Vingt minutes plus tard, je suis de retour dans le bureau de Seo Yeon-ju. La lumière a baissé, filtrée par les stores de bois usé. L'ambiance feutrée, presque oppressante, ne m'échappe pas. Chaque meuble, chaque craquement du parquet semble chargé d'un silence tendu. Elle se lève à mon entrée, visiblement tendue, les doigts nerveusement crispés autour de son carnet. Elle ne dit rien, attend que je parle.
— Ce tatouage, dis-je calmement en brandissant la photo que j'ai prise à la morgue. Vous en aviez connaissance ?
Elle pâlit légèrement, mais soutient mon regard avec une honnêteté solide, qui contraste avec son corps frêle.
— Non, Inspecteur Jeon. Je n'ai jamais vu ce nom auparavant. Je ne... Je ne savais même pas qu'il avait un tatouage.
Sa voix est basse, presque brisée. Je l'observe, silencieux. Il n'y a pas d'hésitation dans ses mots.
— Vous savez, continue-t-elle, que c'est cause de renvoi de l'académie...
Je fronce les sourcils.
— Je l'ignorais, Seo-ssi.
Elle s'incline légèrement. Rien dans son attitude ne me donne matière à soupçon, et pourtant, une sensation dérangeante persiste. Comme si quelque chose lui échappait à elle aussi... Mais quoi ?
Quoi que cela puisse être, je pressens qu'elle ne me dira rien de plus.
Je la remercie d'un signe de tête, et je monte un étage plus haut, dans le bureau de son supérieur, Han-seonsaengnim, que j'ai déjà rencontré plus tôt dans la morgue. Il arrive après quelques minutes, encore vêtu de sa blouse, les yeux cernés par le manque de sommeil ou peut-être par la peur. Il serre les lèvres en s'asseyant, les mains jointes, raides, sur ses genoux.
— Je l'aurais signalé si je l'avais vu, dit-il aussitôt. Ce genre de détail n'échappe pas à l'examen... mais il était bien dissimulé. Et... peut-être récent ?
Il a l'air sincère, mais aussi profondément troublé. Il ne se protège pas. Il semble, comme moi, ne pas comprendre. Je note sa nervosité : il pince ses lèvres, évite de s'asseoir, joue avec son stylo comme un étudiant devant un professeur trop sévère. Et surtout, il évite soigneusement de poser les yeux sur le dossier médical qu'il tient dans la main, comme si ce simple contact visuel allait le brûler.
Que savent-ils, tous ? Que veulent-ils me dissimuler ? Parce qu'ils cachent quelque chose, c'est évident. Je sens les débuts d'une migraine pointer le bout du nez.
— Vous êtes certain qu'aucun dossier médical ne mentionnait un tatouage ? Même provisoire ?
— Aucun. Je vous l'assure. Et si cela avait été présent lors de la dernière visite médicale, j'aurais dû le noter. Il n'y avait rien. Absolument rien.
— De quand date cette visite ?
— Trois mois.
Trois mois. Impossible qu'un tatouage semble aussi usé en aussi peu de temps. Je le sais d'expérience personnelle, je songe, en pensant à celui qui orne mon dos.
— Et le nom de Naegam, ça vous dit quelque chose ?
Il secoue la tête, l'expression plus tranquille cette fois.
Rien à faire, je retourne voir le directeur Lee, même si je pressens là aussi que je vais faire chou blanc. Il me reçoit dans son bureau, toujours aussi impeccablement rangé. Les murs sont couverts de diplômes, d'attestations d'honneur, mais rien de personnel. Rien qui évoque une vie en dehors de cette école. Un espace si lisse qu'il en devient presque inhumain.
— Inspecteur Jeon ?
Il m'invite à m'asseoir sans un mot de plus. J'obéis, pose mon carnet, garde les yeux rivés aux siens. Il attend que je parle, mais sans impatience. Comme si ce que je m'apprêtais à dire n'allait rien changer à sa routine. Un instant, j'éprouve un désir pervers de faire voler en éclats son petit intérieur bien lisse.
Mais j'ai déjà éprouvé cette sensation brûlante et c'est moi qui me suis fais incendier, au final. Je ravale les mots perfides qui roulaient déjà sur ma langue.
— Le nom. Derrière son oreille. 내감. Vous en avez connaissance ?
Il ne répond pas immédiatement. Il m'observe longuement, les traits fermés, comme s'il cherchait à évaluer le poids exact de mes mots. Puis il secoue lentement la tête.
— Je ne connais pas ce mot. Et je ne savais pas que Min Haneul portait un tatouage.
Je le crois. Contre toute attente, je le crois. Cet homme n'a peut-être pas l'air chaleureux, ni particulièrement compatissant, mais il ne ment pas. Son regard ne fuit pas. Sa voix ne tremble pas. Il n'élude pas. Il me donne la sensation d'être une pierre sur laquelle rien ne peut glisser sans laisser de trace.
Et il ne ment pas non plus lorsqu'il ouvre l'un de ses tiroirs et en sort un dossier beige, épais. Pas un gramme de poussière dessus. Tout ici est d'une propreté maniaque. Il le pose sur la table entre nous et le feuillette avec méthode, jusqu'à tomber sur une page bien marquée.
— Voici le formulaire d'admission de Min Haneul, dit-il. Clause obligatoire : absence de tatouage. Toute dérogation est refusée. Si j'avais constaté d'ailleurs qu'il portait un tatouage, Min Haneul aurait été renvoyé sur le champ.
Vraiment ? Le fils d'un député ?
Ça me brûle les lèvres. Mais je me contiens.
— Comment était Haneul ? Il avait tendance à jouer les rebelles ?
— Pas du tout. (le directeur se racle la gorge.) Il était respectueux, suivait les règles, il s'était très vite intégré à son nouvel environnement. Rien ne... détonnait chez lui.
Il fronce les sourcils.
— Je ne le vois vraiment pas arborer un... tatouage, conclut-il en grimaçant.
Alors comment expliquer ce que j'ai vu ?
Comment Min Haneul, qui ne portait officiellement aucun tatouage à son entrée à Gwanak-guk, en portait-il un — dissimulé, encre ancienne, presque cicatrisée — au moment de sa mort ?
Ce n'est pas un gribouillage fait sur un coup de tête. C'est un nom. Un symbole. Une marque. Et elle se trouvait là, précisément là où personne ne devait jamais regarder. À la lisière de la chair et du mystère.
Qui le lui a fait ? À quel moment ? Et surtout... pourquoi ?
Je reste un long moment sans rien dire, mes yeux fixés sur cette page sans réponse. Avant que je ne puisse me lever, Lee m'arrête d'un geste mesuré, presque paternel dans sa retenue.
— Il y a peut-être quelqu'un qui pourrait vous éclairer, dit-il. Min Haneul partageait sa chambre avec un autre étudiant. Taehyung. Un garçon... singulier. Intelligent, discret. Peut-être a-t-il remarqué quelque chose.
Je rêve ou une lueur de méfiance vient-elle de s'allumer dans son regard ?
— Donnez-moi son nom complet, Directeur-nim.
— Kim Taehyung. Il est en troisième année, en section Lettres Classiques. Vous le trouverez probablement à la bibliothèque ou au pavillon des langues anciennes.
Je hoche la tête. Le nom ne me dit rien. Mais l'écho qu'il laisse en moi, lui, est étrange. Comme un soupçon de déjà-vu, ou un pressentiment qui n'a pas encore trouvé ses mots.
Puis je me lève, remercie le directeur, et sors du bureau sans ajouter un mot.
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✍️ note d'auteur
Tu as vu, toi aussi, ce que personne n'aurait dû remarquer.
Un tatouage interdit. Un nom effacé. Et un silence bien trop parfait pour être honnête.
Merci d'avoir suivi Jungkook jusque-là.
Si l'enquête te happe, si l'ambiance t'enlace (ou te dérange), laisse-moi un petit 🖤, une ⭐️ ou un commentaire.
Je lis tout. Et à Gwanak-guk, chaque mot compte.
La suite ? Elle arrive.
Et avec elle... un certain Kim Taehyung.