Nate

J’en ai vu défiler pleins, des anciens pilotes qui pensaient que leurs poulains étaient doués et qu’ils s’en sortiraient en commençant en cours de saison.

Et sans grande surprise, au final, bien peu d’entre eux y arrivaient réellement. 

Alors ouais, ils se pourrait que j’aie vraiment eu du mal à y croire quand j’ai reçu un message de Félix disant qu’il avait déniché une perle rare.

Déjà parce que ça faisait plus de quinze ans qu’il n’avait pas donné signe de vie, et que j’ai pensé un instant que quelqu’un se faisait passer pour lui. 

Et ensuite parce que j’ai entendu ça beaucoup trop de fois pour encore y croire. 

Mais quand je l’ai vu arriver accompagné de cette petite blonde à l’air bien trop curieux pour son bien, j’ai commencé à me poser quelques questions. 

Et maintenant qu’il revient après l’avoir laissée sur la grille de départ, je compte bien obtenir des réponses. 

Je lui ressers une bière et m’accoude à côté de lui, ce qui le fait soupirer. Il sait très bien que je vais le noyer de questions. 

—      Tu penses vraiment que cette petite peut s’en sortir ?

Il prend une gorgée de sa boisson avant de répondre. Je déteste quand il fait ça. Et je le connais depuis bien assez longtemps pour savoir que c’est ce qu’il fait quand il veut décourager quelqu’un de lui parler.

Mais ce soir je suis déterminé à savoir.

—      Si elle, elle s’en sort pas, alors aucun de tes nouveaux de la rentrée ne vaudront le coup. Soupire-t-il. 

Wow. 

Deux compliments envers la même personne dans la même soirée c’est vraiment une journée exceptionnelle. 

—      Bon... je suppose que tu l’entraînes depuis assez longtemps pour pouvoir affirmer ça aussi fermement.

Il ricane doucement ce qui me fait froncer les sourcils.

—      Me dis pas que…

—      Trois mois, ça fait trois mois que je lui apprends à tenir un volant.

Je reste scotché un instant avant de me reprendre.

—      Trois mois seulement !? Dis-moi au moins que tu l’as rencontrée alors qu’elle conduisait illégalement dans les rues…

Il détourne le regard et secoue négativement la tête. 

—      Mais t’as vraiment perdu la tête Alvarez ? 

—      Calme toi Nate…

—      Tu viens de précipiter une gamine avec trois mois de conduite sur une course de niveau 4 ! Tu…

Je me fais interrompre par le coup annonçant le début de la course. 

C’est trop tard pour le forfait. 

—      Qu’est-ce qui t’es arrivé ces quinze dernières années pour que tu penses qu’elle va s’en sortir ? 

—      Déstresse, c’est qu’une course de pallier 1 du niveau 4, elle va y arriver. 

Ma parole, il a vraiment perdu la tête.

Je lui rappellerai bien que les niveaux 6 ont été arrêtées à cause du nombre de morts il y a bien 20 ans maintenant, mais je sais qu’il s’en souvient parfaitement. 

—      Tu sais pourtant qu’ils n’organisent plus qu’une course par pallier du niveau 5 depuis quelques années. Je lui rappelle tout de même.

—      Je sais Nate. Mais regarde, elle s’en sort plutôt bien pour l’instant.

Je jette un coup d’œil à la course pour constater qu’il a raison. Elle n’est pas première, mais elle n’est pas dernière non plus. Et il lui suffit d’arriver parmi les cinq premier pour être considérée comme gagnante. 

—      Félix… tu as fait cette course bien assez souvent pour savoir que le virage du milieu est celui qui demande le plus de maîtrise. Ceux qui s’y précipitent finissent toujours aux choux…

—      Ouais, et ? 

Je le sais pourtant, il a toujours été comme ça. Nonchalant, jamais inquiet de quoi que ce soit. Avant ce n’était pas au point d’en être inconscient mais ça a visiblement changé. 

—      Ce que je veux dire, c’est que la blondinette ne va pas savoir… 

—      Ferme là deux secondes et regarde un peu ça.

Les participants à cette course étaient surtout des débutant de cette année qui ont perdus tant de fois qu’il leur était difficile de trouver une place parmi les courses de l’année et des tricheurs qui tentent de garder leur place. 

C’est seulement grâce à la présence de la blondinette que les spectateurs sont restés attentifs, et qu’ils ont pariés aussi. 

En parlant de la petite blonde, elle profite que les premiers ralentissent pour prendre la tête de la course.

Mais à quoi elle pense ? 

Je sais bien qu’il est possible de négocier ce virage avec une certaine vitesse, mais il faut la connaître et seuls les pilotes les plus anciens arrivent à l’estimer. 

Elle va se planter, elle va se planter, elle va se planter, elle va… 

Elle… 

—      Tu vois ? Je te l’avais dit. Si elle, elle ne réussit pas, alors aucun de tes débutants n’en vaudra la peine.

Je crois que je commence à comprendre pourquoi il a tant insisté pour qu’elle participe.

—      Comment elle a bien pu savoir ça ? je lui demande. Il faut avoir conduit sur ce circuit au moins une fois normalement…

Je l’entends ricaner avant d’entendre sa réponse.

—      Visiblement, à elle il lui a suffi de regarder une course pour le savoir.

Il avait raison, elle serait passée presque inaperçu dans une course de rentrée. Elle aurait sûrement gagné, mais ça n’aurait pas été aussi spectaculaire que ce soir. 

—      Comment t’as su qu’elle était aussi talentueuse ?

—      Je le savais pas.

Il hausse les épaules et reprend une gorgée de sa boisson. 

Mais comment ça il ne le savait pas ?

—      Quand je l’ai rencontrée, elle avait juste l’air… résignée. Je me suis dit que je ne perdrais rien à lui apprendre ce que je savais. 

—      Puis tu t’es dit aussi que profiter de son anniversaire pour la faire entrer dans l’Hidden serait une bonne idée. Je suis étonné qu’elle te l’ai dit aussi facilement par contre.

Et voilà un autre de ses sourires en coin. Ce qu’il peut m’agacer à faire ça.

—      Elle ne m’en a rien dit.

—      Comment t’as su alors ?

—      Il me reste quelques contacts, je me suis juste renseigné. 

Evidemment. Ça aurait été trop beau qu’il fasse comme tout le monde et se contente de simplement poser la question. 

Calista approche de la ligne d’arrivée, et elle doit être agacée que certains lui collent au coffre parce qu’elle met un bon coup d’accélérateur et passe la ligne d’arrivée deux secondes avant le deuxième.

Ça c’est ce que j’appelle une belle victoire.

—      Tu es conscient que tu viens de faire d’elle la plus jeune conductrice de l’Hidden depuis au moins 50 ans ? 

—      Ouais, il acquiesce en déposant sa bouteille vide sur le bar, et aussi la gagnante qui remportera le plus pour sa première course depuis bien longtemps.

Il me désigne le tableau où sont inscrits un nombre impressionnant de traits dans la colonne « défaite » en face du nom de la blondinette. 

—      Fais gaffe Alvarez, beaucoup vont la vouloir à leur service. Une première victoire en 4-1 ça attire les vautours.

—      Je sais, mais ça va aussi attirer les gros joueurs. Et ce sont eux qui m’intéressent. Maintenant, si tu permets, je vais aller m’assurer que son cœur n’a pas lâché sous le coup de l’émotion. On sait jamais avec les filles…

Je me mets à rire.

—      Va pas lui dire ça, elle a l’air d’avoir un sacré caractère, et je prendrais pas ta défense si elle décide de t’en coller une ! je lui crie tandis qu’il s’éloigne. 

Je ne sais toujours pas pourquoi il est revenu exactement. Parce que, soyons honnête, je ne crois pas à son histoire de « j’ai voulu offrir un meilleur avenir à une gamine ». 

Mais il n’a pas l’air de lui vouloir du mal, bien au contraire. Je suppose donc que la blondinette ne risque rien. 

J’espère juste pour elle qu’il ne décidera pas de disparaitre à nouveau sans rien dire. 

Elle semble vraiment l’apprécier étrangement, et personne ne mérite de se sentir abandonné comme ça par quelqu’un qui compte vraiment.