Calista
Mes parents ont remarqué que je sortais de plus en plus souvent, et surtout, ils ont remarqué que je passais la nuit dehors.
Mais ils n’ont rien dit. Ils ne disent plus rien. Comme s’ils pensaient que je serai incapable de faire quelque chose de dangereux ou illégal. Ou les deux.
Mais ça ne me fait rien. Félix a admis du bout des lèvres il y a quelques semaines que j’étais plutôt douée finalement et que je pourrai avoir une chance de me faire un vrai nom dans l’Hidden.
Il lui aura fallu presque deux mois.
J’arrive enfin sur le terrain sur lequel je m’entraîne depuis trois mois maintenant. Félix m’y attend déjà, adossé à sa voiture. La « mienne » est à côté, elle attend patiemment que j’arrive enfin.
— Eh bien gamine, je te croyais ponctuelle depuis le temps.
Je pince les lèvres mais ne réponds pas. Je n’ai pas fait exprès et si je réplique il va répliquer aussi et ça peut durer des heures.
Je m’arrête finalement face à lui et attend, me demandant ce qu’il va me faire faire ce soir. Depuis quelque temps, après m’avoir fait conduire à toute vitesse à travers les rues des quartiers les moins fréquentés, il se contente de me défier sur le circuit du terrain. Et malheureusement… je ne l’ai jamais battu.
Il finit par soupirer, et je pourrai presque le croire déçu que je n’ai rien dit.
— Pourquoi t’es en retard, gamine ?
Si c’est ça qu’il voulait savoir, il aurait pu demander dès le début.
— C’est mon anniversaire et… mes parents ont fait durer la soirée.
J’aurai pu croire qu’ils se souciaient vraiment que j’ai une super fête, si seulement ils n’avaient pas tout fait pour que ça se termine le plus tard possible en utilisant des excuses vraiment étranges.
Si c’était mon frère qui m’avait proposé une soirée film je n’aurai pas trouvé ça bizarre. On le fait de temps en temps et je sais que nos parents nous laissent veiller pour la seule raison qu’ils préfèrent me savoir à la maison plutôt que dehors.
Mais que ce soient mes parents, ces gens qui sont réglés comme des horloges, qui se couchent habituellement à dix heures du soir, qui nous proposent un marathon de la saga la plus connue du moment… même mon frère a trouvé ça étrange.
Ils ont vite abandonné leur idée quand il est devenu évident que nous aurions posé beaucoup trop de questions à leur goût.
La curiosité est presque mal vue.
— Ton anniversaire hein…
J’acquiesce en soupirant. Tout ce à quoi j’ai réussi à penser aujourd’hui c’est que dans tout juste un peu plus de sept semaines, je devrai intégrer une école qui me formera à un métier plus qu’ennuyant.
— T’as de la chance aujourd’hui gamine, j’ai un cadeau pour toi.
Je le dévisage longuement et je suis certaine que je dois avoir l’air le plus surpris du monde.
Déjà qu’il est avare de compliments, alors un cadeau… je ne m’attendais même pas à ce qu’il me souhaite un joyeux anniversaire.
Il ne l’a pas fait d’ailleurs.
— Me regarde pas comme ça, dit-il en se redressant, je t’ai pas encore dit ce que c’était.
Pas faux.
Mais maintenant je m’attends au pire.
Il m’envoie les clefs de la voiture violette et me lance en montant dans la sienne.
— Aujourd’hui tu me suis, ça va aller ?
J’allais m’offusquer de son ton railleur mais il ne m’en laisse pas le temps, il démarre son véhicule et le moteur fait un tel bruit qu’il aurait étouffé n’importe quelle protestation.
Je me dépêche de rejoindre mon volant et le rattrape un peu trop facilement. Soit il est subitement devenu très gentil, soit il tient vraiment à ce que j’arrive à le suivre aujourd’hui.
Je parierai plus sur la deuxième option, elle est vraiment plus crédible.
Il me fait traverser toute la ville et je commence à m’inquiéter un tout petit peu.
Je me fiche bien de ce qui pourrait m’arriver en ce moment, mais la peur que les autorités me découvrent en dehors de chez moi à cette heure persiste encore de temps en temps.
Nous arrivons enfin là où il voulait m’emmener, ou du moins c’est ce que je crois.
Ce devait être un terrain vague dans le même style que celui sur lequel je m’entraîne. La grande différence avec celui-ci, c’est le monde présent. Et les lumières. Et le bruit aussi.
Parce que j’entends la musique et le bruit des moteurs et des encouragements malgré le boucan que fait ma voiture.
Je me gare près de Félix.
— Qu’est-ce qu’on fait ici ? je lui demande en sortant de la voiture.
Il soupire et prend le temps de fermer sa précieuse voiture avant de me répondre.
— T’as dû remarquer depuis l’temps que les compliments c’est pas mon fort, mais t’es douée. Genre vraiment. Et si les échecs passent inaperçus en début de saison, certains talents aussi.
C’est logique. Mais ça ne m’explique pas où on est exactement, ni ce qu’on vient faire ici exactement.
Ou alors c’est juste que je n’ose pas envisager la réponse.
— Tu mérites de te faire remarquer, gamine. Et tu perdrais des chances à faire tes premières courses à la rentrée.
— Alors…
Non… ce n’est quand même pas ce que je crois… si ?
— Alors je vais t’apprendre un nouveau truc. Voici ton cadeau.
Il désigne la voiture violette d’un signe de tête et je suis bien trop surprise pour dire quoi que ce soit ce qui lui laisse le temps de continuer.
— Mais il faut que tu saches qu’une voiture, ça se gagne.
— Elle se gagne ?
— Ouais. Tu vas peut-être être amenée à conduire pour quelqu’un, mais si tu n’y gagnes vraiment rien alors ce n’est pas très intéressant n’est-ce pas ?
Vu comme ça, il a bien raison.
— Le plus souvent les victoires te rapporteront de l’argent, mais il pourra arriver que tu gagnes une bagnole. C’est vrai que la plupart des pilotes préfèrent conduire la même voiture tout au long de leur carrière, mais si t’as de la chance tu peux te retrouver avec une bonne source de pièces détachées.
Alors c’est pour ça qu’il a aussi voulu m’apprendre à prendre soin d’une voiture ? Je prenais toute l’expérience qu’il avait à m’apporter, mais il aurait aussi pu me dire ça il y a un bon bout de temps.
— Ce que je veux dire, gamine, c’est que je ne peux pas juste t’offrir cette bagnole. Tu vas devoir gagner ce soir si tu veux qu’elle soit à toi.