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Hiurda
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18 - Peur

Un gigantesque bûcher avait été installé sur la plage, à proximité du port. Les Íbúa s’étaient rassemblés en demi-cercle face à la mer et discutaient joyeusement. En attendant avec Askel et Asvard, Ishta observait les enfants et leurs parents se regrouper au centre. Elle repéra Finn, sa femme et leurs deux filles, dont les cheveux étaient habilement tressés et ornés de perles et de grelots.

Les Íbúa avaient sorti leurs beaux habits et Ishta avait été prise en main par Holga qui l’aida à choisir ce qu’elle avait de plus approprié. Elle en avait profité pour montrer à Holga comment les femmes du Saam’Raji se servaient du khôl pour décorer leurs yeux.

Si, au début, la poudre noire n’était qu’un outil de protection, les femmes de l’Empire en avaient fait un indispensable de leur boîte à maquillage. Aussi, Ishta utilisa la pâte graisseuse dont Ulrik lui avait badigeonné les paupières le jour de son arrivée. Elle l’avait manipulée à plusieurs reprises depuis, principalement quand elle devait travailler longtemps au bord de l’eau.

Il lui fallut quelques essais pour réussir à faire un tracé correct à l’aide d’un os taillé par Finn, mais elle finit par reproduire les arabesques caractéristiques des maquillages cérémoniels. Le résultat sur Holga était superbe. Le dessin noir fit ressortir le vert de ses yeux et contrastait magnifiquement bien avec la pâleur de sa peau et de sa chevelure. Le motif s’étalait sur les tempes, remontant légèrement sur le front, entourait ses yeux et se finissait en pointe le long du nez.

Elle avait d’abord eu peur que ce ne soit trop original et ne dénote avec les coutumes íbúan, mais Holga lui assura que non et la réaction de Finn quand il découvrit le maquillage de sa femme finit de la rassurer. Holga fit sensation en arrivant au rassemblement et plusieurs de ses amies demandèrent à Ishta de leur montrer comment faire.

Un murmure excité de la foule la ramena au présent. Un brouillard lourd recouvrit les eaux du fjord à une allure irréelle, Askel lui désigna un point bleu flottant à la surface. La lumière de la pleine lune inondait la scène d’une aura mystique, mais ne réussissait pas à percer la brume épaisse. Il fallut un petit moment pour s’apercevoir que la lueur étrange bougeait dans leur direction, et encore plus longtemps pour comprendre qu’elle émanait d’un homme se tenant debout sur une barque.

Le silence tomba tout autour d’elle et Ishta sentit l’atmosphère devenir grave et solennelle. La brume envahit petit à petit le paysage autour des Íbúa, formant un cercle parfait, les isolant ainsi du reste du monde. Ishta ne comprenait pas comment un tel phénomène pouvait arriver. Quelques instants plus tard, le fond de l’embarcation racla contre la grève.

L’homme traversa l’eau basse à pied, noyé dans le brouillard, et devint plus net au fur et à mesure qu’il se rapprochait de la foule. Ishta reconnut enfin Ulrik, en habit cérémonial et couvert d’une cape faite de la peau d’un ours. Il était coiffé de la tête de la bête, ses pattes aux griffes immenses posées sur ses épaules. Il avait à la main un bâton de bois sculpté plus grand que lui, surmonté d’un corbeau. C’était des yeux d’Ulrik qu’émanait l » étrange lueur aperçue sur le lac.

La prestance du guerrier lui coupa le souffle. Non, la prestance du chaman, se corrigea-t-elle. S’il était impressionnant en temps normal, l’aura de force et de puissance qu’il dégageait dans l’instant la laissa pantoise. Il se plaça face aux enfants et commença à taper de son bâton sur le sol dans un rythme lent et régulier. Le bruit qui en résultait faisait trembler la terre et résonnait jusque dans la poitrine de la jeune femme.

Tout autour, les Íbúa se mirent à frapper en cadence les deux rondins de bois creux qu’il leur avait été distribué plus tôt. Ishta en avait presque oublié les siens qu’elle sortit de sa poche. 

Alors, le feu du bûcher pulsa en cœur avec le chant du bois, jaillissant plus férocement à chaque martèlement pour se calmer entre. Le brouillard autour d’eux se mit en mouvement, ondoyant sur lui-même et tourbillonnant, comme agité par un vent inexistant, mais il ne se rapprochait jamais du centre. Puis, doucement, les oscillations devinrent plus régulières, se calquant sur le rythme battu par Ulrik, mais ne se synchronisant jamais tout à fait, car le chaman frappait un rien plus lentement.

Ishta n’en était pas moins impressionnée par la majesté du moment. Tous les Íbúa tapaient à l’unisson avec la nature qui les entourait. Les lumières des flammes se mêlaient à la lueur de la lune, baignant la scène dans une atmosphère étrange et surréelle.

Ulrik se mit à chanter, d’une voix grave, lente et profonde. Ishta n’en comprenait pas les paroles, mais à l’instant où les Íbúa se joignirent à lui, des filets de brume s’insinuèrent dans le cercle d’être humain, roulant sur eux-mêmes au ras du sol, passant entre les pieds de la foule et convergeant vers le chaman au rythme des pulsations de la mélodie. Arrivés au centre, ils s’emmêlèrent et s’agglutinèrent, devenant plusieurs masses mouvantes cherchant à prendre forme.

Leur rythme était toujours légèrement plus rapide que celui des Íbúa, se rapprochant un peu plus de leur apparence finale à chaque convulsion, mais ne parvenant jamais tout à fait à se maintenir. Et quand la cadence de la musique coïncidait avec les contractions de la nature environnante, le brouillard se solidifiait l’espace d’un instant.

Petit à petit, les figures devenaient des silhouettes presque humaines. Les lumières du feu leur donnaient couleur et consistance, mais tout disparaissait à l’instant ou l’ombre revenait, rendant alors à la forme son aspect initial, un brouillard épais et opaque.

Bientôt, de chaque côté d’Ulrik se tenait un petit groupe de gens qui semblait attendre patiemment que les derniers d’entre eux se stabilisent. Parfois, la brume faisait surface et perçait le costume que leur créait la lueur des flammes, rappelant à Ishta qu’ils n’étaient qu’illusion. Quand plus rien ne bougea autour de lui, Ulrik se tut et cessa de frapper son bâton au sol. Le brouillard qui les encerclait se dissipa en un instant et le silence qui tomba sur la grève éclairée de Lune était assourdissant.

Les jambes d’Ishta fourmillaient du fantôme des vibrations intenses de la musique et un vide grandit dans sa poitrine là où chaque pulsation résonnait quelques secondes auparavant. Ulrik sourit et appela un enfant qui s’avança timidement. Le chaman prit une offrande dans le sac de cuir et la jeta dans le feu. Dans un rugissement terrible, le bûcher grossit puis se calma.

Un homme de brume s’approcha d’Ulrik et fusionna avec lui. Tout s’était passé en un instant et la seule indication que l’entité n’ait jamais existé était les quelques volutes de fumée s’échappant parfois du chaman. Il s’agenouilla devant le garçon, plaça un doigt entre ses deux yeux qui se mirent à briller de la même lueur bleutée que ceux d’Ulrik.

Le petit rit et partit en courant pour rejoindre sa maman. Il lui glissa quelques mots à l’oreille, un sourire épanoui s’étala sur le visage de la femme alors que quelques larmes coulaient sur ses joues.

« Les morts parlent aux enfants, lui murmura Askel. Harvald était son mari, il vient de rencontrer son fils pour la première fois. »

Ulrik avait appelé l’enfant suivant, une fillette de cinq ans tout au plus qui entra en contact avec sa grand-mère.

Ishta avait du mal à croire ce qu’elle observait. Elle avait déjà vu des démonstrations de magie au Saam’Raji, bien sûr. Principalement de la part des Grands Saints, mais rien d’autant spectaculaire. Quelques-uns jonglaient avec les flammes, baissaient ou allumaient les lanternes à distance ou sortaient des volées de papillons de leurs capes, alors que la plupart prétendaient parler avec les Dieux. Mais Ishta n’avait jamais eu de preuve aussi flagrante de leur pouvoir. Les récits anciens ne manquaient pas cependant, racontant les exploits de leurs prédécesseurs, allant de la communication avec les morts jusqu’à l’invocation de boules de feu géantes. Des histoires devenues des légendes rappelées au peuple par les Grands Saints pour le garder sous contrôle.

Mais ici, la nature autour d’elle avait répondu à l’invitation d’Ulrik, la terre avait tremblé, les brumes s’étaient déplacées et le bûcher avait respiré en rythme avec le chaman et les Íbúa. Elle ne pouvait pas non plus réfuter le simple fait que les ancêtres des Íbúa se tenaient là devant elle. Des hommes et femmes morts depuis plusieurs dizaines d’années pour certains.

Une fois encore, Ulrik plaça son doigt entre les deux yeux d’un enfant, ils s’illuminèrent quelques instants et le petit couru dans les bras de ses parents pour rapporter les paroles de ce proche qu’il n’avait même jamais put rencontrer. La brume absorbée par Ulrik tomba de lui comme de la cendre et s’évapora à quelques centimètres du sol. Et il recommença, piocha une nouvelle offrande dans sa sacoche de cuir et appela le bambin qui l’avait fait. Pas une fois, il ne se trompa.

Enfin, en dernier, vint le tour des filles de Finn. La grande tenant la petite par la main, elles s’approchèrent d’Ulrik. Deux femmes de brumes attendaient encore à côté du chaman, mais, à la surprise d’Ishta, une seule d’entre elles s’avança pour transmettre son message. L’autre se contenta de regarder la foule d’un air triste. Il n’y avait plus d’enfants à appeler.

Ishta l’observa plus attentivement et comprit.

« Pourquoi la maman de Toumet pas venir pour parler ? demanda-t-elle à Askel qui ne cacha pas son étonnement.

— Pourquoi tu crois que c’est la mère de Toumet ?

— Elle ressemble beaucoup. Pareil les yeux, pareil le sourire. »

Le guerrier échangea un regard inquiet avec son frère.

« Sjel, c’est peut-être mieux que Leif ne sache pas que tu as reconnu sa belle-mère », dit Asvard.

Ishta ne comptait de toute façon pas parler à Leif de sitôt. Aussi, mit-elle la remarque d’Asvard de côté.

Alors que Finn retrouvait ses filles, la mère de Toumet sourit doucement et s’évapora. La fin du rituel déclencha des cris de joie chez les Íbúa, leurs rires et hurlements résonnèrent à travers la plaine et sur les montagnes. Des musiciens s’installèrent à quelques mètres du brasier et un groupe d’hommes descendirent plusieurs tables sur la grève qu’ils couvrirent bien vite de victuailles. Les enfants couraient partout en gloussant, les yeux de ceux ayant participé à la cérémonie luisaient encore d’un reflet bleu étrange.

Comparé aux jours précédents, le temps était étonnamment clément et, plus les instruments chantaient, plus l’air semblait doux. Ishta n’avait jamais vu autant de gens danser ensemble, et certainement pas de cette façon-là. De toute évidence, certains pas étaient connus de tous puisqu’ils revenaient fréquemment, mais dans l’ensemble chacun bougeait comme il l’entendait, parfois à deux, parfois seul, souvent à trois ou quatre.

Dans l’Empire, les danses n’étaient pas répandues au sein de la noblesse. Une telle indécence étant réservée au bas peuple. Le peu pratiqué dans le palais était l’apanage des hommes et toujours des chorégraphies très précises, empli de dignité et de retenue. Les Íbúa montraient de nouveau un rejet flagrant de la civilisation, et pourtant, encore une fois, Ishta préférait de loin leur barbarie.

Perdue dans sa contemplation des danseurs, elle ne s’était pas aperçue de l’arrivée d’Ulrik.

« Visiblement, un ventre va s’arrondir, dit-il aux deux frères. Je me demande qui est enceinte.

— Toumet, » répondirent-ils à l’unisson.

Devant le regard sceptique d’Ulrik, Askel fit un signe de tête vers la jeune femme.

« Ishta a reconnu sa mère. »

Asvard avait baissé la voix et s’était penché vers Ulrik, prenant soin que personne d’autre n’entende. La contrariété s’empara du visage du chaman alors qu’il se tournait vers elle. Ishta ne comprenait pas, elle avait seulement vu la vieille femme, elle n’était pas responsable de sa présence. Encore une fois, pour une raison qui la dépassait, il semblait irrité. Son cœur se serra, l’idée qu’il ne soit pas en colère contre elle se fit une petite place dans son esprit, mais son insécurité ne voyait aucune autre explication logique à son agacement.

Il allait parler, mais Askel le coupa.

« On l’a déjà prévenue. »

Qu’elle ne le mentionne pas à Leif n’avait donc rien d’anodin. Ulrik allait devoir s’expliquer où elle irait voir Leif elle-même pour avoir ses réponses. Comme souvent, la conversation tournait nettement autour d’elle, mais personne ne daignait lui dire les choses clairement. Sa colère refit surface.

« On en parlera plus tard, c’est pas vraiment le bon endroit, dit Ulrik sèchement.

— Non ! Ishta aussi pouvait prendre un ton cassant. Nous parler maintenant ! Je marre tout le monde sait tout, mais personne explique à moi. »

La contrariété d’Ulrik augmenta visiblement quand il répondit.

« Sjel, je…

— Ne, appelle pas, moi, Sjel ! »

Elle appuya chaque mot d’un geste de doigt rageur.

« Si tu traites famille de toi comme ça, je pas vouloir être Sjel ! »

Une émotion qu’Ishta ne comprenait pas traversa le visage du chaman. Un mélange de tristesse et de colère. Il retira son casque en crâne d’ours et baissa la tête, résigné.

« D’accord, laisse-moi te montrer quelque chose avant, tu veux bien ? »

Ils se trouvaient à l’orée du village, sur le chemin menant à la forêt. Le trajet au milieu des rues désertes s’était fait dans le silence tandis qu’Ulrik aidait Ishta à marcher dans l’obscurité. Elle ne comprenait pas où il l’emmenait. Les idées les plus folles lui avaient traversé l’esprit. Elle les avait toutes mises de côté les unes après les autres. Si Ulrik lui avait voulu du mal, il aurait eu mille occasions de parvenir à ses fins. De plus, il ne serait pas aussi prévenant qu’il l’était maintenant, à la soutenir pour l’empêcher de glisser sur le bois humide, à la soulever doucement pour passer les tas de neige qui entravait leur chemin ou encore à lui montrer des obstacles que le noir de la nuit lui avait cachés.

Enfin, l’homme s’était arrêté devant une petite maison à l’écart des autres, dernière avant la fin du village. Quelques clôtures délimitaient un terrain étroit où se trouvaient un puits et une cabane à poule inoccupée. Il ouvrit la barrière et escorta Ishta jusqu’à la porte qu’il poussa d’une main, lui faisant signe d’entrer. Ce devait être chez lui.

Il faisait trop sombre à l’intérieur pour voir grand-chose, mais Ulrik entreprit d’allumer un feu dans la fosse au centre de la pièce. Bien vite, la chaleur se répandit et la lumière repoussa les ombres.

La maison se présentait comme la plupart des habitations íbúan. Une grande salle principale avec un plancher, un foyer en son milieu et de petites fenêtres. Une table avec quelques chaises et des fauteuils de bois couvert de peau étaient installés autour de la fosse. Mais contrairement à la plupart d’entre elles, le lit n’était pas derrière une cloison. Il n’y en avait tout simplement pas. Elle était aussi incroyablement vide. À part le mobilier et les accessoires de cuisine et de ménage de base, il n’y avait rien.

Ulrik l’aida à retirer sa cape et ses gants. Ishta ne savait trop quoi dire, elle contemplait la pièce et ne comprenait toujours pas ce qu’ils faisaient là. Il n’habitait visiblement pas dans cette maison. Tout semblait intact, aucune trace de l’usure habituelle d’un lieu de vie. À bien y regarder, tout était neuf, même l’air était empli de l’odeur du bois franchement coupé.

« J’aurais préféré t’emmener ici avec le soleil encore dans le ciel, dit-il, embarrassé. Mais il nous fallait un endroit tranquille pour discuter, alors… Bienvenue chez toi. »

Ishta n’était pas sûre de comprendre ce qu’il voulait dire.

« Pardon ? demanda-t-elle, abasourdie.

— Tu ne peux pas habiter au Hovedhuren indéfiniment. On a mis plus de temps que prévu pour la finir. Mais on y est arrivé avant le Storkan. »

Elle doutait fortement que le chaman lui ait offert une maison par pure bonté, elle devrait payer, elle ne connaissait seulement pas encore le prix. Voyant qu’Ishta ne réagissait pas, il ajouta d’un air gêné.

« Tu peux amener tes affaires dès demain si tu veux… Ou pas. Aucune obligation… »

Et il avait raison, elle ne pouvait rester au Hovedhuren toute sa vie. Un jour, elle devrait cohabiter avec son mari. Alors le placement de l’habitation prit sens. Sur la route menant à la forêt… Fryktebjorn n’allait sûrement pas vivre en intérieur. Elle n’aurait peut-être pas à payer pour cette maison, son futur époux l’avait déjà fait.

Ulrik devint de plus en plus mal à l’aise devant son silence. Soudain, comme s’il venait de se souvenir d’un détail, il ouvrit une porte qu’Ishta n’avait pas remarquée. De l’autre côté se trouvaient un lit, un tapis de peau, un coffre immense et une petite table avec une chaise. Il n’était pas habituel pour les habitations íbúan d’avoir plusieurs pièces, encore moins avec une porte, le Hovedhuren était une exception. Cet aménagement était fait spécialement pour elle. Elle ne savait pas d’où Ulrik avait appris l’importance de cette porte pour elle, mais le geste la toucha plus que tout le reste.

« Ishta… Je sais que tu ne dois pas être ravie de moi en ce moment. »

Il lui prit la main pour la tourner face à lui.

« J’ai eu le temps d’y réfléchir alors que j’étais seul, pour préparer le møtbarn. Je regrette ce que je t’ai dit, et comment je l’ai fait. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je suis désolé. »

Jamais personne ne s’était excusé auprès d’elle. Pas même Toumet. Encore que, à bien y penser, elle ne lui en avait pas laissé l’occasion. Mais Ulrik tombait à côté du problème. Il ne pouvait pas sincèrement croire qu’elle était en colère simplement pour le ton qu’il avait employé.

« Tu peux crier, dire des mots qui font mal à moi. Je être habitué. Mais tu cacher de choses à moi que je besoin savoir. »

Sans le vouloir, sa voix devenait de plus en plus forte et elle sentit la boule peser de nouveau sur sa poitrine.

« Tu voir moi tous les jours, tu gentil avec moi tous les jours. Et moi je contente de être avec toi, je contente de parler avec toi. Tu faire croire que moi importante. Mais tu attendre quoi pour me dire ? Le jour que je me marier ? »

Encore une fois, Ulrik afficha se mélange de tristesse et de colère qu’elle n’avait jamais vue. Puis l’évidence s’imposa, c’était le regret. Dans un soupir, il s’assit sur le lit derrière lui, sans pour autant lui lâcher la main.

« Je suis désolé, répéta-t-il une seconde fois. On ne savait pas si tu pouvais communiquer avec ton père… »

Encore cette excuse stupide.

« Avec quoi ? Je pas avoir pigeon ! » s’exclama-t-elle d’un ton exaspéré.

— Par magie, Sjel… Et visiblement, on n’avait pas tellement tort de s’inquiéter… 

— Je rien connaître de magie ! Je suis pas Grand Saint ! Je suis juste femme. Femme pouvoir tout juste parler sans mourir sous battue au fouet ! Tu vu moi dans l’Empire ! Tu dire excuse que toi même pas croire ! »

Elle voulut se dégager, mais il ne la laissa pas faire, la ramenant vers lui et plantant son regard dans le sien.

« Tu as raison ! dit-il d’une voix pressante, pour couvrir ses protestations. Tu as raison… Je sais depuis longtemps que tu n’es pas en contact avec lui. Je le savais avant même qu’on quitte ce maudit palais ! »

Ishta fut surprise par la force de ses paroles qui contrastaient avec la tendresse de ses gestes.

« J’ai eu peur, Sjel. »

Il avait presque murmuré cet aveu. Elle n’eut pas le temps d’assimiler cette information qu’il continua.

« J’ai eu peur que tu ne veuilles plus me parler, que tu ne veuilles plus me voir… »

Les mots flottèrent quelques instants dans le silence qui s’installa entre eux. La compréhension des paroles d’Ulrik se faisant petit à petit dans son esprit. Il s’était inquiété de ne plus la voir, elle. Personne jusqu’ici n’avait apprécié sa compagnie au point d’avoir peur de la perdre. Elle repensa à Ning, mais il avait craint de perdre l’idée qu’il s’était faite d’elle, pas elle. Le chaman reprit tout doucement, le regard baissé, presque honteux.

« Je vis dans la peur depuis que je t’ai vu pour la première fois. D’abord dans la salle du trône de ton père où j’ai eu peur que tu me haïsses pour t’arracher à tout ce que tu connais. Puis devant ton balcon quand tu pleurais après l’homme qui s’en échappait… »

Sa voix se brisa. Quelle ironie, s’il savait la raison de ses larmes, il ne se serait pas inquiété…

« J’ai eu peur que tu n’oses jamais me parler, peur que tu meures de froid dans ces maudites montagnes… »

Sa voix s’était teintée de colère, mais dans un soupir il se reprit et continua.

« Une fois ici, tu étais avec Toumet et ses filles, j’ai eu peur que tu m’oublies… Quand tu as accepté de passer du temps avec moi… Je… j’aurais dû me battre auprès de Leif pour faire valoir tes droits. J’aurais dû le faire taire. J’aurais dû te défendre quand tu ne pouvais pas le faire. Mais j’ai eu peur de te parler, certain que tu allais me détester, ne plus vouloir me voir alors j’ai préféré écouter Leif. »

Il calma de nouveau son agitation par un soupir et reprit, plus bas encore.

« Puis j’ai eu peur que tu préfères Leif et je me suis comporté comme un abruti… Je ne sais même plus quand j’ai arrêté d’avoir peur par devoir et quand j’ai commencé à avoir peur par amour… »

Il se tut, ne laissant plus entendre que le bruit des bûches qui crépitaient dans l’âtre.

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3 Comments

1 month
Bonjour,
J’adore ton histoire ainsi que ton style d’écriture. Il me tarde la suite avec impatience ! J’imagine que tu sors un chapitre par semaine ?
Je pense savoir qui est La Bête, j’espère ne pas me tromper.
À bientôt
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1 month
merci pour ton commentaire ! 🧡
Je sors deux chapitres par semaine, le mardi et le samedi. L'histoire est déjà terminée et la publication entièrement programmée donc pas d'inquiétude de ne pas avoir la fin ! Pour la bête, je ne vais pas te spoiler ahah mais tu me diras si tu avais deviné juste ? 😋
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1 month
merci pour ton commentaire ! 🧡 Je sors deux chapi...
Je l’ai effectivement vu en passant sur le chapitre 19. Il me tarde demain.
D’où je viens, nous sommes déjà le 29 et il est bientôt 11h. Mais j’ai 9h d’avance alors je dois me montrer patiente.
Je me ferais un plaisir de te dire si j’ai bien deviné mais je pense en être certaine (je l’espère de tout cœur en tout cas).
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