Je m'appelle Ella Summer.
J’ai toujours été celle qu’on voit rire en soirée, entourée, animée, presque flamboyante. Du moins, c’est ce que les autres croient.
En réalité, j’ai passé des années à jouer un rôle, à coller un sourire sur mon visage comme on met un pansement sur une plaie encore ouverte.

Depuis la 4e, je traîne avec Léana, Margot, Éléanor et Mathilde. Quatre filles formidables, fidèles, présentes. On a grandi ensemble, on a tout partagé, ou presque. Car même entourée d’elles, je me suis souvent sentie seule. Comme si une partie de moi restait toujours en retrait, bloquée derrière une vitre que personne ne pouvait briser.

J’ai grandi dans une maison où les murs n’avaient pas d’oreilles mais des jugements.
Chez les Summer, on ne pleurait pas, on ne doutait pas, et surtout, on ne dérangeait pas. Mes parents n’étaient pas cruels, non. Juste aveugles. Ils avaient déjà leur étoile : Camille, ma sœur aînée. Elle n’était pas parfaite, loin de là. Mais elle attirait toute l’attention, toute la lumière.
Moi, je vivais dans les marges.

J’ai appris très tôt à me taire. À encaisser les silences, les remarques, les attentes impossibles.
Alors je me suis réfugiée là où personne ne pouvait me blesser : dans les livres, la musique… et mes rêves.
Des rêves faits de courbes et de nature, d’espaces à ciel ouvert, d’endroits qui respirent. L’architecture me fascinait. Pas celle, froide et arrogante, que mon père construisait par vanité. Mais celle des jardins, des lieux de passage et de vie. Celle qui écoute, qui accompagne, qui apaise.

Mais pour eux, ce n’était pas un métier. C’était une lubie. Un caprice de gamine sensible. Une faiblesse.

À seize ans, j’ai cru à l’amour. Raphaël. Mon premier. Je lui ai offert mon cœur avec naïveté, persuadée qu’il verrait en moi ce que les autres ignoraient.
Mais il n’a été qu’un salaud de plus. Il m’a trompée avec sa meilleure amie.
Ce jour-là, quelque chose s’est éteint. J’ai cessé de croire aux hommes. Pire : j’ai cessé de croire que j’étais faite pour aimer.

Alors j’ai décidé de tout quitter.

Il y a un an, je suis partie. Loin.
L’Irlande m’a accueillie comme une promesse. Jeune fille au pair dans une famille que je ne connaissais pas, j’ai pu respirer à nouveau.
Là-bas, j’ai appris le silence apaisé, la solitude choisie. J’ai commencé à me reconstruire. À me retrouver.

Aujourd’hui, je suis de retour. J’ai vingt-et-un ans.
Et pour la première fois de ma vie, je sens que c’est moi qui tiens les rênes.
Avec Sofie, mon amie du lycée, on a trouvé un petit appartement. Rien d’extravagant, mais c’est notre refuge.
Un endroit sans jugements, sans attentes, sans comparaisons.

Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve.
Mais une chose est sûre : cette fois, je vivrai pour moi.
Et rien que pour moi.