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Athyrion
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Prologue

La forêt, aux mille reflets de verts ponctués de brun et d’ocre, semblait s’étendre à l’infini et pourtant ils avançaient tous deux d’un pas preste, prenant soin d’éviter les racines et de ne pas piétiner le tapis de mousses gorgées d'humidité. Tout autour d’eux, leur parvenaient les chants de multiples oiseaux, les bourdonnements des insectes et les bruissements des bêtes cachées dans l’ombre, indifférentes à leur traversée.

La jeune isthre courait en tête. Sûre d’elle et de son chemin, elle écartait avec douceur les branchages gênants de ses longs bras fins aux muscles noueux. Sa peau, d’un vert sombre et couverte de lichens, la rendait presque invisible au milieu des bois. Même sa tunique, une fourrure grise tachetée, ne trahissait pas sa présence. Un petit félin au pelage moucheté et dont les canines protubérantes jaillissaient démesurément hors de sa gueule trottinait à ses côtés.

Elle finit par ralentir l’allure. Puis, après quelques pas, se retourna pour faire face à son compagnon qui luttait pour la rattraper.

— Encore un petit effort, Xan'shir, nous y sommes presque! La Percée du Dormeur Solitaire se trouve juste devant.

Le garçon respirait bruyamment, son torse nu se soulevant avec force. Des gouttes de sueur ruisselaient sur son front vert pâle. Il les chassa d’un revers de main qui fit frotter les petits bourgeons qui sortaient de sous sa peau, comme autant de boutons carmélites. Des gris-gris d'os, de plumes et de pierres qu'il portait accrochés aux bras et au cou dansaient avec frénésie au rythme de ses pas.

— Tu galopes encore plus vite qu’une foutue Bengra en chasse… lâcha-t-il, à bout de souffle. Comment fais-tu pour être aussi rapide ?

— Et toi tu es plus lent qu’un escargot des souches. Je commence à sérieusement douter de ta motivation à te retrouver seul en ma compagnie, Xan'shir.

Xan'shir se figea, avant d'accélérer l’allure.

— Rah ! Sois maudite, Sym’sha, pour avoir envoûté mon cœur !

Sym’sha éclata d’un rire cristallin et se remit à courir.

Ils avaient parcouru une demi-lieue lorsque la forêt devint soudainement plus clairsemée. Le champ de vision des deux isthres s’élargit à mesure que les arbres s’éloignaient les uns des autres. Les mousses laissèrent place à des herbes folles aux bords tranchants et de petits arbustes rabougris remplacèrent les grands arbres. Un soleil terne, caché par d’épais nuages gris, inondait devant eux une clairière de sa triste lueur. Au centre de cette curieuse trouée forestière, se dressait les restes flétris d’un arbre au tronc colossal. Et bien qu’il fût mort depuis longtemps, comme l’attestait son écorce craquelée et ses branches tordues dépourvues de feuillages, le géant desséché paraissait continuer d’exercer son emprise sur la zone, empêchant toute autre espèce de se développer autour de lui. Des blocs de granit usés par les intempéries et recouverts d’une végétation moribonde étaient disposés à distance régulière de l’arbre gigantesque. Un silence pesant planait sur la clairière. Les deux amoureux se stoppèrent sous la protection qu’offrait la lisière du bois.

— La Percée du Dormeur Solitaire, que l’on nommait avant Tas’aya le Gardien… commenta Xan’shir, mal à l’aise. Son regard allait et venait d’un point à un autre, à la recherche d’un éventuel danger tapi dans l’ombre. Cet arbre, pour un Gardien, dégage quelque chose de sinistre. Écoute, Sym’sha, comme même les oiseaux refusent de chanter pour lui ! Je commence à comprendre pourquoi les anciens craignent cet endroit et refusent que l’on s’y rende.

Il fit glisser entre ses doigts les amulettes qu’il portait au cou. Os et pierres produisirent à leurs contacts de légers cliquetis, sons qui rassurèrent le garçon. Sym’sha fronça ses fins sourcilles mousseux.

— Les anciens ne sont  plus que des vieillards superstitieux et peureux. Ils craindraient même leur propre ombre, s’ils pouvaient encore la voir marcher derrière eux. Tasaya était déjà là bien avant leur naissance et restera debout bien après notre mort. Gardien ou non, il n'est maintenant rien d’autre que le vestige oublié d’un autre temps. Et puis, vois-tu, Xan’shir, ici au moins nous serons enfin tranquilles. Personne pour nous déranger… Rien que toi, et moi…

Le visage d’ordinaire vert pâle du garçon vira au sapin quand une bouffée de chaleur lui monta aux joues. Il redressa les épaules et bomba le torse, avant de poser le poing sur son cœur dans un geste exagérément théâtral.

— Moi, Xan’shir, futur grand chasseur de la tribu des Feuillombres, je jure de ne pas avoir peur des légendes pour jeunes pousses froussardes ! Suis-moi, Sym’sha, allons voir de plus près cette vieille souche qui aiguise tant ta curiosité !

La belle sourit à nouveau. Tout était décidément si simple avec Xan’shir.

Pardonne-moi, mon valeureux chasseur. Cela fait trop de lunes que Tasaya hante mes rêves. Qu’il soit sacré ou maudit, je dois comprendre ce qui me lie à cet endroit.

Une énergie ancienne, aux relents rances, vint frapper Sym’sha sitôt qu’elle eut dépassé l'enchevêtrement de barrières runiques que tissait le cercle de menhirs. Elle chancela, écrasée sous l’effet d’une pression qui lui comprimait les organes, et dû puiser dans toute sa force mentale de jeune chamane pour se redresser. Xan'shir ne vit rien de son malaise. L’isthre marchait devant elle d’un pas décidé en direction du tronc desséché, accompagné de la petite panthère mouchetée. Il n’avait pas prêté attention aux pierres de granite taillées rongées par le temps et la mousse, pas plus qu’il ne semblait ressentir la force que dégageait l’Arbre-Gardien. Ces observations stupéfièrent Sym’sha. Un tel degré d’insensibilité au fluide en tenait pratiquement du don.

— Tu avais raison, se vantait-il à mesure qu’il s'avançait dans la clairière, de plus en plus minuscule en comparaison du géant immobile. Les anciens se fanent les feuilles pour rien avec leurs légendes stupides. Tas’aya n’est qu’un énorme arbre décrépi. Le Gardien appartient au passé et ses histoires sont destinées aux bourgeons crédules.

Tu te trompes, Xan’shir. Tas’aya ne s’en est pas encore retourné à la terre nourricière et aux vents… Il demeure si faible, mais je ressens encore son souffle de vie. Seulement… aurait-il autre chose ?

— Sym’sha, je crois que Eclipse vient de flairer quelque chose.

La panthère s’était figée le museau aux vents, à quelques pas de l’arbre. Elle huma l’air plusieurs fois, avant de disparaître entre les gigantesques racines qui jaillissaient du sol. Un instant après, sa gueule réapparut d’une cavité de l’écorce dans un feulement. Un sourire timide se dessina sur le visage de Xan’shir lorsqu’il se risqua à une proposition.

— Cet abri est assez grand pour nous accueillir. Nous pourrions peut-être… y passer la nuit ?

— Allons déjà voir ce que Eclipse a trouvé, coupa Sym’sha, brusquement agitée.

Quand la jeune isthre le dépassa sans un regard, Xan’shir se dit que décidément, il ne comprenait rien à l’amour.

L’intérieur du tronc, dont la circonférence atteignait celle des plus grandes huttes de la tribu des Feuillombres, exhalait une odeur fétide d’humidité et de champignons. L’arbre paraissait presque entièrement creux, exception faite de son cœur, qui se projetait en une large tige de lignine disparaissant dans les ténèbres. Sym’sha s’était déjà habituée à l’obscurité quasi-totale, et elle arpentait le sanctuaire végétal avec précaution. Elle le ressentait avec force à présent. Si le gardien possédait encore une dernière once de vie moribonde, la source de l’énergie qui balayait la clairière était autre. C'était une pulsation sourde, lourde et régulière. Semblable à une respiration. La respiration lente d’un être endormi.

Et Sym’sha le vit. Ce qu’elle avait pris d'abord pour une simple protubérance, une tumeur à la surface de la tige. Une chose informe. Une larve grotesque, pas plus grosse qu’un nourrisson, fixée par de multiples excroissances à la surface du cœur, son rostre écoeurant plongeant profondément dans les lignes du bois. La chamane se rapprocha avec lenteur, alors que derrière elle, Xan’shir hélait son nom, en proie à une angoisse soudaine. Le battement devint soudain discordant. Une ombre passa à la surface de la chair flasque et rosâtre.

Et Sym’sha comprit. La chose, le parasite, réagissait à sa présence. Elle comprit alors. Ce n’était pas Tas’aya qui avait envoyé ces visions dans ses rêves, depuis plusieurs lunes. Ce n’était pas l’Arbre-Gardien qui avait exigé sa venue, avec de plus en plus de force et d’empressement. Non. C’était cette chose. Une créature d’apparence ignoble, au souffle ancien et puissant.

Malgré ses supplications plaintives, Xan’shir regarda médusé sa promise se rapprocher de la larve écoeurante. Son être tout entier lui criait de courir loin d’ici, courir à s’en rompre les os. La panthère feulait à ses côtés, ses poils gonflés de rage et de peur. Rendu impuissant par sa propre lâcheté, le garçon vit Sym’sha posa ses mains sur la chose. 

Un long hurlement brisa le silence de la clairière.

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