La peur lui nouait l’estomac et les intestins. L’angoisse lui faisait tourner la tête et le froid du début de l’hiver lui glaçait les joues. Plusieurs fois, elle avait dû ravaler un violent haut-le-coeur. En raison de la cadence qu’avait adopté son cheval, sans doute tout aussi apeuré que la jeune fille, tout son corps la faisait souffrir et pour se maintenir en selle, elle était obligé de garder tout ses muscles fermement contractés. Pour toutes autres, une telle chevauchée au coeur des forêts sinistres et glacées de Borée aurait été un enfer. Et pour Taega, s’en était bien un. La fatigue lui rongeait l’esprit jusqu’à la folie, la douleur cuisante envahissait son corps tel un poison et le désespoir grandissait en elle à chaque foulée effectuée par sa monture. Néanmoins, contrairement à d’autres, elle n’avait guère d’autres choix. Un désir profond lui enflammait le coeur. Partagée entre inquiétude, peur, amour et colère, elle ne pouvait faire demi-tour. Elle se devait de le sauver. Il était là, perdu dans l’immensité des bois, poursuivi par les mêmes monstres qui s’était lancée aux trousses de la jeune fille. Les premiers mois de l’hiver en Borée sont les plus durs et à la seule pensée de le savoir pris en chasse comme un vulgaire gibier lui glaçait le sang.
Inquiète, elle leva alors les yeux vers le ciel. Un ciel embrasé par le feu d’un soleil de fin de soirée s’offrit alors à elle. Cela faisait plus de trois heures qu’elle avait quittée en trombe la capitale. La nuit, la première longue nuit de l’hiver boréen allait bientôt tomber, et avec elle une immense tempête de neige annoncée par des nuages lointains. Taega se devait d’agir vite. A mesure qu’elle et sa monture s’enfonçait dans les bois, la jeune fille sentait le froid s’intensifier de mètres en mètres, menaçant de plus en plus la vie du recherché. Une horrible image traversa alors l’esprit de la jeune fille : celle de son ami, inerte dans la neige immaculée, le visage bleuis par le froid et les yeux injectés de sang. Elle chassa alors cette affreuse vision de son esprit juste à temps pour ne pas vomir d’angoisse. Elle se devait d’espérer de tout son coeur qu’il allait bien, qu’il trouverait un abri avant l’arrivée de la tempête et de leurs ennemis.
Cet espoir, ce fol espoir, elle le devait à l’amour tout nouveau et si puissant qu’elle venait de découvrir. Dès le jour de leur rencontre, des années auparavant, elle l’avait aimé en secret. Ou plutôt son coeur avait caché cet amour si évident au yeux de sa propriétaire pour la protéger. Car leur amour était dangereux pour elle, dangereux pour lui. Ils n’étaient pas censés être liés par de tels sentiments, et pourtant, leurs âmes dansaient ensemble depuis la première fois que leurs regards se sont croisés. Leurs coeurs battaient à l’unisson derrière un voile de passion masqué par la même haine de leurs ennemis. Et dès que Taega l’eus comprit, il y avait de cela quelques jours, elle s’était juré de lui offrir ce merveilleux amour. Elle le devait et elle se battrait pour. En pensant à l’effusion de sentiments qui lui enflammait les veines, la jeune fille se souvint alors de ce qu’il lui avait dit quelques heures plus tôt, avec la rage embrasant son regard d’habitude si lumineux :
« On ne choisit pas son destin Taega, soit on l’accomplit, soit on meurs. »
Dès lors, en quittant la capitale en trombe un peu plus tôt, elle s’était juré de ne plus jamais voir quelqu’un de cher mourir sous ses yeux, et surtout pas celui qu’elle s’était promise d’aimer de tout son être. Elle se battrait jusqu’au bout pour protéger sa vie, même si elle devait y laisser la sienne. Elle accomplirait alors son destin. Pour lui, pour eux, pour sa famille, et pour sauver l’honneur de leur pays.