Eros
"Il ne faut qu'une petite étincelle pour faire naître un grand feu"
Après avoir quitté les vestiaires, où une jeune employée était en pleine crise d'angoisse, je me suis dirigé vers la salle des danses exotiques, cherchant à me changer les idées. Trop de questions me traversaient l'esprit : qui est cette Julia qui obsède tant Alek ? Pourquoi était-elle dans un tel état ? Et surtout... est-ce lui qui l'a mise dans cet état ? Pourquoi ?
Je me perds dans mes pensées, tiraillé entre l'envie de faire confiance à mon coéquipier et celle de mener ma propre enquête. C'est à ce moment-là qu'elle entre en scène. Littéralement.
Une femme à la chevelure rouge flamboyante se hisse avec grâce sur la barre de pole dance, son corps ondulant avec une aisance hypnotique. Chaque mouvement semble calculé pour attiser un feu interdit. Mon regard se fige sur elle, incapable de se détacher de cette créature de tentation. Comme la plupart des hommes dans la salle, je suis sous son emprise.
Elle a ce pouvoir, celui de réduire en esclavage les âmes faibles qui se laissent berner par la simple courbe d'une hanche ou la promesse silencieuse d'un plaisir fugace. Et merde... je suis faible.
Nos regards se croisent. Elle sourit, sûre de son effet. Je pourrais détourner les yeux, lui montrer que je ne suis pas un homme facile à charmer, mais... quel intérêt ? Autant jouer le jeu. La chasse n'en est que plus excitante.
Elle descend de la scène et s'approche lentement, ondulant des hanches comme si elle se mouvait au rythme d'une musique secrète. Ses mains viennent se poser sur mes cuisses, remontant avec une lenteur étudiée, savourant chaque centimètre de peau sous ses doigts. Mon regard s'embrase. Tout en elle hurle le danger. Et cette petite voix dans ma tête qui murmure que je devrais m'enfuir ? Je l'ignore avec un sourire en coin.
— Suivez-moi, Monsieur l'agent de police, murmure-t-elle à mon oreille d'une voix suave. Je sais comment rendre votre soirée... bien plus palpitante.
Son souffle chaud caresse ma peau et je sens un frisson me parcourir l'échine. Elle recule progressivement, m'observant avec amusement. Son doigt glisse le long de mon torse avant de s'accrocher à mon t-shirt, m'incitant à la suivre.
Je sors quelques billets et les glisse dans son décolleté plongeant, savourant la vue avant de lui offrir un sourire espiègle.
— Si tu arrives à me faire oublier ma soirée pour de bon, je doublerai la mise, chérie.
Elle rit doucement, un rire qui sent la provocation et la promesse de bien des tourments.
— Oh, mais rien que ma présence rend déjà votre existence plus intéressante, Monsieur l'agent.
Intrigué, amusé et déjà perdu dans ce jeu dangereux, je me lève en vidant mon verre d'une traite avant de le poser sur la table voisine. Je la suis dans l'un des boxes privés, où l'éclairage tamisé crée une atmosphère intime et sulfureuse. Une fois à l'intérieur, elle referme le rideau derrière nous, isolant ce moment du reste du monde.
— Alors, dis-moi, Monsieur l'agent de police, ça t'arrive souvent de faire ce genre d'excès en mission ?
— Seulement quand la suspecte est particulièrement... persuasive.
Elle rit, un son léger et moqueur, avant de commencer à danser à nouveau. Plus proche, plus lente. Ses mains effleurent ma nuque, ses lèvres frôlent mon oreille. Ses mouvements sont un mélange parfait de sensualité et de provocation. Elle teste mes limites, joue avec mon désir, cherche à voir jusqu'où elle peut me faire craquer.
— Tu sais, souffle-t-elle, je peux faire en sorte que cette soirée soit inoubliable... pas seulement pour tes yeux, mais aussi pour ton corps.
— Tentant, très tentant... Mais je suis un homme difficile à impressionner.
— Vraiment ? Pourtant, ton regard raconte une tout autre histoire...
Elle passe une jambe de chaque côté de moi, s'installant à califourchon sans rompre notre jeu de regards brûlants. Mon sourire s'agrandit. Elle pense qu'elle gagne. Elle est si sûre d'elle. Mais c'est là qu'un vrombissement brise l'instant.
Mon téléphone sonne. Alek.
Un sourire amusé étire mes lèvres alors que je dégaine mon portable. Sans un mot, je décroche.
— Ouais ?
— Éros, on a un problème. Faut qu'on parle. Tout de suite.
J'hésite une demi-seconde, mon regard croisant celui d'Isabella, encore perchée sur mes genoux, l'air légèrement contrarié par cette interruption. Je lui adresse un sourire en coin avant de lâcher, avec une voix traînante et malicieuse :
— Désolé, princesse, mais le devoir m'appelle... et contrairement à toi, lui, il ne danse pas à moitié nu pour obtenir mon attention.
Je la soulève doucement, la repoussant avec une facilité qui me donne enfin le dernier mot. Elle arque un sourcil, faussement vexée, puis rit en secouant la tête.
— C'est ce qu'on verra, Éros... la partie n'est pas finie.
— Oh, je n'en doute pas, chérie.
Je me lève, la laissant là, et quitte le box en reprenant mon appel, un sourire satisfait sur les lèvres. Cette manche, je l'ai gagnée.
J'écoute attentivement Alek au téléphone en sortant de la boîte de nuit, il m'explique la situation rapidement et me demande de retourner chez cette femme qui a fait plutôt dans la soirée une crise de panique. Je me dirige donc vers l'adresse en question et examine la scène de crime en prenant soin de ne rien contaminer.
Les mots écris sur le mur sont bien écrits avec du sang, je note par message à Alek ce que je vois et ce que je trouve, mais il n'y a pas grand-chose, l'appartement est entièrement retourné et sans équipe scientifique je ne peux pas faire plus.
Alek
Je la porte dans mes bras avec une délicatesse instinctive. Elle semble si fragile, comme une poupée de porcelaine sur le point de se briser au moindre mouvement brusque. Son corps est léger, mais je ressens le poids invisible de sa détresse. Elle tremble, et je ne sais pas si c'est à cause de la peur ou du froid mordant qui règne à l'extérieur.
En arrivant chez moi, j'ouvre la porte du salon, plongé dans une douce pénombre. Seule une lampe d'appoint éclaire la pièce d'une lumière tamisée, projetant des ombres vacillantes sur les murs. L'odeur du café froid laissé sur la table basse flotte encore dans l'air, mêlée à celle du bois ciré et du cuir de mon canapé d'angle. L'atmosphère est feutrée, apaisante, en contraste avec l'agitation qui semble encore hanter Julia.
Je la dépose doucement sur le canapé, veillant à ne pas la brusquer, et je retire ma veste pour la couvrir. Son corps est secoué de légers frissons, et je me demande si c'est simplement le froid ou si quelque chose de bien plus profond la tourmente. Je m'assois en face d'elle, l'observant avec attention.
Elle joue nerveusement avec ses doigts, puis passe une main tremblante dans ses cheveux emmêlés avant de se redresser. Elle s'assoit au bord du canapé, posant ses coudes sur ses genoux, et enfouit son visage dans ses mains. Ses jambes bougent frénétiquement de haut en bas, témoignant d'une angoisse qu'elle peine à maîtriser. Lorsqu'elle relève enfin la tête, son regard est fuyant, perdu dans le vide.
Une question me taraude : qui fuit-elle pour être dans un tel état ? Qui est assez dangereux pour lui inspirer une telle terreur ?
Je me sens démuni. Ce genre de situation n'est pas mon domaine. D'habitude, c'est Eros qui gère les victimes en état de choc, pas moi. Je suis plus à l'aise avec les faits, les indices, les pistes rationnelles. Les émotions, c'est une autre affaire. Mon téléphone vibre brusquement dans ma poche, me ramenant à la réalité. C'est Eros. Je réponds à ses messages pendant plusieurs minutes, surveillant du coin de l'œil Julia, qui n'a pas bougé.
Lorsqu'il m'annonce qu'il arrive, je ressens un profond soulagement. Je ne suis pas fait pour ça. Je n'ai ni les mots ni les gestes pour apaiser une personne brisée. Mais alors que je me lève pour passer un autre appel, une main fragile attrape soudainement la mienne. Sa peau est glacée, sa prise est faible, tremblante.
— Ne me laissez pas seule... s'il vous plaît... ne partez pas...
Sa voix est un murmure suppliant, cassée par l'émotion. Mon regard se pose sur ses doigts délicats qui s'accrochent désespérément aux miens. Un instant, je reste figé. Puis, lentement, je serre sa main pour lui assurer que je suis là. Je me rassois à ses côtés, reposant ma veste sur ses épaules pour lui apporter un peu plus de chaleur. Ma main vient recouvrir la sienne, espérant calmer ses tremblements. Elle serre ma main en retour, faiblement, puis, après une légère hésitation, pose timidement sa tête contre mon épaule.
Je me raidis à ce contact inattendu. Je ne suis pas habitué à ce genre de proximité, encore moins avec quelqu'un en détresse. Mais je la laisse faire. Après quelques secondes, elle murmure faiblement :
— Il... il m'a retrouvé...
Sa voix se brise, et elle commence à sangloter.
— Il va... il va me tuer cette fois...
Ses larmes coulent silencieusement contre ma veste. Mon instinct me pousse à agir, mais comment rassurer quelqu'un qui est persuadé que son destin est déjà scellé ?
Je prends doucement son menton entre mes doigts pour qu'elle me regarde. Ses yeux, embués de larmes, me fixent avec une détresse indicible. Je parle d'une voix basse, ferme, mais rassurante.
— Vous êtes en sécurité ici, Julia. Je vous promets que personne ne vous fera de mal.
Ses lèvres tremblent, et son regard s'embue davantage. Elle veut croire en mes paroles, mais la peur semble trop ancrée en elle pour qu'elle puisse les accepter pleinement.
— Qui fuyez-vous, Julia ?
Elle détourne aussitôt les yeux et secoue la tête négativement. Son regard se perd sur le mur d'en face, évitant soigneusement le mien. Elle lâche ma main, repliant ses bras contre elle, et son agitation reprend. Son pied tape frénétiquement contre le sol, et de nouvelles larmes roulent sur ses joues, silencieuses.
— Pour vous aider, j'ai besoin de plus d'informations...
Mais elle reste muette, enfermée dans son silence torturé. J'abandonne l'idée de la faire parler pour l'instant. À la place, je profite de ce moment pour envoyer un message à une alliée, lui demandant d'enquêter sur des éléments qu'Eros ne pourra pas creuser immédiatement. Je reste vague dans mon appel, ne donnant les détails sensibles que par message.
Une fois mon téléphone rangé, je pose délicatement ma main dans son dos. Elle tressaille légèrement à ce contact, mais ne recule pas. Ma voix se fait douce, sincère.
— Tout ira bien, je ne vous abandonnerai pas, Julia...
Elle tourne lentement la tête vers moi, ses yeux brillants d'émotions contradictoires. Ma main glisse doucement sur sa joue, effaçant les traces humides de ses larmes du bout des doigts. À ma grande surprise, elle vient alors m'enlacer, timidement d'abord, comme si elle craignait d'être repoussée, puis plus fermement. Son visage se niche contre mon torse, et ses bras passent autour de mon dos. Je me fige, pris au dépourvu. Ce contact, ce besoin d'ancrage, je ne l'avais pas anticipé. Après quelques secondes d'hésitation, je me détends légèrement et referme tendrement mes bras autour d'elle, lui offrant un soutien silencieux.
Les minutes passent ainsi, bercées par le silence et le souffle irrégulier de Julia. Peu à peu, son corps se détend contre le mien. Son souffle devient plus régulier. Elle s'endort.
Dix minutes s'écoulent avant qu'Eros n'arrive. Lorsque j'entends la porte s'ouvrir, je lui fais signe de rester silencieux. Avec précaution, je détache Julia de moi et la couche délicatement sur le canapé, replaçant ma veste sur elle pour qu'elle reste au chaud. Son visage endormi est enfin apaisé, débarrassé de l'ombre de la peur, ne serait-ce que pour un moment.
Je me lève et rejoins Eros, lui faisant signe de me suivre vers la cuisine pour discuter.
Ma cuisine est spacieuse, aux tons sombres, une pièce ouverte qui laisse une vue dégagée sur le salon. L'éclairage tamisé ne fait qu'accentuer l'atmosphère pesante de la soirée, projetant des ombres mouvantes sur les murs. Le comptoir en granit noir contraste avec les meubles en bois foncé, et l'odeur d'un café froid abandonné plus tôt flotte encore légèrement dans l'air. Je me dirige vers l'armoire à verres, en sors deux et les remplis d'un liquide ambré avant d'en tendre un à Éros.
Je bois mon verre cul sec, sentant l'alcool réchauffer ma gorge avant de reposer le verre sur le comptoir. Mes mains s'y agrippent, les jointures blanchissant sous la tension. Mon regard est rivé sur le canapé où Julia repose, encore agitée malgré son sommeil.
— Je ne sais pas qui la terrifie autant, ni ce qu'elle fuit... mais ce que je sais, c'est qu'il l'a retrouvée. Et que sa vie est en danger.
Ma voix est grave, chargée d'un sérieux qui ne laisse pas place au doute.
— Elle ne t'a rien dit de plus sur son ravisseur ? demande Éros en buvant une gorgée de son verre, m'observant attentivement.
Je secoue lentement la tête de gauche à droite sans détourner les yeux de Julia. Elle est là, vulnérable, sa respiration saccadée trahissant encore son état de stress. Éros suit mon regard avant de revenir à moi, plissant légèrement les yeux comme s'il analysait quelque chose.
— Pourquoi elle t'obsède autant, cette fille ? Qui est-elle ?
Je déglutis, mal à l'aise face à sa question. Mon propre esprit ne cesse de se la poser, sans réponse claire.
— Je ne sais pas, Éros... et c'est bien ça le problème. Je ne sais pas qui elle est, je ne sais rien d'elle... Mais ce que je sais, c'est qu'elle est en danger, et qu'en cet instant précis, elle a besoin de mo— je me corrige aussitôt— de notre aide.
Éros me fixe en silence, analysant mes mots, mes expressions. Il prend une légère inspiration avant de parler de nouveau, croisant les bras sur son torse.
— Tu sais très bien qu'on ne peut pas l'aider si on ne fait pas d'enquête. Une vraie enquête, Alek.
Je serre la mâchoire, luttant contre l'évidence de ses paroles.
— Crois-tu vraiment qu'elle a confiance dans le système ? Sinon, pourquoi cacherait-elle son identité ? Pourquoi n'a-t-elle pas demandé de l'aide plus tôt ? Tu sais tout comme moi que le système ne fonctionne pas toujours.
Éros hoche lentement la tête, son regard perçant scrutant chaque nuance de mon visage. Il reste silencieux quelques secondes avant que je ne pousse un soupir, passant une main nerveuse dans mes cheveux.
— Je verrai avec elle demain ce qu'elle veut faire. Pour l'instant, elle doit se reposer. Elle est en sécurité ici cette nuit.
— Tu comptes faire quoi ? La regarder dormir toute la nuit ? ironise-t-il avec un rictus. Tu risques surtout de lui faire encore plus peur avec ton tact légendaire... Quoique, j'étais plutôt surpris quand je suis arrivé. Le grand Alek ténébreux s'est laissé approcher ?
Il me donne un léger coup d'épaule, cherchant à alléger l'ambiance. Son sourire en coin m'agace, et je lui lance un regard sombre.
— Ta gueule, Éros. Ce n'est vraiment pas le moment de plaisanter...
— C'est toujours le moment, surtout quand je vois quelque chose d'aussi improbable venant de toi.
Son sourire s'élargit alors que je continue à le fusiller du regard. Il lève les mains en signe de reddition.
— C'est bon, c'est bon, calme-toi, Casanova. Je te laisse tranquille avec ça.
Je n'ai même pas le temps de répondre qu'un bruit attire mon attention. Julia bouge de plus en plus sur le canapé, ses mouvements devenant saccadés, presque paniqués. Son souffle s'accélère, ses doigts crispés sur le tissu de ma veste qu'elle serre contre elle comme un bouclier. Puis, un cri déchire le silence. Un cri chargé de terreur.
Je m'approche précipitamment, me baissant à sa hauteur. Ma main se pose doucement sur son épaule, tentant de la réveiller sans la brusquer. Mais, dans un geste de défense purement instinctif, son poing s'élance... et atterrit directement sur mon visage.
La douleur explose brièvement dans ma mâchoire, mais ce n'est rien comparé au rire d'Éros qui résonne depuis la cuisine. Je serre les dents, ignorant sa réaction, et me concentre sur Julia qui tremble encore.
Elle pousse un dernier cri avant d'ouvrir brusquement les yeux, complètement déboussolée. Son regard terrifié croise le mien, et sans prévenir, elle se jette dans mes bras, agrippant mon dos comme si elle s'accrochait à une bouée de sauvetage. La force de son geste me surprend, me faisant légèrement vaciller en arrière.
Par pur réflexe, je referme mes bras autour d'elle, la serrant contre moi dans un élan protecteur. Mon menton repose légèrement sur sa tête alors que je murmure d'une voix apaisante :
— Tout va bien... Vous êtes en sécurité, Julia. Je suis là, je ne vous abandonnerai pas.
Je répète ces mots doucement, rythmiquement, tout en la berçant légèrement. Son souffle tremblant s'apaise petit à petit contre ma poitrine, son corps se détendant progressivement dans mon étreinte. Mes doigts effleurent inconsciemment son dos, cherchant à chasser la peur qui l'oppresse.
Éros, toujours adossé au comptoir, nous observe en silence. Mais cette fois, il ne dit rien. Et pour une fois, il n'a même pas besoin de parler pour que je sache ce qu'il pense.