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CharlesAGautier
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Chapitre 2 : La Terre est nue sous les étoiles (3)

Yuul tourne la tête vers une jeune femme aux cheveux roux comme un crépuscule, aux yeux verts comme une forêt vierge. Elle salut le directeur et s’assied sur le siège à côté de lui. Tout de suite, la gorge de Yuul se serre. La nouvelle venue lui inspire une sensation de mal-être. Quelque chose se dégage d’elle, comme une sorte de brume cuivrée, presque invisible. Qu’est-ce que ça peut bien être ?

— C’est bien, vous me l’avez amené, sourit-elle.

La dame parle avec une voix assurée, sans accent. Pourtant, quand elle bouge les lèvres, Yuul a l’impression qu’elle ne forme pas les mêmes mots que ce qu’il entend.

— J’ai essayé de le trouver au tribunal, explique-t-elle, j’ai laissé un petit mot, le juge m’a recontacté pour me dire qu’il était dans ce lycée.

Le papier trouvé dans le bureau du juge ! Sa gorge se serre, Yuul s’enfonce dans son siège. Alors c’était elle, qui voulait l’amener dans ce cabinet de curiosité. Mais de qui s’agit-il ? Pourquoi voulait-elle qu’il trouve la pierre noire ? Pourquoi lui ? Et, surtout, pourquoi ressent-il tout à coup un immense vide, maintenant qu’il a compris ?

— Bonjour Yuul, reprend-t-elle, en se tournant vers lui, allons, fais pas cette tête, je ne vais pas te manger.

Son regard vert et perçant lui glace le sang. C’est comme si elle s’apprêtait à lui lancer une série d’aiguilles noires. Il se revoit tomber, il se revoit couler. Et ne veut plus que ça recommence, ne veut plus perdre le contrôle. Yuul reste quelques secondes sans rien dire. La dame penche la tête sur le côté, Yuul lève la main dans un salut maladroit et lutte pour ne pas laisser transparaître son trouble.

— Destoiles, tout va bien ?

Non. Il a fusionné avec une pierre venue d’ailleurs, sa meilleure amie lui ment par omission, et une nouvelle élève veut l’amener en lieu sûr.

— C’est Yuul.

— Intéressant, comme nom, n’est-ce pas ? intervient la dame, je me présente, Delphine Dulys, j’appartiens au collectif Parkour d’Etoile, et je recrute des jeunes talents, partout en Europe. Et je sais, Yuul, ce dont tu es capable, pour un petit gars d’une quinzaine d’années. Si tant est que ce soit ton vrai âge, t’as l’air d’avoir douze ans mais tu bouges comme si tu faisais du parkour depuis des décennies. Je le sais. Parce que je t’ai vu. Hier soir.

Un frisson parcourt son échine. Yuul reste coi quelques secondes, quand il voit des taches brunes apparaitre sur les joues de la femme, puis disparaitre aussitôt.

— Vous m’avez vu ? demande l’adolescent d’un ton penaud, que voulez-vous dire ?

Yuul se crispe. Ses doigts s’emmêlent, ses yeux s’écarquillent. Tout en lui hurle l’aveu qu’il ne veut pas faire. Delphine – si c’est vraiment son nom – opine d’un air satisfait.

— La nuit dehors, la Terre est nue sous les étoiles. Nul ne sait ce qui nous observe entre les astres. Nul ne sait ce qu’il découvre en passant une fenêtre, une porte entrebâillée, une terrasse abandonnée. Des secrets qu’il vaut mieux ne pas toucher. Qu’aucun mortel n’est supposé découvrir. 

La femme lacère son visage d’un sourire carnassier. Yuul balise, ses doigts s’emmêlent, ses yeux s’écarquillent, les mots refusent de sortir. Tout en lui hurle l’aveu qu’il ne veut pas faire. Delphine – si c’est vraiment son nom – opine d’un air satisfait.

— Ne l’encouragez pas ! tente le directeur pour détendre l’atmosphère, vous connaissez les jeunes, ils font toujours le contraire de ce qu’on leur dit, surtout quand on dit que c’est dangereux.

— Oh que si, j’aimerais le revoir, assez vite, pour tester ses limites. Vous pourriez aménager son emploi du temps pour que j’ai le loisir de disposer de lui ?

Disposer de lui. Que veut-elle dire ? Yuul baisse les yeux, a respiration accélère, il lutte pour ne rien montrer. De quoi est capable cette femme ? Pourrait-elle lui faire du mal dans son lycée ? Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait la veille, quand il s’est introduit dans l’appartement ? Ce n’est pas ce qu’elle cherche. Quelque part, Yuul comprend que ce qu’il a vécu n’est que la première étape d’un plan qui lui échappe.

— Eh bien il dort chez la nièce de son tuteur.

— Non, non, c’est plus vrai, en fait, l’interrompt Yuul d’un ton malaisé, le tribunal, je veux dire… he….

Yuul se crispe. Le directeur a failli balancer le nom de sa meilleure amie.

— Mais je sais déjà tout ça, je n’ai pas besoin d’aller chez ton amie, Yuul : il y a de très bon spot pour s’entrainer au parkour dans cet arrondissement. Où personne ne viendra nous embêter.

— C’est entendu ! lâche le directeur, l’air blafard, je préviens son tuteur, il…

— Joseph James ? Je le connais, ne vous en faites pas. Je voulais juste rencontrer Yuul, et le prévenir ; tu auras bientôt l’occasion de me montrer comment tu sais sauter d’un mur à l’autre et courir sur un parapet. Ensuite, tu n’auras qu’à suivre mes or… mes conseils pour réussir.

— Ha, oui, bien sûr madame, bafouille Yuul.

— Fais pas ton timide ! Je viendrai à toi, dans très peu de temps, pas besoin de déranger ton amie, Lely, c’est ça ?

— Oui.

Delphine lui pose une main sur l’épaule. Aussitôt, Yuul sent quelque chose le gratter au niveau du cou. Une voix chuchotte, inaudible :

— Si tu lui parles, tu ne seras pas le seul à expérimenter ce qu’il s’est passé hier soir, mais pour les autres, ce sera définitif.  

L’adolescent se recule, terrifié. Ses muscles sont devenus aussi tendus que des arcs. L’air autour de lui s’imprègne d’une odeur de terreur. Il ne parvient plus à prononcer le moindre mot. Elle ne veut pas le tuer, elle l’aurait déjà fait. Elle veut le manipuler, l’amener à faire quelque chose, à se taire et à lui obéir. Ce qui, pour lui, est pire encore que mourir.

De l’autre côté de son bureau, le directeur se redresse, l’air mal à l’aise.

— Ah cette génération alpha, plus bavarde sur les réseaux que dans la vraie vie, hein !

Yuul en temps normal, se serait contenté d’un ok boomer. Mais il se contente d’observer alternativement l’homme et la femme. Le directeur ne semble rien comprendre à la situation, et s’il comprenait, il ne pourrait rien faire. D’ailleurs, il semble à peine se rendre compte qu’une dame vient de menacer l’un de ses élèves dans le plus grand des calmes.

— Et bavard, il vaut mieux qu’il ne le soit pas trop sur les réseaux non plus ! réagit Delphine, cette entrevue n’a jamais eu lieu, monsieur le directeur, si vous en parlez, je serai forcée de vous tuer, plaisante-t-elle.

Le directeur et la dame rient de concert, sans prêter attention à Yuul qui ne sait plus où se mettre.

— Ah la bonne blague, attention, d’autres pourraient mal la prendre !

— Mais je suis sûr que vous la prenez très bien !

Les traits de Delphine se déforment pour laisser place à un regard malsain. Un silence s’installe, tandis qu’une brume cuivrée se dissipe autour du chef d’établissement et semble revenir vers Delphine. Que vient-elle de faire ?

Elle se lève en adressant un regard entendu au garçon.

S’il dit quoi que ce soit de cette menace à peine voilée, les choses seront encore pires que ce qu’il a déjà vécu.

Quand Delphine quitte la pièce, l’air devient plus léger, le directeur s’essuie sont front, surprit d’avoir autant transpiré.

— Et les mercis ? reprend-t-il, cette dame t’évite l’exclusion. Donc si j’étais toi, la prochaine fois que je la croise, je la remercie.

— Oui monsieur.

— Tu peux disposer.

Yuul acquiesce, et rejoint le cours en rasant les murs. Il n’y apprend rien, ne réussit ni à se concentrer, ni à regarder le tableau. Simplement par la fenêtre, où les rayons de cette fin de printemps ruissellent sur les feuilles. La terre est nue, sous les étoiles. Yuul répète en boucle ce que lui a dit la dame. C’est elle qui a voulu le conduire dans l’atelier de peinture. Il ignore ce qu’elle veut. Il ne veut pas le savoir, mais il se doute qu’elle ne reculera devant rien pour accomplir son plan. Quel plan ? Pourquoi avoir permis la rencontre entre lui et la pierre noire ? Ce que lui a dit Lely la veille revient à sa mémoire. Il n’est pas seul, l’humanité non plus. Et pourtant, il aimerait bien l’être, plus que jamais.

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