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Chapitre 4

Troj émergea de son caisson, reposée et le cerveau correctement alimenté en oxygène.

Elle s’assit sur le rebord de la boîte hermétique. Elle donnait directement sur le couloir principal du vaisseau. Un unique lampion orange flottait au-dessus d’elle, plongeant le reste dans l’obscurité.

Troj observa ses mains calleuses. Elle ferma le poing et chuchota tout en déroulant ses doigts.

— Un, je parle la même langue que les aliens de ce vaisseau. Deux, les aliens me comprennent tout aussi bien. Et enfin trois… je vais retourner devant la Jugerie.

Troj referma le poing, l’appuya contre son ventre. Au moins, les crampes n’étaient plus qu’un mauvais souvenir. Ça aussi, c’était une autre bizarrerie qui prenait bien les dix doigts de la main. Le Freph et sa mission de relancer l’humanité, sous l’injonction d’un commanditaire anonyme. Une injonction tellement puissante que le vaisseau en forme d’ammonite avait passé outre une condamnation temporelle vieille de trois mille ans.

Elle pensa à la Sabe. Elle avait beau traiter Troj avec dédain, la Sabe savait tout et elle ne rechignait jamais à lui donner une réponse.

Mais, se rappela Troj dans un flash qui lui renvoya l’image de sa Altakarcel détruite par le Freph, la Sabe n’était probablement plus que poussière de données dans l’espace.

— Quel gâchis.

Peut-être que le Coe-la-Kanthe était doté lui aussi d’une intelligence artificielle capable de l’aider. Elle s’approcha du lampion qui aussitôt s’anima et glissa sur le plafond en direction du couloir. Ses ravisseuses avaient peut-être pour objectif de la ramener aux Juges, Troj préférait être sur leur rafiot qu’à bord d’un vaisseau géré par une IA qui voulait utiliser son utérus pour faire des bébés.

Troj rencontra Écrunéméhos, trop concentré à voleter sur une étagère qui sortait du plafond pour remarquer son approche. Il tenait dans sa queue un étui métallique tandis qu’à l’aide des membranes de ses ailes, il déroulait ce qui ressemblait à un schéma complexe noté sur une feuille translucide. D’autres étuis similaires s’alignaient sur l’étagère, tous de la même taille. Troj se demandait ce qu’ils pouvaient bien contenir et si elle ne devrait pas en voler un au cas où, quand le dragon volant replia la feuille et la fit disparaître d’une pichenette à travers les écailles de son front.

— Vous êtes priée de demander l’autorisation avant d’espionner quelqu’un à son insu.

— Sinon quoi ? répondit Troj en s’avançant. Tu exploses ?

Ses membres apparurent et disparurent le temps de repousser l’étagère vers le plafond. Il laissa ensuite tomber le tube vide dans ce qui ressemblait à une poubelle contre le mur.

— Non. Mais nous les vanyars sommes très attachées au protocole. Observer une vanyar pendant un épisode vorace est considéré comme un acte malséant.

— Un épisode vorace ? C’est quoi cette histoire ?

Elle continua de le fixer de longues secondes avant de se décider à déplacer son regard. Elle se demandait si les étagères s’activaient par une commande cachée ou uniquement avec la présence d’Écrunéméhos.

La vanyar en profita pour disparaître dans un éclair noir et bleu et Troj la sentit se poster à quelques centimètres de son épaule. Elle ne put retenir un sursaut de stupeur mais accepta sa présence dans l’angle mort de ses yeux.

— Ce sont des moments où nous ne pouvons cacher notre faim pour les humains, bien sûr.

— Ça m’étonnerait. Tu ne savais même pas comment respirait un humain jusqu’à il y a une heure.

— Je sais. C’était une blague.

Troj eut toutes les peines du monde à ne pas jeter un coup d’œil amusé à la vanyar.

— Et donc, ta nourriture c’est des feuilles holographiques ?

— L’information contenue dessus. Je me nourris de savoir et de connaissances que j’ai au préalable retranscrit sur n’importe quel support.

Elle hésita et du coin de l’œil, Troj la vit se frotter le museau couvert d’écailles.

— Mais j’avoue avoir une préférence pour les feuilles holographiques, elles fondent entre les écailles.

— Intéressant, dit Troj en réprimant un frisson de dégout. Du coup, tu es comme une encyclopédie ambulante ? Tu accumules tout ce savoir et tu le recraches dès qu’on en a besoin ?

— Uniquement si j’en ai envie.

Troj comprit à son ton qu’elle ne ferait sûrement pas une exception pour elle. Elle n’insista pas et changea de sujet :

— À propos de nourriture, vous avez quoi à manger sur ce vaisseau ? Un cerveau oxygéné ne suffit pas à maintenir un humain en vie.

— N’ayez crainte, le Coe-la-Kanthe est pourvu d’un stock infini de rations. Prenez ce couloir, dit-elle en tendant le bras vers la gauche par-dessus son épaule.

Elles traversèrent plusieurs passerelles jusqu’à s’engager hors de la lumière des lampes. Ces dernières s’étalaient au plafond dans une tout autre direction et en respectant une logique qui échappait à Troj. Elle suivit tout de même les recommandations d’Écru et s’avança à travers un sas plongé dans les ténèbres.

Troj fixa l’obscurité, méfiante malgré elle. Si l’humour du dragon de l’espace cachait un fond de vérité et qu’elle l’avait amené ici pour la dévorer, Troj serait bien embêtée. L’alien toujours perché sur son épaule souffla alors par les écailles et Troj sentit ses cheveux la chatouiller.

— Ce n’est rien, dit-elle. Il faut juste leur accorder un peu de temps, elles ont tendance à se méfier des nouveaux venus.

— De qui tu parles ?

— Les lugnoles. Penser qu’on a navigué pendant un bon moment dans les ténèbres avant que ces foutus parasites se décident à nous accorder leur confiance, c’est à désespérer des capacités mentales d’Aizu. Ah les voilà.

Timide d’abord, le halo orangé grandit autour de Troj. Elle leva le nez sur cinq lampes qui rebondissaient au plafond et s’étalèrent en cercle.

— Tu veux dire, commença Troj en observant la pulsation régulière des drôles de lucioles, que ces machins sont vivants ?

— Des lugnoles, répéta Écru d’un ton pédant. Et oui. Ce sont les parasites du Coe-la-Kanthe même si la définition d’Hoter Van Keun est fausse, étant donné leur utilité certaine pour qui utilise le vaisseau. Tirez ce levier.

Troj obéit et abaissa une palanque au mur près de l’entrée, tandis qu’autour d’elle et d’Écrunéméhos la luminosité allait en augmentant, jusqu’à devenir presque blanche. Même les murs fabriqués dans cette espèce de matière métallique souple, perdirent leur teinte bleuté pour s’éclaircir comme si Écru avait laissé une fenêtre ouverte sur un rayon de soleil.

Un plateau tournant s’éleva du sol. Sa surface était divisée en des dizaines de formes géométriques. Troj n’attendit pas les ordres d’Écrunéméhos pour effleurer un triangle. Il pivota et fit apparaître un verre rempli d’un liquide qui fumait.

— Une décoction de fluorite ? On a tous des réveils difficiles, je présume, soupira la créature sur l’épaule de Troj.

— Je ne peux pas boire ça, s’indigna Troj.

— Essayez un autre.

Elle passa sa main cette fois sur un trapèze qui prenait presque un quart de la table. Un festin pivota devant son nez et pendant une seconde, Troj saliva devant les assiettes et les casseroles remplies de milles délices aux couleurs chatoyantes. Pour ce qui était des couleurs, la marchandise ne mentait pas mais Troj déchanta aussitôt en constatant leur origine.

— Des cailloux. Des cailloux brûlants ! cria-t-elle en s’ébouillantant la main sur une des pierres taillée comme un roulé.

— Le festin d’anniversaire de la capitaine. Du silicate de premier choix. Ah, je rêve du jour où elle m’autorisera à le fêter.

Troj ne releva pas, l’agacement prenait le dessus sur ses interrogations. Elle abattit ses mains ici et là sur la table pour ne retourner que des minéraux en soupe, bouilli, en verrine, en compote, en rôti et même en frites.

— Je ne peux rien manger de ce qu’il y a là.

— Quel dommage, bailla Écrunéméhos et Troj fut tentée de l’étrangler.

— Hier… non, il y a une heure, se corrigea-t-elle en se frottant l’arête du nez. Tu disais avoir lu des documents sur les humains, non ? Cinq teras de données ?

— Oui, absolument.

Même à travers sa faim, Troj perçut le trouble de la vanyar. Elle la regarda droit dans les écailles, pour constater qu’elle s’était posée sur son épaule, aussi légère et délicate qu’une plume.

— Les humains ne mangent pas de minéraux, Écru. Du moins, hésita-t-elle, pas pour survivre. Il m’est déjà arrivé de sniffer du plâtre mais c’était pour la blague.

— Je ne savais pas.

Le noir profond sous ses écailles vacilla légèrement et Troj s’efforça de détourner la tête. Elle poursuivit sans cesser de foudroyer la table à minéraux du regard.

— J’ai besoin de fruits, de légumes, de… de protéines. Protéine, tu connais ça ?

— Vous ne pouvez pas me manger. Je ne serai pas du tout digeste.

Troj adressa un sourire mauvais à un potage de diamant concassé.

— A ton avis, si la capitaine Aizu doit me ramener aux Juges, il vaut mieux que je sois vivante pour recevoir la suite de ma sentence. Je suis sûre qu’elle ne reculera pas à devoir sacrifier un à un les membres de son équipage pour que je puisse manger à ma faim.

— C’est stupide, s’écria Écrunéméhos. Je suis la seule membre à bord, cela voudrait dire…

Troj prit le verre de fluorite et le tendit à son épaule.

— Je me demande quel goût tu as après une bonne rasade de ce délicieux breuvage.

— Psssss ! Assez ! Touchez… le petit carré sous votre coude.

Une fine, très fine, barre aplati couleur boue jaillit de la table. Troj la prit entre son pouce et l’index, avec l’impression de tenir un chewing-gum.

— De la protéine de scorize, grommela Écrunéméhos. Jayunnugba les fait pousser sur Tau. Elle fournit à Aizu seize kilos par année humaine, et on s’en sert pour chaque rencontre avec des espèces… hostiles. Ça leur colle les dents, ajouta-t-il.

— On dirait du bacon, dit Troj en inspectant la tranche parfaitement coupée. Je ne risque pas d’y perdre mes gencives au moins ?

— Non, ça ne marche qu’avec les prédateurs plus gros qu’Aizu.

Troj tenta de casser un bout de la barre protéinée, d’abord du bout des dents puis avec ses mains, sans succès. Elle finit par soupirer et engloutir le scorize en une seule bouchée.

— Et goût de bacon, dit-elle avec un sourire en sentant la douce sensation de satiété se répandre dans son estomac. C’est parfait, merci Écru.

L’affreux gremlin grommela qu’elle n’avait qu’à réappuyer sur le carré distributeur pour en obtenir plus et Troj ne s’en priva pas pour engloutir une dizaine de barres puis s’en remplir les poches. En même temps qu’elle mâchait le faux bacon et qu’Écrunéméhos débitait sur les vertus d’une alimentation à base de cristaux, elle réfléchissait. L’énergie qui coulait à flot dans son corps lui donnait des idées. Des plans se dressaient dans sa tête comme lorsque sur sa planète-prison, elle vidait des noix de coco en réfléchissant à la meilleure façon d’installer une douche dans sa cabane. Cette fois-ci seulement, son plan consistait plus à trouver un moyen de fausser compagnie à ses gardiennes et non d’améliorer son hygiène corporel.

— Dites, commença Écrunéméhos le ton de sa voix soudain différent. Comment ça se fait que vous parlez étonnamment bien le Code ?

— Le quoi ?

— Le Code, la langue commune, le langage de l’hunivers, s’impatienta Écrunéméhos. Comment l’avez-vous appris ? Vous n’hésitez sur aucun mot, vous me comprenez sans difficulté alors même que je m’exprime…

La barre de scorize à mi-chemin de sa bouche, Troj tourna à nouveau le nez en direction de la vanyar. Les écailles de ce dernier renvoyèrent l’éclat vif des lugnoles.

— Vous avez remarqué, j’espère, que je n’ai pas de bouche. Mon espèce s’exprime par télépathie.

— Oh.

L’appétit vorace de Troj la préserva en grande partie de la vague de malaise et d’inquiétude que cette information contenait. Elle haussa les épaules et sentit le petit vanyar planter un peu plus ses ailes collantes.

— Je n’ai pas fait attention, dit-elle. Je suis ce genre de personne qui ne s’arrête pas sur des détails quand elle rencontre des gens, vois-tu. De plus, je vous l’ai dit j’ai appris le Code sur la Altakarcel. Trois mille ans de cours de langue, je suis sûre que je m’exprime mieux que toi, petit ver.

— Impossible, murmura Écrunéméhos. Je ne savais pas que la Altakarcel dispensait des cours de Code, je croyais que le principe était justement...

Troj prit cinq tranches de scorize en bouche et en pointa une autre vers Écrunéméhos.

— Où est cette… brave capitaine Aizu ? J’aimerais la remercier d’avoir pensé aux créatures hostiles dans mon genre pour ce distributeur infini de bacon végétal.

Écrunéméhos ne bougea pas. L’intense couleur bleue de sa peau était telle que les losanges de ses écailles n’étaient plus visibles. La crête sur sa tête s’hérissa.

— Suivez les lugnoles, répondit-elle.

Et elle disparut aussi vite qu’un météore dans les couloirs, la boisson de fluorite entre ses ailes.

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