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Jessie
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8 Hermès

Toronto, CANADA

Le silence règne dans la voiture.

Assis sur le siège passager, Eliott pianote frénétiquement sur son téléphone, ses pouces tapent avec plus de force qu’il ne le faudrait sur l’écran. Je jette un coup œil vers lui.

Je n'ai pas besoin de demander pour savoir ce qu’il fait — il se bataille avec son responsable. Sans doute pour lui expliquer ce qu’il s’est passé ce soir au café. Je garde les yeux sur la route, laissant le ronronnement du moteur combler l’absence de mots. La pluie continue de s’écraser doucement contre le pare-brise.

Eliott ne parle pas, mais son agacement est presque tangible. Son pied bouge nerveusement, son dos est légèrement tendu contre le siège, et chaque nouvelle réponse qu’il tape semble plus brutale que la précédente.

Je soupire légèrement avant de murmurer, sans le regarder :

— Il est chiant ?

Un claquement de langue agacé me répond avant qu’il ne lâche enfin :

— Oh non, il est adorable. J’envisage de lui envoyer une carte de remerciement et un bouquet de fleurs, crache-t-il en rangeant son téléphone.

Ses yeux se perdent sur la route, mais je vois ses muscles se tendre davantage.

Je n’ai pas besoin de lui poser la question. Je connais déjà la réponse. Ce n’est pas juste un problème de responsable chiant. Ce n’est pas juste un truc lié au café. C’est tout un ensemble de petites frustrations accumulées qui s’entrelacent dans son esprit, et ça le submerge. Ce café, c’est l’étincelle qui a mis le feu à quelque chose de bien plus grand. Une sorte de malaise qu’il ne sait pas comment gérer.

— Ça va passer, annoncé-je pour briser le silence.

— Si c’était aussi simple.

Je veux croire que c’est vrai, même si je n'en suis pas sûr. 

Ces mecs ne voulaient pas faire que de la casse, ils voulaient lui faire passer un message. Et, si je ne l’avais pas arrêté à temps quand il a voulu s’interposer, je doute qu’il serait encore en un seul morceau.

Eliott, lui, lève légèrement la tête, comme s'il m'entendait à peine. Il prend une grande inspiration, essayant de se détendre. Mais ça ne marche pas. Ses doigts tapotent nerveusement sur son genou, et je peux voir que son regard cherche une échappatoire, une issue.

— Tu sais, Eliott, ça ne te sert à rien de tout garder pour toi. Ça va pas te faire avancer de t’enfermer dans ce cercle.

Il ne réagit pas immédiatement. Je m’attends à ce qu'il me réponde avec un sarcasme, une phrase acide, quelque chose qui me ferait comprendre qu'il préfère tout garder pour lui. Mais au lieu de ça, il se tait encore un moment, comme s’il réfléchissait vraiment à ce que je viens de dire.

Il détourne enfin les yeux de la route pour me regarder, un peu perdu. Ses lèvres s'agitent, comme s’il allait dire quelque chose, mais il se ravise. Ses yeux bleus me fixent, mais ils sont fatigués.

À la place, je décide de changer de sujet. Je sais qu'il n'est pas prêt à parler. Pas maintenant, pas sur ce sujet. Mais je ne veux pas que cette atmosphère pesante continue de nous engloutir. Pas alors que je suis là, avec lui, juste à quelques centimètres, et que je ne sais pas comment briser cette putain de barrière qu’il se crée à chaque fois qu'il se sent dépassé.

Je déglutis et tente une approche plus légère.

— Tu veux qu’on s’arrête quelque part, histoire de prendre l’air ?

Il ne répond pas tout de suite, mais je vois ses yeux se poser sur moi à travers le rétroviseur. 

— Tu joues à quoi Artens ?

Je fais une pause, juste assez longue pour laisser la question flotter, avant de répondre.

— Je ne joue à rien, Eliott. Je cherche juste à te faire respirer un peu. C’est pas un crime, si ?

— Tu penses vraiment que c’est ça ? Tu crois vraiment que je vais tout relâcher parce que tu veux faire une pause dans un coin paumé en pleine nuit ?

Il a frappé juste. Et, merde, j’aurais voulu pouvoir le contredire. Mais je sais au fond que, même si je lui propose tout l’air du monde, ça ne résoudra rien. C’est pas l’air qui le ronge, c’est ce poids qu’il porte en lui, et ça, je ne sais même pas comment le lui enlever. Je respire profondément, sentant la pression dans mes tempes.

— Non. Mais je me disais que ça pourrait t'aider à te vider la tête. Je ne suis pas... je ne suis pas dans ta tête, Eliott.

— Heureusement que tu n’es pas dans ma tête. Tu te serais noyé depuis longtemps, crache-t-il.

Je sens une boule se former dans ma gorge, mais je ne réagis pas tout de suite. Il a raison. Il a toujours raison, de toute façon. La pluie, quant à elle, continue de s’abattre sur la voiture. Eliott bouge nerveusement la jambe comme si cela allait l’aider à se calmer. 

— Eli…

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu’un éclat de klaxon nous déchire les tympans. Mon pied appuie instinctivement sur le frein, et je tourne brutalement le volant, évitant de justesse la voiture qui fonçait droit sur nous. Les pneus crissent sur la route humide, glissant dans un vacarme assourdissant, mais je réussis à garder le contrôle.

J’arrête la voiture sur le côté pour laisser l’adrénaline redescendre. Eliott, de son côté, est figé, ses doigts crispés sur la poignée de la porte, ses yeux fixés droit devant, comme s'il cherchait à se concentrer, à maîtriser quelque chose. 

— Putain de merde ! hurle-t-il en sortant du véhicule.

Je respire profondément, mes mains tremblent encore sur le volant, mais je prends un instant pour me calmer. Je jette un coup d’œil dans le rétroviseur. La voiture derrière nous a continué sa route sans s’arrêter. Je me dis qu'on a eu de la chance… ou pas.

Je pousse la porte et m’élance à sa suite, cherchant Eliott du regard. Il se tient là, les bras croisés, les yeux fermés, comme si le simple fait de respirer devenait trop lourd. La pluie s’abat sur lui. Je m’approche sans dire un mot, je ne sais même pas ce que je pourrais dire.

— … Ça va, Eliott ?

— Arrête de me demander si je vais bien ! Ça ne va pas. On a failli avoir un accident de voiture, putain !

Il garde sa canne contre lui, son autre main poser contre sa jambe droite.

— Je…

Je m’arrête subitement dans ma phrase, réalisant à quel point ce détail le touche plus que je ne pouvais l’imaginer. 

Ce qui vient de se passer vient certainement de lui rappeler de mauvais souvenirs.

— Je suis désolé Eliott. J’aurais dû me concentrer sur la route.

— Oui, tu aurais dû en effet.

Je reste silencieux. Il a raison. Mais ce n’est pas juste la faute de ma distraction, ni de la pluie, ni même de ce connard qui a failli nous rentrer dedans. Ce n’est pas ça qui le met dans cet état. C’est autre chose, quelque chose de plus profond, de plus viscéral. Quelque chose que je n’ai pas besoin de nommer pour comprendre.

Eliott serre la mâchoire, ses doigts sont crispés sur sa canne. Il respire fort, son torse se soulève de manière irrégulière, et malgré l’obscurité, je peux voir la tension qui irradie de lui. Il lutte contre quelque chose d’invisible.

Je veux dire quelque chose, n’importe quoi, mais je crains d’empirer les choses. , alors, je me contente de rester là, immobile, à attendre qu’il parle, qu’il fasse un geste, qu’il me laisse voir un peu plus loin que cette façade qu’il s’obstine à garder.

Il finit par se détourner légèrement, et je devine que ce n’est pas seulement la colère qui lui fait éviter mon regard. C’est autre chose. De la peur, peut-être.

— Tu veux rentrer ? demandé-je doucement.

Il ne répond pas tout de suite. Il garde les yeux baissés, puis hoche finalement la tête sans un mot. C’est suffisant.

Je remonte dans la voiture et attends qu’il fasse de même. Il s’installe, plus lentement que d’habitude, et je le vois discrètement masser sa jambe avant de reposer ses mains sur ses cuisses. Il regarde droit devant lui, le visage fermé.

Je redémarre la voiture.

Cette fois, il ne pianote pas sur son téléphone. Il reste figé, le regard perdu quelque part dans la nuit.

Je ne sais pas si c’est le bon moment pour parler. Peut-être que ça ne le sera jamais. Mais je sais une chose : même s’il continue de me repousser, je serai toujours là, à ses côtés, qu’il le veuille ou non.

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