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Coramerlin
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Enquête: Disparition (2)

An 2; Jour 132 ; Cycle 1 ; 5 heure

Cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas remis les pieds au Bouiboui. À l’origine, il portait plutôt bien son nom, se résumant à une pièce étouffée et trois tables. Saon propriétaire l’avait transformé en un véritable cabaret, accueillant aussi bien la faune de la Ville Sombre que la clientèle de la surface venant s’encanailler. Alejandra en avait fait partie. En compagnie de son frère Poldan, elle venait s’enivrer de l’alcool bon marché et du spectacle, offert aussi bien sur scène qu’en de dehors.

Passée sous l’enseigne du squelette en robe, elle se remémora le jour où, pour leur anniversaire, Poldan l’avait suppliée de se dérider et de descendre sous la Carapace. Il lui avait fait la surprise de monter sur scène en robe à paillettes, pour lui interpréter leur comptine d’enfance. Tous les clients éméchés l’avaient repris en cœur d’abord amusés, puis excités par le petit strip-tease et la chanson suivante, beaucoup plus coquine. C’était un précieux souvenir qu'elle chérissait, préférant se le remémorer plutôt que ceux de ses derniers instants.

L’ambiance du Bouiboui était similaire à celle de son époque. Des couples et des bandes d’amis, des collègues, ou des gardes en permission trinquaient dans l’atmosphère enfumée, appréciant d’une oreille la musique encore tranquille. Elle eut l’impression de ne jamais être partie. Une révolte et un renversement du pouvoir en surface, n’avaient pas tant bouleversé les affaires du cabaret visiblement.

Alejandra commanda une bière au bar. C’était la seule règle de Jez : “ Si tu veux me parler, consomme d’abord, tu me lécheras le cul après!”. Elle but une gorgée trop amère, et grimpa son verre à la main les marches biscornues menant à la mezzanine et aux loges privées, réservées aux invités et aux généreux mécènes des artistes. Il était bien trop tôt pour que les véritables performances débutent, et sans surprise tous étaient vides, sauf un. Jez, en tant que proprio, c'était bien sûr réservé celui en face de la scène. Ce qui lui permettait de profiter des spectacles en bonne compagnie, et de surveiller les allées et venues une clope à la main.

Iel était parfaitement au courant de son arrivée, et lui offrit son plus grand sourire, accentué par son épais rouge à lèvres sombre.

— Oh, mais qui voilà ? Notre petit criquet. Quel bon vent l’amène ? l’accueilli Jez l’invitant à prendre place à ses côtés.

Alejandra tiqua à la mention du surnom qu'iel lui avait donné, mais ne releva pas. Lae revoir faisait  déjà resurgir assez de sentiments, elle n'avait pas besoin d'embrouiller plus les choses.

— Tout a l’air de rouler pour toi ? demanda-t-elle par politesse.

— Je n’ai pas à me plaindre, la vie est belle, les affaires tournent. Que demander de plus ? s’amusa Jez conservant une certaine distance.

Derrière ses mèches brunes qui lui tombaient devant les yeux, l’ancienne Enquêtrice l’observa plus attentivement. Jez faisait partie des Sous-Carapace pure-jus, ceux qui n’avait jamais respiré l’air pur. Sa peau blanche et pâle qui pouvait jurer ne jamais avoir vu le soleil, tournait au grisâtre maladif. Les restrictions sur les vitamines et médicaments essentiels à la vie quotidienne dans la Ville Sombre, devaient en être la cause, mais les quatre mégots de cigarette dans le cendrier face à ellui, ne devaient rien arranger. Elle classa ses conjectures dans son esprit. Elles ne lui étaient d’aucune utilité pour le moment.

— En revanche toi, quelle tête tu tires ! Je t’ai connu plus gai que ça, la taquina Jez qui se heurta à la morosité de la jeune femme.

— Je suis là, parce que j’ai des infos à te demander. Je recherche la gosse de quelqu’un, déclara-t-elle abruptement.

Le sourire de Jez se rétrécit. Iel préférait mener les conversations, mais céda de bon cœur.

— D’accord, je vais voir ce que je peux faire.

Alejandra tiqua, attendant que Jez émette son prix. Rien n’était gratuit ici. Jez capta sa réflexion muette et fit mine de se sentir injurié.e de façon exagérée.

— Ma chérie, comme oses-tu penser ça de moi ? Te faire payer pour retrouver la marmaille égarée? Voyons ce n’est pas mon genre, sauf si tu n'aimes pas les traitements de faveur.

L’Enquêtrice demeura dubitative, mais rentra dans son jeu en soupirant.

— Elle s’appelle Hel, dans les seize ans, cheveux roux. C’est la fille d’une amie et elle s’inquiète, parce qu'elle n'a plus de nouvelle depuis une semaine.

— Et cette amie, ne vivrait pas dans les beaux quartiers de la surface par hasard, plutôt du côté de la Collerette?

— Jez…

— C’est bon, je t’ai déjà dit que c’était gratos. Oui, il y a bien une gamine qui correspond à ta description qui est passée il y a quelque temps. Elle aimait bien… Oh attend un peu et profites du spectacle.

Sans même attendre sa réponse, Jez se leva laissant sa clope à moitié fumée dans le cendrier, pour s’appuyer contre la rambarde. Intriguée, Alejandra l’imita. Le rez-de-chaussée s’était bien rempli depuis son arrivée. À cette heure les ouvriers et les gardes finissaient leur service, et venaient se détendre une heure ou deux, avant d’aller se coucher. Tous fixaient la scène sur laquelle s’était avancée une jeune femme portant un costume chic, criard, turquoise et violet, rehaussé par des dorures et des plumes colorées, sur lesquelles tombaient ses boucles roses. Elle n’était pas très grande mais possédait ainsi une forte allure, qui n’aurait pas jurée dans les meilleures revues de la surface.

Les habitués scandaient son nom : “ Ecstasy, Ecstasy”, avant de laisser le silence retomber, brisé par ses premiers accords de guitare. Elle jouait bien, divinement bien, mais ce n’était rien, comparé à son chant. Aucune note ne semblait hors de sa portée, aucun rythme lent ou endiablé ne l’effrayait. Il ce dégageait une force et un pouvoir d’attraction tel de son numéro, qu’Alejandra ne se rendit compte qu’elle était elle-même captivée, que lorsque l’artiste salua et remercia le public.

— Et n’oubliez pas, c’est au Bouiboui qu’on ouïe les meilleurs colibris! s’exclama-t-elle avant de retourner en coulisses.

— Elle est exquise n’est ce pas. Et si talentueuse. On lui a proposé des dizaines de contrats là-haut et pourtant elle s’échine à rester ici, dans mon cabaret. Je l’adore, confessa Jez.

Alejandra l’avait déjà vu flirter avec ses artistes ou avec son frère, mais jamais, elle n’avait perçu un tel désir dans son regard tendit qu’iel caressait presque sensuellement le pendentif bas de gamme en forme de cœur, qui frôlait la peau de son torse. Même après tout ce temps, le jeune femme ne put s’empêcher de ressentir une pointe de jalousie.

— Oui bon, se reprit Jez quand iel se rendit compte du regard entendu de son interlocutrice. — La gamine que tu cherches, elle est venue plusieurs fois écouter Ecstasy chanter. Vas lui parler si tu veux, elle remonte sur scène dans une demi-heure.

L’Enquêtrice ne se fit pas prier et quitta son hôte sans lui souhaiter une bonne soirée.

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