Le vent matinal fait ondoyer sa chemise et ses mèches sur le chemin du lycée.
— Hey Yuul ! l’alpaguent ses camarades.
Yuul salue d’un sourire, enchaine les check et les accolades. Il se fond dans la masse, se laisse engloutir par les bruits, les rires, les musiques. Ce matin, il n’est le sujet d’aucune conversation. Personne ne lui demandera d’effectuer un back-flip sur le terrain de basket ou d’escalader le gymnase.
Et pour cause : tout le monde n’a d’yeux que pour la nouvelle. Nei Xin ne passe pas inaperçue, avec ses cheveux de jais aux mèches rouges, et sa tenue noir portée près du corps. Aussitôt arrivée, son sourire malicieux et son regard perçant ont parlé pour elle. Yuul pourrait grimper sur le préau et sur les murs du lycée pour s’isoler des autres, personne ne le remarquerait.
— C’est toi le grimpeur ?
Yuul ne fait pas attention, au départ, et croit qu’elle s’adresse à un autre. Quand il tourne la tête, ses yeux monolides sont rivés sur les siens. Elle a un petit grain de beauté sous l’œil droit, une mèche rouge court dans ses cheveux noirs coupés en carré. Son justaucorps noir ressort de son leggin comme si ce dernier le cachait. Elle porte une petite veste sur les épaules.
— Yuul tout court, c’est ça ?
L’adolescent reste de marbre une poignée de secondes. Les mots de la lycéenne transpirent d’une ironie froide. Yuul peste, depuis qu’il a déclaré que Yuul, tout court, ça lui allait très bien, beaucoup s’amusent à le nommer ainsi.
— Je suis pas court, je fais un mètre quarante-cinq.
— Oh, la taille que je faisais en primaire, c’est donc vrai.
— Qu’est-ce qui est vrai ? demande Yuul, c’est quoi la dernière rumeur balancée sur moi ?
— Je te taquine, minaude Nei Xin, contente de t’avoir trouvé, il est temps de te mener en lieu sûr.
L’espièglerie de Nei Xin s’efface aussitôt. Elle a prononcé les dernières paroles avec un ton sérieux, froid, distant. Aussitôt les images de la veille reviennent à son esprit. Il demeure bouche bée, incapable de répondre. Est-ce que ça a un lien avec ce qui lui est arrivé la veille ? Tout à coup, Yuul balise. Sur le flanc, attachée à un baudrier bleu électrique le long de son justaucorps, Yuul repère la garde d’un sabre. Aucune lame n’y est accrochée, ce qui l’inquiète d’autant plus.
— C’est pour mon entrainement de kendo, explique Nei Xin, enfin entrainement, aucun n’est à ma hauteur alors on va dire que j’assiste le maître d’armes.
Elle est aussi prétentieuse que Lely est directe et protectrice. Si sa meilleure amie et Nei Xin se rencontrent, ça risque de partir très vite. En même temps, est-ce que Nei Xin peut lui apprendre tout ce que Lely lui cache depuis de début ?
— Quel lieu sûr ? finit par demander Yuul, tu débarques, depuis hier soir, il m’arrive des choses étranges, tu es au courant pas vrai ?
Son intuition semble avoir fait mouche. Yuul sent une boule se former dans son ventre aussitôt qu’elle s’approche de lui, mains derrière le dos. Elle le domine d’une bonne tête et se penche. Autour, des lycéen les observent, se murmurent des choses que Yuul en peut entendre. Nei Xin porte sa bouche près de son oreille.
— Tu as des questions, non ? chuchote-t-elle, retrouve moi au parc après avoir rencontré le professeur James.
Surpris, Yuul sursaute, s’écarte de la nouvelle, qui hausse le menton d’un air satisfait, et penche la tête sur le côté.
— Pas trop fort, ils pourraient se poser des questions.
Avant même que Yuul puisse répliquer quoi que ce soit, Nei Xin s’éclipse. Aussitôt, Yuul se sent immergée dans l’impression désagréable que tout le monde lui cache quelque chose. Lely, la nouvelle, et le professeur James qui ne peut être que Joseph. Sa nièce comme Nei Xin ont mentionné son tuteur légal, et où est-ce qu’il a trouvé le mot indiquant l’adresse du cabinet de curiosité et atelier de peinture Destoiles ? D’ailleurs est-ce un atelier de curiosité ou un cabinet de peinture ? Ou l’inverse ? La personne qui l’a mené à toucher la chose l’a fait à la hâte.
Et résultat, il est mort. Les frissons remontent le long de ses bras quand il en prend conscience. Il a perdu la vie, et quelque chose, dans un rêve étrange, l’a ramené. Est-ce la pierre noire ?
— Fais attention ! lâche la personne qu’il percute.
La professeure de SVT, vice directrice de l’établissement. Une petite femme au tailleurs bien ajusté, un accent méditerranéen dans ses phrases, le regard profond.
— Pardon madame Suez, j’étais…
— Dans la lune, comme toujours.
— Oui, voilà, confirme Yuul d’un air gêné, dans la lune, en quelque sorte.
Pour une fois qu’il aimerait que ce soit vrai, littéralement.
— Bon, le directeur veut te voir après le cours, Ju… Yuul.
— D’accord, mais pourquoi, qu’est-ce que j’ai fait ?
— Tu verras bien.
Yuul peste, mais avant qu’il ne puisse protester, l’enseignante est déjà partie. Il sait, au fond, que quelqu’un s’apprête à lui reprocher quelque chose de grave. Comme d’habitude, aucun adulte ne veut parler franchement. Les grandes personnes ne lui adressent toujours la parole quand la décision de le placer est déjà prise.
Il entre en salle de classe sans dire bonjour, et s’installe à une table. Personne ne lui parle en attendant que la leçon ne commence. Un cours sur le vivant, que Mme Suez sait rendre ennuyant. Il ne retient qu’une chose, c’est que le niveau de complexité des organismes est certes élevé, mais qu’on retrouve les mêmes éléments dans un corps humain que dans une étoile. Pourtant, l’un des deux est vivant, l’autre inerte. Alors qu’est-ce que la vie ? Comment scientifiquement définir la vie ?
Je reviens de mourir. Hier soir.
Yuul se touche le torse à travers son t-shirt. Il ne sent aucune blessure et, pourtant, ce truc l’a transpercé, il s’en souvient. Il souffle, reprend ses notes. Les lois physiques sont universelles, donc les conditions d’apparition de la vie carbonée le sont sans doute aussi. Il peut exister des milliards de chemins, d’embranchements, pour arriver de l’organisme monocellulaire à une espèce aussi développée qu’Homo Sapiens.
A la fin du cours, Mme Suez l’attend dans le couloir. Il la suit et balise, n’ose rien dire, ni se défendre, ni avouer quoi que ce soit. Autant qu’il se taise pour imaginer le meilleur plaidoyer possible.
L’enseignante lui indique la porte et le laisse entrer. Au fond de la pièce, un homme d’une cinquantaine d’année épluche des copies. Il semble si absorbé dans son travail qu’il ne daigne même pas lever les yeux vers Yuul. Le garçon s’avance vers le bureau en examinant les fenêtres ouvertes sur la rue. Il reste là, cinq secondes, à observer les arbres au dehors. Ils lui paraissent étranges, et le lierre qui monte jusqu’au fer forgé, Yuul ne l’a jamais vu autrefois. Du lierre qui ressemble à ce qu’il a vu dans le cabinet, la veille. Il se tend, prêt à détaller, quand le directeur claque des doigts.
— Destoiles ? hep, je suis là.
Yuul salut, et s’assied. Il ne connait pas le nom du chef d’établissement. Il en a vu tant que Yuul a l’impression de revoir la même personne à chaque fois.
— Yuul, je vais être direct. C’est la seconde fois que des gens m’ont signalé tes escapades nocturnes sur les toits de la ville. Tu as encore joué les monte-en-l’air, sachant que c’est formellement interdit.
Yuul soupire. C’était donc ça. Il baisse les yeux, s’attend à recevoir la sentence à laquelle il s’est tant habitué.
— Je suis supposé t’envoyer en conseil de discipline, et je devrais le faire. Tu as de la chance qu’aucun cambriolage n’ait été signalé cette nuit, il m’aurait suffi de te dénoncer. Et, si tu n’avais pas un tuteur légal, tu serais retourné dans un hôtel de l’ASE, ou dans une structure spécialisée où on t’aurait peut-être permis de passer un CAP dans un secteur que tu n’aurais pas choisi. Enfin si, la cuisine ou l’agriculture ?
Yuul serre les poings. Ses yeux rougissent tant il empêche ses larmes de couler. Ne pas leur donner ce plaisir. Ne pas céder.
— Je n’ai rien volé !
— Qui te parle de vol ? Tu sais que c’est interdit, et que je ne sais pas réfléchir au-delà du règlement. C’est toi-même qui l’as dit.
Le sarcasme atteint Yuul en plein cœur. Il voudrait hurler, contre les psys, contre l’école, contre les autres, contre l’agence. Contre ce monde. Ce monde que les adultes s’acharnent à transformer en prison.
— D’un côté, j’ai déjà rempli le quota d’exclusion du ministère, de l’autre j’approche de la retraite et je ne veux pas de vague, puisque je suis comme tous les autres. Ça aussi, tu l’as dit, mon garçon.
Yuul sent sa poitrine se serrer.
— Dis-moi, avant que je ne continue, tu es sûr que tu n’as volé personne, entre nous ?
— Je vous ai déjà répondu, monsieur le directeur de mon futur ancien lycée.
Son insolence ne parvient pas à calmer sa colère. Il croise le regard de l’enseignant comme d’autres croiseraient le fer.
— Ne t’en fais pas, mon garçon, poursuit le directeur, je ne vais rien faire de tout ça, car vois-tu tu as comme qui dirait un ange gardien.
La porte claque derrière lui, et des pas se rapprochent. Aussitôt, un frisson remonte le long de son échine.
Petit détail : Le directeur d'un lycée corrigera pas de copie, il ne peut pas être prof et directeur à priori 🤔
Cela dit je l'ai sûrement repéré parce que je suis prof, c'est pas non plus un détail important 😅
Je vais corriger le tir durant la réécriture :)
À la limite je pourrai l'expliquer après, plus tard dans l'histoire