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Hanae_Ecriture
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Chapitre 1 - Nouveau départ (1/2)

Le vent frappait le hublot avec une violence sourde, secouant la carlingue du petit avion figé sur le tarmac détrempé d’Édimbourg. Chaque rafale faisait vibrer l’appareil, comme si la tempête elle-même s’acharnait à le déloger, griffant l’air avec la rage d’un fauve en cage. Dans la cabine, Léonie ne bougeait pas. Ses doigts restaient crispés sur la poignée râpée de son vieux sac en toile. Ses jointures blanchies trahissaient l’intensité de sa tension. Ce sac, rapiécé à la hâte, contenait tout ce qui lui restait. Des fragments de vie, de mémoire, d’éclats brisés.

 

De l’autre côté de la vitre, la lande écossaise s’effaçait derrière un voile de brume que le vent lacérait par endroits. Les collines, noires et massives, émergeaient à peine, silhouettes fantomatiques sous un ciel trop bas. Le soleil, comme banni, tentait de percer les nuages sans y parvenir. Une lumière glacée s’étirait à l’horizontale, hésitante, étrangère. Dans décor, tout attendait – suspendu, figé, écrasé par une solitude rugueuse.

 

Dans sa poitrine, le cœur de Léonie cognait, lourd, brutal comme s’il cherchait à l’avertir. Elle m’inspira profondément, mais l’air qui entra dans ses poumons avait le goût du fer, sec, métallique, presque hostile. Ses pensées tournaient sans fin, happées par des souvenirs qui refusaient de s’effacer : des cris, des claquements de porte, des silences trop longs, des nuits sans sommeil, tendues comme des câbles prêts à rompre. Toute cette peur qu’elle portait en elle, ce poids invisible qu’elle traînait depuis trop longtemps.

 

Elle fixait l’horizon, ou du moins ce qu’elle en devinait. Peut-être qu’au-delà de cette brume, quelque chose l’attendait. Pas un miracle – elle avait cessé d’y croire – mais une accalmie. Une chance, même infime, de se reconstruire. Édimbourg, avec ses pierres noires, ses ruelles oubliées et ses vents coupants, lui offrait l’anonymat. Un lieu où elle pourrait devenir invisible, disparaître sans mourir.

 

Mais son ventre se contracta. Un spasme. Comme un écho du passé qu’elle pensait avoir laissé derrière elle. Partir avait été un coup de poing. Brutal, instinctif. Repartir de zéro, ici, relevait du défi. Elle n’avait plus d’armure, plus de certitudes, juste l’espoir obstiné de trouver un endroit où reposer sa peur. Elle ignorait si l’Écosse tiendrait cette promesse. Mais elle avait traversé l’océan, affronté ses cauchemars, ses silences, ses fuites. Maintenant, elle était là.

 

Un clic sec brisa la torpeur : le voyant de la ceinture s’éteignit. L’avion reprenait vie. Les passagers s’agitèrent, les sièges craquèrent, les manteaux bruissèrent, les valises cognaient les jambes dans une chorégraphie fébrile. Léonie, elle, restait immobile. Chaque seconde de plus dans cet habitacle lui arrachait des éclats de courage. Elle n’était pas prête. Mais elle n’avait plus le choix.

 

Elle se leva enfin, droite, muette. Ses jambes tremblaient à peine, mais chaque pas était un combat contre ses propres chaînes. Le vent, dès la passerelle, la fouetta violemment. Il mordit sa peau, gifla son visage, se glissa dans ses vêtements. Elle frissonna, mais ne s’arrêta pas. Elle releva le menton, les yeux plissés contre les bourrasques. Devant elle, cette terre étrangère l’attendait. Hostile peut-être. Mais réelle.

 

Elle inspira profondément, comme on plonge avant la noyade.

 

— Ça va aller… Murmura-t-elle entre ses dents, la mâchoire tendue.

 

Sur le parking désert, une voiture noire stationnait. Ses phares découpaient la brume comme des lames de lumière, froides et tranchantes. À côté, Callum Fraser attendait. Droit. Immobile. Planté dans le vent comme un arbre qu’aucune tempête ne pouvait plier. Son manteau épais absorbait les bourrasques sans broncher. Il ne frissonnait pas. Il attendait.

 

Son visage était taillé dans la pierre : mâchoire carrée, regard dur, front plissé par une fatigue ancienne. Pas une ride de trop, juste celles du chagrin. Sa douleur ne criait pas – elle s’accrochait à lui, muette, inflexible. Mais dans ses yeux, une tension sourde vibrait. Une attention féroce. Il fixait Léonie sans ciller, comme s’il lisait déjà à travers elle. Chaque geste, chaque silence, chaque hésitation.

 

Entre eux, l’air vibrait. Il n’y avait pas encore de mots, mais déjà, une bataille invisible s’amorçait.

 

Le silence n’était pas vide. Il grondait.

 

— Vous êtes Léonie ? Dit-il enfin, la voix basse, presque rauque.

— Oui, répondit-elle, la gorge nouée.

 

Il ne sourit pas, ne fit aucun geste d’accueil. Il se contenta de se détourner pour désigner la voiture.

 

— Montez. Le manoir n’est pas loin.

 

Le trajet s’étira dans un silence épais, comme suspendu. Chaque seconde pesait comme une enclume. Seul le va-et-vient régulier des essuie-glaces brisait cette immobilité sonore, raclant le pare-brise avec une lenteur mécanique, hypnotique. De l’autre côté de la vitre embuée, la campagne écossaise défilait sous un rideau de brume mêlé à une pluie fine et glacée. Tout était noyé sous cette grisaille oppressante. Les routes étroites serpentaient entre les collines noires, bordées de murets de pierres couvertes de mousse, luisantes de pluie. Les arbres, décharnés, tordus par les années et le vent, se penchaient vers la voiture comme s’ils observaient, silencieux et méfiants.

 

Assise côté passager, Léonie serrait les mains sur ses genoux, les phalanges blanchies par la tension. Chaque muscle crispé luttait pour contenir le frisson qui remontait lentement de ses doigts jusqu’à ses épaules. Elle fuyait le regard de Callum, absorbé par la route. Son profil dur, presque taillé à coups de burin, trahissait une concentration glacée. Il ne parlait pas. Pas un mot, pas un sourire. Juste ce silence figé, compact, oppressant. À chaque tentative de conversation, Léonie ne récoltait qu’un hochement de tête distant, ou pire : un mutisme tranchant, comme une lame.

 

La voiture aborda un dernier virage, et soudain, elle apparut. La maison. Noire, massive, dressé au sommet d’une colline battue par un vent furieux. Elle écrasait le paysage de sa présence brute, perchée là comme un monument aux secrets mal digérés. Ses murs épais, rongés par les années, racontaient sans un mot les hivers qui les avaient sculptés. Le lierre, comme une blessure verte, s’accrochait aux pierres avec une obstination morbide. Les fenêtres, étroites et profondes, reflétaient un ciel sans couleur. On aurait dit des yeux clos sur des souvenirs interdits.

 

Le portail grinça, aigu, sinistre, avant de se refermer avec un claquement sec, définitif. La voiture s’arrêta devant le perron. Léonie ne bougea pas. Son souffle s’était raccourci, son regard fixé sur les marches sombres luisantes de pluie. Chaque détail la frappait : les cheminées effritées, la pente raide du toit, la porte d’entrée bardée de métal rouillé. L’atmosphère elle-même était tendue, comme si l’air refusait de circuler librement.

 

Un nœud dur barrait sa gorge, refusant de se délier. Son ventre se serrait, douloureux, contracté par une angoisse qu’aucun mot n’aurait su nommer. Ce lieu ne l’appelait pas, il la jaugeait. Il observait, en silence, pesant de tout son poids ancien.

 

Callum coupa le moteur. Le silence, à nouveau. Un calme étrange, entre deux bourrasques. Le vent reprit, furieux, comme s’il cherchait à arracher les pierres mêmes du manoir. Léonie ouvrit lentement la portière. Le froid la frappa en plein visage, mordant sa peau malgré les couches de tissu. Elle inspira, mais l’odeur âcre de tourbe humide et de terre mouillée lui souleva le cœur. Quelque chose en elle reculait. Quelque chose criait.

 

Son pied s’enfonça légèrement dans la terre molle. Elle leva les yeux vers la porte massive, inerte et menaçante. Une voix brutale en elle hurlait de fuir. Tout de suite. Avant qu’il ne soit trop tard. Mais elle n’avait plus d’issue. Le passé l’avait poussée ici, et ce lieu n’offrait pas de refuge. Seulement un face-à-face brutal avec ce qu’elle avait tenté d’enterrer.

 

— C’est ici que vous allez vivre, dit Callum en ouvrant la portière.

 

Le hall d’entrée s’ouvrit sur une obscurité pesante. Un vide presque sacré. Chaque pas de Léonie résonnait sur le parquet ancien, comme un battement dans un lieu où le temps avait cessé de circuler librement. L’air, glacé, portait une odeur de renfermé, de bois humide et de souvenirs trop vieux pour avoir un nom.

 

Puis une silhouette surgit, nette, tranchante. Madame Doyle. Rigide. Sévère. Une présence droite, solide, presque violente. Elle sortait de l’ombre comme un rappel à l’ordre. Ses traits durs, soulignés par des yeux aussi aiguisés que le verre brisé, capturèrent Léonie sans ciller.

 

Un simple hochement de tête. Bref. Autoritaire. Pas un mot. Pas un sourire. Pas d’accueil. Juste ce regard tranchant, aussi froid que les murs qui les entouraient. Un message clair, sans fioritures : ici, on ne plaisantait pas.

 

— Je vais vous montrer votre chambre, annonça-t-elle d’une voix sèche, tranchante comme un coup de fouet.

 

Léonie suivait madame Doyle dans les couloirs tortueux du manoir, chaque pas alourdi par une atmosphère presque tangible, lourde de silences et de non-dits. Le temps était suspendu, figé dans une attente morne, sans promesse d’éveil. Les murs de pierre, glacés au toucher, portaient les stigmates d’un passé récent et brutal, murmurant à travers les tableaux aux regards fixes et les meubles usés par les ans. L’air vibrait d’une tension sourde, épaisse, comme si la maison elle-même retenait son souffle, refusant de céder les secrets enfermés dans ses entrailles.

Léonie sentait une présence invisible glisser dans les recoins sombres, un poids qui pesait sur ses épaules et étranglait sa respiration. Chaque mouvement devenait une lutte contre ce poids sournois, chaque inspiration une bataille. La peur s’immisçait, silencieuse et insidieuse, creusant dans sa poitrine un vide glacé, une ombre qui la suivait sans relâche.

 

— Cette chambre, dit madame Doyle en s’arrêtant devant une porte massive en chêne. C’était celle de… Claire.

 

Le nom fit frissonner Léonie. Claire. La fille au pair disparue.

 

— Elle a disparu… sans laisser la moindre trace, ajouta madame Doyle sans un regard, le ton sec et définitif.

 

Léonie fit glisser la porte avec précaution. Un grincement plaintif s’échappa, brisant l’épais silence. La pièce s’ouvrit devant elle, austère, figée dans le temps. Les murs recouverts d’un papier jauni, défraîchi, racontaient des années d’abandon, de silence et d’oubli. Au centre, un lit simple, aux draps froissés, dégageait une froideur désolante, sans la moindre chaleur humaine. La fenêtre, encadrée de volets rongés par l’humidité, donnait sur la lande battue par un vent glacé, un souffle sauvage qui hurlait au dehors et s’infiltrait à travers les fissures, comme un murmure sinistre.

 

L’air à l’intérieur était dense, presque palpable, chargé d’un secret trop lourd pour être respiré. Le cœur de Léonie s’emballa, ses muscles se tendirent, chaque sens aux aguets. Elle guettait le moindre craquement, le moindre souffle qui viendrait troubler ce silence presque étouffant. Le vent dehors résonnait comme un avertissement, amplifiant la sensation que ce lieu se refusait à abandonner son passé, qu’il le protégeait avec une rage sourde, étouffant toute lumière.

 

— Vous allez vite comprendre que tout ici cache ses blessures, lança madame Doyle avant de tourner les talons, implacable.

 

Léonie resta figée, prisonnière d’un mélange suffocant d’angoisse et d’épuisement. Son cœur battait si fort qu’elle le sentait pulser jusque dans sa tête, martelant sa poitrine comme un tambour de guerre. Autour d’elle, le silence s’étirait, épais et étouffant, comme un voile de plomb qui écrasait toute velléité d’apaisement. Ici, pas de refuge. Juste une cage de pierre, saturée d’histoires sombres et de souvenirs lourds comme des chaînes invisibles. Chaque pierre, chaque recoin portait le poids d’un passé tourmenté, prêt à se réveiller au moindre souffle.

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