Un mois et demi plus tôt
Andy passa la porte, filant au travail en nous souhaitant une bonne journée et je me retrouvais comme un imbécile avec Gabriel. Depuis le réveil, j’avais su donner le change, mais c’était de plus en plus dur. J’avais honte de moi et de ce que j’avais fait.
— Ça te tente un second round de chocolat et café ? me proposa-t-il en bâillant.
— Ouais, carrément.
Nous nous dirigeâmes vers la cuisine et préparâmes nos boissons en discutant joyeusement avant d’aller nous caler sur le canapé. J’allumais la télé pour nous donner un fond sonore qui resta faible jusqu’à ce qu’il reprenne la parole.
— Sinon, lança-t-il d’un ton neutre. Ça fait longtemps que t’es amoureux d’Andy ?
Je faillis recracher ma gorgée de café, ce qui le fit sourire de manière victorieuse.
— Pardon, tu pensais être discret ? ricana-t-il.
Après une grosse quinte de toux, je repris une lampée afin de récupérer un minimum de dignité.
— T’inquiète pas, lui, il voit que dalle. Moi par contre, j’ai vu. Alors, dis-moi tout. Ça fait longtemps ?
Mon visage se ferma automatiquement.
— Je suis pas amoureux de lui.
Il rit, ne me croyant visiblement pas.
— D’accord. Dans ce cas, reprenons depuis le début. Tu te souviens de ma capacité ? Le voyage astral, tout ça, le fait que je le baise en fantôme ?
Je hochai la tête, évidemment que je m’en souvenais.
— Eh bien, crois-le ou non, j’ai le sommeil plutôt léger. Ce qui fait que cette nuit, quand tu t’es levé et que tu t’es cogné contre la table basse, tu m’as réveillé. Du coup, dis-moi, ça t’arrive souvent d’aller te laver les mains en pleine nuit ? Ou tu le fais seulement quand tu te branles honteusement sur ton meilleur pote qui est en train de se faire baiser par un autre gars, dans la pièce d’à côté ?
Je fus tout d’abord incapable de répondre, les joues rougissantes. Merde. Comment j’avais pu en arriver là ?
— Du coup, je comprends pas, reprit-il. Pourquoi tu lui as dit que t’étais hétéro ? Alors que c’est visiblement pas le cas.
Je fis la moue, embêté. J’avais déjà imaginé des situations où Andy comprenait tout, mais là, être mis au pied du mur par son mec, c’était l’enfer. Son regard était braqué sur moi et je ne détournai pas le mien. Je réfléchissais encore à ce que je pouvais lui répondre pour minimiser les dégâts.
— Je suis un gars. Quand j’entends des gens baiser, c’est normal que mon corps réagisse.
Gabriel haussa les sourcils avant de rire.
— T’as honte de quoi, là ? D’aimer les hommes ou d’aimer Andy ? Nan, parce que si y a un moment pour être honnête, c’est maintenant.
Je posai ma tasse sur la table, puis me levai pour ouvrir la fenêtre et revint m’asseoir à côté de lui, sortant une cigarette de mon paquet. Je pris le temps de l’allumer puis d’inspirer de courtes bouffées de nicotine avant de prendre la parole.
— D’accord, je vais être honnête avec toi. De toute façon, maintenant que je suis grillé, j’ai pu grand-chose à perdre. Pour répondre à ta question, je sais pas depuis quand je ressens ça. P’tet que ça a toujours été. On a toujours été super proches. « Les meilleurs amis du monde », tu vois ? Et plus on grandissait, plus on se rapprochait. Au collège, il m’a avoué qu’il aimait les hommes et moi, j’me suis retrouvé perdu. Je devais faire quoi ? Lui dire que je croyais que moi aussi ? Avec le risque qu’il pense que je voulais sortir avec lui ? Ça m’a fait peur, alors je l’ai soutenu et j’ai rien dit. Comme ça, je restais le meilleur ami. Celui à qui il pouvait faire confiance.
Il m’écoutait sagement, secouant la tête de désapprobation de temps en temps.
— Et de son côté ? Tu penses que tu l’intéresses ?
Je haussai les épaules.
— Je vois pas ce que ça va changer maintenant, il est dingue de toi.
— C’est pas ce que je t’ai demandé. Il pense quoi de toi ?
Je fumai un peu, tentant de m’extraire de cette conversation.
— Un jour, il était bourré et il m’a dit que j’aurais pu être son type de mec si j’avais pas été hétéro.
— Et pourquoi t’as rien fait ? me demanda-t-il avec l’air de me trouver con comme mes pieds.
— Bah, je sais pas moi ! J’étais déjà enfoncé dans mon mensonge d’hétéro, c’était y a quoi… deux ans à tout péter ? J’étais supposé faire quoi ? Tout lui avouer alors qu’il était bourré ? Au risque qu’il s’en souvienne pas ? Ou pire, qu’il s’en souvienne ? Nan. C’était plus facile de me taire.
Gabriel posa sa tasse sur la table, à côté de la mienne et soupira.
— Dis-moi, t’as laissé combien de gars lui passer dessus en jouant au « gentil meilleur ami protecteur » ?
Cette fois, je me renfrognai. Je n’aimais pas sa façon de me parler. Il le remarqua et se radoucit immédiatement.
— Désolé, je voulais pas te blesser. Mais franchement, ta situation me paraît irréelle. T’es pas malheureux de le voir avec un autre gars ?
— J’ai appris à m’y faire, répondis-je tristement en haussant les épaules.
— Et tu comptes faire ça toute ta vie ? Le regarder être avec un autre sans jamais tenter ta chance ?
Je fronçai les sourcils. C’était quoi son problème ? Il me demandait indirectement de lui voler Andy ou quoi ?
— Tu veux que j’te réponde quoi ? Je compte pas te faire de l’ombre, si c’est ça qui t’inquiète.
Il eut un petit rire amusé.
— Nan, je pensais pas à ça. Tu penses quoi de moi ?
— T’es sympa.
— Ok, mais c’est pas ça que je demande. Je te plais ? Tu me trouves comment ?
Je braquai sur lui un regard emplit d’incompréhension. Qu’est-ce qui lui prenait ?
— Ben… t’es plutôt beau gosse. En plus, tu fais de la pâtisserie, c’est mon péché mignon. Et puis t’es drôle, t’as l’air d’être un mec bien. Je suis content que Andy soit avec quelqu’un comme toi.
Il rit de nouveau.
— Que voilà un nombre intéressant de compliments. Du coup, t’as déjà été en couple ?
J’écrasai ma cigarette et en pris une seconde.
— Un peu, ouais, pour donner le change.
— T’as déjà couché ?
— Quelques fois, ouais, avec des nanas avec qui je suis sorti.
— Tu connais le principe de trouple ?
Sa question brisa quelque chose en moi. Est-ce qu’il était vraiment en train de me proposer ce que je croyais ?
— Ouais, je connais…, répondis-je prudemment. Pourquoi ?
— Ça te tenterait qu’on essaie tous les trois ? me demanda-t-il sur le même ton que s’il me proposait qu’on aille acheter du pain.
Mon cerveau s’éteignit. Je ne comprenais plus rien à cette conversation déjà très bizarre.
— Quoi ? murmurai-je.
Il se pencha vers moi, le regard sérieux.
— T’es plutôt mon type de mec. J’t’aime bien, donc je me dis qu’on peut p’tet tenter ça ?
— Mais… Je suis pas amoureux de toi, dis-je sans comprendre où nous menait cette discussion.
— Moi non plus, rit-il. Mais on a tous les deux des sentiments pour Andy. Alors, bien-sûr, on va pas lui proposer ça de but en blanc. Mais j’ai p’tet une idée qui pourrait l’aider à envisager la situation autrement.
— Une idée ? répétai-je.
Il sourit, malicieux.
— Tu veux pas faire une fête ?
— En quoi faire une fête pourrait m’aider ?
Il grogna.
— Essaie d’être un peu imaginatif, s’te plaît. J’ai pas envie d’avoir à vous mâcher le travail h24. Tu fais une fête, tu nous invites tous les deux et moi, j’essaie de mettre Andy dans une « bonne ambiance », tu vois ce que je veux dire ?
J’ouvris de grands yeux, intéressé.
— Tu parles d’un plan à trois ?
Il sourit de nouveau.
— Exactement. Ça permettrait, à toi, de faire un peu redescendre la pression et à lui, de se mettre dans l’idée de pourquoi pas entamer quelque chose de plus sérieux.
Je fixai Gabriel. Il y avait une chose que je ne comprenais pas.
— Pourquoi tu veux te lancer là-dedans ? T’es au courant que si ça fonctionne, tu vas devoir partager Andy avec moi ?
— Et je te partagerai avec lui et vous vous partagerez ma merveilleuse personne, rit-il. Plus sérieusement, j’aime ça. Être en couple à deux, c’est génial, mais à trois, c’est encore mieux. Et le cul, n’en parlons pas. Honnêtement, je pense qu’on pourrait se correspondre. Déjà, on sait qu’on a les mêmes goûts en matière de mec. De ce que j’ai vu, on s’entend bien, j’te trouve sympa, mignon, intéressant, alors pourquoi se priver ? On a qu’une seule vie, c’est le moment d’en profiter.
Dans le temps présent.
Assis dans l’espace fumeur de l’immeuble de mon entreprise, je laissai la brise fraîche du matin finir de réveiller mon cerveau englué dans une fatigue qui se faisait de plus en plus accaparante. En inspirant longuement sur mon bâton de nicotine, je pris mon téléphone.
Depuis quelques jours, l’envie me taraudait d’envoyer un message à Andy. Mais pour lui dire quoi ? Après plus d’un mois de silence, je me voyais mal revenir l’air de rien. En plus, Gabriel devait certainement très bien s’occuper de lui. Si je réfléchissais de manière pragmatique, j’étais certes son meilleur ami, mais face à son copain, je faisais pas le poids.
Pourtant, depuis ce que nous avions couché ensemble, je me sentais mal. Je n’étais pas particulièrement gêné, ce n’était pas non plus un problème de regrets. J’étais juste dégoûté d’être laissé de côté. Ils s’étaient amusés avec moi, nous nous étions amusés ensemble. Et ça s’arrêtait là. Il n’y aurait pas plus. Pas moins. Je devais me contenter des souvenirs brumeux et imbibés d’alcool de cette nuit. Ça me soûlait.
Une fois la journée passée, je pus enfin rentrer chez moi. J’étais épuisé et je ne rêvais que d’un long bain bouillant avant une longue nuit reposante. J’arrivai dans l’appart, en bâillant à m’en décrocher la mâchoire, quand mon frère m’interpella.
— Y a un gars dans ta chambre. Un de tes potes apparemment.
Je haussai un sourcil. Je n’avais pourtant rien de prévu ce soir… Méfiant, je me dirigeai donc vers ma piaule et en ouvrant la porte, je tombais sur le regard coléreux de Gabriel. Merde. Je refermai la porte sans lui adresser le moindre mot et allai déposer mon sac sur mon bureau, l’évitant soigneusement.
— Quand est-ce que t’as prévu d’arrêter de faire de la merde ?
À ses mots, mon corps entier se tendit. Je restais dos à lui, n’osant même plus me retourner, ce qui ne lui plut pas dut tout. Il avança jusqu’à moi et me fit face.
— Hey, moi je suis pas Andy, ok ? J’vais pas me barrer parce que t’as décidé de te la jouer muet.
Je soupirai, les épaules basses.
— Qu’est-ce que tu veux, Gabriel ?
Il rit, mauvais.
— Ce que je veux ? Mais que t’arrêtes de jouer au con ! C’est quoi ton problème ? T’es déçu finalement ?
J’eus un mouvement de recul. Comme si je pouvais être déçu…
— Pas du tout.
— Alors il est où le problème ? On a passé un super moment tous les trois et depuis, tu l’ignores complètement ? Tu sais à quel point il est blessé ? Alors qu’à côté de ça, on discute presque tous les jours par sms et je dois lui cacher. Et clairement, j’aime pas ça.
Mon cœur se serra. Je ne voulais pas les rendre malheureux. Je ne voulais pas qu’ils soient en colère après moi.
— On aurait pas dû faire ça ! m’énervai-je.
— Pourquoi ? Parce que t’as pris ton pied et que maintenant tu flippes comme le dernier des puceaux qui a pas réussi à bander ? Flash info ; t’es plus puceau et t’as bandé !
Il était vraiment en colère contre moi et je n’en menai pas large. J’avais honte de mon comportement, de mes sentiments et de tout ce qui tournoyait dans ma tête depuis plus un mois.
— Va falloir que tu te réveilles, c’est plus possible. Tu le ghostes complètement ! Et ça, tu vois, c’est mon putain de boulot !
Malgré moi, un rire m’échappa. Je soupirai de nouveau et m’assis sur mon lit. Il grogna puis fit de même, se laissant lourdement tomber sur la couette.
— Franchement, je sais pu quoi faire. Je suis coincé entre vous deux. Lui il est malheureux parce que tu l’ignores et toi, t’es malheureux de l’ignorer. Je pense que c’est le moment d’arrêter de faire de la merde. T’en penses quoi ?
J’allumai une cigarette, pour tenter de me détendre un peu.
— Je sais pas. J’vais pas m’imposer entre vous deux.
Il pouffa, se moquant allègrement de moi.
— T’as rien compris en fait. Le principe d’un trouple c’est pas ça. Tu vas pas t’imposer entre nous, on va être ensemble, tous les trois. Enfin, pour ça, faudrait que t’arrête d’ignorer la troisième partie…
— Mais on sait même pas s’il en a envie !
— Et c’est en arrêtant de lui parler, qu’on saura, ben ouais, j’suis con ! Moi, je pensais bêtement que c’était parler qui réglait les problèmes !
Je lui lançai un regard blasé. Il n’avait pas tort.
— Plus sérieusement, reprit-il d’un ton plus posé. Cette histoire de trouple ça te tente vraiment ?
Je réfléchis un instant, tirant quelques lattes sur ma clope.
— Ouais. Bon, j’ai pas l’habitude de ça, mais… Les moments qu’on a passé tous les trois… C’était super cool. Mais…
— Mais ?
— Et Andy dans tout ça ? Nan parce que, toi et moi on a l’air d’être sur la même longueur d’onde. Mais qui nous dit que lui, il voudra ?
Gabriel me sourit.
— Fais-moi confiance, il voudra.
— Comment tu peux en être certain ?
— Oh, c’est simple. Depuis que tu lui parles plus, il a une vraie peine de cœur. Il fait genre que ça va, il m’en parle pas beaucoup, mais le peu de fois où il accepte d’aborder le sujet, ça se voit. En vrai, je sais pas s’il s’en rend vraiment compte ou s’il essaie de se mentir à lui-même ou encore s’il en est parfaitement conscient mais qu’il ose pas m’en parler. Mais tu lui manques et pas comme un meilleur ami.
Un petit sourire s’esquissa sur mon visage.
— Et je sais qu’il a beaucoup aimé notre nuit ensemble, ajouta-t-il en me donnant un petit coup d’épaule complice.
Nous rîmes tous les deux, en même temps que je me remémorai ce que nous avions fait. Je me souvins de sa peau contre la mienne, de ses doigts qui entrelaçaient les miens, de nos soupirs à tous les trois, de Gabi qui m’avait laissé le toucher sans s’imposer. Il m’avait laissé avoir ce que je voulais en se mettant consciemment de côté. Durant cette nuit, Andy avait été le vrai lien entre nous deux. Mais maintenant… Depuis un mois que je parlais presque quotidiennement avec Gabriel, je me rendais facilement compte qu’être continuellement avec eux deux me comblerait de joie.
— C’est vrai que c’était cool.
— Alors on lui propose ?
J’écrasai ma cigarette dans le cendrier.
— Ouais ?
— T’as pas l’air sûr, rit-il.
— J’ai grave le trac.
Il m’ébouriffa les cheveux et se leva.
— Je vais rentrer. Samedi, soirée. J’vous emmène quelque part. Enfin, j’emmène Andy et tu nous rejoins. Tu verras ce sera cool. Ça va être à mon tour de vous faire entrer dans mon monde.
— On va où ?
Il me sourit.
— Je sais pas encore où c’est. J’te dirai ça samedi. En attendant, ne contacte pas Andy. On lui fera la surprise, ok ?
Je hochai la tête, soulagé de pouvoir me raccrocher à Gabriel.
— Allez, j’te laisse. À samedi !
Sur ces mots il quitta ma chambre. Je l’entendis dire au revoir à mon frère ainsi qu’à notre colocataire avant de partir. J’en profitai pour me laisser retomber sur le matelas de tout mon long, un sourire idiot planté sur le visage. J’étais impatient d’être à samedi.