Calista
— Où est-ce que tu vas encore ?
Je soupire tout doucement en entendant la voix froide de ma mère résonner dans l’entrée. Elle qui n’a rien dit pendant quatre mois, et elle ne peut visiblement plus s’en empêcher, à une semaine de la rentrée.
— Je sors juste me promener…
Je peux presque l’entendre lever les yeux au ciel alors qu’elle est derrière moi.
— Calista… c’est bientôt la rentrée, tu vas entrer dans la vie active.
Ouais, enfin ça c’est une fois que j’aurai fini toutes les années d’études dont le Gouvernement estime que j’ai besoin pour mon futur métier.
— Il va falloir que tu te responsabilises, poursuit-elle, tu ne vas pas pouvoir continuer à te comporter comme une enfant bien longtemps.
— Alors laisse-moi en profiter !
Cette fois je me retourne pour lui faire face. Pourquoi est-ce que je n’ai pas hérité de ses yeux bruns ? Ou des yeux bleus de papa ?
Ça m’aurait évité toutes ces réflexions sur l’avenir brillant et prestigieux qui m’attend.
Elle a les bras croisés sur sa poitrine et le regard sévère. Mon éclat de voix ne lui a pas plu.
— Ecoute… accorde-moi jusqu’au moment où je devrai entrer à l’internat et…
— C’est presque deux semaines après la rentrée ça. Siffle-t-elle.
— Je sais oui, mais après je te promets que je serais sérieuse.
Elle hausse un sourcil, elle n’a vraiment pas l’air convaincue, mais je ne sais pas quoi lui dire de plus.
Elle réfléchit quelques secondes puis semble se souvenir qu’avec ou sans son autorisation je trouverai le moyen de sortir. Au moins, avec cette promesse, elle peut se rassurer et se dire qu’un jour je prendrai enfin mes responsabilités.
— Très bien. Fais ce que tu veux jusqu’à ton entrée à l’internat. Mais tu me promets que tu respecteras toutes tes obligations sans enfreindre la moindre règle à partir de ce moment, on est bien d’accord ?
— Oui, on est d’accord, c’est promis.
Je sais que je viens de signer un contrat à l’oral, mais je n’ai pas le choix. Il faut vraiment que je sorte ce soir et si c’est là la seule façon que j’ai, alors je ne vais pas hésiter.
Elle soupire et retourne au salon. Elle a eu ce qu’elle voulait, elle me laissera maintenant faire tout ce que je veux jusqu’à ce que le moment soit venu de me rappeler ma promesse.
J’attrape ma veste en cuir et sors de la maison en vitesse. Félix m’attend et je ne suis pas sûre qu’il soit très heureux de mon retard.
Je me précipite à travers les rues, évitant au maximum les grandes avenues. Les autorités ne seront pas tendre envers moi à cause de mon âge. Pour eux, je devrai être en train de me préparer pour la rentrée, et non pas être dehors à une heure aussi avancée de la nuit.
— Eh bien gamine, je commençais presque à m’impatienter.
Il a l’air grognon, encore plus que d’habitude. Je me demande ce qu’il lui arrive.
Ça ne peut pas seulement être à cause de mon retard. Je choisis de m’excuser quand même.
— Désolée, ma mère a voulu me retenir…
Il hausse un sourcil et me fait signe de développer. Je ne sais pas ce qu’il va en penser, mais je n’ai pas le choix.
— J’ai dû lui promettre que je me concentrerai sur les études à partir de mon entrée à l’internat.
Il reste silencieux de longues minutes et je sens le stress monter progressivement.
— Détends toi gamine, il fallait justement que je te parle d’un truc.
Qu’il me parle de quoi ? Maintenant je commence vraiment à avoir peur.
Il me fait signe de monter sur le siège passager de ma voiture, je suis vraiment fière de cette première course qui m’a permis de la gagner, et je m’exécute en silence.
Je me souviendrai longtemps je pense de ce que j’ai ressenti ce soir-là. Quand j’ai passé la ligne d’arrivée… deux notes du requiem avant le deuxième.
J’ai arrêté la voiture presque nette et suis restée les yeux dans le vague et les mains crispées sur le volant jusqu’à ce que Félix ne vienne frapper à la fenêtre.
Il m’a félicité, à priori ce n’était pas seulement deux notes, c’était aussi deux secondes. Et visiblement c’est beaucoup.
— Tu ne vas pas pouvoir faire ta cinquième course avant la rentrée. Me dit-il brusquement.
Quoi ?
Je tourne la tête vers lui, et il remarque mon air interloqué.
Mais pourquoi ? Je croyais que c’est ce qu’il voulait faire pour que je n’ai pas de problèmes au niveau de l’internat ?
— La course de ce soir…
— Oui, si je la gagne ce sera ma quatrième victoire, il ne m’en manquera plus qu’une pour être un membre à part entière de l’Hidden World.
Il acquiesce doucement et je sens qu’il me cache quelque chose.
— Félix… qu’est-ce qu’il y a exactement ?
Il soupire.
— C’est la dernière course de l’année.
La dernière…
Alors ça veut dire que…
Même si je gagne ce soir, il faudra que je trouve une autre course à la rentrée.
— Calme toi Calista, je t’ai déjà trouvé une cinquième course. Le seul hic c’est qu’elle se déroule juste avant les entrées à l’internat.
Bon sang, chaque fois qu’il utilise mon prénom ça a le don de me calmer immédiatement.
Et donc, il a dit… juste avant l’entrée à l’internat ?
— Pourquoi si tard ?
— Parce que les premières courses sont surchargées, ça ne te serait pas bénéfique de battre des petits nouveaux. Pas après les trois superbes victoires que tu nous as offert.
Ses compliments font toujours plaisir. Jusqu’à ce que je me souvienne d’une chose.
Ils cachent toujours autre chose.
Je fronce les sourcils et il détourne le regard pour allumer la voiture.
— Quelle difficulté ?
— Qu’est-ce que tu racontes gamine ?
Il démarre et prend la direction du circuit de ce soir. Il ne m’aura pas aussi facilement, je ne le laisserai pas s’en sortir sans qu’il ne m’ait répondu.
— Cette course que t’as trouvée, elle est de quel niveau ?
Il ne répond pas, faisant mine d’être concentré sur la route.
Il se fiche littéralement de moi.
Il a été pilote de course, et très connu, il saurait conduire les yeux fermés dans ces rues qu’il connaît par cœur.
— Comme tu veux le vieux, je demanderai à Nate alors.
— Comment tu m’as appelé là ?
C’est à mon tour de l’ignorer. Je tourne le regard vers le paysage qui défile et attends.
Je l’entends pester à propos de gamines têtues, et ça m’aurait fait sourire si je n’étais pas décidée à l’ignorer.
Je n’oublie pas qu’il m’a précipitée sur une niveau quatre dès la première fois et que je n’ai échappé au niveau cinq que parce qu’il s’agissait du pallier deux et qu’il fallait avoir gagné le pallier un pour pouvoir y participer.
Nate l’a traité de vieux sénile quand il avait le dos tourné, mais je reste persuadée qu’il ne disait ça que pour plaisanter.
— Très bien gamine, t’as pas à t’inquiéter, c’est une holo dragon.
Une 3-1 alors, niveau trois et pallier un, difficile mais pas trop non plus. Tant mieux. J’en ai déjà fait à ce niveau et je m’en suis bien sortie.
Félix gare la voiture sur le parking, ou tout du moins ce qui a été désigné comme tel, et nous sortons de la voiture. Nous nous dirigeons directement en direction du bar où Nate a l’air bien débordé.
— Pourquoi il y a autant de monde ce soir ? je lui demande quand il a enfin deux minutes à nous accorder.
— C’est à cause de toi blondinette. Un soda et une bière, comme d’hab ?
Félix lui confirme rapidement et me voilà obligée d’attendre qu’il revienne pour continuer à lui poser mes questions.
Je le remercie pour la boisson et sourit de son regard de chien battu. Il a aussi bien remarqué que moi qu’il n’était plus aussi débordé qu’il y a quelques minutes, ce qui veut dire que je peux le monopoliser jusqu’à ce que je sois satisfaite des réponses.
— Pourquoi tu dis que c’est à cause de moi ?
— Ah blondinette… soupire-t-il, tu débarques en fin de saison du haut de tes seize petites années et tu finis un circuit 4-1 aussi bien qu’un ancien, et tu te poses vraiment la question ?
Oui.
Oui, vraiment.
Je peux comprendre qu’ils soient intéressés, mais il n’y avait pas autant de monde les deux dernières fois.
— Franchement petite, tu ne sais vraiment pas ? A moins que Félix ne t’ai pas mise au courant, ce qui ne m’étonnerai pas. Dit Nate en jetant un coup d’œil en biais au concerné.
Pas dis quoi ?
— C’est une 4-1 ce soir aussi Calista.
Alors c’est pour ça qu’il est resté si mystérieux à propos de la course de l’année prochaine ! C’est parce qu’il ne voulait pas que je pose trop de questions sur la course de ce soir.
Je le fusille du regard ce qui fait rire Nate.
— T’es pas censée avoir fini ton soda et être en direction de la grille de départ gamine ?
Je tire lui tire la langue puérilement ce qui lui fait lever les yeux au ciel et embarque ma canette avant de prendre la direction de ma voiture. Je la conduis à chaque course depuis que Félix me l’a offerte, et j’ai aussi dû apprendre à m’en occuper correctement.
Mes parents ont toujours refusé catégoriquement d’adopter un animal de compagnie arguant que ça demanderait trop d’investissement et de travail, et pourtant avec Raphaël, mon frère, on a souvent insisté. Mais visiblement, une voiture demande tout autant.
Je jette ma canette maintenant vide dans une poubelle au passage et prend place dans la voiture. Je l’aime vraiment beaucoup, elle est magnifique et se conduit très facilement.
Félix a tenté de faire entrer dans mon crâne ses spécificités techniques, mais visiblement il n’y a de la place que pour la tonne de règles de l’Hidden World. Et encore, même elles, j’ai du mal à toutes les intégrer.
Aller, direction le circuit.
Je n’ai pas à stresser, je l’ai déjà fait. Il n’y a vraiment aucune raison qui ferait que je pourrai perdre ce soir.