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Suky
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Chapitre 7

Raphaël

J'essayais de reprendre mon souffle quand Nadir fonça sur moi. Son poing gauche fusa, que j'esquivai de justesse en pivotant sur mes appuis, me retrouvant dans son dos. Mais à peine le temps de réagir qu'un bras puissant s'enroula autour de ma gorge, bloquant ma respiration. Je donnai plusieurs coups de coude dans ses côtes pour lui faire lâcher prise. À la troisième tentative, je sentis son étreinte faiblir. J'en profitai pour me retourner vivement et lui envoyer un coup de pied au niveau du genou, sans trop réfléchir.  Il chancela, reculant avec un grognement tout en sautillant légèrement sur place pour soulager la douleur. Je me figeai un instant. Merde. Je n'avais pas mesuré ma force.  Il alla s'appuyer contre les cordes du ring et éclata de rire en me lançant un regard perçant.

- Je ne te savais pas aussi hargneux, gamin, ricana-t-il. Tes responsabilités de futur PDG commencent à te peser ou quoi ?

Je haussai simplement les épaules, tendu. Mes muscles n'avaient toujours pas relâché la pression. Du coin de l'œil, je vis Nadir essuyer la sueur qui lui coulait du menton avec son avant-bras, tandis que je retirais mes gants, les mains moites. Nadir avait cette présence discrète mais imposante. Une quarantaine bien solide, crâne rasé, barbe poivre et sel parfaitement taillés. Ancien boxeur pro, reconverti en coach, il menait ses entraînements comme un général : exigent, méthodique, sans jamais hausser le ton. Chaque consigne tombait avec un calme implacable, mais si tu l'ignorais, tu le payais en bleus.

Mais Nadir n'avait pas tort. J'étais bel et bien sous tension. Mais ça n'avait rien à voir avec mon futur poste de PDG. Non. C'était à cause d'une femme. Une femme aux lèvres couleur cerise. Lina. Plus les jours passaient, plus je voyais ses cernes s'accentuer. Sa peau, d'habitude dorée, semblait plus terne. Je faisais attention à tout ce qui l'entourait, et j'avais remarqué que Kaïs ne s'était pas approché d'elle physiquement. Donc, j'en déduisais qu'il devait continuer à l'harceler, mais par messages. Cette pensée me fit serrer les poings, déjà endoloris à force d'enchaîner les crochets au sac.

Je me penchai pour ramasser mes affaires, enfilai un sweat noir à capuche, et vissai une casquette de la même couleur sur ma tête. Quelques mèches blondes s'échappaient sur mon front. Je saluai rapidement Nadir, puis quittai l'entrepôt d'entraînement. Le froid nocturne me gifla le visage. Je sortis un masque noir en tissu de ma poche pour le placer sur ma bouche. J'étais dans un quartier où, si mon père apprenait que je traînais ici, il ferait sûrement une syncope. Donc autant rester discret.

J'avais garé ma voiture en centre-ville. J'étais donc contraint de marcher quelques minutes dans les ruelles sombres, profitant de la fraîcheur de la nuit. Je fermai les yeux un instant, laissant l'atmosphère me traverser. Mais même dans le noir, c'est son visage que je voyais. Lina Khadir. Elle hantait mes pensées. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. La moindre pensée, même fugace, finissait toujours par revenir à elle. Peut-être que c'était à cause de cette histoire de surveillance. Peut-être que le fait qu'on m'ait demandé de la garder à l'œil m'avait obligé à la regarder de plus près. Mais au fond, je savais que ce n'était pas nouveau. Je la regardais déjà avant. Pas autant. Pas aussi longtemps. Et surtout, jamais comme ça.

Avant, je détournais les yeux quand ça devenait trop. Avant, je me racontais que ce n’était rien. Juste une fille jolie parmi d'autres. Une distraction passagère. Mais maintenant que je devais faire attention à elle, maintenant que j’avais une excuse pour l’observer… Je n’arrivais plus à décrocher. Je croyais pouvoir contrôler ce truc. Cette attirance. Mais je me rendais compte que je n’avais jamais eu le contrôle. Tout en elle m’attirait. Sa voix, son rire, sa façon de relever les yeux quand elle réfléchissait. C'était devenu un aimant. Et moi, j’étais en train de plonger, lentement, sûrement, sans plus aucune résistance.

Le pire, c’est que je ne pourrais jamais aller au bout de ce désir. Elle était la meilleure amie de ma cousine. Je ne pouvais pas tout foutre en l’air pour une pulsion. De toute façon, quand j’aurais terminé mes études, je ne la reverrais plus. Ou seulement à travers Elise, ce qui limiterait les interactions. Je n’avais qu’à tenir jusque-là. Réprimer ce feu qui me dévorait, jour après jour. Et, pour tenter de me raisonner, je me rappelai à quel point cette bouche que je rêvais d’embrasser avait parfois le don de m’agacer profondément.

Je m’avançais lentement, l’esprit saccagé par elle. Lina. Encore. Toujours. Et soudain, je la vis. Je crus d’abord à une illusion. Une énième apparition créée par mon esprit ravagé. Mais non. C’était bien elle. Elle attendait, patiente, devant un bar huppé, éclairée par les néons rouges de l’enseigne. Elle tapait rapidement sur son téléphone, un sourire aux lèvres. Ce foutu sourire. Elle portait une robe rouge moulante, épousant parfaitement ses courbes. Un bandana de la même couleur ornait sa tête, maintenant presque comme une signature. Je ne pus m’empêcher de sourire à cette vision. Un sourire amer. Je l’entendis répondre au téléphone, probablement un appel d’un des membres du groupe. Je secouai la tête, tentant de me détacher de cette image. Il fallait que j’arrête. Que je me ressaisisse. J’étais prêt à tourner les talons quand, de l’autre côté de la rue, je le vis. Lui.

Kaïs.

Il était là, tapi dans l’ombre, appuyé contre un mur, une cigarette coincée entre les doigts. Ses traits étaient tirés, sa mâchoire crispée. Il fixait Lina comme une proie. L’adrénaline me traversa le corps. Il jeta sa cigarette au sol avec rage et se mit à avancer vers elle. Mes poings se serrèrent instinctivement. Je ne réfléchis pas. J’agis. En quelques pas, je traversai la rue et l’attrapai violemment par le col. Il n’eut même pas le temps de réagir. Je l’entraînai de force dans une ruelle sombre, juste en face du bar, à l’abri des regards. Mon sang battait dans mes tempes. Je le balançai contre le mur. Il chuta brutalement au sol, jurant dans sa barbe. Mes yeux glissèrent une dernière fois vers Lina. Elle venait d’entrer dans le bar, insouciante, entourée de ses amis. Elle n’avait rien vu. Mais moi, je voyais rouge.

- T’es complètement malade, espèce d’enfoiré ! S’égosilla-t-il.

Mais je n’entendais rien. Les battements de mon cœur résonnaient dans mes oreilles, étouffant sa voix. Malgré la fraîcheur du soir, j’avais l’impression d’étouffer, comme si la colère me brûlait de l’intérieur. Je le fixais, incapable de comprendre ce que Lina avait pu lui trouver. Il était là, rouge de rage, les traits déformés par la haine, crachant ses insultes comme un animal blessé. Comment un type comme lui avait-il pu penser être digne d’elle ? D’avoir une place dans sa vie… Pour ensuite tout salir.

- Tu m’écoutes, espèce de guignol ?! Hurla-t-il en me poussant à l’épaule.

Je reculai d’un pas. Mes mâchoires se crispèrent. J’essayais de rester calme. Ce n’était pas mon genre de frapper en dehors d’un ring. J’avais appris à encaisser, à contrôler mes coups. Mon entraîneur m’avait toujours dit : "La force sans discipline, c’est juste de la violence." Et jusqu’à ce soir, je n’avais jamais utilisé ce que j’avais appris contre quelqu’un. Jamais.

Je levai les yeux vers le ciel, tentant de me raccrocher à un point fixe, à quelque chose qui pourrait faire redescendre la pression. Mais même la lune ne suffisait pas à m’apaiser. Une rage sourde grondait en moi, prête à exploser. Puis il frappa une poubelle.

- Putain ! Tu me fais perdre mon temps… Et à cause de toi, j’ai raté cette pute !

Je n’ai pas réfléchi. Mon poing partit tout seul. Et après le premier coup, il y en eut un deuxième. Un troisième. Un déferlement. Une tempête. Je ne pensais plus. Je le frappais comme si chaque coup effaçait un souvenir douloureux de Lina. Comme si mes poings pouvaient la protéger.

Je le haïssais. Pour ce qu’il lui avait fait. Pour les cernes sous ses yeux. Pour la peur qu’elle cachait. Pour chaque message. Chaque nuit, qu’elle passait à se taire. Quand je m’arrêtai enfin, il était au sol, le visage en sang, recroquevillé comme une merde. Et moi… j’étais figé. Essoufflé. Mes mains tremblaient. Je baissai les yeux. Elles étaient couvertes de sang. Je les glissai dans mes poches comme pour effacer ce que je venais de faire. Mais je ne pouvais pas effacer ce que je venais de ressentir. Je n’avais jamais été ce genre d’homme. Jamais. J’avais toujours évité la violence en dehors des entraînements. Toujours. Ce soir, j’étais sorti de mes gonds. Et je ne reconnaissais plus ce que je devenais. Je ramassai mon sac, l’esprit ailleurs, et quittai la ruelle.

Qu’est-ce que je suis en train de devenir ?

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