franchement ? Si Maman lui faisait aveuglément confiance… pourquoi pas nous ? souffla Enlil, plus résigné que convaincu.

Sa paume rencontra le dôme, Kieran l’imita. Warren se sentit tout à coup minuscule face à leur assurance et témérité. D’autant plus que ses frères pratiquaient la haute sorcellerie avec une aisance qui le faisait pâlir d’envie.

— Et si je me plantais ??

Enlil, austère, dessina un rictus :

— T’es un Darck. Probablement le plus prometteur de notre lignée. Alors, crois en toi !

Afin de recouvrer sa sérénité, il inspira ; le doute persista. Agacé, Kieran claqua la langue, et s’efforça de le réprimander avec tact :

— Souviens-toi pourquoi on est là.

— Sauvegarder la Création !

— Arrête ton délire ! Si on commence à se leurrer sur nos motivations, c’est fini pour nous.

— Leurrer !

Perdant patience, le cadet, qui hier se serait tourné vers leur mère, chercha le soutien d’Enlil. Ce dernier, malgré un moment d’hésitation face à cette dynamique inédite, prit le relai :

— On n’est pas des superhéros, on est des souverains. Tout ce qu’on fait, c’est pour protéger notre famille et nos intérêts. Le reste de l’Univers a juste de la chance qu’on soit dans le coin.

Ce qu’il croyait s’effritait. « Sauveur ? Martyr ? » Un rictus amer courba ses lèvres. « Ni l’un ni l’autre. » Cette sensation vertigineuse de domination, d’invincibilité, il l’adorait. « Pourquoi s’en cacher ? »

Puis, ses paupières se soulevèrent, et ce que ses frères y perçurent les glaça. Aucune peur. Aucun doute. Leur benjamin venait d’abandonner l’innocence qui l’entravait. Malgré la nécessité du sacrifice, cela les brisa encore un peu plus.

Sans transition, il se joignit à eux.

Kieran réagit par une salve hivernale. Afin de dénouer l’enchantement, Warren expulsa sa foudre. Malheureusement, le sort de stase, hostile et chaotique, renvoyait les assauts. Leurs bras tendus vibrèrent sous une aura argentée, reflet de l’osmose profonde. En transe, une mélopée captivante, sortie de leur timbre uni :

يا مقدم الأنوار، فاتح الآفاق »

أجمع الأرواح، سهل المعراج،

« يا حاملة الأسرار، استيقظي من رقة الزمان

Flammes enSuridares, givre tranchant et arcs électriques s’entrelacèrent. Enfin, la fissure escomptée se forma. Le cocon pulsa. Les volutes se fondirent en un brouillard. S’ensuivit une pression écrasante. Kieran serra les dents sous l’effort, tandis que Warren stabilisait les flux agités et qu’Enlil forçait la magie à céder à sa volonté. Tout à coup, les torches s’éteignirent, les plongeant dans la pénombre. En attente du signe, personne ne bougea. Les flambeaux vacillèrent avant de reprendre vie.

Un éclat prismatique fusa alors de la méridienne, éclaboussant Zargua El Gamma de pétales noirs. La Régente incarnait la séduction dans l’extravagance. Son caftan d’or effleurait ses courbes avec une précision audacieuse, tandis qu’au frottement lascif de ses cuisses en éveil, le satin de sa nuisette créait une susurration érotique.

Rendu rouge d’embarras par ce comportement suggestif, Enlil tourna furtivement son attention vers le tapis, se focalisant sur un point invisible. Elle s’étira avec une concupiscence surjouée, caressant le dossier du divan. Des boucles d’ébène cascadaient autour de son minois hâlé, frôlant son osé décolleté. Kieran se marra :

— Quelle que soit l’époque, c’est toujours grand spectacle au balcon !

Ses paupières s’ouvrirent lentement, dévoilant des iris d’argent qui capturèrent brièvement leur présence. Tandis qu’elle ajustait avec nonchalance une mèche récalcitrante, le cadet sentit ses jointures blanchir sous son antipathie. De l’autre côté, Warren étouffa un rire. Contrairement à Enlil, qui la considérait comme un simple moyen d’atteindre ses objectifs, depuis qu’il l’avait senti mourir, il la voyait en alliée précieuse. Las de son comportement de diva, Kieran rompit le charme :

— Ehm-ehm ! Nous…

Elle leva un doigt manucuré qui les figea. D’un tour de poignet maîtrisé, une coupe de champagne apparue dans sa main. Le breuvage fut porté à ses lèvres rouges, effleurant à peine le liquide :

— Mmh ! Aussi divin qu’il y a dix mille ans !

Moquerie ? Déclaration implicite ? Ou tout bonnement un rappel que chaque instant ici lui appartenait ? Vibrante de joie, elle s’exclama :

— Enfin, on va pouvoir s’amuser ! Alors, mes petits trésors, mon moi futur vous a tout expliqué, n’est-ce pas ?

Ils n’eurent l’opportunité de répondre qu’elle enchaina :

— Quelle efficacité, quelle organisation ! En même temps, cela n’a rien d’étonnant venant de ma sublime personne.

Enlil, prêt à répliquer, inspira brusquement, mais Zargua leva son ongle effilé telle une griffe impériale, qui le laissa interdit.

— Sauf pour le délai, bien sûr. Vous avez pris votre temps, hein ? Même si je l’admets, tout était prévu ainsi dans le grand plan cosmique. Cela dit, ce n’est pas une raison pour traîner, mes amours !

La coupe pivota entre ses doigts, virevoltant avec une aisance presque provocante. S’imposant telle une conséquence fortuite de sa mise en scène, un éclair stellaire frappa le sommet du palais. Ce qui fit sursauter les Princes. Égal à une note irrévérencieuse balayant le poids oppressant, le rire cristallin de Zargua El Gamma éclata, puis elle glissa :

— Oh my God ! You’re all so serious !

Elle s’approcha, ses pas dessinant un cercle autour d’eux. Sa bouche s’incurva en un ravissement manifeste. Visiblement pris de court par cette Régente, bien différente de celle rencontrée brièvement dans leurs futurs, ils demeurèrent mutiques :

— Vous pensiez que réactiver une déesse serait une affaire solennelle ? Allons, soyez sérieux ! Je suis Zargua, mes stars, pas une relique poussiéreuse !

Enlil fronça les sourcils, observant Zargua de haut en bas, avant de lâcher, narquois :

— Tu sais, à notre époque, t’avais plutôt l’air d’une harpie sur le retour.

Zargua gloussa, puis répondit en s’éventant théâtralement :

— Mon apparence, mon ton, ma personnalité… tout dépend de ceux qui m’éveillent. Et vu le trio d’adorables dégénérés qui m’a ramenée, je suis, mon chéri, vos reflets sublimés. D’ailleurs, qui m’a réveillé en votre temps ?

— Kara, murmura Kieran.

— Cette vieille bique ? Toujours à fourrer son nez là où il ne faut pas !

— Qu’est-ce que tu racontes ? Kara est…

— Pas encore, Darling, trancha-t-elle. Il y a un lecteur ici ! Don’t spoil the plot, mon cher.

Les laissant dans l’incompréhension la plus totale, c’est d’un roulement d’épaules amplifié qu’elle pivota, observant l’horloge cosmique suspendue dans le vide :

— Nous sommes le 23 février 1965, si on se réfère ce désuet calendrier grégorien ! Pas une seule Fashion Week en vue d’ici à quatre décennies. Honestly, quel drame !

Puis, comme si elle foulait un tapis rouge imaginaire, elle se glissa jusqu’à un meuble cristallin. D’une moue poignante, elle annonça :

— Veuillez m’excuser ! Ou pas… Mon pauvre esprit n’a pas accès à sa mémoire complète.

Ses doigts fins coulissèrent sur le verre iridescent, s’arrêtant sur quatre grimoires alignés avec une précision cérémonielle : les Chroniques de la Création. Délicate, elle ouvrit la vitrine et saisit le premier tome, intitulé “Wurathat al-Khalq l’éveille du Néant”, qu’elle considéra brièvement. Puis, avec un soin protocolaire, elle l’étendit :

— Épitre I… Chapitre 1 : Néant es-tu la ! Chapitre 2 : Blablabla… Ah, oui, chéris, nous en sommes là au quatre ! Mon éveil… Quel moment iconique ! Mais passons !

Kieran tenta de lire par-dessus son épaule, mais pour lui les pages demeuraient vierges :

— C’est quoi, ça ?

Zargua referma doucement l’ouvrage.

— Votre histoire, souffla-t-elle.

Elle resta un instant figée, puis ajouta, plus bas :

— Je suis tenue par serment. Je ne peux littéralement pas en dire plus.

Un pli se forma sur le front d’Enlil. Il ne dit rien, mais reconnut sans mal la nature du phénomène. Des clauses d’un pacte ensorcelé, à n’en pas douter.

— Pourquoi moi, je vois rien ? râla Kieran en se hissant à la hauteur du livre.

Zargua haussa un sourcil, amusée.

— Parce que ton esprit n’est pas lié au mien, mon trésor. Ces ouvrages ne renvoient pas des mots, mais des images mentales. Des projections directes. Et tu n’es pas moi.

Elle referma le recueil, puis le replaça dans son écrin :

— Eh bien, messieurs, il est l’heure de vous doter des atours essentiels à notre petit projet. Prenez cela comme un couronnement à la va-vite.

— Couronnement ! C’est-à-dire ? s’abasourdit Kieran.

Zargua s’esclaffa, leva les bras, tourna sur elle-même. Une ovation générée par le palais l’acclama. D’un clin d’œil provocant, elle s’approcha, caressa la joue de Kieran, se pencha légèrement, et susurra :

— Vous n’êtes pas ici par hasard, mes chéris. Le destin vous attendait, patiemment, drapé dans les replis de l’espace-temps.

Puis, se redressant d’un bond, elle fit mine de mimer un zip sur ses lèvres, puis plaqua ses deux mains sur sa bouche en feignant l’effroi :

— Mais chut… Je ne vais tout de même pas gâcher la surprise…

Zargua fixa intensément la porte en triskèle. Un soupir s’échappa, tandis qu’avec la grâce d’une virtuose, elle esquissa des arabesques indéchiffrables devant l’entrée :

باسم الثالوث المقدّس، صدى النفَس الأول،

(Par la Trinité sacrée, écho du premier souffle)

ثلاث قوى موحّدة، أنيروا طريقي،

(Trois forces unies, éclairez ma voie)

باسم التريسكيل، دائرة الحياة والموت،

(Par le Triskel, cercle de vie et de mort)

افتحي يا باب، بخضوع لإرادتي !

(Ouvre-toi, porte, sous ma volonté !)”

Ses hanches traçaient des courbes assurées, tel un ralenti d’émeute élégante. Un glissement du pied, une rotation suggestive, et l’un de ses bras pourfendit l’espace en arc souple, trimballant une armada de breloques carillonnantes. Autour d’elle, un parfum lourd s’installa : musc mordoré, résine brûlée, vanille noire. Un halo d’or sale flottait au rythme de ses circonvolutions. La sorcellerie s’enroulait à ses mudras, prête à s’abattre, pareille à une sentence costumée.

Des griffes laquées s’agitèrent, brossant des motifs incendiaires. Une traînée d’argent crevassa l’air, rapide, saturé d’éclats clinquants, perfora les trois sorciers, avant de se torsader pour frôler l’emblème spiroïde inscrit sur la porte.

Kieran recula, Warren lâcha un juron, Enlil resta fasciné. Autour d’eux, des paillettes virevoltaient. Zargua psalmodia sans ciller :

بأسمهم وقوتهم الموحدة،

(Par leurs noms et leur force unie)

أدعوكِ وأأمركِ،

(Je t’invoque et je commande)

افتحي، وخضعي لقانون زارغوا !

(Déploie-toi, cède à la loi de Zargua !)”

Une suite de déclics s’égrena, puis les vantaux renoncèrent, s’écartant. Derrière, rien. Rien qu’un abîme granuleux, imprégné d’un bruit blanc hérissant l’échine. Kieran se décala aussitôt :

— Je fous pas un pied là-dedans.

Enlil n’argumenta pas. Il fixait Warren – les traits illuminés par une excitation mal contenue. Si le danger avait été réel, il aurait déjà enfilé son masque de technicien, pas celui du gamin curieux. Ses intuitions prophétiques ne les avaient jamais trahis. L’aîné leva une main, comptant. Un, deux… jusqu’à dix. Au dernier doigt dressé, Warren s’avança vers l’ouverture béante et lança, d’un ton presque admiratif :

—  Qui a fait ça… et avec quel niveau de maîtrise ? Un trou noir dompté, ciselé dans l’impossible ?

Il n’en fallut pas davantage pour faire vaciller la résolution de Kieran :

 T’es sûr qu’on peut traverser sans finir atomisés, ou dé-moléculés, ou… j’sais pas quoi d’encore plus flippant ?

Las de ces bavardages, elle éclata en applaudissements frénétiques. Puis, tournant sur elle-même à demi, elle déclama, théâtrale :

— Vous avez terminé, les tragédiens ? C’est ici que je vous quitte. Le pouvoir renfermé en ce lieu ? Oh, il me consumerait. Imaginez-moi en Golum. Moche, non ?

Enlil ricana.

— Toi ? Une référence au Seigneur des anneaux ?

Avec une lenteur dramatique, la Régente releva un pan de son caftan et, dans un tourbillon d’or et de parfums capiteux, fit une révérence – bras levé, hanche projetée, œillade subtilement dosée – tel un adieu de plateau en direct :

— J’ai looké les films et… la série, baby !

Kieran secoua la tête.

— Y a pas de série !

D’un pas chaloupé, elle revint vers le contestataire, l’index hissé. Une fois face à lui, elle se pencha légèrement et, du bout de l’ongle, tapota son nez :

— Pas dans ton époque poussiéreuse, Darling ! Mais sois tranquille, le Palais possède un service de streaming intemporel.

Kieran, s’avouant vaincu et presque amusé, haussa les épaules.

— Bon, maintenant faut y aller, les garçons. On n’est pas là pour lambiner… mais pour réécrire l’Histoire.

Elle se mordit doucement la lèvre inférieure, fit tournoyer une boucle d’ébène autour de son doigt, puis expira avec désinvolture. L’un bascula, projeté sans cérémonie. Les deux autres furent happés à leur tour, engloutis par les ténèbres. Debout, impassible, elle observa les traînées d’eux-mêmes s’étioler.

— Une satisfaisante chose de fait.

Alors, les portes claquèrent. Le décor s’effaça dans un chuintement feutré.

— Palais, mon cœur, envoie-moi un Spiraltor pour le centre de contrôle, veux-tu ?

Une brise s’éleva aussitôt. En un soupir, une tornade argentée prit forme, striée d’arabesques liquides. Elle s’y engouffra sans se retourner, les bras grands ouverts. L’enveloppe tourbillonna au milieu de la salle – puis se dissout en une vapeur qui s’estompa.

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