Toronto, CANADA
— Pourquoi il ne me répond pas ! râle Clara en fixant son téléphone depuis cinq minutes.
— De qui tu parles ?, soufflé-je en allumant ma clope.
— De Percy ! je lui ai envoyé un message la semaine dernière et il m’a simplement lâché un « vu » sur Instagram.
Je lève les yeux au ciel.
— Ah, Percy, le roi de la communication. Il t'a honorée de son « vu », tu devrais te sentir privilégiée. C'est presque mieux qu'un message, non ?
Clara me donne un coup d’épaule et soupire.
— Ce n’est pas drôle Eliott. Je déteste qu’on me ghost ! j’aie la gueule d’une meuf qui se fait ghost ?
Je la fixe des pieds jusqu'à la tête.
— Tu veux une réponse franche ?
— Non, tais-toi.
Je laisse échapper un léger sourire avant d’apporter ma clope à mes lèvres. Clara met ses mains dans sa doudoune couleur crème.
— Sérieusement, j’ai l’impression que tu as buté un mouton pour faire cette doudoune.
Elle fronce les sourcils, presque offusqué par ma remarque.
— Hey, ne te moque pas de cette doudoune, elle m’a couté 80 dollars.
— Ouais, 80 dollars pour ressembler à une guimauve géante. Peut-être qu'avec ça, tu pourrais enfin obtenir une réponse de Percy.
Clara me lance un regard noir, mais je vois son coin de lèvres qui commence à se tendre. Elle sait que je ne suis pas totalement sérieux, mais elle fait semblant de l'ignorer.
— C'est vraiment insupportable, Eliott. Mais bon, au moins, tu me fais rire.
— Ce mec, s’il ne te répond pas, c'est qu’il n’en a rien à foutre, Clara.
Elle roule des yeux, son sourire disparait lentement, mais elle ne répond pas tout de suite. Elle sait que j'ai raison, mais elle préfère jouer à l'ignorer.
— Tu sais, Eliott, parfois t'es vraiment trop… réaliste. C'est pesant.
Je hausse un sourcil, amusé par sa tentative de me remettre en place.
— Eh bien, c'est mieux que de vivre dans un monde parallèle où Percy répondrait à tes messages avec des poèmes, non ?
— Si tu commençais à être un peu plus gentil, ça m'aiderait peut-être à ne pas péter un câble, hein ?
Je souris, me calant contre le mur.
— La gentillesse, c'est pour les gens qui croient encore aux contes de fées. Mais bon, pour toi, je peux faire un effort.
— Je te remercie pour l’effort ! déclare-t-elle avant d’ouvrir la porte du cinéma. Maintenant, si monsieur voulait bien entrer !
Une fois à l’intérieur, nous montons un escalator qui nous emmène tout droit à l’étage du cinéma.
Nous marchons jusqu'à une borne automatique où nous achetons nos places pour regarder Alien : Romulus.
— Tu veux prendre quoi à manger ?
— Du pop-corn.
— Sucrée ? enchaine Clara.
Je la fixe sans broncher, mon regard à lui seul suffit pour lui faire comprendre qu’elle n’a pas intérêt de commettre cette erreur. Elle comprend rapidement et sélectionne le pop-corn salé à la place.
Nous arrivons dans la salle et choisissons des sièges en hauteur, loin de l'écran, mais avec une vue dégagée. Clara s'installe immédiatement, sortant son téléphone pour vérifier une dernière fois ses messages.
— Tu sais, tu pourrais aussi simplement oublier Percy pendant un moment. Le monde ne va pas s'effondrer si tu arrêtes de le stalker sur Insta, je dis un peu pour changer de sujet.
Elle lève les yeux de son téléphone et me lance un regard entendu, comme si elle savait exactement ce que je pensais.
— T'es pas facile, Eliott, mais peut-être que t'as raison.
Je me renfonce dans mon siège et pose ma canne contre le fauteuil.
Quelques minutes plus tard, le film commence.
En sortant du cinéma, une lourde fatigue pèse sur mes épaules. La séance était longue, et l’air frais de la nuit m’arrache un frisson. Clara, à mes côtés, sirote distraitement sa boisson en faisant défiler l’écran de son téléphone.
— Tu sais, on pourrait se refaire ça le mois prochain, propose-t-elle avec nonchalance.
Je hausse légèrement les épaules en fouillant ma poche pour en tirer une cigarette.
— Si tu veux.
D’un geste mécanique, j’approche la clope de mes lèvres quand une voix m’interpelle.
— Eliott ?
Je fronce les sourcils et lève les yeux, pris de court. Hermès se tient à quelques mètres, les mains enfoncées dans son manteau, un léger sourire au coin des lèvres. À côté de lui, un autre garçon m’observe avec curiosité. Grand, brun, un air sûr de lui qui frôle l’arrogance, il arbore un sourire en coin en posant son regard sur Clara plus que sur moi.
— On se connaît ? je demande, le ton sec.
Le garçon me sourit et tend une main que je ne prends pas.
— Austin, un ami d’Hermès, se présente-t-il sans se démonter. Et, toi, t’es Eliott, c’est ça ?
Je ne réponds pas. À vrai dire, je n’ai pas envie de prolonger cette conversation. Clara, de son côté, semble un peu gênée, elle échange un regard rapide avec Hermès, puis reporte son attention sur son téléphone comme pour se donner une contenance.
— Vous allez bien ? demande Hermès en nous détaillant du regard.
— Ouais, je déclare, le ton volontairement détaché.
J’enfonce une main dans ma poche et lance un regard à Clara. Elle comprend le message sans que j’aie besoin de parler. Il vaut mieux éviter les mondanités inutiles.
— Bonne soirée, je lâche avant de tourner les talons.
À peine ai-je fait quelques pas qu’une douleur fulgurante me traverse la jambe. Mon genou cède sans prévenir, et je perds l’équilibre.
Mais avant que je ne touche le sol, une main ferme se plaque contre mon torse.
Hermès.
Son emprise est solide et maîtrisée. Je ressens la chaleur de sa paume à travers le tissu de ma chemise alors qu’il me retient contre lui.
— Eliott ? Ça va ?
Il tente de masquer son inquiétude, mais son ton le trahit.
Je ravale un juron et me redresse tant bien que mal, m’appuyant brièvement sur lui avant d’essayer de me dégager. Clara a les yeux écarquillés, et Austin, qui jusque-là n’avait d’yeux que pour elle, semble enfin comprendre que quelque chose cloche.
— Lâche-moi, c'est juste un moment de fatigue, dis-je en tentant de contrôler ma voix.
Hermès ne bouge pas immédiatement, son regard fouille le mien avec cette persistance qui m’agace autant qu’elle me déstabilise. Son emprise se relâche à peine, mais il ne me lâche pas complètement, comme s’il craignait que je vacille de nouveau.
— T’es sûr ?
— Oui, putain, laisse-moi, je réplique, plus brusque que je ne l’aurais voulu.
Il finit par céder, levant les mains en signe de reddition, mais son expression reste fermée, comme s’il n’en croyait pas un mot. À côté, Clara s’est rapprochée d’un pas, son visage trahissant un mélange d’inquiétude et de malaise.
— Eliott, on devrait peut-être—
— Non.
Le silence qui suit est pesant. Austin, jusque-là amusé par la situation, semble avoir perdu son sourire en coin.
— C’est rien, je finis par ajouter, tentant d’adoucir mon ton pour Clara. J’ai juste besoin de rentrer.
Elle hésite, puis hoche la tête.
— D’accord. Je t’accompagne.
Je ne proteste pas. Il vaut mieux éviter d’attirer davantage l’attention. Sans un regard de plus pour Hermès ni pour Austin, je tourne les talons et reprends ma route. Mon genou me lance encore, mais je serre les dents.
Je sens encore la chaleur de la main d’Hermès sur mon torse.
Et ça m’agace.