Je venais à peine de poser mon sac sous mon bureau qu’on m’appelait déjà à l’étage supérieur. On m’indiqua la salle de réunion B2 — celle avec les grandes baies vitrées et les maquettes en exposition.

Christian Bolat était là, debout, les bras croisés, observant une tablette avec la concentration d’un chirurgien. Il ne releva même pas les yeux en m’entendant entrer.

— Ferme la porte, dit-il sèchement.

Je m’exécutai, déjà sur mes gardes.

— Voilà le brief, ajouta-t-il sans préambule en me tendant une pile de plans, un croquis mal griffonné et une tablette pleine de fichiers PDF.

Je m’approchai, le cœur battant.

— C’est quoi exactement… ?

— Réorganiser tout ça. Il y a une réunion client demain matin. Tu dois repenser l’aménagement du hall d’un hôtel haut de gamme à Marseille. On doit leur présenter une proposition claire, élégante, cohérente avec leur nouvelle image de marque.

Je clignai des yeux.

— Pour… demain matin ?

Il releva les yeux cette fois. Froids. Tranchants.

— Un problème ?

Je faillis lui répondre que ça ressemblait plus à un test qu’à une mission. Mais je me contentai d’un sourire poli.

— Aucun. Je vais m’en occuper.

— Parfait. Tu trouveras les photos du lieu sur la tablette. Je veux un plan A, un plan B et une visualisation 3D. Pas de logo rose, pas de plantes suspendues. On n’est pas chez IKEA.

Et sans autre mot, il tourna les talons et sortit.

J’eus un petit rire nerveux. Bon, au moins, c’était clair : il ne m’aimait pas.

Le reste de la journée fut une course. J’alternai entre mon bureau, la salle de maquettes, et la cafétéria, carburant au café plus qu’à l’oxygène. J’envoyai deux mails à Leïla pour obtenir les dimensions précises et deux autres à Ben pour de l’aide sur les rendus 3D. Il m’aida sans broncher, même s’il lâcha à un moment :

— Christian t’a lancée direct dans la gueule du loup. Classique. S’il te voit comme une "gentille", il va te pousser à bout.

— Il va être surpris, répondis-je entre deux exports de fichier. Je suis gentille, mais je suis pas une victime.

La journée passa sans que je m’en rende compte. À 18h30, j’avais trois maquettes numériques, un plan d’aménagement cohérent, et même quelques idées originales. J’étais crevée, vidée, mais fière.

Je quittai enfin Bolat ARCH à 19h15. Le ciel était pâle, le vent tiède. Mon cerveau tournait encore en boucle sur les finitions du plan B quand j’arrivai à l’appartement.

Je posai mes clés dans le bol en verre à l’entrée et allai directement à la cuisine. En ouvrant le frigo pour prendre un yaourt, je vis un petit mot aimanté dessus.

"Chez Mathéo ce soir ! Tu me racontes ta journée demain ! Gros love, Sofie 💖"

Je souris doucement. Mais au fond, une petite vague de vide me traversa. Le silence de l’appartement me parut brutal après le tumulte du bureau.

Je me servis une tisane, retirai mes chaussures et m’assis sur le canapé, en tailleur, la tablette sur les genoux. Encore en train de revoir mes idées, mes placements de lumière, mes textures.

Parce que, même si Christian Bolat voulait me voir échouer…

Je n’allais pas lui donner cette satisfaction.