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CharlesAGautier
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Chapitre 1 : Les Ombres de Paris (1)

Toute espèce est humaine dès lors qu’elle sait qu’elle est mortelle 

Naeriosha, Gloire et Chute de Nathlassa

*

Tu vas tomber. Tu vas tomber et tu ne manqueras à personne. Ni à la protection de l’enfance, ni au lycée, ni aux familles d’accueil qui t’ont déjà oublié. A personne.

— Lely, murmure-t-il, je ne veux pas… te manquer…

Yuul s’accroche au zinc aussi fort qu’il tient à sa meilleure amie. Ses doigts glissent, son autre main attrape la gouttière au dernier moment. Il bascule, regarde dix mètres plus bas les pavés luire sous les lampes. Un cri d'angoisse bloqué dans la gorge, Yuul reprend son équilibre. Tout n’est pas perdu. Il peut le faire. L’adolescent se saisit du fronton d’une fenêtre condamnée et se déplace vers la gauche. D’un mouvement de bascule il s’écarte de la gouttière et se retrouve suspendu à un rebord lisse. Il appuie sur ses jambes et se hisse tel un chat sur une terrasse abandonnée.

La sueur se dissipe dans ses vêtements trop larges. Sa chemise ouverte sur son t-shirt entré dans son baggy l’enveloppe comme un oriflamme. Comme une cape, elle délimite son domaine de pierre et de béton. Yuul inspire profondément l’air frais de la nuit.  

Tant de choses l’ont conduit ici.

Les souvenirs reviennent : les coups, les brimades, les humiliation.

Le débile, le nul, le cassos.

Stop.

On va quand même pas les tuer.

Ces mots, il les a reçu comme sept coups de poignard. Les grandes personnes ignorent que leurs paroles peuvent se muer en dagues. Ils jugent, calculent, estiment, sélectionnent, avant même que les enfants ne leur demandent un dessin. Si leurs lois sont une autoroute, alors les pensées qui roulent dessus ignorent tout des arbres qui poussaient là où il n’y a plus que de l’asphalte.

Il couve sa colère, dans la canopée de dômes et d’ombre de la Ville Lumière. Doucement, il se rapproche du bord. Du fil entre la vie et la mort. Ce qu’il cherche à tester, quand il court sur les toits. L’adrénaline, la sensation de vivre son dernier parkour, que tout peut s’arrêter s’il ne vit pas à fond. Là-haut, personne pour lui rappeler qu’il n’est pas normal. Là-haut, même les étoiles se taisent.

Yuul ressort la note dénichée dans le bureau du juge des enfants. Le garçon né au milieu des toiles. Cabinet de Curiosité et atelier de peintures. Dernier étage.

Et une adresse, plus importante encore que la raison pour laquelle l’officier d’état civil lui a donné ce nom. Il n’est plus Jules Destoiles, ce garçon que l’on exclut, que l’on juge. Jules Destoiles est mort.

Désormais, il est Yuul. Sans nom de famille. Simplement lui.

Sur un mur Yuul remarque un trait de lumière sous une porte entrouverte. Tout à coup, quelque chose grésille, à l’intérieur. Yuul recule, se couvre le visage. Un courant d’air remonte des étages inférieurs, et charrie des odeurs d’écorce et de feuille.

Ce n’est qu’un cabinet de curiosité. L’atelier d’un peintre. Mon vrai père ?

Yuul a lu, dans le dossier, en plus de son nom, des informations contradictoire. Personne ne vit ici, mais la lumière luit entre les fenêtre. Si ses parents l’ont abandonné, pourquoi leur atelier de peinture est-il toujours allumé, ici. Est-ce seulement l’endroit où il a grandi, et pas celui où il a été trouvé ?  

Et si c’était un piège ? Non, il veut savoir. Il n’est pas venu jusqu’ici pour renoncer à son passer. Pour ne finalement pas savoir pourquoi il a souffert, lui, dans ces infâmes maisons d’accueil. Yuul frissonne, inspire longuement, puis passe le seuil.  

Il descend les degrés un par un, d’un pas hésitant. En bas, Yuul balaye du regard les diodes de toutes les couleurs, les lianes qui pendent au plafond, les lierres recouvrent les commodes tels les draps sur des meubles abandonnés. Il distingue entre les feuilles des fleurs exotiques. Leurs pétales sont brodés de motifs hypnotiques, que Yuul fixe quelques secondes, bouche bée, incapable de mettre des mots sur ces formes. L’adolescent n’a encore jamais rien vu de tel. Peut-être qu’au lycée qu’il vient d’intégrer, il apprendra le nom de ces plantes. Il en prend quelques-unes en photo pour les envoyer à Lely. Sa meilleure amie ne va pas le croire !

Pas de réseau, seulement les images, qui semblent se distordre. Yuul touche son écran, il s’éteint tout à coup. Il ne reste que le reflet de ses cheveux blonds et de ses légères taches de rousseurs. Il tourne le téléphone et distingue des fougères, des arbres, des lianes qui dessinent un sentier vert. Et une ombre qui s’approche.

Yuul réprime un cri de panique. Il range son téléphone et se cache derrière un meuble couvert de lierre. Une sphère armillaire est entravée dans les branches. À travers ses anneaux, gravés de signes étranges, Yuul distingue une silhouette. Il ne voit que sa forme élancée, qui disparait aussitôt.

Son cœur bat la chamade, si fort qu’il pourrait le trahir. Yuul n’ose plus bouger, ni respirer. Bientôt, il perçoit le grincement des marches et un claquement de porte. Un courant d’air joue dans les feuilles comme un souffle...

Ouf, je vais pouvoir sortir de là.

… suivi d’un bruit de serrure.

La gorge de Yuul se serre. Il sort de sa cachette et remonte les marches à pas de loup. Il appuie sur la porte, mais elle reste stoïque. Verrouillée de l’extérieur.

— Ho non… ouvre-toi…

Un frisson remonte le long de son échine.

Il appuie, gratte le bord comme une sourie prise au piège, à la recherche d’une issue. Mais le battant reste de marbre. Il va rester coincer ici. Quelqu’un voulait le piéger, et a réussi. Le ventre serré, le garçon redescend à l’étage envahi de verdure.

Il essaye de se rassurer, de se dire que quand il va raconter ça, Lely ne va pas le croire. Ou le chambrer. Raison pour laquelle il ne lui a rien dit sur l’adresse découverte dans le bureau du juge. Elle l’aurait empêché de s’y rendre. Elle lui aurait dit que c’était un piège. A raison ? Yuul y serait allé quand même.

Il aime trop visiter les recoins obscurs et abandonnés de Paris. Comme ça, il oublie. Et chaque fois que Yuul trouve une sortie, il se sent un peu plus en vie. Mais cette fois, il ne pouvait rien dire, parce que ce qu’il voulait, ce n’était pas oublier, mais se souvenir. Comprendre pourquoi tous ses camarades ont des parents qui les attendent chez eux, et pas lui.

Tout à coup, une vibration émerge des feuillages. Sa respiration accélère, la sueur froide s’immisce entre son torse et son t-shirt. L’adolescent cherche ses origines, jusqu’au fond d’un couloir de fleurs aux pétales polychromes. Il fait face à une haie aux branches éparses. De l’autre côté, le son vibre derechef. Une partie de lui voudrait courir, mais il sait qu’il est trop tard. Il ne peut revenir sur ses pas. Un poids dans la poitrine, Yuul se contorsionne pour s’enfoncer dans la verdure. Et sort, de l’autre côté, sous une vaste voute de fer forgé.

L’atelier d’un peintre, pense aussitôt Yuul, quand il découvre les tableaux. Ils représentent des plaines éclairées par deux soleils, des jungles brumeuses survolées par des dragons. Des paysages qui le happent, dans lesquels il se voit courir, naviguer, voler. Ils se déploient sur un mur circulaire jusqu’à une porte entrouverte, couverte de lierre.

 Un son grave s’élève du centre de la pièce. Un piédestal se dresse là, en forme d’œuf orné d’yeux et de veines. L’objet posé dessus est si noir qu’il engloutit la lumière. Sa surface s’orne de pics et d’ondes. Il s’étale comme une peinture vivante, noire, légèrement bombé. Est-ce une pierre ? Un organisme ? Du fer liquide ?

La vibration s’intensifie, jusqu’à ce que Yuul croit que le sol va se dérober sous ses pieds. Son cœur bat au diapason de l’air qui tremble. Yuul ne parvient plus à reculer, ni à se détourner.

C’est comme si sa vie passée dans les foyers, dans les hôtels, jusqu’à sa rencontre avec Lely, comme si tout son passé l’avait conduit là. Désormais, il le sait. Yuul n’a pas trouvé ce petit papier par hasard, glissé subrepticement dans son dossier au trinbunal. Quelque chose, ou quelqu’un, a voulu qu’il aille à cette adresse, qu’il entre dans cet appartement, et qu’il découvre cette pierre noire bardée de petits pics. 

La chose n’est plus qu’à portée de ses doigts. Son sang tape sous ses tempes. Une à une, ses émotions se fracassent sur son âme comme des vagues sur un rocher. Il tend la main, halète, effleure l’un des pics.

— Qu’est-ce que… ha !             

La chose se mue en aiguille et fuse. Yuul ne peut pas l’éviter. Une douleur fulgurante vrille ses poumons au moment où elle lui perce la poitrine. Le souffle arraché, il veut hurler, bouche ouverte, sa souffrance reste lettre morte. Tout en lui est déjà en train de se taire.

Il écarte les bras, se cambre, tête en arrière comme si une main lui tirait les cheveux.  Dans son corps, quelque chose s’installe, s’accroche à ses os, serpente entre ses nerfs, se love au creux de ses organes. Son cœur bat, comme s’il n’était plus vraiment le sien. Son regard se voile sur une réalité qui n’est plus vraiment la sienne. Il clos ses yeux et, au fond de son esprit, une pensée soupire. Expire.

Je suis toi. Je ne te quitterai plus.

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11 Comments

6 days
Très intéressant ce début ! Ton style est très imagé et lyrique, j'aime bien :)
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Merci pour ta lecture !
Oui en 2025 je renoue avec le lyrisme ^^
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14 days
Mince je m'attendais pas à ce que quelque chose prenne possession de lui !
Très spa ce début ! J'ai eu un peu de mal à comprendre s'il était entrain de tomber ou non avec les premières phrases, il a fallut que je revienne pour comprendre 🤔
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14 days
Ha il va falloir que je reprenne l'incipit, peut-être le placer un peu plus haut ☺️
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14 days
Il n'est pas au bout de ses surprises haha
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Ha mais oui je sais où commencer ! Il me suffit de déplacer 2 phrases. La solution est sous mon nez
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Ha mais oui je sais où commencer ! Il me suffit de...
Cela dit j'ai peut-être lu un peu vite. En relisant c'est peut-être le moment où il pense à son amie, j'ai cru que c'était elle qui l'a haïssait sur la terrasse 😅
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14 days
Cela dit j'ai peut-être lu un peu vite. En relisan...
Ha oui en effet, ça reste ambigüe :)
j'ai voulu exprimer son impression qu'il manquera à personne, mais qu'il s'accroche encore à ce qu'il ressent pour son amie
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14 days
Cela dit j'ai peut-être lu un peu vite. En relisan...
Là je pense que c'est plus clair
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Là je pense que c'est plus clair
Effectivement le doute est levé !
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Effectivement le doute est levé !
Super ! Du coup j'ai encore modifié, j'ai enlevé 2 paragraphes de caractérisation pour me concentrer sur l'action lors des 500 premiers mots
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