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Claudine
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Chapitre 2

Troj en avait eu des réveils désastreux. Son top trois comptait une gueule de bois mémorable la veille des examens durant les cinq mois qu’elle avait fréquenté les bancs universitaires, le futon inconfortable chez cette amie qui l’avait logé deux jours après son renvoi de cette même université et enfin, le placard à balai du laboratoire d’Omnitech où la police l’avait mise en garde à vue après avoir libéré par erreur un virus mortel.

Troj décolla ses paupières poisseuses de sang et les ouvrit sur un plafond barré de néons bleus. L’éclat d’une centaine de petites lames de rasoirs fixés sur un bras articulé réveilla une douleur sourde dans ses jambes et son bas ventre. Elle était harnachée à un siège de dentiste basculé en arrière pour l’empêcher de voir les alentours. Lorsque les lames de rasoirs se mirent à vibrer dans sa direction, Troj songea à changer son top trois.

— Bonjour, señora Asterian, dit une voix avec un accent hispanique exagéré. Vous avez été récoltée par le FREPH et nous vous remercions de votre confiance.

Troj se tordit la nuque, d’abord en se débattant avec les sangles puis en cherchant la source de la voix. L’endroit portait les sons à l’infini comme s’il n’y avait aucune paroi. Elle ne vit ni sas, ni hublots, pas même la moindre indication qu’elle se trouvait à l’intérieur du vaisseau en forme d’ammonite. Elle aurait très bien pu se tenir dans le poste opératoire d’un chirurgien-dentiste. Du genre, chirurgien-boucher. Elle jeta des regards paniqués aux lames de rasoirs qui vibraient comme un essaim au-dessus d’elle. Elle ouvrit la bouche pour crier à cette horreur de s’éloigner d’elle mais sa langue était pâteuse et lourde.

— Nous vous conseillons de rester calme durant votre récolte, señora Asterian, poursuivit la voix d’un ton aussi léger que si elle s’était trouvé sur une croisière et qu’elle avait un peu trop abusé du bar à cocktails. Afin d’assurer un transfert dans les meilleures conditions et en vue du processus engagé suite à la demande de votre récolteur, le FREPH vous a injecté un sédatif de relaxation musculaire. Un peu de musique ?

L’espace en face d’elle, se transforma soudain en une créature à six bras. Troj hurla, aussi fort et autant qu’elle le pouvait avec sa gorge paralysée. La créature à la peau crème et aux nervures dorées l’ignora, ses mains à six doigts agrippées sur un appareil en forme de faux et doté d’une multitude de cordes. Il ou elle enfla son énorme poitrine cintrée dans une veste de smoking et se mit à gratter l’instrument. Une musique d’orgue multiplié par dix églises perça les tympans de Troj et la surprit tellement qu’elle sursauta dans ses sangles.

La voix réagit aussitôt en coupant la transmission et l’image de l’extraterrestre joueur d’orgue céda de nouveau la place au vide blanc.

— Nous notons de hauts niveaux de stress. Voyons… Votre espèce vient de la Terre, vous devriez peut-être plus apprécier, ceci.

Cette fois, ce fut un homme en pull col roulé qui prit place sur l’écran, une flûte à bec dans les mains. Même le sédatif le plus puissant de l’univers ne purent retenir les jurons furieux dans la gorge de Troj alors qu’elle se tordait sur son siège.

— Sérieu… sement ? C’est… ça… qu’on é… é... coute sur Terre, de nos… jours ?

Ses niveaux de stress devaient être cependant plus bas car le programme ne changea pas. Troj eut une vue prenante sur le crâne dégarni du joueur de flûte à bec. La voix reprit, quelque part derrière elle, dans cette insultante imitation d’un accent hispanique.

— Votre récolte a été configurée selon notre nouvelle formule personnalisée pour la survie des espèces.

— Qu...quoi ? Ré… récolte ?

— Votre transport, l’Ammonite de Glace, est pourvu de tout le confort pour la durée du voyage. Après votre opération, nous serions ravies de vous présenter les installations qui comprennent notamment un spa, une piscine à remous et une visite guidée des serres de l’univers.

Troj ferma les paupières. Si elle se concentrait, elle pouvait presque sentir les vibrations du vaisseau dans ses muscles. Elle était bien à bord de cette ammonite géante. Elle avait quitté sa prison. Quelque chose en elle l’informa qu’elle aurait dû manifester une forme de joie à cette nouvelle mais les propos de la voix s’empilaient dans sa tête en des monticules d’angoisse.

— Att-attendez, croassa-t-elle en foudroyant le plafond bleuté du regard. Vous… vous allez faire… quoi ? Une… opération ?

— Je suis l’ordinateur de bord de l’Ammonite. Permettez-moi, señora Asterian de vous guider à travers la suite des opérations.

— Mais quelles opé...

— Programme choisie, poursuivit l’ordinateur comme si de rien n’était. Relance de l’espèce. Autorisation de niveau alpha, alpha, alpha. Effectivité : immédiate. Récolteur…

La voix laissa planer un silence.

— Anonyme. Espèce incluse dans le processus : humaine.

Troj cette fois écarquilla les yeux et sentit une autre sorte de gêne se répandre dans sa gorge.

— Au nom du Fond de Recherche des Espèces pour la Préservation de l’Hunivers, nous sommes impatients de travailler avec vous pour relancer l’humanité.

— Quoi ? cria pour de bon Troj et d’un coup sa gorge se délia et elle récupéra sa voix rocailleuse : Vous avez dit quoi ? Relancer l’humanité ? Le Fond de… qui ?

Le joueur de flûte au crâne dégarni se leva sous les applaudissements et salua un auditoire invisible. Il quitta la scène et l’écran mural changea pour afficher cinq lettres bleu vif. FREPH.

— Le Fond de Recherche des Espèces pour la Préservation de l’Hunivers, dicta la voix dans toute sa profonde affabilité. Nous sommes le FREPH, pour faire plus court. Je suis l’ordinateur de bord en charge du pilotage du vaisseau. Enchanté.

Troj avait tellement de questions qu’elle en aurait presque oublié la présence menaçante de l’appareil aux lames vibrantes. Elle commença par la seule qui lui traversait l’esprit :

— Univers ne s’écrit pas comme ça.

— Une demande de correction a été signée et envoyée à nos bureaux. En attente depuis (une pause puis un bruit statique incompréhensible), elle  sera traitée dans les plus brefs délais.

Troj s’humecta les lèvres. Les sangles sur son corps la serraient tellement qu’elle réalisa avec retard qu’elle était presque parvenue à se redresser sur son siège. Elle se laissa retomber, regard au plafond et prit de grandes inspirations.

— Ok, dit-elle d’une voix lente. Le FREPH. Et votre boulot, c’est de… préserver les espèces.

— Les espèces de l’univers ou plus largement de l’hunivers.

Un crissement dans la voix indiqua pour la première fois à Troj la présence d’un haut-parleur.

— Mais vous avez dit, murmura Troj, que votre mission était de relancer… relancer l’humanité.

— Exact, señora Asterian.

Troj fixa le bleu des néons jusqu’à sentir sa rétine la picoter.

— Est-ce que ça veut dire que l’humanité n’existe plus ?

— Tout à fait, señora Asterian.

Le joueur de flûte revint et Troj ne sut si l’ordinateur avait remis en marche son programme de musique parce qu’il sentait une variation dans les constantes de Troj.

— Merde, se contenta-t-elle de dire. Depuis quand ?

Le chiffre en jours terriens était tellement grand que Troj reposa la question, cette fois en années.

— Deux mille sept cent quatre-vingt ans, répéta Troj après la réponse de l’ordinateur. Oh, c’est proche, très proche.

— Señora Asterian ? s’enquit l’ordinateur.

— Rien.

Elle jeta un nouveau regard vide au plafond puis se redressa avec une telle énergie que les sangles tressautèrent sur sa chaise.

— C’est hors de question, dit-elle sans hausser la voix. Hey, toi, l’ordinateur. J’ai connu pendant des siècles une collègue à toi, la Sabe Todo, donc je sais comment parler aux gens de ton espèce !

— Nous ne connaissons pas toutes les IA du monde, señora Asterian. C’est très réducteur de votre part de dire ça.

— Sors-moi de là, tout de suite. Je refuse de participer de près ou de loin à un plan pour relancer l’humanité. Détache-moi, tu m’entends ?

Elle avait beau garder un volume de voix composé, elle ne pouvait empêcher les battements affolés de son cœur de battre à ses oreilles. En réponse, l’ordinateur fit s’approcher un peu plus le bras articulé aux lames acérées.

— Le FREPH répond à sa mission principale, señora Asterian. Recherche et Préservation.

— En quoi ramener une espèce éteinte c’est de la préservation ? interjeta Troj.

— Le FREPH répond à sa mission secondaire, señora Asterian, poursuivit la voix du vaisseau. Programme choisie : relance de l’espèce. Autorisation de niveau alpha, alpha, alpha. Effectivité : immédiate. Récolteur…

Troj n’attendit pas la fin de cette pause pour s’écrier :

— Qui est-ce ? FREPH, dis-moi qui c’est, tout de suite !

— Anonyme. Espèce incluse dans le processus : humaine. Au nom du Fond de Recherche des Espèces et de la Préservation de l’Hunivers, nous sommes impatientes de travailler avec vous pour relancer l’humanité. Attention, ça va piquer.

Les protestations de Troj se noyèrent dans sa gorge quand l’appareil baissa son bras et les milliers de lames de rasoirs s’enfoncèrent dans son abdomen.

Troj quitta son corps sous la douleur. Elle sentit les sangles compresser ses côtes alors qu’elle ruait pour en sortir. La voix du FREPH combinée à l’agaçant joueur de flûte s’effacèrent un temps dans les affres de sa conscience. Les pics de souffrance la cisaillaient de part en part. Lors d’une demi-seconde de répit durant laquelle elle parvint à redresser la tête, elle aperçut les lames se retirer sans déchirer son vêtement ni laisser une goutte de sang. La douleur décrut mais ne s’arrêta pas, se diffusant entre ses reins avec une familiarité qui ne lui disait rien qui vaille.

— Vous… vous avez fait quoi ? haleta Troj.

— Nous avons relancé votre horloge interne, répondit obligeamment le FREPH. Votre incarcération à l’éternité avez mis en pause votre développement corporel. Vous êtes de nouveau sur notre temporalité. Merci d’avoir utilisé les services du Fond de Recherche des Espèces et de la Préservation de l’Hunivers pour vos prestations.

— J’ai… j’ai si mal. Cette douleur…

— Votre horloge interne indique l’accumulation de trois millénaires de cycle utérins. L’injection d’un sédatif n’est pas nécessaire au vu du caractère naturelle de cette douleur chez le sujet humain féminin.

— Va te faire… va te faire fou…

Troj vit la pièce tournoyer autour d’elle alors que trois millénaires de règles douloureuses s’abattaient comme une pluie de météorites sur son bas ventre. La partie encore consciente de son cerveau s’efforçait de calculer combien de mois elle avait accumulé ainsi. Troj se concentra sur les doigts du joueur de flûte. Une distraction qui dura un temps seulement car d’un coup, le crâne dégarni implosa dans une gerbe d’étincelles.

Tout l’écran se fendilla et éclata sous la pression d’une tête géante de poisson. Le choc emporta le mur et le plafond et Troj crut voir sa dernière heure venir quand le bras articulé de lames se détacha et tomba droit sur elle.

La gueule aux lèvres épaisses du poisson s’ouvrit sur une série de canons. Deux tirs de laser réduisirent en poussière la machine de torture avant qu’elle n’écrase Troj. Éperdue de douleur et abrutie par la surprise, Troj mit du temps à réaliser que ce n’était pas un poisson géant mais un vaisseau spatial qui venait à lui seul de défoncer les parois de sa cellule comme si c’était du beurre. Sa structure en métal aussi lisse que du cuir s’étira, se dégageant un passage.

— Le Fond de Recherche des Espèces et de la Préservation de l’Hunivers vous demande de reculer, raisonna la voix au plafond. Votre intervention pourrait s’avérer hostile si vous ne cessez pas de suite.

Troj recueillit un semblant de conscience. La souffrance n’avait pas voilé sa vue, c’était bien là un vaisseau modelé comme un énorme poisson charnu. Les deux globes noirs du vaisseau-poisson reflétèrent les néons bleus. Des hublots, aussi grands et larges que feue sa cabane sur l’île. Troj n’aurait su déterminer ce qui était plus effrayant entre les yeux de verres noirs ou les canons à travers la bouche du poisson. Des écailles de métal écartèrent les parois, révélant la taille véritable de la pièce dans laquelle Troj se trouvait. Le vaisseau-poisson était peut-être aussi grand qu’un immeuble de cinq étages, ce n’était qu’une épingle comparée à l’immensité de l’intérieur de l’ammonite. À travers sa migraine qui accompagnait les élancements de son ventre, Troj distingua les corridors, larges comme un terrain de foot, plongés dans les ténèbres bleutés et qui s’enroulaient très loin de part et d’autre de son minuscule siège.

La paroi bombée d’un des hublots du vaisseau-poisson s’ouvrit soudainement, révélant une silhouette presque aussi grande qui sauta à terre. Elle portait une tenue complète de sortie dans l’espace et Troj réalisa soudain le froid terrible qui s’était abattue autour d’elle. Le vaisseau-poisson avait foncé droit sur les parois de l’ammonite et cela, depuis l’espace. Si Troj n’avait pas encore fini réduite en purée à travers les interstices de l’ouverture, c’était grâce aux étranges écailles de métal du vaisseau-poisson et de ces épaisses nageoires charnues qui bloquait l’absorption par le vide. Le froid pour autant existait bel et bien, et Troj sentit très vite ses yeux se geler et son souffle s’épaissir devant elle.

La silhouette en casque fut sur elle. Troj ne distingua qu’un bruit de déchirure. Ses sangles cédèrent et deux bras l’attrapèrent et l’entraînèrent, le tout en seulement quelques bonds, droit dans l’orbite du vaisseau-poisson. Une dernière fois, elle entendit les menaces du FREPH (« une plainte est en ce moment même déposée contre vous ») et la paroi bombée se referma.

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2 Comments

2 months
Ah bah il l'aura pas volé, le sale robot !
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2 months
oui bien fait pour lui !
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