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Hiurda
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17 - Promesses

« De tous les hommes ici, c’est à Leif que tu pensais en imaginant ton mari ? »

La voix d’Ulrik était sèche et le ton cassant. Ishta s’était attendue à bien des réactions, mais la colère n’en faisait sûrement pas partie. Elle avait fait énormément de progrès dans la gestion des émotions, les siennes et celles des autres. Mais faire face à toute sorte d’animosité la mettait toujours dans un état proche de la panique. Elle souffla deux ou trois fois, se rappela qu’Ulrik ne lui avait jamais donné aucune raison de s’inquiéter, bien au contraire. 

« Oui. » Elle répondit d’une petite voix. « En venant, je croire que Leif être chef de tous. »

Le guerrier prit une grande inspiration, comme pour se calmer, et continua d’un ton vide.

« Et tu as été dièlust que ce soit pas lui ? »

« Je pas comprendre dièlust. »

Elle ne comprenait pas la réaction d’Ulrik. Il ne pouvait être en colère simplement parce qu’elle s’était trompée, ça ne lui ressemblait pas.

Il semblait chercher ses mots, ne sachant comment lui reposer sa question différemment. Ishta pouvait sentir la frustration que le guerrier dégageait. Il prit la parole lentement, mais elle pouvait entendre le tremblement de sa voix qu’il essayait vainement de lui cacher.

« Si tu pouvais décider, tu aurais choisi d’épouser Leif ? »

La question laissa Ishta perplexe. Ça n’avait jamais été un problème de choix. Si elle avait pu décider, elle n’aurait choisi personne. Si elle avait pu passer sa vie sans devoir partager son lit, voilà le choix qu’elle aurait fait. Mais elle doutait qu’il le comprenne, alors elle répondit ce qu’elle put.

« Ce pas être un choix pour moi. » 

La réponse ne plut pas à Ulrik qui serra les poings de rage. Encore une fois, le geste était imperceptible et Ishta ne s’en aperçut que parce qu’elle avait passé sa vie à en avoir peur. Pourquoi avait-elle été assez bête pour poser la question ? Si personne ne voulait lui répondre, il devait bien y avoir une raison. Elle aurait dû s’en tenir à ça. 

À deux doigts de voir Ulrik se lever et partir, elle commença à paniquer. Qu’allait-elle faire si le guerrier se mettait lui aussi à l’éviter ? Elle comprit qu’elle s’était habituée à leurs rencontres journalières et à quel point elle y était attachée. Elle voulut lui dire d’oublier le sujet, que ce n’était rien et qu’elle souhaitait juste finir son repas avec lui et parler d’autre chose. Mais il fut plus rapide à prendre la parole. 

« Leif est déjà marié à Toumet, tu le sais ça. Pour les Íbúa, le lien matrimonial est sacré. Leif ne peut pas être marié à une autre femme tant qu’il est l’époux de Toumet. Et, surtout, Leif aime Toumet plus que tout. »

Ishta se retrouva encore plus confuse. Elle savait déjà tout ça, ce n’était pas le sujet de son problème. Il se leva et hésita à dire quelque chose. L’expression de peine sur son visage attrista Ishta, mais elle ne savait que dire pour la faire disparaître, ne comprenant pas pourquoi elle était apparue en premier lieu. Cependant, il lui fallait une explication. 

« Alors, qui épouser moi ? » demanda-t-elle, désespérée. 
Quitte à le voir partir, autant qu’elle ait sa réponse. Quitte à ce qu’il ne lui parle plus, autant que ce ne soit pas pour rien. 

Il lui tourna le dos et fit quelques pas, avant de s’arrêter. Sans lui lancer un regard, il dit à voix basse.
« Tu as été promise à Fryktebjorn. »

L’Empire avait un autre nom pour Fryktebjorn, la Bête.

Puis il partit, laissant Ishta seule face à sa révélation. 

Au début, elle s’imagina que la colère avait conduit Ulrik à lui mentir. Toutefois, elle n’avait jamais observé chez lui de telles manifestations de malveillance. Blesser quelqu’un par dépit n’était pas dans son caractère. Proférer des mensonges non plus. À bien y penser, elle n’avait jamais vu aucun Íbúa mentir. Face à une discussion compliquée, la plupart d’entre eux préféraient dire clairement qu’il ne répondrait pas. Comme Einar ou Toumet l’avait fait avec elle.

Lorsqu’elle remémora la réaction de son entourage face à ses questions, elle comprit que ce qu’Ulrik avait dit était vrai. L’ampleur de la vérité la frappa comme un coup de poing en plein ventre. Le souffle lui manqua et elle dut s’asseoir. 

Elle avait assez entendu parler de la Bête quand elle vivait encore au palais. Mais pas seulement. Fryktebjorn faisait partie intégrante du folklore íbúan. À la fois révéré et craint, il était le protecteur du peuple, mais il n’était pas un animal de compagnie pour autant.

Depuis des générations, les contes de la créature mi-homme, mi-bête étaient racontés autour du feu. Ils servaient de leçon aux adultes comme aux enfants. Fryktebjorn tuait le bétail du mari infidèle et enlevait les gamins assez idiots pour faire du mal volontairement. Mais la créature protégeait son peuple, massacrant les clans hostiles à lui tout seul ou ramenant les bambins égarés. Mais gare à qui osait s’approcher de son territoire, ennemi comme allié.

Ishta n’aurait pas cru à plus qu’un mythe si elle n’avait pas vu le regard terrorisé des soldats de l’Empire lorsqu’ils en parlaient. Les Íbúa eux-mêmes ne doutaient pas de son existence. Cruelle, sauvage et sanguinaire. Sur ces points-là, tout le monde s’entendait. Voilà à quoi elle allait être mariée.  

La douleur de la trahison se mêla à son angoisse. Elle croyait avoir enfin trouvé sa place. Enfin, trouver un endroit où elle pourrait vivre sans la crainte d’être battue et laissée pour morte. Elle pensait avoir été accueillie par ce nouveau peuple qu’elle admirait. Mais en vrai, ils ne voyaient rien de plus en elle qu’un sacrifice. Seule la pitié les poussait à être chaleureux et aimables.

La colère monta et elle ravala ses larmes. Elle ne leur donnerait certainement pas la satisfaction de pleurer. Elle se leva et traversa le village aussi vite qu’elle le put, persuadée que tout le monde savait, que tout le monde la regardait avec pitié après son passage. Une fois arrivée au Hovedhuren, sa colère s’était transformée en rage. La grande salle était presque vide, sans se préoccuper de qui était là, elle se dirigea d’un pas ferme et décidé vers Toumet, attablée devant son repas. 

« Fryktebjorn ? » cria-t-elle à travers la pièce. 

Aussitôt, le regard de Toumet devint grave. 

« Qui te l’a dit ? » demanda-t-elle calmement. 

Qu’est-ce que ça changeait ? Peu importe qui le lui avait annoncé. 

« Ulrik ! »

C’est sa rage qui avait crié, elle se rendait seulement compte à quel point elle en voulait au guerrier. Pourquoi ne lui en avait-il jamais parlé ? Pourquoi personne ne lui avait jamais rien dit ? 

Toumet ne pouvait être plus surprise. 

« U… Ulrik ? bredouilla-t-elle. Mais qu’est-ce qu’il t’a dit d’autre ? »

Qu’est-ce qu’il y avait d’autre à dire ? Rien. Il était parti. Il l’avait abandonnée avec sa colère, comme Ning l’avait fait auparavant. 

« Tu savoir depuis toujours ! Pourquoi tu rien dire à moi ? » hurla-t-elle, sa voix échappant à tout contrôle, brûlant sa gorge. 

 Toumet resta muette, une expression peinée sur le visage. Ishta la haïssait dans l’instant. Autant qu’elle s’était attachée à elle au cours des dernières semaines. Elle n’avait même pas la décence de montrer toute la pitié qu’elle avait pour Ishta.

« Je être quoi d’autre que sacrifice pour vous ? Comment toi tu souris à moi, tu ris avec moi ? Mais tu sais et tu rien dire ! »

Toumet se leva et fit quelques pas vers elle, mais Ishta recula d’autant.

« Non ! hurla-t-elle alors que les larmes coulaient enfin sur ses joues. Tu pas venir ! Tu vas loin !

— Ishta, dit doucement Toumet. Tout va bien se passer, crois-moi…

— Croire toi ? Tu cacher la vérité à moi ! Tout va pas bien ! Que tu faire si Fryktebjorn me bat ? Si lui me tue ? Si lui veut manger moi pour la noce ? Toi tu vas sauver moi ? »

Est-ce que Toumet venait de retenir un rire ? Une terrible douleur lui déchirait le cœur et Toumet lui riait au visage. Ishta pensait avoir fait le tour de la trahison avec Ning et son père, mais les Íbúa venaient d’atteindre de nouveaux sommets. Sa rage avait pris une telle ampleur qu’elle n’arrivait plus à s’exprimer dans cette langue qu’elle ne maîtrisait pas. Un cri sauvage naquit de sa frustration et brûla sa gorge. Elle agrippa la première chose que sa main put trouver et la jeta à travers la pièce. La chaise rata de justesse la soupière remplie au-dessus du feu et deux hommes durent se lever de leur place en catastrophe. Elle n’en avait que faire. Elle voulait qu’ils souffrent, tous, autant qu’elle souffrait, elle. 

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Finn venait d’entrer, il avait visiblement couru et paraissait inquiet. 

« Ulrik le lui a dit », répondit simplement Toumet. 

Le guerrier avait déjà traversé la pièce, attirant Ishta entre ses bras et la serrant fort, comme elle l’avait vu faire pour réconforter ses filles. Elle se débattit d’abord, mais elle en avait assez de batailler contre le monde entier et finit par s’effondrer dans son étreinte. La force du guerrier lui apportait un soulagement étrange, comme s’il était capable par ce simple geste de ressouder tous les petits bouts d’elle qui s’étaient brisés. Il commença à lui murmurer quelque chose à l’oreille, mais elle ne comprit pas. Il parlait trop vite, trop bas et elle se fichait bien de ce qu’il disait. Sa voix, sa respiration, son calme. Petit à petit, elle sentit sa rage s’apaiser et il ne resta plus que la douleur et la tristesse. 

Finn s’adressait toujours à elle, doucement, alors qu’elle pleurait une nouvelle fois toutes les larmes de son corps. Les Íbúa lui avaient montré ce que c’était d’exister, de vivre sans crainte. De vivre, tout simplement. Ils lui avaient appris le vrai sens du mot « respect » et lui avaient montré qu’elle était digne d’en recevoir. Elle pensait avoir leur acceptation et leur affection. Mais ce n’était qu’une illusion. En un instant, ils lui avaient tout retiré. 

Comment avait-elle pu se faire avoir une seconde fois ? Visiblement, l’histoire avec Ning ne lui avait pas suffi. Elle n’avait rien appris. Elle voyait l’amour partout autour d’elle, mais elle-même n’y aurait jamais droit. Les enfants íbúan étaient adorés et chéris, les femmes íbúan étaient respectées et aimées de leurs maris, les mères Íbúa étaient soutenues et aidée. De son côté, elle avait souffert toute sa vie, elle avait été abusée toute sa vie. Et maintenant qu’elle croyait s’en sortir, ce n’était qu’une illusion de plus. Elle était fatiguée de se battre. Que Fryktebjorn la tue et qu’elle en finisse. 

« Maintenant, tu n’y crois pas, mais les choses iront mieux, Sjel. »

Les paroles de Finn rallumèrent instantanément la rage d’Ishta. Comment osait-il ? Elle le repoussa violemment.

« Toi m’appelle pas Sjel ! Jamais ! Ni toi, ni Ulrik ! Si je famille de vous, pourquoi vous offrir moi à un monstre ? »

La fin de la phrase n’était qu’un murmure empli de douleur. Elle n’avait plus la force de crier. Elle ne voulait plus voir Toumet et son visage plein de peine. Elle ne voulait plus voir Finn et sa colère. Comment osait-il être en colère contre elle ? Alors elle sortit de la salle et retourna dans le seul endroit où elle ne voyait personne, sa chambre. 

Elle passa les jours suivants enfermée dans sa petite pièce.

On la laissa d’abord tranquille. Elle allait de la colère au découragement, du désespoir à la rage. Suppliant puis maudissant qui voulait bien l’entendre, mais surtout Ulrik et Toumet. Puis, au milieu de la nuit, elle finit par se coucher, vidée d’avoir trop crié.

Le lendemain matin, Toumet vint frapper doucement à sa porte, mais elle ne répondit pas. 

« Tu dois manger et boire Ishta, je comprends que tu sois en colère et tu n’es pas obligée de parler avec moi si tu ne veux pas… Mais… »

Visiblement, elle était à court de mots. Sa supplique ne rencontrant que le silence, elle partit. Plusieurs personnes vinrent taper à sa porte à tour de rôle. S’assurant qu’elle n’avait pas faim ou besoin de quelque chose, recevant la même absence de réponse. Cependant, personne n’entrait sans son autorisation. 

Si seulement ils pouvaient la laisser tranquille, qu’elle puisse arrêter de réfléchir l’espace d’un instant. Inutile de s’acharner à lui apporter des repas, elle n’avait pas besoin de nourriture pour pleurer. 

Mais même ses yeux s’étaient vidés, comme son âme. Elle n’était plus qu’une coquille déserte de toute envie. C’était encore la meilleure manière de vivre. On ne peut rien retirer à celui qui ne désire rien. 

La pénombre était tombée dans sa chambre depuis plusieurs heures déjà quand des coups à la porte se firent entendre à nouveau. 

« C’est Finn, j’ai besoin de savoir que tu vas bien. J’entre. »

Et la porte s’ouvrit lentement. Prise de panique, Ishta se recroquevilla en boule contre la tête de lit. Ils en avaient enfin eu assez de ses caprices et Finn était là pour le lui expliquer. 

Mais l’homme venait avec un plateau contenant une chope, une assiette pleine de ragoût et un morceau de pain. L’odeur qui envahit la chambre fit grogner l’estomac d’Ishta. Sans rien dire, il déposa le tout au pied du lit, ouvrit une fenêtre et tira une chaise à côté. 

« Je partirai quand tu auras mangé. Si ça doit prendre la nuit, je serai là demain matin. Mais les petites m’attendent à la maison donc j’aimerais mieux que ça ne dure pas autant. »

Il s’installa confortablement et patienta. 

Autrement dit, elle n’aurait pas la paix tant que l’assiette n’était pas vide. Elle entreprit d’engouffrer son contenu le plus vite possible, répondant à la fois aux cris de son estomac et à son besoin de tranquillité. Elle avala l’eau de la chope d’un traite et se recoucha dans son lit, la couverture au-dessus de la tête pour couper court à toute tentative de discussion. Mais Finn ne dit rien, il ferma la fenêtre, ramassa le plateau et sortit. 

Le lendemain midi, ce fut Asvard, puis au soir Olvir. Le jour d’après Sigvald s’occupa des deux repas. Et ainsi de suite, les six guerriers se relayant repas après repas. Ils ne disaient pas un mot. Se contentant d’ouvrir la fenêtre et d’attendre qu’elle ait mangé. Pas de colère ou de remontrance. Pas de regard mauvais ou de grognement. Dans les bons moments, elle s’imaginait qu’ils tenaient à elle et ne voulait pas la voir mourir de faim. Dans les périodes plus sombres, elle se disait qu’ils devaient la garder en vie pour le sacrifice à Fryktebjorn. 

C’est dans un de ces passages dépressifs que Toumet prit son tour. 

« Toi viens nourrir l’agneau du sacrifice ? »

Ishta avait mis tout son dégoût dans sa voix. Mais voir l’expression peinée de Toumet ne lui apporta ni réconfort ni sentiment d’accomplissement. Elle ne la revit plus après ça.

Ishta s’était endormie peu après le repas de midi, elle ne faisait plus grand-chose d’autre, à part manger. Les derniers jours se confondaient tous et elle ne savait pas depuis combien de temps elle s’était enfermée, ni même le nombre de repas qui lui avait été apporté. L’esprit encore dans les limbes du sommeil, il lui fallut un moment pour identifier ce qui l’avait réveillé. 

Deux personnes se disputaient à voix basse dans le couloir. 

« Sjel, tu dois le lui dire ! »

Toumet. 

« On ne sait toujours pas si elle est capable ou non de communiquer avec son père ! »

Leif. Comme si elle possédait le moindre moyen de communication. Elle n’allait pas se mettre à faire des signaux de fumées. Elle n’avait pas caché un pigeon voyageur sous ses jupes de voiles ou construit un bûcher en haut d’une montagne, discrètement, en chausson de soie.

Plusieurs bruits de bottes se firent entendre, trois personnes au minimum se dirigeaient d’un pas pressant dans le couloir. Presque aussitôt suivi par une remontrance sévère à voix basse.

« Elle dort, laissez la tranquille ! Leif, tu crois pas que t’en as fait assez ? »

Finn ? Elle ne l’avait jamais entendu se mettre en colère.

« Sjel, si la Dod Varmt possédait encore la moindre magie digne de ce nom, la guerre aurait eu une tout autre allure tu ne crois pas ? »

Au moins, Toumet savait utiliser sa tête. 

« Le Storkan n’est pas encore passé, c’est trop tôt, on peut pas prendre de risque », répondit son mari.

Ishta ne voyait pas en quoi le Storkan avait un quelconque rapport avec la situation. Et quand bien même elle serait en communication avec son père, avant ou après le storkan ne faisait pas vraiment une grande différence.

Malgré elle, sa tête reprit le dessus et son cerveau se mit à fourmiller, cherchant des réponses. 

« J’en ai rien à foutre de ta paranoïa de merde ! Laisse-la vivre ! s’emporta Askel. Si t’as pas encore reçu mon poing dans la gueule, c’est uniquement grâce à l’affection qu’Ulrik te porte pour les dieux seuls savent quelle raison ! »

D’un tempérament d’ordinaire calme, sa voix était pourtant déformée par la rage. 

« Tu as de la chance qu’elle vienne de la Dod Varmt, une femme íbúan t’aurait déjà ouvert les entrailles à coups de couteau pour moins que ça ! »

Asvard. Étaient-ils en train de la défendre ? 

Elle était bien d’accord avec lui, elle aurait dû planter un couteau dans le ventre de tous ces abrutis. Mais les deux frères et Finn s’étaient déplacés jusqu’à sa chambre, dans le fond d’un couloir inusité, pour la défendre face à Leif. Ishta ne comprenait pas. Et elle en avait plus qu’assez d’être tenue à l’écart. Plus qu’assez, que tous décident à sa place. Tant pis, si elle passait pour naïve de croire qu’ils avaient de l’affection pour elle. Au moins, elle serait fixée.

Elle se leva du lit et ouvrit la porte. Leif et Toumet se tenaient face à Finn, Asvard et Askel. Et tous la regardèrent, surpris.

« Pourquoi tu fâches contre moi quand je pleurer ? » demanda-t-elle à Finn.

Devant son incompréhension évidente, elle précisa.

« Dans la grande salle, quand je crier sur Toumet. »

« Je… J’étais pas fâché contre toi. J’étais fâché contre Leif à cause de sa paranoïa et contre Ulrik qui se comporte comme un lâche pour la première fois de sa vie ! »

Ishta avait du mal à imaginer Ulrik avoir assez peur de quoique ce soit que pour devenir un lâche.

« Si je bien comprendre, reprit-elle, vous défendre moi ? » 

« O… oui. »

Le guerrier parut perplexe, comme si la question ne se posait pas. 

« Et quand vous donner nourriture à moi, c’est parce que vous inquiet pour moi ? »

Les deux frères se regardèrent, confus.

« Oui, répondirent-ils en cœur.

— Mais alors, pourquoi vous donner moi à Fryktebjorn ? »

Sa voix se cassa sous l’émotion et ses yeux se remplirent de larmes. 

Finn s’agenouilla devant elle. Il était tellement grand qu’il arrivait tout de même à hauteur de ses yeux. Et il sortit un couteau de sa ceinture qu’il plaça dans la main d’Ishta. Il en appuya la pointe contre son propre cœur et chercha le regard de la jeune femme. 

« Tu fais partie de la famille maintenant, Sjel. Fryktebjorn ne touchera pas un cheveu de ta tête, j’en fais la promesse. S’il venait à me faire mentir, alors tu pourras planter cette dague dans mon cœur et personne ne t’en empêchera. Tu comprends ? »

Au cours des dernières semaines, elle avait appris beaucoup de choses sur les Íbúa, la première d’entre elles étant qu’ils ne mentent pas. Finn lui avait clairement dit que la Bête ne lui ferait pas de mal, bien qu’elle ne sût comment il pouvait en être si sûr. Et elle ne pouvait continuer à batailler seule. Ces hommes tenaient visiblement à elle, il lui faudrait apprendre à leur faire confiance. De plus, Finn venait de le lui promettre sur sa vie. Elle retira le couteau de la poitrine du guerrier et voulut le lui rendre, mais il le repoussa.

« C’est le souvenir de mon serment envers toi aujourd’hui. Il est à toi. »

Elle accepta le présent et se tourna vers Leif.

« Tu devoir explications à moi. Quand je enfin voir ta tête sans vouloir la taper, toi et moi devra discuter. »

Son cœur battait la chamade. Jamais elle n’avait osé parler de cette façon à un homme. Encore moins à un homme de son statut. Mais si elle voulait être traitée comme une Íbúa, elle devait se comporter comme telle. La raison pour laquelle Finn tenait Leif pour responsable lui échappait encore, mais elle avait décidé de faire confiance au guerrier. Elle retint son souffle, ne sachant trop comment Leif allait réagir. Mais celui-ci sourit d’un air contrit et acquiesça. Comme il ne faisait toujours pas mine de bouger, Askel fit quelques pas en sa direction, la main à la ceinture posée sur son épée, le regard dur. Leif fit signe qu’il avait compris et s’éloigna vers la salle commune. 

Toumet voulut prendre la parole, mais Ishta la fit taire d’un geste de la main. 

« Je pas encore savoir quoi penser de toi. Je comprendre que tu pas pouvoir décider de dire à moi. Mais de toi ça faire encore plus mal. Donne à moi le temps. »

Les larmes aux yeux, Toumet acquiesça et partit à la suite de Leif. 

Ishta poussa un soupir de soulagement profond et s’appuya contre le mur. Sous le regard étonné des trois hommes, elle expliqua :

« Femme chez moi pas avoir le droit de parler. Alors, parler comme je faire maintenant… » 

Elle laissa échapper un rire nerveux.

« Tu as l’air toute fragile, Sjel, mais il faut vraiment pas se fier aux apparences ! »

Asvard venait-il de la complimenter ? Son sourire en coin et le regard admiratif qu’il lui lançait allaient dans ce sens. Pour la première fois de sa vie, Ishta était fière d’elle-même.

« Avant de voir Leif, on venait te chercher, lui dit Finn. Ce soir c’est la présentation des enfants. »

Si la cérémonie était aujourd’hui, alors elle avait passé une semaine à se morfondre. 

« On ne voudrait pas que tu manques ça. Tu veux venir te préparer à la maison ? Holga sera heureuse de te revoir, les filles aussi. »

Ishta n’avait rencontré la femme de Finn qu’une seule fois. Souriante et chaleureuse, elle avait discuté de bon cœur avec Ishta. Elle ne réfléchit pas longtemps.

« Oui, avec plaisir ! »

Elle se réjouissait de passer la soirée en leur compagnie, mais une partie d’elle se sentait mal à l’aise. Encore une fois, les six guerriers n’avaient été que prévenants avec elle et elle avait pensé le pire d’eux. 

Toute sa vie n’avait été remplie que d’ennemis et de trahison, la méfiance faisait partie intégrante de son quotidien. Ishta ne voulait plus vivre de cette façon. Elle admirait et enviait les relations des Íbúa, mais, au moindre problème, elle se comportait comme une femme de l’Empire. Toute forme de colère la terrifiait et, pourtant, c’était sa première réaction face à l’adversité. Sans même chercher à comprendre la vérité, les pires hypothèses s’étaient imposées à son esprit paniqué et avaient transformé ses alliés en ennemis.

Une fois encore, elle s’était retrouvée seule face au reste du monde. Mais une fois encore, depuis son départ du Saam’Raji, elle était seule responsable de cette solitude.

Ses seize années de vie jusqu’à aujourd’hui devaient être mises de côté. Elle devait apprendre à faire confiance et à communiquer. S’enfermer dans sa chambre et faire la morte pendant une semaine n’était pas une attitude constructive. 

Pour commencer, des excuses en bonne et due forme auprès de ceux qui avaient pris soin d’elle s’imposaient. Pour la deuxième et la dernière fois, espérait-elle.

Quant à Ulrik… Elle verrait bien au soir s’il lui venait l’envie de le taper ou de lui pardonner.

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